KANT - L’ÉDUCATION MORALE
(Extraits du Traité de pédagogie D’Emmanuel Kant, 1803)
(Traduction de Jules Barni)
Une doctrine unanime considère que la prévention
doit être privilégiée par rapport à la répression.
Elle doit commencer très tôt, dès les premières années ;
d’où l’importance d’une éducation qui prépare l’enfant
à sa vie d’adulte, et le sensibilise à ses différents devoirs
envers la société, envers sa famille et envers lui-même.
Quoiqu’il ne comporte que quelques dizaines de pages,
nous n’avons retenu de cet ouvrage que les passages
intéressant directement la prévention de la délinquance.
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I - INTRODUCTION
L’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. Par éducation l’on entend les soins (le traitement, l’entretien) que réclame son enfance, la discipline qui le fait homme, enfin l’instruction avec la culture. Sous ce triple rapport, il est enfant, élève et écolier.
Aussitôt que les animaux commencent à sentir leurs forces, ils les emploient régulièrement, c’est-à-dire d’une manière qui ne leur soit point nuisible à eux-mêmes. Il est curieux en effet de voir comment, par exemple, les jeunes hirondelles, à peine sorties de leur œuf et encore aveugles, savent s’arranger de manière à faire tomber leurs excréments hors de leur nid. Les animaux n’ont donc pas besoin d’être soignés, enveloppés, réchauffés et conduits, ou protégés. La plupart demandent, il est vrai, de la pâture, mais non des soins. Par soins, il faut entendre les précautions que prennent les parents pour empêcher leurs enfants de faire de leurs forces un usage nuisible. Si, par exemple, un animal, en venant au monde, criait comme font les enfants, il deviendrait infailliblement la proie des loups et des autres bêtes sauvages qui seraient attirées par ses cris.
La discipline nous fait passer de l’état d’animal à celui d’homme. Un animal est par son instinct même tout ce qu’il peut être ; une raison étrangère a pris d’avance pour lui tous les soins indispensables. Mais l’homme a besoin de sa propre raison. Il n’a pas d’instinct, et il faut qu’il se fasse à lui-même son plan de conduite. Mais, comme il n’en est pas immédiatement capable, et qu’il arrive dans le monde à l’état sauvage, il a besoin du secours des autres.
L’espèce humaine est obligée de tirer peu à peu d’elle-même par ses propres efforts toutes les qualités naturelles qui appartiennent à l’humanité. Une génération fait l’éducation de l’autre. On en peut chercher le premier commencement dans un état sauvage ou dans un état parfait de civilisation ; mais, dans ce second cas, il faut encore admettre que l’homme est retombé ensuite à l’état sauvage et dans la barbarie.
La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination, de l’humanité, par ses penchants brutaux. Il faut, par exemple, qu’elle le modère, afin qu’il ne se jette pas dans le danger comme un farouche ou un étourdi. Mais la discipline est purement négative, car elle se borne à dépouiller l’homme de sa sauvagerie ; l’instruction au contraire est la partie positive de l’éducation.
La sauvagerie est l’indépendance à l’égard de toutes les lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. Ainsi, par exemple, on envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront.
Mais l’homme a naturellement un si grand penchant pour la liberté, que quand on lui en laisse prendre d’abord une longue habitude, il lui sacrifie tout. C’est précisément pour cela qu’il faut de très bonne heure, comme je l’ai déjà dit, avoir recours à la discipline, car autrement, il serait très difficile de changer ensuite son caractère. Il suivra alors tous ses caprices… Nous devons donc nous accoutumer de bonne heure à nous soumettre aux préceptes de la raison. Quand on a laissé l’homme faire toutes ses volontés pendant sa jeunesse et qu’on ne lui a jamais résisté en rien, il conserve une certaine sauvagerie pendant toute la durée de sa vie. Il ne lui sert de rien d’être ménagé pendant sa jeunesse par une tendresse maternelle exagérée, car plus tard il n’en rencontrera que plus d’obstacles de toutes parts, et il recevra partout des échecs lorsqu’il s’engagera dans les affaires du monde.
C’est une faute où l’on tombe ordinairement dans l’éducation des grands, que de ne jamais leur opposer de véritable résistance dans leur jeunesse, sous prétexte qu’ils sont destinés à commander. Chez l’homme, le penchant pour la liberté fait qu’il est nécessaire de polir sa rudesse ; chez l’animal, au contraire, l’instinct dispense de cette nécessité.
L’homme a besoin de soin et de culture. La culture comprend la discipline et l’instruction … L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce qu’elle le fait. Il est à remarquer qu’il ne peut recevoir cette éducation que d’autres hommes, qui l’aient également reçue. Aussi le manque de discipline et d’instruction chez quelques hommes, en fait de très mauvais maîtres pour leurs élèves…
L’esquisse d’une théorie de l’éducation est un noble idéal et qui ne nuirait en rien, quand même nous ne serions pas en état de le réaliser. Il ne faut pas regarder une idée comme chimérique et la donner pour un beau rêve parce que des obstacles en arrêtent la réalisation.
Un idéal n’est autre chose que la conception d’une perfection qui ne s’est pas encore rencontrée dans l’expérience. Telle est, par exemple, l’idée d’une république parfaite, gouvernée d’après les règles de la justice. Est-elle pour cela impossible ? Seulement il faut d’abord que notre idée ne soit pas fausse, et ensuite qu’il ne soit pas absolument impossible de vaincre tous les obstacles qui peuvent s’opposer à son exécution. Si, par exemple, tout le monde mentait, la franchise serait-elle pour cela une pure chimère ? L’idée d’une éducation qui développe dans l’homme toutes ses dispositions naturelles est vraie absolument…
Il y a beaucoup de germes dans l’humanité, et c’est à nous à développer proportionnellement nos dispositions naturelles, à donner à l’humanité tout son déploiement et à faire en sorte que nous remplissions notre destination…
L’éducation est un art dont la pratique a besoin d’être perfectionnée par plusieurs générations. Chaque génération, munie des connaissances des précédentes, est toujours plus en mesure d’arriver à une éducation qui développe dans une juste proportion et conformément à leur but toutes nos dispositions naturelles, et qui conduise ainsi toute l’espèce humaine à sa destination. La Providence a voulu que l’homme fût obligé de tirer le bien de lui-même, et elle lui dit en quelque sorte : « Entre dans le monde. J’ai mis en toi toutes sortes de dispositions pour le bien. C’est à toi qu’il appartient de les développer, et ainsi ton bonheur ou ton malheur dépend de toi. » C’est ainsi que le Créateur pourrait parler aux hommes.
