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INTRODUCTION À UN COURS DE MORALE

Extrait de A. PIERRE et Mlle A. MARTIN
« COURS DE MORALE THÉORIQUE ET PRATIQUE »
( 11ème édition, Paris 1912 )

Les premières leçons du « Cours de morale »
qui sont reproduites ci-dessous, furent conçues
à l’usage des écoles primaires supérieures.

Elles reflètent la philosophie des « Hussards de la République »
qui avaient reçu pour mission d’instruire et d’éduquer
les écoliers afin de les préparer à leur futur statut de citoyen.

C’était aussi le premier pas vers la prévention de la délinquance.
Leurs successeurs seraient bien inspirés de suivre leur exemple.

Je profite de cette circonstance pour rendre
un hommage reconnaissant à M. Daurigny,
le principal instituteur de mes premières années.

N.B. : Certains trouveront le texte suivant un peu léger ;
mais il vise le niveau moyen de la population,
qui est justement celui où doit se placer le législateur pénal.

PREMIÈRE LEÇON:
SENTIMENTS MORAUX

Sommaire. — Le spectacle de la conduite des autres et notre propre conduite font naître en nous des sentiments d’un ordre particulier qu’on appelle sentiments moraux, parce qu’ils nous renseignent sur la valeur morale de nos actions et de celles des autres.
Ces sentiments, selon qu’ils sont agréables ou pénibles, nous permettent de distinguer le bien du mal.
Mais ils ne sont pas toujours des guides infaillibles.

Je vois un homme qui frappe brutalement un enfant. Pourquoi cet homme malmène-t-il ainsi cet enfant ? Celui-ci a-t-il commis une faute qui mérite répression ? Je l’ignore, mais je sens que le premier abuse de sa force en maltraitant le second. J’éprouve de la répulsion, de l’indignation, de l’horreur pour le bourreau, et je le verrais volontiers maltraiter à son tour; je suis ému de sympathie et de pitié pour la victime, que je voudrais consoler, soulager, dédommager de sa souffrance.

Voici au contraire un autre homme qui -se détourne de sa route pour donner un coup de main à un pauvre diable attelé à une charrette trop chargée, je lui en suis reconnaissant comme si je profitais moi-même de sa bonté ; je me sens disposé à l’aimer, j’aurais plaisir à l’aider, à lui procurer une satisfaction.

Si je suis témoin d’un acte de dévouement, j’éprouve de l’admiration et de l’enthousiasme pour celui qui en est l’auteur.

Si, dans un abcès de colère, je m’emporte contre quelqu’un, si je me laisse aller à la violence, je me sens bientôt honteux et troublé, je fuis les regards des autres, j’ai l’impression que je ne retrouverai le calme qu’après m’être efforcé de réparer le mal que j’ai causé et d’apaiser la personne que j’ai offensée.

Au contraire, si je me suis imposé une peine, si je me suis privé d’un plaisir ou exposé à un danger au profit d’un autre, j’éprouve une sorte d’allégresse qui m’inspire le désir d’accomplir encore des actes analogues ; en même temps l’affection et la bienveillance qu’on me témoigne me causent une vive satisfaction.

Ainsi les actions des autres et mes propres actions font naître en moi, que je le veuille ou non, des sentiments divers, agréables ou pénibles selon les cas et qu’on a appelés sentiments moraux, parce qu’ils nous renseignent sur la valeur morale de ces actions. Celles qui éveillent en nous des sentiments agréables nous paraissent bonnes ; celles qui éveillent en nous des sentiments pénibles nous paraissent mauvaises. Par là, nous avons un premier moyen de discerner le bien du mal. Ce moyen, l’éducation et l’expérience le perfectionneront, mais elles ne sauraient y suppléer ni donner le sentiment moral à celui qui en serait dépourvu.

Cependant, il n’est pas toujours un guide infaillible ; il lui arrive de s’égarer et de se pervertir. Il se peut, par exemple, que j’éprouve de la sympathie pour le flatteur qui, par intérêt et souvent contre sa conscience, me comble de louanges exagérées ; et pourtant, il ne devrait m’inspirer que du mépris. En revanche, qu’un ami sincère me rappelle un peu rudement au devoir, je serai capable de lui en vouloir quand je devrais lui en être reconnaissant. Ceux qui deviennent très difficiles pour eux-mêmes ne goûtent plus guère la satisfaction d’avoir bien agi ; il en est au contraire que l’habitude du mal rend indifférents au remords et incapables de repentir.

Mais ce sont là des exceptions, et les tendances impérieuses de notre âme vers le bien, comme la répugnance que le mal lui inspire, prouvent la grandeur et la dignité de notre nature.

Pensées :

La raison agit avec lenteur, le sentiment agit en un instant, et toujours il est prêt à agir. (Pascal)

Comme on se gâte l’esprit, on se gâte aussi le sentiment. (Pascal)

*

DEUXIÈME LEÇON :
ANALYSE DE QUELQUES SENTIMENTS MORAUX

Sommaire. -  Les sentiments moraux se rapportent aux actions des autres et à nos propres actions.
Ce sont : dans le premier cas, la sympathie, l’estime, le respect, l’admiration, ou l’antipathie ; le mépris, l’indignation, l’horreur ; dans le second cas, le calme, la satisfaction intérieure, la fierté, l’honneur, ou le trouble, le remords, le repentir, la honte.

… l’honneur et la honte contribuent à l’éducation ; ils apparaissent les premiers dans la conscience de l’enfant, et ils aident puissamment à l’éveil des autres sentiments moraux.

