Page d'accueil>Table des rubriques>La science criminelle>Pénalistes> Introduction générale>W. Jeandidier, Les causes de la délinquance

LES CAUSES DE LA DÉLINQUANCE

Extrait du manuel de « Droit pénal général »
de W. JEANDIDIER ( 2e éd., Paris 1991 )

L’auteur observe, à juste titre,
que la connaissance des causes de la criminalité
constitue le premier pas vers la lutte conte la délinquance.

À cette fin il s’efforce de dresser un tableau
des différentes directions dans lesquelles
des recherches ont été entreprises depuis près de deux siècles.

La diversité des causes mise en avant est telle
que l’on peut se demander si les auteurs n’ont pas privilégié
dans leurs études l’être physique au détriment de l’être moral.

18 — COMMENT TENTER DE PERCER UN GRAND MYSTÈRE - La recherche des causes du phénomène criminel, ou criminogenèse, est une tâche ardue qui n’a été vraiment entreprise de façon sérieuse et scientifique que depuis un siècle environ.

Auparavant les explications procédaient de la pétition de principe. Ainsi primitivement ce fut en référence à la religion que le crime fut analysé. Sous l’Antiquité l’acte criminel était la conséquence d’un sort des dieux. Dans l’Ancien Droit français l’homme criminel est un pécheur et «l’étude du péché et de ses causes se confond ainsi avec l’étude du crime» (Laingui, L’homme criminel dans l’Ancien Droit, Rev.sc.crim. 1983, p.19).

Et déjà est mise en lumière l’idée fondamentale de la liberté de l’homme. Concept fondamental, véritable dogme, le libre arbitre a inspiré les grands codes pénaux du XIXe siècle et notamment le Code pénal français. C’est donc résolument que l’homme choisit l’état de délinquant, décide d’enfreindre les lois de la société. Il aura fallu attendre les travaux de l’Italien Lombroso pour que la criminogenèse s’élabore sur des bases moins irrationnelles et relègue à sa juste place le postulat du libre arbitre. D’ailleurs auparavant celui-ci n’était plus perçu par certains auteurs comme la panacée : Saint Thomas d’Aquin expliquait la perversité du délinquant par un ensemble de dispositions morbides et Thomas More voyait dans la grande misère une cause du crime.

On se doute que la recherche des causes de la délinquance est d’une utilité primordiale. Elle présente l’avantage de permettre de mieux lutter contre la délinquance (par exemple par une politique d’assainissement de l’habitat, par la lutte contre certains fléaux, telles la maladie, la misère, la drogue) et d’aider à déterminer le traitement à appliquer aux délinquants (prison classique, mesures éducatives ou médicales par exemple). Deux grands types de causes de la criminalité peuvent être distingués : les causes internes (§ 1) et les causes externes (§ 2).

§ 1 -  LES CAUSES INTERNES

19 — DUALITÉ - On entend par là les causes qui tiennent à l’individu, propres au délinquant, et dont la combinaison caractérise la personnalité du sujet étudié. Les unes sont innées (A), les autres sont acquises (B).

A —  LES CAUSES INTERNES INNÉES

20 — ANOMALIES PHYSIOLOGIQUES - Au premier rang figurent les facteurs corporels dus à l’hérédité pris en considération par plusieurs écoles. Il y a d’abord la théorie du criminel-né ou théorie de la criminalité atavique, qui a pour auteur Lombroso et dont l’ouvrage, L’homme criminel, publié en 1876, a eu un retentissement énorme. Lombroso part de la constatation selon laquelle le crime n’est pas propre à l’homme ni le produit de la liberté, mais qu’il est aussi le fait d’animaux ou de plantes. Observant ensuite les caractères physiques de nombreux criminels, Lombroso est amené à relever les diverses anomalies que présente le grand criminel, qui évoquent la bestialité de l’homme primitif (proéminence des arcades sourcilières, capacité réduite du crâne, front fuyant, oreilles écartées, hyperostose, insensibilité à la douleur — d’où la pratique du tatouage —, égoïsme, frivolité).

La thèse de Lombroso a vite été critiquée, en particulier par l’un de ses disciples, Ferri et par Gabriel Tarde, et il a été démontré que les prétendus stigmates du criminel sont un critère des plus contestables. Elle suscite même l’hilarité générale des auditoires estudiantins ! Après Lombroso d’autres chercheurs se sont penchés sur l’importance des facteurs héréditaires. Ainsi on a pu étudier certaines familles avec la technique de la monographie, tels les Juke ou les Kallikak. L’ancêtre de cette dernière famille s’était marié deux fois, avec une femme de mauvaises moeurs puis avec une femme vertueuse, et seuls les descendants du premier lit s’avérèrent des délinquants. Ici encore, un manichéisme aussi primaire en devient risible.