L’homme doit d’abord développer ses dispositions pour le bien ; la Providence ne les a pas mises en lui toutes formées ; ce sont de simples dispositions, et il n’y a pas encore là de distinction de moralité. Se rendre soi-même meilleur, se cultiver soi-même, et, si l’on est mauvais, développer en soi la moralité, voilà le devoir de l’homme. Quand on y réfléchit mûrement, on voit combien cela est difficile. L’éducation est donc le problème le plus grand et le plus ardu qui nous puisse être proposé. Les lumières en effet dépendent de l’éducation, et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi ne saurait-elle marcher en avant que pas à pas, et ne peut-on arriver à s’en faire une idée exacte que parce que chaque génération transmet ses expériences et ses connaissances à la suivante, qui y ajoute à son tour et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. Quelle culture et quelle expérience ne suppose donc pas cette idée ? C’est pourquoi elle ne pouvait paraître que fort tard, et nous-mêmes ne l’avons pas encore élevée à son plus haut degré de pureté. La question est de savoir si l’éducation dans l’individu doit imiter la culture que l’humanité en général reçoit de ses diverses générations.
Il y a deux choses dont on peut regarder la découverte comme la plus difficile pour l’humanité : l’art de gouverner les hommes et celui de les élever, et pourtant on dispute encore sur ces idées…
Un principe de pédagogie que devraient surtout avoir devant les yeux les hommes qui font des plans d’éducation, c’est qu’on ne doit pas élever les enfants d’après l’état présent de l’espèce humaine, mais d’après un éclat meilleur, possible dans l’avenir, c’est-à-dire d’après l’idée de l’humanité et de son entière destination. Ce principe est d’une grande importance. Les parents n’élèvent ordinairement leurs enfants qu’en vue du monde actuel, si corrompu qu’il soit. Ils devraient au contraire leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meilleur état en pût sortir dans l’avenir. Mais deux obstacles se rencontrent ici : premièrement, les parents n’ont ordinairement souci que d’une chose, c’est que leurs enfants fassent bien leur chemin dans le monde, et deuxièmement, les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins…
Une bonne éducation est la source de tout bien dans le monde. Les germes qui sont dans l’homme doivent toujours se développer davantage ; car il n’y a pas dans les dispositions naturelles de l’homme de principe du mal. La seule cause du mal, c’est qu’on ne ramène pas la nature à des règles. Il n’y a dans l’homme de germe que pour le bien…
L’éducation doit donc, premièrement, discipliner les hommes. Les discipliner, c’est chercher à empêcher que ce qu’il y a d’animal en eux n’étouffe ce qu’il y a d’humain, aussi bien dans l’homme individuel que dans l’homme social. La discipline consiste donc simplement à les dépouiller de leur sauvagerie.
Deuxièmement, elle doit les cultiver. La culture comprend l’instruction et les divers enseignements. C’est elle qui donne l’habileté. Celle-ci est la possession d’une aptitude suffisante pour toutes les fins qu’on peut avoir à se proposer. Elle ne détermine donc elle-même aucune fin, mais elle laisse ce soin aux circonstances. Certains arts sont bons dans tous les cas, par exemple ceux de lire et d’écrire ; d’autres ne le sont que relativement à quelques fins, comme celui de la musique, qui fait aimer celui qui le possède. L’habileté est en sorte infinie, à cause de la multitude des fins qu’on peut se proposer.
Troisièmement, il faut aussi veiller à ce que l’homme acquière de la prudence, à ce qu’il sache vivre dans la société de ses semblables de manière à se faire aimer et à avoir de l’influence. C’est ici que se place cette espèce de culture qu’on appelle la civilisation. Elle exige certaines manières, de la politesse et cette prudence qui fait qu’on peut se servir de tous les hommes pour ses propres fins. Elle se règle sur le goût changeant de chaque siècle. Ainsi l’on aimait encore il y a quelques années les cérémonies en société.
Quatrièmement, on doit enfin veiller à la moralisation. Il ne suffit pas en effet que l’homme soit propre a toutes sortes de fins ; il faut encore qu’il sache se faire une maxime de n’en choisir que de bonnes. Les bonnes fins sont celles qui sont nécessairement approuvées par chacun, et qui peuvent être en même temps des fins pour chacun…
On peut, ou bien dresser, façonner, instruire l’homme d’une manière toute mécanique ; ou bien l’éclairer véritablement. On dresse des chevaux, des chiens, et l’on peut aussi dresser des hommes…
L’éducation comprend les soins qu’exige l’enfance et la culture. Celle-ci est, premièrement, négative : c’est alors la discipline, laquelle se borne à empêcher les fautes ; deuxièmement, positive : c’est l’instruction et la direction, et sous ce rapport elle mérite bien le nom de culture. La direction est ce qui sert de guide dans la pratique de ce que l’on veut apprendre. D’où la différence entre le précepteur, lequel est simplement un professeur, et le gouverneur, qui est un directeur. Le premier donne uniquement l’éducation de l’école ; le second celle de la vie…
Combien de temps doit durer l’éducation ? Jusqu’à l’époque où la nature même a voulu que l’homme se conduisit lui-même, où se développe en lui l’instinct du sexe, où il peut lui-même devenir père et être chargé à son tour d’une éducation à faire, c’est-à-dire environ jusqu’à la seizième année. Après cette époque, on peut bien encore avoir recours à des maîtres qui continuent de le cultiver, et le soumettre à une discipline secrète, mais il n’y a plus d’éducation régulière à lui donner…
Un des plus grands problèmes de l’éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire. Mais comment cultiver la liberté par la contrainte ? Il faut que j’accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu’en même temps je l’instruise à en faire lui-même un bon usage. Sans cela il n’y aurait en lui que pur mécanisme ; l’homme privé d’éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu’il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d’apprendre combien il est difficile de se suffire à soi-même, de supporter les privations et d’acquérir de quoi se rendre indépendant.
On doit observer ici les règles suivantes : premièrement, il faut laisser l’enfant libre dès sa première enfance et dans tous les moments (excepté dans les circonstances où il peut se nuire à lui-même, comme par exemple s’il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu’il ne fasse pas lui-même obstacle, à la liberté d’autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté se manifeste d’une manière trop bruyante et qu’il incommode les autres. Deuxièmement, On doit lui montrer qu’il ne peut arriver à ses fins qu’à la condition de laisser les autres arriver aussi aux leurs, par exemple qu’on ne fera rien d’agréable pour lui s’il ne fait pas lui-même ce que l’on désire, qu’il faut qu’il s’instruise, etc. Troisièmement, il faut lui prouver que la contrainte qu’on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’il puisse un jour être libre, c’est-à-dire se passer du secours d’autrui. Ce dernier point est le plus tardif à frapper l’esprit des enfants : ils ne font que très tard cette réflexion, qu’ils auront par exemple un jour a s’occuper eux-mêmes de leur entretien. Ils pensent qu’il en sera toujours comme dans la maison de leurs parents, où on leur donne à manger et à boire sans qu’ils aient à s’en occuper...
II - TRAITÉ
La pédagogie ou la science de l’éducation est ou physique ou pratique. L’éducation physique est celle que l’homme partage avec les animaux, c’est-à-dire les soins qu’il exige. L’éducation pratique ou morale est celle dont l’homme a besoin de recevoir la culture pour pouvoir vivre ou être libre. (On nomme pratique tout ce qui a rapport à la liberté.) C’est l’éducation de la personnalité, l’éducation d’un être libre, qui peut se suffire à lui-même et tenir sa place dans la société, mais qui est capable aussi d’avoir par lui-même une valeur intérieure.