Pensées :

La véritable estime est celle qui est attribuée par des hommes dignes d’être estimés eux-mêmes. (D’Alembert)

Le respect n’est autre que l’aveu de la supériorité de quelqu’un. (Duclos)

Il n’y a pour l’homme qu’un véritable malheur, qui est de sentir en faute et d’avoir quelque chose à se reprocher. (La Bruyère)

Des lois que nous suivons, la première est l’honneur. (Voltaire)

*

TROISIÈME LEÇON :
JUGEMENTS MORAUX, CONSCIENCE MORALE

SommaireLa conscience morale permet à l’homme de distinguer le bien du mal. Par elle, il connaît son devoir et il juge ses propres actes et ceux de ses semblables.
On doit et on peut perfectionner sa conscience ; il est dangereux de la négliger ou de ne se soumettre qu’en partie à ses lois.

Non seulement le spectacle du bien nous réjouit et celui du mal nous afflige, niais nous comprenons que nous devons faire l’un et éviter l’autre, même s’il nous en coûte ; nous nous jugeons relevés, améliorés, dignes de récompense quand nous avons bien agi ; avilis, dégradés, dignes de châtiment dans le cas contraire. Nous portons des jugements analogues sur la conduite des autres.

Cette connaissance instinctive du devoir, cette faculté de distinguer le bien du mal, sur laquelle s’appuient les jugements moraux, s’appelle la conscience morale. C’est elle qui nous dicte d’abord ce que nous devons faire et nous permet ensuite de juger ce que nous avons fait ; c’est à sa lumière que nous examinons et que nous apprécions la conduite de nos semblables.

Tous les hommes ont une conscience, mais elle n’est pas chez tous également développée. Chez les uns, elle reste obscure et confuse, faute d’avoir le temps ou les occasions de s’exercer, semblable en beaucoup de points à celle des petits enfants, qui agissent bien ou mal innocemment, sans le savoir, qui mentent, par exemple, pour ne pas déplaire. D’autres, plus instruits, mais emportés par la passion, se trompent dans leurs jugements et prennent le bien pour le mal, ou réciproquement ; tels les fanatiques, qui, pour imposer leurs croyances, qu’ils jugent excellentes, ont recours à la violence, aux tortures, aux massacres même et se glorifient de ces actes abominables. D’autres enfin hésitent sans cesse sur la conduite qu’ils doivent tenir, par un excès de scrupule qui les empêche de distinguer assez vite et assez nettement le bien du mal : ce sont les timorés.

Mais la conscience est perfectible.  Il faut donc s’efforcer de la perfectionner en s’instruisant et surtout en pratiquant l’examen de conscience. L’instruction nous apporte, en même temps que d’autres connaissances, des notions morales de jour en jour plus nombreuses et plus nettes ; l’habitude d’interroger notre conscience la rend plus sûre, plus délicate et plus active. Les personnes vertueuses ne se contentent pas de l’examen quotidien ; elles réfléchissent continuellement sur leurs actes et veillent sans cesse sur leurs dispositions intérieures.

Rien n’est plus dangereux que de négliger sa conscience ou d’entrer avec elle dans la voie des accommodements. Alors on vit sans jamais faire un retour sur soi-même, sans souci de la règle, au gré des événements et du hasard; ou bien on n’accomplit son devoir qu’en partie, parce qu’on est trop mou ou trop lâche pour s’en acquitter complètement. Bientôt la conscience se fausse, ou s’atrophie, ou s’endort ; de là une conduite indécise et incertaine, des erreurs de jugement, des fautes, et la dignité de la personne diminuée ou perdue.

Pensées :

Conscience, conscience, instinct divin, immortelle et céleste voix (Rousseau)

L’obligation de faire sa conscience est antérieur à l’obligation de suivre sa conscience (Mirabeau)

On se fait aisément de fausses consciences (Boudaloue)

*

QUATRIÈME LEÇON :
LA LIBERTÉ,
POUVOIR DE L’HOMME SUR LUI-MÊME
SES LIMITES

Sommaire. — La liberté ou libre arbitre est le pouvoir absolu qu’a l’homme de se déterminer à agir d’après sa seule volonté.
Ce pouvoir nous est révélé clairement par notre conscience, et tous les hommes y croient.
Mais, dans la pratique, mille difficultés qui ont leur source en nous-mêmes ou dans les choses extérieures en restreignent les effets.
Il nous permet néanmoins de noua améliorer.

La liberté morale, qu’on appelle encore libre arbitre, est le pouvoir qu’a l’homme de choisir entre plusieurs partis, de se déterminer à agir de telle façon plutôt que de telle autre, d’après sa seule volonté.

Notre conscience suffit à nous convaincre de notre libertémorale. Sur le point de nous décider, nous sentons nettement que nous sommes les seuls maîtres de notre décision, que nous en pourrions prendre une toute différente ou n’en prendre aucune. Au moment de me mettre en marche pour faire une promenade, si je me demande de quel pied je partirai, je sens clairement qu’il m’est loisible de partir du pied droit ou du pied gauche, selon ma fantaisie, et qu’aucune raison autre que ma volonté ne détermine mon choix.

Nous pouvons aussi, après avoir commencé une action, décider de l’interrompre, de la modifier, de faire l’action contraire. Si je lis un livre ennuyeux, rien ne m’empêche de me contraindre à le lire jusqu’au bout, ou de le fermer et d’en prendre un autre, ou de me livrer à un travail manuel. Et si je veux continuer à lire, on pourra bien m’arracher le livre des mains, me boucher les yeux, me détourner la tête, mais non m’empêcher de vouloir lire, ni me forcer à vouloir autre chose.

