MESSAGE DU PAPE PAUL VI
Au Xème Congrès international de droit pénal
du 5 octobre 1969
Ce document a été publié en son temps par la Revue de Science criminelle et de droit pénal comparé
(Rev.sc.crim. 1969 785)
A notre demande, il nous a été aimablement communiqué par M. le professeur Jean Villacèque,
ancien Bâtonnier du Barreau de Perpignan.
Il Nous est très agréable de répondre au désir exprimé par les organisateurs du dixième Congrès international de droit pénal, et de vous souhaiter à tous une cordiale bienvenue. En vous recevant dans notre demeure, Nous voulons vous témoigner notre estime pour vos personnes et vous assurer en même temps du vif et profond intérêt que Nous portons à vos travaux.
Si tout ce qui se rapporte à l’ordre juridique international retient en effet notre attention, l’objet de votre rencontre romaine, bien qu’il déborde notre compétence propre, attire particulièrement notre réflexion. Vos préoccupations ne rejoignent-elles pas, par plus d’un aspect, ce qui constitue l’une des tâches de l’Église : le relèvement de l’homme tombé et son amendement en vue de sa progressive réintégration dans une société accueillante où il puisse retrouver sa pleine dignité ?
Au reste, notre prédécesseur Pie XII ne vous exprimait-il pas, dans une rencontre mémorable à laquelle plusieurs d’entre vous ont sans doute participé, tout l’intérêt que porte l’Église à vos travaux, et aux questions fondamentales qu’ils soulèvent : les bases métaphysiques du droit, et son importance pour la vie pacifique et ordonnée des sociétés et de la communauté des peuples ? (Discours au VIe Congrès international de droit pénal, A.A.S. 45, 1953, p. 730-744). Quant à Nous, en présence de personnalités si hautement qualifiées, et devant des rapports complexes si techniquement élaborés, nous voudrions seulement partager avec vous quelques réflexions qui Nous paraissent particulièrement actuelles dans le monde d’aujourd’hui.
I. — Tout d’abord, vous contribuez au progrès des sciences juridiques, et par là vous participez d’une manière irremplaçable à l’instauration de ce monde plus juste et plus fraternel que nous appelons tous de nos vœux. N’est-il pas vrai que, dans toutes les civilisations, cette lente élaboration d’un droit pénal égal pour tous, à la fois de plus en plus précis et de plus en plus souple, pour tenir compte de tous les aspects des dommages causés aux personnes comme à l’ordre public, ainsi que d’une culpabilité personnelle cernée aussi exactement que possible, n’est-il pas vrai qu’un tel effort est toujours le signe et le gage d’une progressive maturation humaine, qu’il témoigne en un mot de plus d’humanité ?
Cette oeuvre, certes, vous le savez mieux que quiconque, demeure fragile et vulnérable, et demande toujours à être reprise et perfectionnée, dans une plus grande adaptation requise à la fois par l’affinement des consciences et par les transformations de la société. Qui ne saisit l’enjeu de ce travail séculaire, devant la tentation toujours renaissante, et aujourd’hui plus insidieuse que jamais, de jauger la moralité à l’aune des mœurs, et d’établir un passage aussi indu que périlleux du fait au droit ? De plus grandes possibilités d’action apparaissent par ailleurs, et par là même hélas, deviennent aussi possibles de nouveaux délits qui font peser des menaces plus graves sur les personnes comme sur la société. Il faut y faire face résolument, si l’on ne veut pas qu’un prodigieux progrès technique ne soit l’occasion d’une effrayante régression morale. Ne notait-on pas récemment la terrible progression de la criminalité en milieu urbain, et ceci dans les sociétés considérées comme les plus évoluées ?.
Tant de questions se posent quant à l’administration même de la justice, le déroulement des procès, les garanties de la vérité, les modes d’application des peines. Nous Nous réjouissons de les voir réétudiées, ne doutant pas qu’un tel réexamen ne favorise plus de justice dans l’exercice de « La Justice ». L’Église elle-même n’essaie-t-elle pas de faire le même effort dans la réforme de sa législation canonique, comme dans la procédure de ses tribunaux ?
Certes, nous le savons tous, Dieu seul « sonde les reins et les cœurs », et Lui seul est capable de « rendre à chacun selon ses œuvres » (cf. Jérémie. 17, 10), Lui, « le juste Juge, le défenseur du pauvre, de la veuve, et de l’orphelin », comme le proclament à l’envi tant de pages de la sainte Ecriture (cf. Ps., 7, 9-12; 11, 7; 26, 1 ; 58, 12 ; 75, 8 ; 82, 8), qui nous le montrent aussi intraitable pour qui poursuit le mal ou lui demeure indifférent, que miséricordieux pour qui regrette sa faute et s’amende, « plein de tendresse et de pitié » (Exode, 34, 6) pour le pécheur repentant. Plus modeste certes, votre rôle n’en est pas moins indispensable. Il s’agit, pour la justice humaine, de prévenir le mal, de protéger la société contre toutes les atteintes au bien commun, et de redresser aussi le coupable, pour autant que faire se peut. Ce pouvoir de coercition lui-même, exercé à l’encontre d’un frère au nom de la communauté, comme le pouvoir législatif qui lui correspond, expriment en effet les exigences d’un droit fondamental.