D’après cela l’éducation se compose : premièrement, de la culture scolastique et mécanique, qui se rapporte à l’habileté : elle est alors didactique (c’est l’œuvre du professeur) ; deuxièmement de la culture pragmatique, qui se rapporte à la prudence (c’est la tâche du gouverneur) ; troisièmement, de la culture morale, qui se rapporte à la moralité.
L’homme a besoin de la culture scolastique ou de l’instruction pour être capable d’atteindre toutes ses fins. Elle lui donne une valeur comme individu. La culture de la prudence le prépare à l’état de citoyen, car elle lui donne une valeur publique. Il apprend par-là aussi bien à amener à ses fins la société civile qu’à s’y conformer lui-même. La culture morale enfin lui donne une valeur qui regarde l’espèce humaine tout entière.
La culture scolastique est la première en date. En effet, la prudence présuppose toujours l’habileté. La prudence est le talent de bien employer son habileté. La culture morale, en tant qu’elle repose sur des principes, que l’homme lui-même doit apercevoir, est la dernière ; mais en tant qu’elle repose uniquement sur le sens commun, elle doit être pratiquée dès le début, même dans l’éducation physique, sans quoi plus d’un défaut s’enracinerait si bien qu’il rendrait ensuite inutiles tous les. efforts et tout l’art de l’éducation. Quant à l’habileté et à la prudence, il faut suivre en tout les années. Se montrer dans l’enfance habile, prudent, patient, sans malice, comme un homme, cela ne vaut guère mieux que de conserver dans l’âge mûr la sensibilité d’un enfant.
A - DE L’ÉDUCATION PHYSIQUE
Quoique celui qui entreprend une éducation à titre de gouverneur ne prenne pas assez tôt la direction des enfants pour pouvoir aussi donner ses soins à leur éducation physique, il lui est cependant utile de savoir tout ce qu’il est nécessaire de faire en matière d’éducation depuis le commencement jusqu’à la fin…
Pour ce qui est de la culture de l’esprit, que l’on peut bien aussi d’une certaine manière appeler physique, il faut surtout prendre garde que la discipline ne traite les enfants en esclaves, et faire en sorte qu’ils sentent toujours leur liberté, mais de manière a ne pas nuire à celle d’autrui ; d’où il suit qu’on doit aussi les accoutumer à rencontrer de la résistance. Bien des parents refusent tout a leurs enfants, afin d’exercer ainsi leur patience, et ils en exigent plus d’eux qu’ils n’en ont eux-mêmes. Cela est cruel. Donnez à l’enfant ce dont il a besoin, et dites-lui ensuite : « Tu en as assez. » Mais il est absolument nécessaire que cela soit irrévocable. Ne faites aucune attention aux cris des enfants, et ne leur cédez pas, lorsqu’ils croient pouvoir vous arracher quelque chose par ce moyen ; mais ce qu’ils vous demandent amicalement, donnez-le leur, si cela leur est bon. Ils s’habitueront ainsi à être francs ; et, comme ils n’importuneront personne par leurs cris, chacun en revanche sera bien disposé pour eux. La Providence semble vraiment avoir donné aux enfants une mine riante, afin qu’ils puissent séduire les gens. Rien ne leur est plus funeste qu’une discipline qui les taquine et les avilit pour briser leur volonté…
Nous arrivons maintenant à la culture de l’âme, que d’une certaine manière on peut aussi appeler physique. Il faut bien distinguer la nature et la liberté. Donner des lois à la liberté est tout autre chose que de cultiver la nature. La nature du corps et celle de l’âme s’accordent en cela qu’en les cultivant on doit chercher à les empêcher de se gâter, et que l’art ajoute quelque chose encore à l’une comme à l’autre
On peut donc dans un certain sens appeler physique la culture de l’âme, tout aussi bien que celle du corps.
Cette culture physique de l’âme se distingue de la culture morale en ce qu’elle se rapporte à la nature, tandis que l’autre se rapporte à la liberté. Un homme peut être physiquement très cultivé ; il peut avoir l’esprit très orné, mais manquer de culture morale, et être un méchant homme.
Il faut distinguer la culture physique de la culture pratique, qui est pragmatique ou morale. Cette dernière a plutôt pour but de moraliser l’homme que de le cultiver…
Il est de la plus grande importance d’apprendre aux enfants à travailler. L’homme est le seul animal qui soit voué au travail. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est nécessaire à sa conservation. La question de savoir si le Ciel ne se serait pas montre beaucoup plus bienveillant à notre égard, en nous offrant toutes choses déjà préparées, de telle sorte que nous n’aurions plus besoin de travailler, cette question doit certainement être résolue négativement, car il faut à l’homme des occupations, même de celles qui supposent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que, si Adam et Ève étaient restés dans le paradis, ils n’eussent fait autre chose que demeurer assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature L’oisiveté eût fait leur tourment tout aussi bien que celui des autres hommes.
Il faut que l’homme soit occupé de telle sorte que, tout rempli du but qu’il a devant les yeux, il ne se sente pas lui-même, et le meilleur repos pour lui est celui qui suit le travail. On doit donc accoutumer l’enfant à travailler. Et où le penchant au travail peut-il être mieux cultivé que dans l’école ? L’école est une culture forcée. C’est rendre à l’enfant un très mauvais service que de l’accoutumer à tout regarder comme un jeu. Il faut sans doute qu’il ait ses moments de récréation, mais il faut aussi qu’il ait ses moments de travail. S’il n’aperçoit pas d’abord l’utilité de cette contrainte, il la reconnaîtra plus tard…
Il faut cultiver la mémoire de bonne heure, mais en ayant soin de cultiver en même temps l’intelligence.
On cultivera la mémoire : premièrement, en lui donnant à retenir les noms qui entrent dans les récits ; deuxièmement, par la lecture et l’écriture ; il faut exercer les enfants à lire de tète et sans avoir recours à l’épellation ; troisièmement par les langues, que les enfants doivent apprendre en les entendant, avant d’en venir à en lire quelque chose…
Mais il faut chercher à unir insensiblement dans l’instruction de l’enfant le savoir et le pouvoir. Entre toutes les sciences les mathématiques paraissent être le seul moyen d’atteindre parfaitement ce but. En outre, il faut unir la science et la parole (la facilité d’élocution, l’art de bien dire, l’éloquence). Mais il faut aussi que l’enfant apprenne à distinguer parfaitement la science de la simple opinion et de la croyance. On formera ainsi un esprit juste, et un goût juste aussi, sinon fin ou délicat. Le goût que l’on cultivera sera d’abord celui des sens, surtout des veux, et enfin celui des idées…
Nous devons donner aussi une idée systématique de tout le but de l’éducation et de la manière de l’atteindre.