Tous les hommes ont le sentiment clair de leur libre arbitre. Tous se reconnaissent responsables de leurs actes ; ils n’imputent qu’à eux-mêmes les décisions qu’ils ont prises ; ils en acceptent ou s’en attribuent les conséquences. Ils trouvent juste d’être blâmés et châtiés quand ils ont commis une faute, comme d’être loués et récompensés quand ils ont bien agi. On les étonnerait grandement si on leur disait que leurs sentiments ou leurs idées les emportent malgré eux et qu’il ne dépend pas d’eux, et uniquement d’eux, de vouloir agir autrement qu’ils agissent.

Tous les hommes croient aussi à la liberté des autres comme à leur propre liberté. Les prières et les conseils, les promesses et les menaces, les éloges et les reproches, les peines et les récompenses sont les témoignages sans cesse renouvelés de la foi de chacun au libre arbitre de tous.

La liberté morale nous permet de nous améliorer en résistant à nos mauvais penchants, en prenant des décisions conformes au devoir. Nous rencontrerons sans doute plus d’une difficulté et nous éprouverons souvent qu’il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Il nous faudra lutter contre notre tempérament, notre caractère, nos passions, nos habitudes, notre éducation même ; et quand nous en aurons triomphé par l’énergie de notre volonté, nous nous heurterons aux choses extérieures, sur lesquelles notre action viendra se briser. Que je veuille, par exemple, secourir toutes les misères que je connais, est-ce que j’acquerrai jamais assez de ressources, même au prix du travail le plus acharné, pour en venir à bout ? Enfin quelles que soient les circonstances où je me trouve, je ne puis choisir qu’entre les manières d’agir qui me viennent à l’idée, et la meilleure peut-être ne se présente pas à mon esprit.

Pensées :

Être libre, c’est obéir à la raison. (Stoïciens)

Un tyran me dit : « Je suis le maître, je puis tout ». Je réponds : « Peux-tu m’ôter ma liberté ? Tu es maître de ce cadavre, mais tu n’as aucun pouvoir sur moi » (Épictète)

*

CINQUIÈME LEÇON :
LA RESPONSABILITÉ

Sommaire. — Nous sommes responsables de nos actes c’est-à-dire que nous devons en supporter les conséquences.
Il y a des degrés dans la responsabilité, selon qu’en est plus, ou moins responsable.
Mais à part quelques exceptions, toute faute est une lâcheté. On doit désirer atteindre le plus haut degré de responsabilité.

La conscience nous révèle le devoir, et nous sentons clairement, d’autre part, que nous sommes maîtres de notre volonté ; par suite, nous sommes responsables, des actes que nous accomplissons librement et en pleine connaissance de cause, et il est juste que nous en supportions les conséquences.

Il y a des degrés dans la responsabilité : elle varie avec ses conditions mêmes, la connaissance du bien et du mal et la liberté.

Les idiots, les fous, les malades en délire, tous ceux chez qui la raison s’est éteinte ou momentanément obscurcie sont irresponsables. On ne peut demander compte aux enfants de leurs actions qu’autant qu’ils en comprennent la portée ; ce sont leurs parents et leurs maîtres qui répondent pour eux et qui, par conséquent, ont le droit de leur donner des ordres et de leur dicter leur conduite. La responsabilité est également amoindrie chez les vieillards, dont l’âge affaiblit la raison, au point de les rendre quelquefois semblables à des enfants.

L’ignorance et l’erreur involontaire, les préjugés même et les superstitions peuvent aussi, dans une certaine mesure, excuser les fautes ; on ne saurait m’en vouloir d’avoir désobéi à une loi que je ne connaissais pas. Encore faut-il remarquer que dans la plupart des cas nous voyons au moins confusément où est notre devoir. Par exemple ma conscience suffit à me prévenir qu’il est mal de voler, d’être brutal, querelleur, menteur, de laisser souffrir mon prochain alors que je pourrais le secourir : je n’ai pas besoin pour le savoir d’avoir lu le Code ou étudié la morale.

De même tout ce qui entrave ma liberté d’action diminue d’autant ma responsabilité. On ne peut me reprocher de ne pas travailler si je suis paralysé, ou de travailler peu si je suis souffrant.

Les causes qui influent sur notre libre arbitre et restreignent notre liberté morale sont encore des circonstances atténuantes de nos fautes, comme l’entraînement d’un mauvais exemple, la pression d’un mauvais conseil ou d’un ordre inique, l’influence d’une mauvaise passion. Mais si ces circonstances atténuent la faute, elles ne la suppriment pas complètement ; nous pouvions résister, faire effort en sens contraire ; toute faute est à coup sûr une lâcheté.

Plus on est responsable de ses actes, plus on est élevé dans l’échelle des êtres ; travaillons donc à développer chez nous et chez les autres le sentiment de la responsabilité.

Pensées :

Un homme sage, ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres ; il veut que la raison gouverne seule et toujours. (La Bruyère)

Qui s’égare est responsable de ses égarements (Bourdaloue)

Un animal déraisonnable ne pratique aucune vertu. (Kant)

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SIXIÈME LEÇON :
DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE
MÉRITE ET DÉMÉRITE

Sommaire. — La dignité de la personne humaine, c’est-à-dire le rang élevé que l’homme occupe parmi les autres êtres, vient de ce qu’il est le seul qui soit raisonnable et libre.
Le mérite est l’accroissement volontaire de notre valeur morale, ou encore le droit à une récompense que nous acquérons par nos bonnes actions. Le démérite est la diminution volontaire de notre valeur morale, ou encore la nécessité de rentrer dans l’ordre par un châtiment qui est la conséquence de nos fautes.
Il   y a des degrés dans le mérite et le démérite.