Plus récemment ont été découvertes des particularités chromoso­miques et l’on a constaté que la majeure partie des personnes présentant des aberrations chromosomiques se trouvaient parmi les délinquants. Néanmoins cette thèse ne saurait trop porter à conséquence : d’une part la grande majorité des délinquants ne présentent pas d’aberrations chromosomiques, et d’autre part les sujets affectés de cette anomalie sont loin d’être tous des délinquants.

21 — CORRÉLATIONS ENTRE MORPHOLOGIE ET CARACTÈRE - Une autre théorie consiste à procéder à des analyses morpho-caractériologiques pour déterminer les rapports entre le corps humain et la délinquance, l’essentiel étant de comparer délinquants et non délinquants, ce que Lombroso n’avait pas fait. La classification la plus connue est celle de l’Autrichien Kretschmer qui, dans son ouvrage La structure du corps et du caractère, distingue quatre types morphologiques fondamentaux : le type pycnique — formes arrondies et potelées, assez petite taille —, le type leptosome — formes amaigries et anguleuses —, le type athlétique — grand squelette, muscles puissants, pilosité abondante —, et le type dysplastique — croissance retardée, déficience des organes sexuels —. Au niveau caractériel Kretschmer distingue deux catégories d’individus : les cyclo­thymiques, allant de l’euphorie à la mélancolie, et les schizothymiques, qui sont invertis. Il résulte de plusieurs enquêtes que si les pycniques s’adonnent peu à la délinquance, les leptosomes sont souvent voleurs ou escrocs, les athlétiques prédisposés aux actes de violence et les dysplastiques à la délinquance sexuelle.

Une autre classification est due à l’Américain Sheldon (Varieties of delinquant youth, 1949) qui oppose trois types morphologiques : l’endo­morphe — prédominance du feuillet interne du tissu embryonnaire, à savoir viscères —, le mésomorphe — prédominance du feuillet médian, à savoir musculature —, et l’ectomorphe — prédominance du feuillet externe, à savoir système nerveux —, et trois types caractériels : viscérotonie (sociabilité), somatotonie (agressivité), cérébrotonie (réserve).

Toutes ces classifications n’ont qu’une valeur relative, la délinquance ou la non délinquance de chaque individu n’étant aucunement prédéterminée de façon infaillible par son appartenance à une catégorie donnée ; simplement cette dernière peut avoir une influence sur le compor­tement du sujet.

22 — THÈSES CONSTITUTIONNALISTES - D’autres criminologues ont voulu élargir leur champ d’investigation, partant de l’idée que la délinquance ne peut être conditionnée par les seuls détails morphologiques, chromosomiques et héréditaires. L’homme est en effet beaucoup plus complexe que cela, comme l’a souligné l’école criminologique constitutionnaliste. Trois thèses ont été soutenues à cet égard.

La première est la théorie du pervers constitutionnel, élaborée notamment par Dupré et Michaux. Divers instincts existent chez l’homme (nutrition, appropriation, reproduction, association) et l’hypertrophie ou la déviation d’un de ces instincts est une perversion. Il existerait ainsi chez de nombreux délinquants une perversion constitutionnelle, originelle et incurable.

La seconde théorie est celle de la constitution délinquantiellede l’Italien Di Tullio (Principes de criminologie clinique, 1967). Pour cet auteur deux groupes fondamentaux caractérisent la société : les individus neutres ou conformistes, et les individus originaux ou non conformistes, plus prédisposés au crime et parmi lesquels se trouvent les criminels constitutionnels. Ceux-ci sont répartis en trois catégories. Il y a d’abord les criminels constitutionnels à orientation hyper-évolutive, les criminels constitutionnels à orientation psycho-névrotique et les criminels constitutionnels à orientation psychopatique.

Enfin doit être mentionnée la théorie constitutionnelle de Kinberg (Les problèmes fondamentaux de la criminologie, 1960). Quatre facteurs radicaux constitutionnels — c’est-à-dire de la constitution psychique — existent à des degrés variables chez chaque individu : ce sont la capacité — ou intelligence maximale à laquelle peut parvenir un individu —, la validité — ou quantité d’énergie cérébrale —, la stabilité — ou degré de facilité de rétablissement de l’équilibre émotionnel — et la solidité — ou degré d’unité fonctionnelle de l’activité —. Les prédispositions de chaque sujet peuvent être corrigées par la fonction morale, définie comme la réaction plus ou moins rapide aux stimuli moraux venant de l’extérieur. A cet égard Kinberg distingue quatre groupes : les sujets connaissant les actes défendus par la morale mais dépourvus d’élément émotionnel, les sujets connaissant la morale et réagissant émotionnellement, les sujets dont la connaissance ou l’émotion sont affectées par des lésions pathologiques, les sujets dont les fonctions morales sont réduites.