1° Culture générale des facultés de l’esprit, qu’il faut bien distinguer de la culture particulière. Elle a pour but l’habileté et le perfectionnement ; ce n’est pas qu’elle apprenne quelque chose de particulier à l’élève, mais elle fortifie les facultés de son esprit. Elle est :
a) ou physique. Ici tout dépend de la pratique et de la discipline, sans que l’enfant ait besoin de connaître aucune maxime. Elle est passive pour le disciple, qui doit suivre la direction d’autrui. D’autres pensent pour lui.
b) ou morale. Elle ne repose pas alors sur la discipline, mais sur des maximes. Tout est perdu, si l’on veut la fonder sur l’exemple, les menaces, les punitions, etc. Elle ne serait alors que pure discipline. Il faut faire en sorte que l’élève agisse bien d’après ses propres maximes et non par habitude, et qu’il ne fasse pas seulement le bien, mais qu’il le fasse parce que c’est le bien. Car toute la valeur morale des actions réside dans les maximes du bien. L’éducation physique et l’éducation morale se distinguent en ce que la première est passive pour l’élève, tandis que la seconde est active. Il faut qu’il aperçoive toujours le principe de l’action et le lien qui la rattache à l’idée du devoir.
2° Culture particulière des facultés de l’esprit. Ici se présente la culture des facultés de connaître, des sens, de l’imagination, de la mémoire, de l’attention et de ce qu’on nomme l’esprit. Nous avons déjà parlé de la culture des sens, par exemple de la vue. Pour ce qui est de celle de l’imagination, il faut remarquer une chose, c’est que les enfants ont une imagination extrêmement puissante, et qu’elle n’a pas besoin d’être davantage tendue et étendue par des contes. Elle a bien plutôt besoin d’être gouvernée et soumise à des règles, mais il ne faut pas pour cela la laisser entièrement inoccupée…
Pour ce qui concerne l’attention, il faut remarquer qu’elle a besoin d’être fortifiée en général. Attacher fortement nos pensées à un objet est moins un talent qu’une faiblesse de notre sens intérieur, qui se montre dans ce cas inflexible et ne se laisse pas appliquer où l’on veut. La distraction est l’ennemie de toute éducation. La mémoire suppose l’attention.
Pour ce qui est des facultés supérieures de l’esprit, nous rencontrons ici la culture de l’entendement, du jugement et de la raison. On peut commencer par former en quelque sorte passivement l’entendement, en lui demandant des exemples qui s’appliquent à la règle, ou au contraire la règle qui s’applique aux exemples particuliers. Le jugement indique l’usage que l’on doit faire de l’entendement. Il est nécessaire de comprendre ce que l’on apprend ou ce que l’on dit, et de ne rien répéter sans le comprendre. Combien lisent et écoutent certaines chose qu’ils admettent sans les comprendre ! C’est ici qu’il faut se rappeler la différence des images et des choses mêmes…
Dans la culture de la raison il faut procéder à la manière de Socrate. Celui-ci en effet, qui se nommait l’accoucheur des esprits de ses auditeurs, nous donne dans ses dialogues, que Platon nous a en quelque sorte conservés, des exemples de la manière d’amener même des personnes d’un âge mûr à tirer certaines idées de leur propre raison. Il y a beaucoup de points sur lesquels il n’est pas nécessaire que les enfants exercent leur esprit. Ils ne doivent pas raisonner sur tout. Ils n’ont pas besoin de connaître les raisons de tout ce qui peut concourir à leur éducation ; mais, dès qu’il s’agit du devoir, il faut leur en faire connaître les principes. Toutefois on doit en général faire en sorte de tirer d’eux-mêmes les connaissances rationnelles, plutôt que de les introduire. La méthode socratique devrait servir de règle à la méthode catéchétique…
Il faut aussi placer ici la culture du sentiment du plaisir ou de la peine. Elle doit être négative ; il ne faut pas amollir le sentiment. Le penchant à la mollesse est plus fâcheux pour les hommes que tous les maux de la vie. Il est donc extrêmement important d’apprendre de bonne heure aux enfants à travailler. Quand ils ne sont pas déjà efféminés, ils aiment réellement les divertissements mêlés de fatigues et les occupations qui exigent un certain déploiement de forces. On ne doit pas les rendre difficiles sur leurs jouissances et leur en laisser le choix. Les mères gâtent ordinairement en cela leurs enfants et les amollissent en général. Et pourtant on observe que les enfants, surtout les fils, aiment mieux leurs pères que leurs mères. Cela peut bien venir de ce que les mères ne laissent pas sauter, courir de côte et d’autre, etc., et cela par crainte qu’il ne leur arrive quelque accident. Le père, au contraire, qui les gronde, qui les bat même quand ils n’ont pas été sages, les conduit, parfois dans les champs, et là les laisse courir, jouer et prendre tous leurs ébats, comme il convient à leur âge.
Il ne faut pas, comme on l’a déjà dit plus haut, briser la volonté des enfants, mais seulement la diriger de telle sorte qu’elle sache céder aux obstacles naturels. L’enfant doit d’abord obéir aveuglément. Il n’est pas naturel qu’il commande par ses cris, et que le fort obéisse au faible. On ne doit donc jamais céder aux cris des enfants, même dans leur première jeunesse, et leur laisser ce moyen d’obtenir ce qu’ils veulent. Les parents se trompent ordinairement ici, et croient pouvoir plus tard réparer le mal, en refusant à leurs enfants tout ce qu’ils demandent. Mais il est très absurde de leur refuser sans raison ce qu’ils attendent de la bonté de leurs parents, uniquement pour leur faire éprouver une résistance et leur faire sentir qu’ils sont les plus faibles.
On gâte les enfants en faisant tout ce qu’ils veulent, et on les élève très mal en allant toujours au-devant de leurs volontés et de leurs désirs…
La culture morale doit se fonder sur des maximes, non sur une discipline. Celle-ci empêche les défauts, celle-là forme la façon de penser. On doit faire en sorte que l’entant s’accoutume à agir d’après des maximes et non d’après certains mobiles. La discipline ne laisse que des habitudes qui s’éteignent avec les années. L’enfant doit apprendre à agir d’après des maximes dont il aperçoive lui-même la justice. On voit aisément qu’il est difficile de produire cet effet chez les jeunes enfants, et que la culture morale exige beaucoup de lumières de la part des parents et des maîtres…
Les maximes doivent sortir de l’homme même. On doit chercher de bonne heure à introduire dans les enfants par la culture morale l’idée de ce qui est bien ou mal. Si l’on veut fonder la moralité, il ne faut pas punir. La moralité est quelque chose de si sacré et de si sublime qu’on ne doit pas la rabaisser à ce point et la mettre sur le même rang que la discipline. Les premiers efforts de la culture morale doivent tendre à former le caractère. Le caractère consiste dans l’habitude d’agir d’après des maximes. Ce sont d’abord les maximes de l’école et plus tard celles de l’humanité. Au commencement l’enfant obéit à des lois. Les maximes sont aussi des lois, mais subjectives ; elles dérivent de l’entendement même de l’homme. Aucune transgression de la loi de l’école ne doit passer impunie, mais la punition doit toujours être appropriée à la faute…
L’obéissance est avant toutes choses un trait essentiel du caractère d’un enfant, particulièrement d’un écolier. Elle est double : c’est d’abord une obéissance à la volonté absolue de celui qui dirige ; mais c’est aussi une obéissance à une volonté regardée comme raisonnable et bonne. L’obéissance peut venir de la contrainte, et elle est alors absolue, ou bien de la confiance, et elle est alors volontaire. Cette dernière est très importante, mais la première est extrêmement nécessaire, car elle prépare l’enfant à l’accomplissement des lois qu’il devra exécuter plus tard comme citoyen, alors même qu’elles ne lui plairaient pas.