Seul de tous les êtres qui peuplent la terre, l’homme est doué de raison et de liberté. Les animaux, les plantes en sont privés, et plus certainement encore les choses inanimées. Par là nous leur sommes infiniment supérieurs, nous pouvons nous en servir et en disposer à notre gré. Par là aussi nous avons droit au respect de nos semblables, que nous devons à notre tour respecter et ne jamais transformer en instruments de notre volonté. Ces glorieuses prérogatives nous placent au premier rang des créatures. En elles, et non ailleurs, réside la dignité de la personne humaine.

Nous valons moins par les avantages extérieurs, fortune, beauté, force physique, puissance, par la science et le génie même que par la liberté et la raison ; ou plutôt tous ces avantages ne comptent plus quand on les compare à ces divines facultés.

Il dépend de nous d’accroître notre propre dignité par nos bonnes actions ou de la dégrader par nos fautes, mérite dans le premier cas, démérite dans le second. Le mérite est donc l’accroissement volontaire, et le démérite, la diminution volontaire de notre valeur morale. Et parce que nous sommes responsables de nos actes, le mérite donne droit à une récompense, le démérite appelle le châtiment.

Une bonne action est d’autant plus méritoire qu’elle est plus difficile à accomplir. Conserver scrupuleusement un dépôt dont on a reçu la garde, remettre une somme d’argent qu’on a trouvée, respecter le bien d’autrui quand on pourrait se l’approprier sans aucun risque, voilà qui constitue un grand mérite au misérable manquant de tout et souffrant de la faim, tandis qu’on n’en saura aucun gré au riche abondamment pourvu de toutes les choses nécessaires et vivant dans le bien- être.

Inversement, il y a un grand démérite à violer un devoir facile à remplir, un démérite moindre à négliger un devoir difficile. Ainsi, maltraiter un enfant est un acte odieux et avilissant ; on pardonnera à un père de famille, unique soutien des siens, d’hésiter à se sacrifier au profit d’un autre dont il sait que la mort ne causera aucun préjudice et ne sera regrettée par personne.

Pensées :

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. (Pascal)

Le devoir de quelques-uns, c’est de faire plus que le devoir.

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.

(Lamartine)

*

SEPTIÈME LEÇON :
LA LOI MORALE DISTINGUÉE DES LOIS ÉCRITES
ET DES LOIS NATURELLES,
SES CARACTÈRES

SommaireLa loi morale nous enseigne le devoir ; elle se résume en ces mots : Fais le bien.
Elle se distingue des lois naturelles, qui constatent ce qui est et ne prescrivent pas ce qui doit être, et des lois civiles ou écrites, qui sont variables et imparfaites dans leurs prescriptions.
Elle est obligatoire, absolue et universelle.

En même temps que notre conscience nous révèle nettement le bien, elle nous impose l’obligation de l’accomplir. Cette obligation indiscutable et absolue, règle inflexible de notre conduite, on l’appelle la loi morale, par opposition aux lois naturelles qui sont comme l’expression de l’ordre éternel et immuable de l’univers, et aux lois écrites que les hommes inscrivent dans leurs codes pour régler leurs rapports entre eux et maintenir l’ordre dans leurs sociétés.

Comparée aux lois naturelles, elle leur ressemble en ce que, comme celles-ci, elle est invariable. En effet, fondée sur la nature des êtres qu’elle gouverne, elle ne change pas plus que cette nature même. Mais les lois naturelles ne prescrivent pas ce qui doit se faire, elles constatent ce qui se fait nécessairement. Elles disent par exemple : tout métal chauffé se dilate, et non : tout métal chauffé devra se dilater ; ce sont des formules et non des commandements ; elles ne supposent ni la liberté, ni la raison, et ne peuvent être violées. La loi morale, au contraire, prescrit et défend ; elle s’adresse à l’homme raisonnable et libre qui, tout en la proclamant, peut ne pas s’y conformer.

Les lois écrites aussi prescrivent et défendent ; elles énoncent ce qu’il faut faire ou ne pas faire ; mais comme elles sont d’invention humaine, et qu’elles tiennent forcément compte des différentes conditions où, se meuvent les groupements si divers de l’humanité, elles sont aussi forcément variables, imparfaites et contingentes. On peut les discuter, les concevoir ou les désirer autres qu’elles sont, espérer qu’elles s’amélioreront progressivement comme les sociétés elles-mêmes. La loi morale, au contraire, est immuable, absolue, universelle.

Obligation, perfection absolue, universalité, tels sont donc les principaux caractères de la loi morale.

Elle est obligatoire, c’est-à-dire qu’elle apparaît à notre raison comme la seule règle à suivre ; mais la volonté reste libre de l’adopter ou de la rejeter. Être obligé d’accomplir une chose est tout différent d’y être contraint. Nous pouvons accepter ou repousser l’obligation d’observer la loi morale, personne ne peut nous en délier ; tandis qu’on peut nous soustraire à une contrainte de laquelle nous serions impuissants à nous débarrasser. L’obligation s’adresse à l’âme, la contrainte s’exerce sur le corps.