B) LES CAUSES INTERNES ACQUISES

23 — MALADIE - L’hypothèse de la maladie criminogène ne pouvait pas ne pas être envisagée. On songe d’abord tout particulièrement à la démence, qui est une maladie acquise et non congénitale, et aux diverses névroses. Il est évident que les maladies mentales prédisposent à la délinquance et les criminologues qui ont voulu classer les délinquants en plusieurs catégories ont toujours accordé une place importante aux délinquants poussés par la démence : ainsi Lombroso (avec le criminel-fou), Ferri (avec le criminel aliéné), Di Tullio (avec le criminel-fou).

D’autres maladies ont encore une influence non négligeable, tels la syphilis, la tuberculose et le sida. Surtout plusieurs criminologues ont étudié les relations entre le fonctionnement des glandes endocriniennes et le psychisme de l’individu. Un excès ou une insuffisance de sécrétion de ces glandes (hypophyse, thyroïde, glandes surrénales, glandes génitales) auraient une incidence sur le comportement de l’intéressé (travaux de Schlapp et Smith aux États-unis). Enfin la consommation de produits toxiques, (alcool, stupéfiants) est une cause importante et indiscutée de nombreux crimes et délits. Stricto sensu il ne s’agit pas véritablement de maladies, mais d’habitudes contractées, quoiqu’il puisse arriver que ce genre d’excès soit la source de certaines lésions.

24 — PSYCHISME - Une place à part doit être faite aux facteurs proprement psychiques de la délinquance. Il existe en premier lieu des théories psychanalitiques.

On signalera celle du Français Daniel Lagache (Psychocriminogenèse, 1950) qui distingue deux phases essentielles dans le processus de formation de la personnalité, processus qualifié par les psychologues de socialisation progressive de l’individu. La première phase est dite de retrait, ou refus de l’identification au groupe, le sujet voyant alors son processus de maturation troublé par des anomalies, d’où des troubles se manifestant par l’égocentrisme et l’immaturité. La seconde phase est dite de restitution, ou tentative d’ajustement. Détaché d’un groupe, le délinquant va en chercher un autre. Lagache perçoit à cet égard les aspects interpersonnel et intrapersonnel des conduites criminelles Le premier concerne les rapports entre le délinquant et les groupes auxquels il participe. L’infraction révèle que son auteur commet une agression contre les valeurs du groupe dont il enfreint les règles et qu’il pose d’autres valeurs propres au groupe auquel il aspire. Le second concerne les rapports entre le délinquant et son acte. Le conflit inconscient interne au sujet sera résolu par une action extérieure, le crime, qui est donc une tentative d’ajustement.

En deuxième lieu doit être mentionnée la théorie psycho-physiologique, principalement illustrée par le Belge Etienne de Greef (Introduction à la criminologie, 1937). Chacun est un délinquant virtuel et inconscient, car le système neurophysiologique transmet à tout individu des incitations constantes à l’agressivité. Le plus souvent l’homme réussit à les endiguer, à les contenir en édictant une barrière morale à l’aide de son psychisme supérieur qui sécrétera certaines valeurs altruistes, à savoir l’amour, la sympathie. Mais il arrive que le sujet succombe et devienne alors délinquant. De Greef a dégagé le concept de fonctions incorruptibles, qui échappent complètement à la volonté. Ces fonctions, indifférentes au bien et au mal, se reconnaissent notamment dans les sentiments de responsabilité, de justice, de destinée. Si elles jouent sous l’impulsion des instincts de défense, sans contrôle, le sujet commettra alors une infraction, laissant libre cours aux réactions de son mésencéphale (ou cerveau moyen). Il importe par conséquent d’avoir en soi des fonctions de protection suffisantes. De Greef écrivait : « Un honnête homme est un sujet qui se trouve constamment en équilibre instable. Il est toujours en train de perdre son honnêteté. Il est toujours en train de la retrouver ».

§ 2 -  LES CAUSES EXTERNES

25 — QUELQUES DONNEES ESSENTIELLES ET QUELQUES CONCLU­SIONS QUI LE SONT MOINS - Nul ne doute de l’importance des facteurs du milieu dans la genèse du phénomène de la délinquance.