Les enfants doivent être soumis à une certaine loi de nécessité. Mais cette loi doit être une loi et il faut l’avoir toujours en vue dans les écoles. Le maître ne doit montrer aucune prédilection, aucune préférence pour un enfant entre plusieurs. Car autrement la loi cesserait d’être universelle. Dès que l’enfant voit que tous les autres ne sont pas soumis à la même règle que lui, il devient mutin…
Toute transgression d’un ordre chez un enfant est un manque d’obéissance, qui entraîne une punition. Même lorsque la transgression d’un ordre n’est qu’une simple négligence, la punition n’est pas inutile. Cette punition est ou physique ou morale.
La punition est morale lorsque l’on froisse notre penchant à être honorés et aimés, cet auxiliaire de la moralité, par exemple lorsqu’on humilie l’enfant, qu’on l’accueille avec une froideur glaciale. Il faut autant que possible entretenir ce penchant. Aussi cette espèce de punition est elle la meilleure, car elle vient en aide à la moralité ; par exemple si un enfant ment, un regard de mépris est une punition suffisante, et c’est la meilleure punition.
La punition physique consiste ou bien dans le refus de ce que l’enfant désire, ou bien dans l’application d’une certaine peine. La première espèce de punition est voisine de la punition morale, et elle est négative. Les autres punitions doivent ère appliquées avec précaution, afin qu’il n’en résulte pas des dispositions serviles (indoles servilis). Il n’est pas bon de distribuer aux enfants des récompenses, cela les rend intéressés, et produit en eux des dispositions mercenaires (indoles mercenaria)…
Les punitions que l’on inflige avec des signes de colère portent à faux. Les enfants n’y voient alors que des effets de la passion d’un autre, et ne se considèrent eux-mêmes que comme les victimes de cette passion. En général il faut faire en sorte qu’ils puissent voir que les punitions qu’on lent inflige ont pour but final leur amélioration. Il est absurde d’exiger des enfants que l’on punit qu’ils vous remercient, qu’ils vous baisent les mains, etc. ; c’est vouloir en faire des êtres serviles. Lorsque, les punitions physiques sont souvent répétées, elles font des caractères intraitables ; et, lorsque les parents punissent leurs enfants pour leur égoïsme, ils ne font que les rendre plus égoïstes encore...
L’obéissance de l’adolescent est distincte de celle de l’enfant. Elle consiste dans la soumission aux règles du devoir. Faire quelque chose par devoir, c’est obéir à la raison. C’est peine perdue que de parler de devoir aux enfants. Ils ne le voient en définitive que comme une chose dont la transgression est suivie de la férule. L’enfant pourrait être guidé par ses seuls instincts ; mais, lorsqu’il grandit, il a besoin de l’idée du devoir. Aussi ne doit-on pas chercher à mettre en jeu chez les enfants le sentiment de la honte, mais attendre pour cela le temps de la jeunesse. Il ne peut en effet trouver place en eux que quand l’idée de l’honneur a déjà pris racine.
Un second trait auquel il faut surtout s’attacher dans la formation du caractère de l’enfant, c’est la véracité. C’est en effet le trait principal et l’attribut essentiel du caractère. Un homme qui ment est sans caractère, et s’il y a en lui quelque chose de bon, c’est qu’il le tient de son tempérament. Bien des enfants ont un penchant pour le mensonge, qui n’a souvent d’autre cause qu’une certaine vivacité d’imagination. C’est aux pères à prendre garde qu’ils ne s’en fassent une habitude, car les mères regardent ordinairement cela comme une chose de nulle ou de médiocre importance ; elles y trouvent même une preuve flatteuse pour elles des dispositions et des capacités supérieures de leurs enfants. C’est ici le lieu de faire usage du sentiment de la honte, car l’enfant le comprend très bien dans ce cas. La rougeur de la honte nous trahit quand nous mentons, mais elle n’est pas toujours une preuve de mensonge. On rougit souvent de l’effronterie avec laquelle un autre nous accuse d’une faute. On ne doit à aucun prix chercher à arracher la vérité aux enfants par des punitions, dû leur mensonge entraîner après soi quelque dommage ; ils seront punis alors pour ce dommage. La perte de l’estime est la seule punition qui convienne au mensonge.
Les punitions peuvent aussi se diviser en négatives et positives. Les premières s’appliqueraient à la paresse ou au manque de moralité ou au moins de politesse, comme le mensonge, le défaut de complaisance, l’insociabilité. Les punitions positives sont pour la méchanceté. Avant toutes choses il faut éviter de garder rancune aux enfants.
Un troisième trait du caractère de l’enfant, c’est la sociabilité. Il doit même entretenir avec les autres des relations d’amitié et ne pas toujours vivre pour lui seul. Bien des maîtres sont, il est vrai, contraires à cette idée ; mais cela est très injuste. Les enfants doivent se préparer ainsi à la plus douce de toutes les jouissances de la vie. De leur côté, les maîtres ne doivent préférer aucun d’entre eux pour ses talents, mais seulement pour son caractère ; autrement il en résulterait une jalousie qui serait contraire à l’amitié.
Les enfants doivent aussi être candides, et leurs regards doivent être aussi sereins que le soleil. Un cœur content est seul capable de trouver du plaisir dans le bien. Toute religion qui assombrit l’homme est fausse, car il doit servir Dieu avec plaisir et non par contrainte...
Les enfants ne doivent être instruits que des choses qui conviennent à leur âge... Il est intolérable de voir un enfant vouloir suivre déjà toutes les modes, par exemple se faire friser, porter des bagues et même une tabatière. Il devient ainsi un être affecté qui ne ressemble guère à un enfant. C’est pourquoi aussi il faut lutter de bonne heure chez lui contre la vanité, ou plutôt ne pas lui donner l’occasion de devenir vain. C’est ce qui arrive, lorsque l’on n’a rien de plus pressé que de répéter aux enfants qu’ils sont beaux, que telle ou telle parure leur sied à merveille, ou qu’on leur promet et leur donne cette parure comme une récompense. La parure ne convient pas à des enfants. Ils ne doivent regarder leurs habillements bons ou mauvais que comme des besoins indispensables. Mais aussi les parents ne doivent y attacher pour eux-mêmes aucun prix, et éviter de se mirer devant eux ; car ici, comme partout, l’exemple est tout-puissant, et fortifie ou détruit les bonnes doctrines.
B - DE L’ÉDUCATION PRATIQUE
L’éducation pratique comprend : 1° l’habileté ; 2° la prudence ; 3° la moralité.