Elle est, absolue, c’est-à-dire qu’à cause même de sa perfection, elle commande sans condition, sans s’appuyer sur rien que sur elle-même. Elle ne dit point, par exemple comme, les lois écrites : « Ne vole pas, si tu ne veux pas t’exposer à la prison », ce qui laisserait à supposer que le vol est permis à condition de se soumettre à l’emprisonnement. Elle dit simplement : « Ne vole pas, parce qu’il est mal de voler ». Et personne ne peut faire que voler soit bien, ni qu’il soit jamais permis de voler.

Elle est universelle, c’est-à-dire qu’elle s’applique à tous les hommes, en tout temps et en tout lieu. Il est vrai que bien des gens grossiers et ignorants se sont trompés et se trompent encore sur les applications de la loi morale, mais non sur la notion du devoir. Par exemple l’histoire nous apprend que des actions immorales ont été considérées comme bonnes : on a cru bien faire, dans l’antiquité, en réduisant les vaincus en esclavage plutôt que de les massacrer ; de nos jours encore, des sauvages de l’Australie regardent comme une obligation sacrée de venger la mort de tout parent en allant tuer un membre des tribus voisines. Mais ces pratiques abominables même prouvent l’universalité de la loi morale ; si on s’y est livré, c’est qu’on les croyait bonnes et conformes au devoir.

Pensées :

Deux choses remplissent mon âme d’une admiration toujours croissante, toujours nouvelle : le ciel étoilé au-dessus de nous, la loi morale en dedans. (Kant)

Agis de telle façon que la raison de ta conduite puisse être érigée en règle universelle. (Kant)

Il n’y a qu’une morale, comme il n’y a qu’une géométrie. (Voltaire)

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HUITIÈME LEÇON :
RAPPORTS DU DEVOIR
AVEC L’INTÉRÊT ET AVEC LE PLAISIR

Sommaire. — Le devoir, qui consiste à se dévouer au bien, commande souvent les mêmes actions que le plaisir, qui vient de la satisfaction des penchants naturels, et que l’intérêt bien entendu, qui est un calcul réfléchi en vue d’arriver à la plus grande somme de bonheur possible.
La vertu n’est donc pas toujours pénible à pratiquer : on peut même dire qu’elle l’est rarement.
Cependant elle n’est vraiment méritoire que si elle est désintéressée.

Le devoir, l’intérêt et le plaisir sont les trois principaux motifs qui nous poussent à agir.

Le plaisir est cet état agréable qui suit la satisfaction de nos dispositions naturelles. Par exemple l’une d’elles me porte à rechercher le bien-être : si ma table est bien servie, mon logis gai et confortable, je suis satisfait, j’éprouve du plaisir. Une autre, la curiosité, me pousse à acquérir sans cesse des connaissances nouvelles ; pour y parvenir, j’interroge les gens plus instruits ou plus expérimentés que moi sur les choses que je connais mal, ou que je ne pressens encore que confusément. Si j’en obtiens des réponses claires, précises, qui me satisfassent, j’éprouve encore du plaisir. La plupart de nos actions tendent à nous assurer un plaisir.

Cependant, il arrive que les plaisirs que j’ai ainsi conquis par mes efforts sont suivis de peines qui les dépassent. Si, pressé par la faim, je mange trop vite ou avec excès, loin d’être ensuite satisfait, je me trouve mal à l’aise et je souffre. Si le désir de me promener, ou de causer avec mes amis, ou de goûter un amusement quelconque me fait négliger mon travail du jour, je perds mon salaire et je me retrouve appauvri le lendemain. Si je flâne pour satisfaire ma paresse naturelle, au lieu de m’appliquer à ma besogne, quelle qu’elle soit, je m’expose à la misère.

Ainsi, l’expérience de la vie m’apprend à tenir compte de l’avenir, à réfléchir aux conséquences de mes actes, à préparer mes plaisirs de façon à en avoir le plus possible, même au prix de privations, de fatigues et de souffrances présentes. C’est ce qui s’appelle agir par intérêt.

Les actions qui ont pour but mon plaisir ou mon intérêt sont également égoïstes. Leur seule différence est que les premières sont spontanées et les secondes réfléchies. Elles s’opposent donc aux actions faites par devoir, qui sont toujours désintéressées, et qui parfois peuvent être contraires à mon plaisir et à mon intérêt.

Cependant, ces trois motifs différents peuvent inspirer des actions semblables. Par exemple, soigner ma santé, combattre la fatigue ou le malaise par une hygiène bien entendue est à la fois mon plaisir, puisqu’il est agréable de se sentir bien portant, mon intérêt, puisque la santé est la condition indispensable de tout travail et de tout plaisir à venir, et mon devoir, puisque j’ai besoin de toute mes forces pour accomplir le bien.

Me livrer à un travail acharné peut n’être pas mon plaisir, mais c’est encore à la fois mon intérêt, puisque j’en recueillerai les fruits, et mon devoir, puisqu’il est bien de dominer sa paresse et de faire œuvre utile. Venir en aide à des misérables peut être contraire à mon intérêt; mais ce sera à la fois mon plaisir, si j’ai le bonheur de leur procurer un peu de tranquillité et de joie, et mon devoir, puisqu’il est bien de se dévouer aux autres.

Cela tient à ce que tout un groupe de plaisirs, ceux qui me viennent par mes semblables, rentrent dans l’intérêt bien entendu et dans le devoir, et que mon intérêt lui-même se confond souvent avec celui des autres, et me fait pressentir l’intérêt ou l’ordre général, qui est le bien. Quand ces trois motifs se trouvent en désaccord, c’est, la plupart du temps, parce que nos passions nous aveuglent, ou que nous calculons mal nos véritables avantages. Le bonheur des autres et notre propre perfectionnement, que justement la vertu nous conseille, sont justement aussi les meilleurs moyens d’être heureux nous-mêmes.