II. — Il est dans votre oeuvre un autre point capital. C’est la sauvegarde des droits sacrés de la personne humaine, des droits de l’homme selon l’expression consacrée, que vous assurez par la protection de l’ordre public. Et là votre responsabilité est double, et aussi délicate et grave dans l’une et l’autre de ses composantes : assurer les droits du coupable, comme ceux de l’innocent.
Nous le disions solennellement dans notre message adressé à la Conférence organisée par les Nations Unies à Téhéran, à l’occasion du vingtième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme : « Il serait vain de proclamer les droits si l’on ne mettait en même temps tout en oeuvre pour assurer le devoir de les respecter, par tous, partout, et pour tous ». Et le Concile oecuménique, dans sa Déclaration Dignitatis Humanae, le déclarait sans ambages : « A l’égard de tous, il faut agir avec justice et humanité..., selon des normes juridiques conformes à l’ordre moral objectif, requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et de leur pacifique accord, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par le maintien, qui se doit, de la moralité publique ».
Cette triple exigence marque bien l’ampleur, comme les limites, de toute législation pénale, dans l’irremplaçable service du bien commun qu’elle assure. Le délinquant — et à combien plus forte raison le présumé délinquant — conservent toujours une dignité et des droits qu’il faut absolument garantir contre tout arbitraire. Bien plus le jugement et la peine doivent tendre aussi à la rééducation et à la réintégration du coupable dans la société, avec son entière dignité d’homme. Nous vous félicitons de tendre toujours mieux vers cet objectif humain si important, qui est bien digne de retenir toute votre attention.
III. — Un autre aspect de vos travaux est lui aussi à relever, en raison de ses incidences sur le bien commun de toute la communauté des peuples : c’est l’harmonisation des diverses législations nationales, dans la poursuite des délits, et l’obstacle ainsi porté contre les criminels dans leur recherche de l’impunité par le moyen de la fuite à l’étranger. Certes les lois pénales, sans être arbitraires, demeurent nécessairement liées à certaines contingences locales, et ne peuvent pas ne pas refléter dans leur expression des degrés bien divers selon l’état des différentes sociétés dont elles cherchent à assurer la sauvegarde. Et il est, de ce fait, difficile d’en harmoniser les dispositions par-delà les frontières.
Mais il vous appartient de chercher à déjouer les impudents calculs des criminels, et de réfléchir aux saines conditions de l’extradition, en ce qui concerne les crimes de droit commun. Le problème est en effet bien différent, quand il s’agit de délits d’ordre politique, avec les contingences qu’ils connotent : dans certaines limites, le droit d’asile a toujours été reconnu comme un bienfait pour l’humanité. Au reste, par-delà la punition de tout délit, qu’il faut assurer, c’est la prévention de la criminalité qu’il importe de rechercher par les moyens les plus adaptés.
IV. — Enfin, il Nous plaît de penser que la mise en commun de vos réflexions et de vos suggestions, à partir de vos diverses expériences, comme la confrontation pacifique des différents systèmes juridiques dont vous avez la connaissance, favoriseront et renforceront entre les nations des rapports juridiques plus étroits, qui seront une source féconde de progrès dans la justice, et par-là même de paix entre les peuples. Car la paix, Nous ne cessons de le répéter, « se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes » (Populorum Progressio, n. 76, cf. Pacem in terris).
Il n’est de vraie paix que dans la justice. Et la vraie justice n’est pas dans un juridisme imposé par les uns ou les autres en raison de leur position de force dans la société, mais dans le souci d’assurer toujours mieux la protection de ces droits naturels qui ont été inscrits par le Créateur dans la conscience des hommes. Selon le mot du prophète : « Pour magistrature, j’instituerai la paix ; et comme gouvernement, la justice » (Isaïe, 60, 17). Nul doute qu’avec la grâce du Dieu de justice et de paix, des dialogues sincères comme ceux que vous menez ne contribuent grandement au progrès de toute la société, dans cette recherche si importante pour tous les hommes.
Aussi est-ce de grand cœur qu’en formant les meilleurs vœux pour la fécondité de vos travaux Nous vous accordons, pour vous-mêmes, et pour tous ceux qui vous sont chers, notre Bénédiction Apostolique.