Pour ce qui est de l’habileté, il faut veiller à ce qu’elle soit solide et non pas fugitive. On ne doit pas avoir l’air de posséder la connaissance de choses que l’on ne peut pas ensuite réaliser. La solidité doit être la qualité de l’habileté et tourner insensiblement en habitude dans l’esprit. C’est le point essentiel du caractère d’un homme. L’habileté est nécessaire au talent.
Pour ce qui est de la prudence, elle consiste dans l’art d’appliquer notre habileté à l’homme, c’est à dire de nous servir des hommes pour nos propres fins. Pour l’acquérir, bien des conditions sont nécessaires. C’est proprement la dernière chose dans l’homme, mais par son prix elle occupe le second rang.
Pour qu’un enfant puisse se livrer à la prudence, il faut qu’il se rende caché et impénétrable, tout en sachant pénétrer les autres. C’est surtout sous le rapport du caractère qu’il doit être caché. L’art de l’apparence extérieure est la convenance. Et c’est un art, qu’il faut posséder. Il est difficile de pénétrer les autres, mais on doit nécessairement comprendre l’art de se rendre soi-même impénétrable. Il faut pour cela dissimuler, c’est-à-dire cacher ses fautes Dissimuler n’est pas toujours feindre et peut être parfois permis, mais cela touche de près à l’immoralité. La dissimulation est un moyen désespéré. La prudence exige, que l’on ne montre pas trop de fougue, mais il ne faut pas non plus être trop indolent. On ne doit donc pas être emporté, mais vif, ce qui n’est pas la même chose. Un homme vif (strenuus) est celui qui a du plaisir à vouloir. Il s’agit ici de la modération de l’affection La prudence concerne le tempérament.
La moralité concerne le caractère. Sustine et abstine (supporte et abstiens-toi), tel est le moyen de se préparer à une sage modération. Si l’on veut former un bon caractère, il faut commencer par écarter les passions. L’homme doit à l’endroit de ses penchants prendre l’habitude de ne pas les laisser dégénérer en passions, et apprendre à se passer de ce qui lui est refusé. Sustine signifie supporte et accoutume-toi à supporter…
La chose la plus importante est de fonder le caractère. Le caractère consiste dans la fermeté de résolution avec laquelle on veut faire quelque chose, et on le met réellement à exécution. Vir propositi tenax (un homme ferme dans ses desseins), dit Horace, et c’est là le bon caractère. Ai-je, par exemple, promis quelque chose, je dois tenir ma promesse, quelque inconvénient qui en puisse résulter pour moi. En effet un homme qui prend une certaine résolution et qui ne l’exécute pas, ne peut plus se fier à lui-même. Si, par exemple, ayant pris la résolution de me lever tous les jours de bonne heure pour étudier, ou pour faire ceci ou cela, ou pour me promener, je m’excuse ensuite, au printemps, sur ce qu’il fait encore trop froid le matin et que cela pourrait m’être contraire ; en été, sur ce qu’il est bon de dormir et que le sommeil m’est alors particulièrement agréable ; et si je remets ainsi de jour en jour l’exécution de ma résolution, je finis par perdre toute confiance en moi-même…
Si l’on veut fonder dans les enfants un caractère moral, il importe de ne pas perdre de vue les observations suivantes :
Il faut leur indiquer, autant que possible, par des exemples et des règlements les devoirs qu’ils ont à remplir. Les devoirs que les enfants ont à remplir ne sont autres que les devoirs ordinaires envers soi-même et envers les autres. Ces devoirs doivent donc être tirés de la nature des choses. Nous devons donc considérer ici de plus près :
a) Les devoirs envers soi-même. Ils ne consistent pas à se procurer un habillement magnifique, à donner de splendides repas, etc., quoique dans l’habillement et dans les repas il faille rechercher la propreté. Ils ne consistent pas non plus à chercher à satisfaire ses désirs et ses penchants, car on doit au contraire se montrer très mesuré et très réservé, mais à conserver dans son intérieur une certaine dignité, celle qui fait de l’homme une créature plus noble que toutes les autres. C’est en effet le devoir de l’homme de ne pas méconnaître dans sa propre personne cette dignité de l’humanité.
Or nous oublions cette dignité quand, par exemple, nous nous adonnons à la boisson, quand nous nous livrons à des vices contre nature, quand nous nous jetons dans toutes sortes de dérèglements, etc., toutes choses qui ravalent l’homme bien au-dessous de l’animal. Il n’est pas moins contraire à la dignité de l’humanité de ramper devant les autres, ou de les accabler de compliments, dans l’espoir de capter leurs bonnes grâces par une si indigne conduite.
On devrait rendre la dignité humaine sensible à l’enfant dans sa propre personne, par exemple dans le cas de malpropreté, qui à tout le moins messied à l’humanité. Mais c’est par le mensonge que l’enfant se rabaisse réellement au-dessous de la dignité humaine, car il suppose déjà développée en lui la faculté de penser et celle de communiquer aux autres ses pensées. Le mensonge fait de l’homme un objet de mépris général, et il lui enlève à ses propres yeux l’estime et la confiance que chacun devrait avoir a l’égard de soi-même.
b) Les devoirs envers autrui. On doit inculquer de très bonne heure à l’enfant le respect des droits de l’homme, et veiller à ce qu’il le mette en pratique. Si, par exemple, un enfant rencontre un autre enfant pauvre et qu’il le repousse fièrement de son chemin, ou qu’il lui donne un coup, on ne doit pas lui dire : « Ne fais pas cela, cela fait mal à cet enfant ; sois donc compatissant, c’est un pauvre enfant, etc. », mais il faut le traiter à son tour avec la fierté et lui faire vivement sentir combien sa conduite est contraire au droit de l’humanité. Pour ce qui est de la générosité, les enfants n’en ont pas du tout. C’est ce dont on peut se convaincre, par exemple, lorsque des parents commandent à leur enfant de donner à un autre la moitié de sa tartine, sans lui en promettre une autre : ou il n’obéit pas, ou s’il le fait par hasard, ce n’est qu’à contrecœur. On ne saurait guère d’ailleurs parler aux enfants de générosité, puisqu’ils n’ont encore rien à eux.
Beaucoup d’auteur ont tout à fait omis ou ont mal compris, comme Crugott, la section de la morale qui contient la doctrine des devoirs envers soi-même Le devoir envers soi-même consiste comme il a été dit, à conserver la dignité de l’humanité dans sa propre personne. L’homme se censure, en fixant ses regards sur l’idée de l’humanité. Il trouve dans cette idée un original auquel il se compare. Lorsque le nombre des années augmente et que le goût du sexe commence à se développer, c’est alors le moment critique, et l’idée de la dignité humaine est seule capable de retenir le jeune homme dans les bornes. Il faut l’avertir de bonne heure de se méfier de ceci ou de cela.