Il n’est donc pas nécessairement besoin de lutter contre ses dispositions naturelles pour accomplir son devoir ; la tâche est presque toujours possible et aisée ; même il serait souvent difficile de ne pas l’accomplir, tellement nous nous placerions par là dans des conditions contraires à notre intérêt ou à notre plaisir.

Mais nos actes ne sont vraiment méritoires que lorsque le devoir nous les inspire, même si notre intérêt ou notre plaisir nous les conseillent en même temps, et lorsque nous sommes disposés à lui sacrifier au besoin l’un ou l’autre.

Pensées :

Être ce qu’il doit être est pour l’homme, tout à la fois la définition du devoir et du bonheur. (Silvio Pellico)

L’intérêt n’est rien au prix du devoir. (Marmontel)

C’est dans le devoir accompli que réside l’unique bonheur. (Salvandry)

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NEUVIÈME LEÇON :
SANCTION DE LA LOI MORALE

Sommaire. — Les sanctions de la loi morale sont les peines ou les récompenses qui suivent l’obéissance ou la désobéissance au devoir.
Il y en a quatre principales : la  sanction légale ou ensemble des châtiments et des récompenses distribués par la loi ; la sanction de l’opinion publique, c’est-à-dire l’estime et le mépris ; la sanction naturelle, ou les conséquences de nos actions ; la sanction personnelle, ou les sentiments intimes de satisfaction et de remords qui accompagnent nos actions.
Toutes ces sanctions, même la dernière, qui est la meilleure, sont insuffisantes à punir et à récompenser avec justice. C’est ce qui nous fait croire que Dieu nous punira et nous récompensera dans une autre vie selon nos vrais mérites.

Pour assurer autant que faire se peut l’observation des lois écrites, on y a attaché des sanctions, c’est-à- dire des peines et des récompenses. La loi morale aussi a ses sanctions, qui suivent l’obéissance ou l’infraction au devoir. Elles satisfont notre instinct de justice qui veut que le mérite soit récompensé et le démérite puni, mais elles n’ont pas pour but de faire pratiquer la vertu ; en effet, la vertu perdrait sa valeur si elle n’était désintéressée. Il faut être bon, par exemple, uniquement parce qu’il est bien d’être bon, et non pour conquérir l’estime ou l’affection des autres et s’assurer en retour leurs services. Il ne faut pas nuire à son prochain, uniquement parce que nuire à son prochain est une mauvaise action, et non par crainte de justes représailles.

On distingue généralement quatre sanctions de la loi morale : la sanction légale, la sanction de l’opinion publique, la sanction naturelle et la sanction personnelle. Mais elles sont toutes imparfaites et insuffisantes.

La sanction légale, comme la loi écrite elle-même, tend à faire régner l’ordre, la paix et la prospérité dans la société, plutôt qu’à y assurer l’accomplissement du devoir moral. Elle se contente souvent de l’apparence et de la forme. Plus pénale que rémunératrice, elle dispose de peu de moyens d’encourager la vertu (distinctions honorifiques, prix). Même ses peines ne frappent pas toutes les fautes, mais de préférence celles qui troublent ou risquent de troubler la paix publique, comme les attentats contre les personnes ou les propriétés ; encore n’atteignent-elles que les coupables qui se laissent surprendre. De plus elles sont proportionnées aux conséquences de l’acte, et non à son importance morale. Tel qui pousse dans la rue des cris réputés séditieux ou par étourderie, ou par entraînement, ou par plaisanterie, faute évidemment légère en soi, s’expose à une répression sévère. Enfin la justice humaine, malgré toutes les précautions dont elle s’entoure, peut se tromper et s’égarer sur l’innocent, au lieu de s’abattre sur le coupable.

La sanction de l’opinion publique consiste, comme son nom l’indique, dans l’opinion que le public a de nous, dans l’estime ou la mésestime que les autres nous témoignent, selon qu’ils nous jugent vertueux ou non. Mais leur jugement ne porte que sur des apparences, ils ne peuvent deviner les intentions ni sonder le fond des cœurs et ils se trompent souvent. En outre ils dispensent volontiers la critique ou le blâme; ils sont avares d’éloges et plus prodigues de mépris que de respect,

De même que les lois écrites, l’opinion punit plus qu’elle ne récompense. En outre elle s’émousse ou s’altère par l’habitude; elle finit par ne plus tenir compte à l’homme vertueux de la pratique constante de la vertu, par ne plus s’indigner de voir les êtres vicieux persévérer dans leur vice. En revanche, pour un acte héroïque, pour une faute honteuse, elle s’emporte au-delà des justes limites et manifeste une admiration ou une réprobation excessives. Enfin chacun s’occupe trop volontiers de soi pour s’intéresser beaucoup et longtemps au mérite et au démérite des autres, et par conséquent pour les en récompenser ou les en punir suffisamment.