Il y a d’abord le milieu familial dont l’influence peut être énorme. Une enquête effectuée dans l’agglomération parisienne en 1942 a montré que 88% des délinquants mineurs étaient issus de familles dissociées (divorce, séparation de corps ou de fait, mésentente). Pareillement diverses études ont mis en lumière le poids d’un niveau socio-économique modeste de la famille d’origine et celui du comportement des parents. Le milieu physique est également important : ainsi le milieu rural favorise la criminalité violente et le milieu urbain une délinquance d’une autre nature, plus orientée vers les biens. Surtout l’influence de l’habitat paraît prédominante, neuf enfants inadaptés sur dix ayant vécu dans des taudis ou bidonvilles. Outre le milieu familial et le milieu physique il faut encore citer le milieu économique, le milieu social et même le milieu répressif, notamment le milieu carcéral.

Forts de ces constatations quelques criminologues ont dégagé à partir d’observations statistiques certaines lois criminologiques qui traduisent l’impact des facteurs exogènes. Ferri par exemple a découvert la loi de la saturation criminelle s’exprimant telle une formulation chimique. Le niveau de la criminalité est déterminé chaque année par les différentes conditions du milieu physique et social combinées avec les tendances héréditaires et les impulsions occasionnelles de l’individu. De la sorte s’explique le concept de saturation : selon les conditions de chaque milieu considéré on arrive à connaître avec précision le nombre de crimes. Une autre loi due au même auteur est celle de la sursaturation qui joue en cas de changement social important. La quantité de crimes augmente alors, comme celle du sel dans l’eau quand la température de ce mélange est portée plus haut.

De son côté le Belge Quételet est l’inventeur de la loi de la régularité constante du crime dont la formulation est mécanique. En vertu de cette loi les crimes se reproduisent chaque année au même nombre, dans les mêmes proportions et avec des peines identiques, d’où la possibilité de déterminer à l’avance combien de personnes tueront, voleront, violeront...

Une autre loi célèbre est la loi thermique de la criminalité formulée par Quételet et le Français Guerry. Les infractions contre les personnes, en vertu de cette loi, sont plus nombreuses dans les régions méridionales et pendant les saisons chaudes, alors que les infractions contre les biens prédominent dans les régions septentrionales et pendant les saisons froides.

Gabriel Tarde devait démontrer plus tard qu’il n’y avait là qu’illusion, le contraste entre le nord et le sud s’expliquant par le degré différent d’urbanisation. Toutes ces lois tirent donc des conclusions à partir de phénomènes statistiques et telle est leur seule ambition.

Plus récemment la criminologie a découvert le rôle majeur que joue la victime dans bien des cas. Ainsi la victime peut être un agent actif lorsqu’elle commet une infraction pour mettre fin à son état de victime : par exemple une femme maltraitée qui en vient à tuer son mari brutal. La victime peut encore être un agent passif, lorsque en particulier son attitude provoque le délinquant, l’illustration classique étant celle de la femme violée qui par un comportement de complaisance initiale aura attisé les pulsions du criminel.

26 — CRIMINOLOGIE SOCIOLOGIQUE - Divers courants existent au sein des explications du mécanisme de la socio-criminogenèse. Le premier et le plus ancien est le courant de la criminologie sociologique qui comporte plusieurs manifestations. Il y a ainsi la théorie de l’anomie, ou disparition des valeurs sociales. Ce concept, élaboré par Durkheim, a été développé en criminologie principalement par l’Américain Merton dans son ouvrage Éléments de théorie et de méthode sociologique (1949). Les structures sociales présentent deux éléments : les buts et objectifs culturels proposés par la société à ses membres et les moyens légitimes pour y parvenir. Lorsque la coïncidence entre buts et moyens disparaît, il y a délinquance ; alors les buts dépassent les moyens. Tous les individus sont de plus en plus soumis dans la société à un « processus d’exaltation des fins » sans cesse grandissant, les moyens restant toutefois identiques. Deviennent délinquants ceux dont le mode d’adaptation se caractérise par l’un des procédés suivants: innovation — l’individu accepte le but proposé par la société mais refuse les normes sociales —, évasion — l’individu ne partage aucune des valeurs communes —, rébellion — l’individu rejette la structure sociale existante —. Échappent au contraire à la délinquance deux catégories d’individus : les conformistes — qui acceptent les buts et les moyens définis par la société, — et les ritualistes — qui renoncent à l’idéal de la réussite financière pour se cantonner à des projets plus réalisables.