Nos écoles manquent presque entièrement d’une chose qui serait cependant fort utile pour former les enfants à la loyauté, je veux dire un catéchisme du droit. Il devrait contenir, sous une forme populaire, des cas concernant la conduite à tenir dans la vie ordinaire, et qui amèneraient toujours naturellement cette question : cela est-il juste ou non ? Si, par exemple, quelqu’un, qui doit payer aujourd’hui son créancier, se laisse toucher par la vue d’un malheureux et lui donne la somme dont il est redevable et qu’il devrait payer, cela est-il juste ou non ? Non, cela est injuste, car il faut être libre de toute dette pour pouvoir pratiquer la bienfaisance. En donnant de l’argent à un pauvre, je fais une chose méritoire ; mais en payant ma dette je ne fais que ce que je dois. On demanderait en outre si la nécessité peut justifier le mensonge. Non ! on ne saurait concevoir un seul cas où il peut être excusé, du moins devant les enfants, qui autrement prendraient la plus petite chose pour une nécessité et se permettraient souvent de mentir. S’il y avait un livre de ce genre, on pourrait y consacrer fort utilement une heure par jour, afin d’apprendre aux enfants à connaître et à prendre à cœur le droit des hommes, cette prunelle de Dieu sur la terre.
Quant à l’obligation d’être bienfaisant, ce n’est qu’une obligation imparfaite. Il faut moins amollir qu’éveiller le cœur des enfants pour le rendre sensible au sort d’autrui. Qu’il soit plein, non de sentiment, mais de l’idée du devoir. Beaucoup de personnes sont devenues réellement impitoyable parce que, s’étant montrées autrefois compatissantes, elles s’étaient souvent vu tromper. Il est inutile de vouloir faire sentir à un enfant le côté méritoire des actions. Les prêtres commettent très souvent la faute de présenter les actes de bienfaisance comme quelque chose de méritoire. Sans représenter que nous ne pouvons jamais faire à l’égard de Dieu que ce que nous devons, on peut dire que nous ne faisons aussi que notre devoir en faisant du bien aux pauvres. En effet, l’inégalité du bien-être des hommes ne vient que de circonstances accidentelles. Si donc je possède de la fortune, je ne la dois qu’au hasard des circonstances qui m’a été favorable à moi-même ou à celui qui m’a précédé, et je n’en dois pas moins tenir compte du tout dont je fais partie.
On excite l’envie dans un enfant, en l’accoutumant à s’estimer d’après la valeur des autres. Il doit s’estimer au contraire d’après les idées de sa raison. Aussi l’humilité n’est-elle proprement autre chose qu’une comparaison de sa valeur avec la perfection morale. Ainsi, par exemple, la religion chrétienne, en ordonnant aux hommes de se comparer au souverain modèle de la perfection, les rend plutôt humbles qu’elle ne leur enseigne l’humilité. Il est très absurde de faire consister l’humilité à s’estimer moins que d’autres. - Vois comme tel ou tel enfant se conduit ! etc. Parler ainsi aux enfants n’est pas le moyen de leur inspirer de nobles sentiments. Quand l’homme estime sa valeur d’après les autres, il cherche, ou bien à s’élever au-dessus d’eux, ou bien à les rabaisser. Ce dernier cas est l’envie. On ne songe alors qu’à mettre sur le compte des autres toutes sortes de défauts ; car, s’ils n’étaient pas là, on n’aurait point de comparaison à craindre entre eux et soi, et l’on serait le meilleur. L’esprit d’émulation mal appliqué ne produit que l’envie. Le cas où l’émulation pourrait servir à quelque chose serait celui ou l’on voudrait persuader à quelqu’un qu’une chose est praticable, comme, par exemple, quand j’exige d’un enfant une certaine tâche et que je lui montre que les autres ont pu la remplir.
On ne doit en aucune manière permettre à un enfant d’humilier les autres. Il faut chercher à écarter toute fierté qui n’aurait d’autre motif que les avantages de la fortune. Mais il faut chercher en même temps à fonder la franchise. C’est une confiance modeste en soi-même. Elle met l’homme en état de montrer tous ses talents d’une manière convenable. Il faut bien la distinguer de l’insolence, qui consiste dans l’indifférence à l’égard du jugement d’autrui.
Tous les désirs de l’homme sont ou formels (liberté et pouvoir), ou matériels (relatifs à un objet) ; ce sont des désirs d’opinion ou de jouissance ; ou bien enfin ils se rapportent à la seule durée de ces deux choses, comme éléments du bonheur.
Les désirs de la première espèce sont le désir des honneurs, celui du pouvoir et celui des richesses. Les désirs de la seconde sont ceux de la jouissance du sexe (ou de la volupté), de celle des choses (ou du bien-être) et de celles de la société (ou de la conversation). Les désirs de la troisième espèce enfin sont l’amour de la vie, de la santé, de l’aisance (le désir d’être exempt de soucis dans l’avenir).
Les vices sont ou de méchanceté, ou de bassesse, ou d’étroitesse d’esprit. A ceux de la première espèce appartiennent l’envie, l’ingratitude et la joie causée par le malheur d’autrui ; à ceux de la seconde, l’injustice, l’infidélité (la fausseté), le dérèglement, soit dans la dissipation de ses biens, soit dans celle de la santé (intempérance) et de l’honneur. Les vices de la troisième espèce sont la dureté du cœur, l’avarice, la paresse (la mollesse).
Les vertus sont de pur mérite, ou d’obligation stricte ou d’innocence. Aux premières appartiennent la grandeur d’âme (qui consiste à se vaincre soi-même, soit dans la colère, soit dans l’amour du bien-être, soit dans celui des richesses), la bienfaisance, la domination de soi-même ; aux secondes, la loyauté, la bienséance et la douceur ; aux troisièmes enfin, la bonne foi, la modestie et la tempérance.
C’est une question si l’homme est par sa nature moralement bon ou mauvais. Je réponds qu’il n’est ni l’un ni l’autre, car il n’est pas naturellement un être moral ; il ne le devient que quand il élève sa raison jusqu’aux idées du devoir et de la loi. On peut dire cependant qu’il a en lui originairement des penchants pour tous les vices, car il a des inclinations et des instincts qui le poussent d’un côté, tandis que sa raison le pousse d’un autre. Il ne saurait donc devenir moralement bon qu’au moyen de la vertu, c’est-à-dire d’une contrainte exercée sur lui-même, quoiqu’il puisse être innocent tant que ses passions sommeillent.
Les vices résultent pour la plupart de ce que l’état de civilisation fait violence à la nature, et pourtant notre destination comme hommes est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que comme des animaux. L’art parfait retourne à la nature.
Tout dans l’éducation dépend d’une chose : c’est que l’on établisse partout les bons principes, et que l’on sache les faire comprendre et admettre par les enfants. Ils doivent apprendre à substituer l’horreur de ce qui est révoltant ou absurde à celle de la haine, la crainte de leur propre conscience à celle des hommes et des châtiments divins, l’estime d’eux-mêmes et la dignité intérieure à l’opinion d’autrui, la valeur intérieure des actions à celles des mots et la conduite aux mouvements du cœur, l’intelligence au sentiment, enfin une piété sereine et de bonne humeur à une dévotion chagrine, sombre et sauvage.
Mais il faut avant tout préserver les enfants contre le danger d’estimer beaucoup trop haut les mérites de la fortune (merita fortunae).
Si l’on examine l’éducation des enfants dans son rapport avec la religion, la première question est de savoir s’il est possible d’inculquer de bonne heure aux enfants des idées religieuses. C’est un point de pédagogie sur lequel on a beaucoup disputé...