On entend par sanction naturelle les conséquences naturelles de nos actes. En général, on se trouve bien de l’accomplissement du devoir, et souvent aussi, à qui mal fait, mal arrive. Il est dans la justice des choses que l’homme laborieux parvienne à une situation aisée, et que le paresseux végète misérablement. La tempérance conserve la santé, l’abus des plaisirs à la ruine. Mais cette sanction ne s’applique pas également à tous les hommes; le travail même le plus assidu ne mène pas nécessairement à la fortune ni la paresse à la pauvreté ; être tempérant n’empêche pas de tomber malade ; il y a des gourmands et des ivrognes à qui la solidité de leur estomac permet de manger ou de boire avec excès impunément. Parfois même elle agit au rebours de la justice ; tandis que le lâche qui déserte le combat échappe à la mort, le brave tombe au Champ d’honneur ; les victimes du devoir sont légion.

La sanction personnelle résulte des sentiments intimes que provoquent en nous nos actions, satisfaction intérieure, remords, etc. Elle est la moins imparfaite de toutes ; elle accompagne tous nos actes, elle est directement proportionnelle à leur valeur. Cependant le sentiment moral est susceptible comme tous les autres de s’exagérer ou de se pervertir. La conscience peut devenir si scrupuleuse qu’elle ne soit jamais satisfaite, ou si grossière qu’elle soit insensible au remords.

Donc il n’y a pas en cette vie un accord parfait entre la vertu et le bonheur. Pourtant nous sentons que cet accord doit exister : de là la croyance généralement répandue à une sanction vraiment équitable et réparatrice, qui interviendra dans une vie future, distribuée à nos âmes immortelles par un juge infaillible qui est Dieu.

Pensées :

Mieux vaut subit l’injustice que la commettre. (Platon)

La vertu est à elle-même sa propre récompense. (Stoïciens)

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DIXIÈME LEÇON :
LA VERTU

Sommaire. — La vertu est l’habitude de pratiquer le bien par amour pour le bien.
De bonnes actions isolées ne font pas un homme vertueux, ni celles qui ont leur source dans d’heureuses dispositions naturelles involontaires et irréfléchies, ni celles qu’on accomplit par routine ou d’une façon machinale. La vertu suppose l’effort et l’amour, du bien.

On distingue les vertus personnelles qui nous améliorent nous-mêmes, et les vertus sociales qui nous permettent de concourir au bonheur des autres.

La vertu est l’habitude de pratiquer le bien par amour pour le bien. Un seul acte ou plusieurs actes isolés, si admirables qu’on les suppose, ne constituent pas la vertu. On n’est pas courageux pour avoir, par aventure ou par nécessité, affronté une fois un grand danger ; on n’est pas devenu laborieux parce qu’on s’est un jour appliqué à son travail. Une bonne action peut n’être qu’un accident ou une surprise, l’effet d’une émotion, d’un conseil reçu, d’un exemple, d’un caprice ; les malhonnêtes gens mêmes en accomplissent parfois sans pour cela cesser d’être malhonnêtes ; on a vu des voleurs faire l’aumône : en sont-ils moins des voleurs ? Pour être vraiment vertueux, il faut s’être plié au devoir par un long exercice et le pratiquer constamment.

L’habitude, dit-on, supprime l’effort et par conséquent le mérite. Ce qui est vrai, c’est qu’elle facilite l’accomplissement du devoir, Mais si vertueux qu’on soit, il reste toujours quelque effort à faire, soit contre les tentations, qui renaissent sans cesse, soit pour progresser dans le bien et atteindre une perfection plus haute. Prenons garde seulement que cette habitude ne dégénère en routine aveugle et inconsciente ; il faut, pour rester tel, que l’acte vertueux qu’elle rend plus facile soit dicté par la raison et accompli par la force de la volonté.

De même on ne saurait appeler vertus les heureuses qualités qui portent certains hommes à faire le bien sans réflexion ni effort, comme certains arbres produisent de bons fruits. D’abord on n’a pas plus de mérite à être né bienveillant et doux qu’on n’est coupable d’être venu au monde avec un tempérament violent et de mauvais instincts. En outre, céder à de bonnes dispositions naturelles ne nous rend pas meilleurs et ne nous fait pas progresser vers la perfection comme une ferme résolution suivie d’un acte d’énergie.

Enfin, tandis que la vertu a quelque chose de fixe et d’inébranlable et produit chez les autres la confiance et la sécurité, nos dispositions dépendent plus ou moins de notre santé et de notre humeur ; elles varient avec nos sentiments vis-à-vis de ceux qui nous approchent. Il n’en résulte pas qu’elles ne méritent que le dédain ; au contraire, elles sont précieuses en ce qu’elles nous permettent de nous approcher plus vite et plus près de la perfection.

Une autre condition de la vertu, c’est qu’il faut faire le bien avec désintéressement, uniquement par amour du bien, sans en attendre aucune récompense, pas même celle de la satisfaction intérieure, si délicate et si élevée qu’elle soit, et bien que cette satisfaction accompagne presque toujours l’acte vertueux.

La vertu doit non seulement améliorer celui qui la pratique, mais encore l’aider à concourir au bonheur des autres. Ses diverses manifestations s’appellent les vertus. Elles sont dites personnelles quand elles contribuent à notre propre perfectionnement, sociales quand elles ont pour objet le bien d’autrui. Les premières peuvent se résumer dans le courage, qui est l’exercice énergique de la volonté ; les secondes dans la justice, qui suppose à la fois le respect et l’amour du prochain.