La seconde théorie importante est celle des conflits de cultures du criminologue américain Sellin (Culture conflict and crime, 1938 ; Conflits culturels et criminalité, R.D.P.C. 1960, 815 et 879). Un tel conflit surgit quand les valeurs morales et les règles de conduite sanctionnées par le Code pénal d’un pays donné à un moment donné contredisent les valeurs et normes adoptées par certains groupes sociaux. Afin d’assimiler la minorité, la majorité fait pression sur elle, d’où une crise. Ainsi la criminalité procède de la difficulté pour une personne élevée dans un certain milieu de s’adapter à un autre milieu. Les exemples de tels conflits abondent : conflits lors de la colonisation de pays du Tiers-monde entre la culture européenne et la culture des indigènes, conflit dans un pays entre immigrés et nationaux, conflit entre certaines minorités politiques agissantes (gauchistes) et le reste de la nation, etc.

La troisième théorie, dite de l’association différentielle, est due à l’Américain Sutherland (Principes de criminologie, publiés en France en 1966) qui s’est inspiré de la loi de l’imitation dégagée par Tarde, loi selon laquelle le milieu social agit sur l’individu parce que chacun cherche à imiter la conduite des autres. Ainsi pour Sutherland le comportement criminel est appris au contact d’autres personnes par des processus de communication individuelle. Deux éléments peuvent être distingués dans cette formation : l’enseignement des techniques de commission de l’infrac­tion et l’orientation des mobiles, des tendances impulsives. Et celle-ci ne peut se faire dans le sens de la délinquance que si l’individu est en contact avec des modèles criminels. Tel est le principe de l’association différentielle.

27 — THEORIE DU LABEL - Un autre courant, appelé courant interactionniste — représenté en particulier par les Américains Lemert (Social pathology, 1951) et Becker (Outsiders, studies in the sociology of deviance, 1963) —, insiste sur le rôle essentiel que jouent les institutions pénales et les attitudes sociales dans l’apparition de la délinquance ou dans l’essor des comportements déviants. Ce sont le législateur et la société qui, au terme d’un processus d’interaction, fixent la liste des actes infractionnels, stigmatisent pareils comportements, d’où l’expression américaine de labelling theory ou théorie du label.

En quelque sorte certains individus sont poussés par la société à la délinquance. Cette explication est radicalement opposée à l’explication classique fournie par la criminologie sociologique pour laquelle la déviance conduit au contrôle social, puisque ici c’est le contrôle social qui mène à la déviance. Il en résulte une modification considérable de l’objet de la criminologie parce que l’on passe de la criminologie de l’acte à la criminologie de la réaction sociale. Cette théorie, qui explique d’ailleurs mieux le phénomène de la récidive, a eu un grand succès dans les années 1960. Elle ne présente pas moins la faiblesse majeure de ne pas avoir vu que les définitions par la société des comportements délinquants ne sont pas arbitraires. La labelling theory confond bel et bien la délinquance et sa sanction en parlant de criminologie de la réaction sociale (v. Gassin, De quelques tendances récentes de la criminologie anglaise et nord- américaine, Rev.sc.crim. 1977, 266 et 267).

28 — CRIMINOLOGIE POLITIQUE - Le dernier courant, que l’on peut considérer comme un courant de contestation politico-économique, est représenté par la criminologie radicale ou criminologie critique, née aux États-unis et en Grande- Bretagne vers 1970. Ses principaux représentants sont les Américains Schwendinger, les Anglais Taylor, Walton et Young et le Français Michel Foucault.

Ce mouvement a pour origine certaines luttes politiques qui se sont déroulées aux U.S.A. et l’influence du marxisme sur plusieurs intellectuels anglo-saxons. La criminologie radicale propose une intervention essentiel­lement politico-économique du phénomène criminel. L’action criminelle est l’acte politique par lequel le délinquant exprime son refus de l’organisation sociale en place. Mais les tenants de cette école ne se contentent pas de cette analyse et ils proposent des solutions. En effet ils pensent régler le problème criminel avec la transformation révolutionnaire de la société et l’élimination des systèmes économiques et politiques d’exploitation, dans une perspective marxiste. Le criminologue a donc une tâche normative : celle-ci « consiste à démasquer le vernis moral et idéologique qui dissimule une société inégale et à lutter pour le changement social et l’établissement, parmi les alternatives post-capitalistes, d’une société conforme à son idéal » (Gassin, article précité, p. 264). Qualifiée par les uns de « criminologie militante » (Gassin, article précité), par d’autres d’« anticriminologie » (Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T. 1, n° 284), la criminologie radicale se heurte à de sérieuses objections, en particulier au caractère politique de son orientation.

Signe de fin