Le meilleur moyen de rendre d’abord claire l’idée de Dieu, ce serait d’y chercher une analogie dans celle d’un père de famille sous la surveillance duquel nous serions placés ; on arrive ainsi très heureusement à concevoir l’unité des hommes qu’on se représente comme formant une seule famille.
Qu’est-ce donc que la religion ? La religion est la loi qui réside en nous en tant qu’elle reçoit son influence sur nous d’un législateur et d’un juge ; c’est la morale appliquée à la connaissance de Dieu. Quand on n’unit pas la religion à la moralité elle n’est plus qu’une manière de solliciter la faveur céleste. Les cantiques, les prières, la fréquentation des églises, toutes ces choses ne doivent servir qu’à donner à l’homme de nouvelles forces et un nouveau courage pour travailler à son amélioration ; elles ne doivent être que l’expression d’un cœur animé par l’idée du devoir. Ce ne sont que des préparations aux bonnes oeuvres, et l’on ne peut plaire à l’être suprême qu’en devenant meilleur.
Il faut avec les enfants commencer par la loi qu’ils portent en eux. L’homme est méprisable à ses propres yeux quand il tombe dans le vice. Ce mépris a son principe en lui-même, et non dans cette considération que Dieu a défendu le mal ; car il n’est pas nécessaire que le législateur soit en même temps l’auteur de la loi. C’est ainsi qu’un prince peut défendre le vol dans ses États sans qu’on puisse le considérer pour cela comme l’auteur de la défense du vol. L’homme apprend par là à reconnaître que sa bonne conduite seule peut le rendre digne du bonheur. La loi divine doit paraître en même temps comme une loi naturelle, car elle n’est pas volontaire. La religion rentre donc dans la moralité.
Mais il ne faut pas commencer par la théologie. La religion, qui est fondée simplement sur la théologie, ne saurait contenir quelque chose de moral. On n’y aura d’autres sentiments que celui de la crainte, d’une part, et l’espoir de la récompense de l’autre, ce qui ne produira qu’un culte superstitieux. Il faut donc que la moralité précède et que la théologie la suive, et c’est là ce qui s’appelle la religion.
La loi considérée en nous s’appelle la conscience. La conscience est proprement l’application de nos actions à cette loi. Les reproches de la conscience resteront sans effet, si on ne les considère pas comme les représentants de Dieu, dont le siège sublime est bien élevé au-dessus de nous et qui a aussi établi en nous un tribunal. Mais d’un autre côté, quand la religion ne se joint pas à la conscience morale, elle est aussi sans effet. Comme on l’a déjà dit, la religion, sans la conscience morale, est un culte superstitieux. On pense servir Dieu en le louant, par exemple, en célébrant sa puissance, sa sagesse, sans songer à remplir les lois divines, sans même connaître cette sagesse et cette puissance et sans les étudier. On cherche dans ces louanges comme un narcotique pour sa conscience, ou comme un oreiller sur lequel on espère reposer tranquillement.
Les enfants ne sauraient comprendre toutes les idées religieuses, mais on peut cependant leur en inculquer quelques unes ; seulement elles doivent être plutôt négatives que positives. Il est inutile de leur faire réciter des formules, et même cela ne peut que leur donner une fausse idée de la piété. La vraie manière d’honorer Dieu, c’est d’agir suivant la volonté de Dieu, et c’est là ce qu’il faut enseigner aux enfants... L’enfant doit apprendre à sentir du respect pour Dieu, d’abord comme maître de sa vie et du monde entier, ensuite comme protecteur des hommes, et enfin comme leur juge. On dit que Newton se recueillait toujours un moment quand il prononçait le nom de Dieu.
En éclaircissant à la fois dans l’esprit de l’enfant l’idée de Dieu et celle du devoir, on lui apprend à mieux respecter les soins que Dieu a pris à l’égard de ses créatures, et on le préserve contre ce penchant à la destruction et à la cruauté, qui se plait de tant de façons à tourmenter les petits animaux. On devrait en même temps instruire la jeunesse à découvrir le bien dans le mal, en lui montrant, par exemple, dans les animaux de proie et dans les insectes des modèles de propreté et d’activité. Ils rappellent aux hommes méchants le respect de la loi. Les oiseaux qui poursuivent les vers sont les défenseurs des jardins, etc.
Il faut donc inculquer aux enfants quelques idées de l’Être suprême, afin que, lorsqu’ils voient les autres prier, etc., ils puissent savoir pour qui et pour quoi on agit ainsi. Mais ces idées ne doivent être que très peu nombreuses. Il faut commencer dès la première jeunesse à les leur inculquer, mais en même temps il faut prendre garde qu’ils n’estiment les hommes d’après la pratique de leur religion ; car, malgré la diversité des religions, il y a partout unité de religion…
Il faut accoutumer le jeune homme à s’estimer absolument et non d’après les autres. L’estime d’autrui, dans tout ce qui ne constitue nullement la valeur de l’homme, est affaire de vanité. Il faut en outre lui enseigner à avoir de la conscience en toute chose, et à s’efforcer non seulement de paraître mais d’être. Habituez-le à veiller à ce que, dans aucune circonstance où il a une fois pris sa résolution elle ne devienne une vaine résolution ; il vaudrait mieux n’en prendre aucune, et laisser la chose en suspens ; enseignez lui la modération à l’endroit des circonstances extérieures et la patience dans les travaux : sustine et abstine ;enseignez-lui aussi la modération dans les plaisirs. Quand on ne désire pas seulement des plaisirs, mais qu’on sait aussi être patient dans le travail, on devient un membre utile de la communauté et on se préserve de l’ennui.
Il faut de plus instruire le jeune homme à se montrer enjoué et de bonne humeur. La sérénité du cœur résulte naturellement d’une conscience sans reproche. Recommandez-lui l’égalité d’humeur. On peut arriver par l’usage à se montrer toujours de bonne humeur en société.
On doit s’accoutumer à considérer beaucoup de choses comme des devoirs. Une action doit m’être précieuse, non parce qu’elle s’accorde avec mon penchant, mais parce que je remplis mon devoir en la faisant.
Il faut développer l’amour d’autrui et ensuite tous les sentiments cosmopolites. Il y a dans notre âme quelque chose qui fait que nous nous intéressons : 1° à notre moi ; 2° à ceux avec lesquels nous avons été élevés ; et 3° même au bien du monde. Il faut rendre cet intérêt familier aux enfants, et faire qu’il échauffe leurs âmes. Ils doivent se réjouir du bien du monde, encore que ce ne soit pas l’avantage de leur patrie ou leur propre avantage.
Il faut les exercer à n’attacher qu’une médiocre valeur à la jouissance des plaisirs de la vie. On écartera ainsi la crainte puérile de la mort. Il faut montrer aux jeunes gens que la jouissance ne tient pas ce qu’elle promet.
Il faut enfin appeler leur attention sur la nécessité de régler chaque jour leur propre compte, afin de pouvoir faire à la fin de leur vie une estimation de la valeur acquise.