Pensées :

La vertu est l’habitude du bien. (Aristote)

Ce que peut la vertu d’un homme ne doit pas se mesurer par ses efforts, mais par son ordinaire. (Pascal)

La vertu est un état de guerre, et pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi. (Rousseau)

La gloire est à la vertu ce que l’ombre est au corps. (Sénèque)

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ONZIÈME LEÇON :
PERSONNALITÉ MORALE,
CARACTÈRE, CULTURE MORALE

SOMMAIRE. — La conscience, la raison et la volonté libre constituent la personnalité morale de l’homme.
Le caractère est l’ensemble des dispositions bonnes ou mauvaises, des qualités et des défauts naturels ou acquis par lesquels une personne se distingue d’une autre.
Nous ne pouvons guère compter que sur nous-mêmes pour rendre notre personnalité plus digne de respect et notre caractère meilleur. Mais, il dépend de nous de nous transformer par l’effort, par l’éducation de notre conscience, par la connaissance de nous-mêmes au moyen de l’examen quotidien, par la modération dans les bonnes résolutions.

L’homme est un être doué de conscience, de raison et de liberté, et c’est là ce qui le met si fort au-dessus des-animaux et des choses, c’est-à-dire ce qui constitue sa personnalité, fait de lui une personne morale d’une dignité singulière.

Quelquefois le mot personnalité désigne l’ensemble des dispositions naturelles, des qualités et des défauts acquis par lesquels un homme se distingue des autres hommes, comme lui d’ailleurs conscients, raisonnables et libres. Il est synonyme de caractère.

Dans une acception plus restreinte, ces deux mots signifient un ensemble de dispositions heureuses et de qualités rares ou éminentes. C’est dans ce sens qu’on dit de quelqu’un : « c’est une personnalité », ou « c’est un caractère ».

Quelquefois le mot caractère désigne simplement l’énergie de la volonté. Un homme de caractère est un homme ferme, qui, même dans les circonstances difficiles, sait prendre une résolution et l’exécuter.

Notre personnalité morale et notre caractère résultent en partie de nos tendances et de nos aptitudes naturelles, en partie de notre tempérament, de notre âge, du milieu où nous vivons et de notre éducation, mais surtout de nos efforts. Cette dernière condition seule dépend de nous ; c’est donc principalement et presque uniquement sur nous qu’il faut compter pour nous améliorer. Sans doute la culture que nous recevons des autres peut y contribuer ; mais, comme les autres ne nous connaissent pas à fond, elle n’est jamais complètement appropriée à nos besoins et à nos ressources.

Le moyen le plus efficace pour devenir meilleur est d’avoir une grande confiance dans la puissance de la volonté. Il n’y a pas de mauvaise habitude qu’on ne puisse vaincre ni de bonne qu’on ne puisse prendre : il dépend de nous de nous transformer. Le plus souvent les premiers efforts seuls sont pénibles ; les progrès acquis facilitent les autres. Nous avons plus de peine, par exemple, à nous mettre à la besogne qu’à y persévérer, à exécuter un travail la première fois que la vingtième, etc., etc.

Il faut aussi nous efforcer de dégager notre conscience de toutes les préoccupations étrangères au bien qui l’empêchent de voir clairement où est le devoir. Le plus souvent l’amour du plaisir ou l’égoïsme obscurcissent notre jugement, parce que nous apprécions les choses en les considérant par rapport à nous et non en elles-mêmes et par rapport au bien. Ainsi nous nous permettons bien des petites fautes, légers mensonges, mouvements d’impatience, négligences, flâneries, etc., que nous blâmerions chez d’autres, et nous trouvons à nos écarts de conduite des excuses que nous n’admettrions pas pour notre prochain. Il faut surtout nous bien connaître, mesurer nos forces, découvrir nos mauvaises tendances pour les combattre, nos qualités en germe pour les développer. C’est ici qu’interviendra utilement l’examen de conscience quotidien. Il nous renseignera sur notre état moral, affermira notre courage et nous montrera plus exactement la distance qui nous sépare de la perfection.

Gardons-nous enfin de vouloir arriver trop vite à la vertu, ou de nous la rendre inaccessible, sous prétexte de lui donner plus de prix. Proposons â nos efforts un but que nous puissions atteindre et évitons les chutes douloureuses qui rendraient plus pénibles des tentatives nouvelles et retarderaient nos progrès.

Pensées :

Agis de façon à traiter la personne humaine, en toi et chez les autres, toujours comme une fin, jamais comme un moyen. (Kant)

On peut essayer de bien des choses, excepté de vivre au hasard. (Gœthe)

Connais-toi toi-même. (Socrate)

Travaillons à bien penser, voilà le principe de la morale. (Pascal)

Il faut viser à l’idéal, puis se contenter de l’incomplet. (Mme Necker de Saussure)

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Pour comprendre l’esprit dans lequel cet ouvrage a été écrit, il faut relire ce texte de Marcel Pagnol, dans son livre « La gloire de mon père » :

J’ai connu beaucoup de ces maîtres d’autrefois.

Ils avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l’avenir de la race humaine. Ils méprisaient l’argent et le luxe, ils refusaient un avancement pour laisser la place à un autre, ou pour continuer la tâche commencée dans un village déshérité.

Un très vieil ami de mon père, sorti premier de l’École Normale, avait dû à cet exploit de débuter dans un quartier de Marseille : quartier pouilleux, peuplé de misérables où nul n’osait se hasarder la nuit. Il y resta de ses débuts à la retraite, quarante ans dans la même classe, quarante ans sur la même chaise.

Et comme un soir mon père lui disait :

- Tu n’as donc jamais eu d’ambition ?

- Oh mais si ! dit-il, j’en ai eu ! Et je crois que j’ai bien réussi ! Pense qu’en vingt ans, mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi, en quarante ans, je n’en ai eu que deux, et un gracié de justesse. Ça valait la peine de rester là .

Signe de fin