Page d'accueil > Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > Introduction générale > J.J. Haus, Les théories pénales des origines au début du XIX

LES THÉORIES PÉNALES
DES ORIGINES AU MILIEU DU XIX° SIÈCLE
par J.J. Haus

«  Principes généraux du droit pénal  »
( 2e éd. , Gand 1874 )

LES BASES PHILOSOPHIQUES DU DROIT PÉNAL
( LES THÉORIES PÉNALES )

§ I – Observations générales

25. La Société établit des peines par la loi, et les applique quand la loi est enfreinte. Le droit de punir qu’elle exerce, lui appartient-il ? S’il lui appartient, quel est son fondement ? La peine infligée par la Société est-elle légitime ? En cas d’affirmative, quelles sont les conditions de sa légitimité ?

Avant de répondre à ces questions, nous avons besoin, pour éviter toute confusion d’idées, de déterminer la signification du mot que nous venons d’employer. La peine est une souffrance imposée à celui qui a violé un devoir. Mais tout mal rendu pour un mal n’est pas une peine.

26. Le droit de se défendre contre une attaque injuste, de repousser la force par la force, est un droit naturel qui appartient aux personnes morales, comme aux individus. La Société l’exerce, à l’extérieur, par la guerre ; à l’intérieur, soit en comprimant les révoltes et les séditions qui éclatent dans son sein, soit en repoussant les attentats contre les personnes ou les propriétés. La Société ne doit pas même attendre l’attaque ; elle est en droit de prendre les devants et d’empêcher, par l’emploi de la force, s’il le faut, l’exécution des projets criminels qu’elle est parvenue à découvrir. C’est encore là une légitime défense.

Le mal causé à l’agresseur par la réaction défensive est-il une peine ? On se servirait d’une expression impropre en le qualifiant ainsi. La défense suppose une attaque actuelle ou imminente. Or, la peine est infligée au coupable à raison d’un fait accompli, pour une offense qu’il ne s’agit plus de prévenir ou de repousser. Si la punition n’était qu’une défense exercée par la Société, l’agresseur désarmé ne pourrait plus être puni ; le mal qu’on lui aurait fait en luttant contre lui devrait suffire. Mais il n’en est pas ainsi. La justice pénale condamne le coupable qui n’a pas succombé dans son entreprise. Indépendamment du mal que lui a fait éprouver la défense, il subit un mal d’une nature toute différente. Ce mal, c’est la peine.

27. Quiconque a causé par sa faute du dommage à autrui, est condamné à le réparer. La partie lésée, que ce soit un particulier ou le corps social, est en droit de poursuivre l’exécution des condamnations civiles sur les biens du condamné, et quelquefois même contre sa personne par la voie de la contrainte par corps. Voilà encore un mal infligé pour un mal et qui n’est pas une peine proprement dite. Si le fait dommageable est prévu par une loi pénale, s’il constitue un délit, le coupable encourt le châtiment édicté par cette loi, quand même il aurait déjà réparé le préjudice causé ou que celui-ci serait irréparable.

28. La peine n’a donc pour objet, ni de repousser une attaque actuelle ou de prévenir une attaque imminente, ni de réparer le dommage causé à la personne lésée. La peine est la souffrance que l’on fait éprouver à l’auteur d’une action illicite à cause de cette action ; c’est le mal que le coupable doit subir parce qu’il a fait du mal, qu’il a violé un devoir. Poena est malum passionis propter malum actionis.

La Société a-t-elle le droit de punir ? A quel titre et dans quelles limites ce droit lui appartient-il ? C’est à la théorie pénale de résoudre ces questions.

29. On chercherait en vain dans les écrits des philosophes et des jurisconsultes de l’antiquité un ensemble de principes sur le droit de punir exercé par la Société. Jusqu’à la seconde moitié du dix-huitième siècle, les travaux des criminalistes avaient exclusivement pour objet les dispositions du droit positif. C’est à cette époque que la philosophie du droit pénal a pris naissance, et depuis le commencement de notre siècle, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre et la France ont vu surgir ces nombreuses théories pénales qui se partagent aujourd’hui le domaine de la science. Une exposition détaillée de ces théories excéderait les limites de notre traité ; mais nous ne pouvons nous dispenser d’en donner un aperçu général.

§ II - Les théories fondées sur le contrat social

30. Si les auteurs sont d’accord pour reconnaître au pouvoir social le droit de punir, ils se divisent sur la question de savoir quel est le fondement de ce droit. La doctrine du contrat social, adoptée par la philosophie du dix-huitième siècle, a nécessairement exercé de l’influence sur le système pénal. Les publicistes de cette époque, et même ceux qui appartiennent au commencement du siècle actuel, font dériver le droit de punir de la convention par laquelle les hommes, abandonnant l’état de nature, se seraient constitués en société.

31. Cette théorie se présente sous trois formes principales.

Le droit de punir, disent les uns, n’est que le droit de défense qui appartient naturellement à tous les hommes et qu’ils ont cédé au corps social, en se réservant l’exercice direct de ce droit dans les cas où la Société ne pourrait le protéger elle-même.

Dans l’opinion des autres, tout particulier a le droit de punir le coupable pour lui faire expier son crime. L’exercice de ce droit individuel étant incompatible avec la conservation de la Société, les citoyens l’ont transféré, par une convention, au pouvoir social.

En s’associant, dit-on encore, les hommes ont compris que la Société ne pouvait exister sans lois, et que l’autorité de celles-ci avait besoin d’être garantie par des peines contre toute atteinte que l’on voudrait y porter ; chacun a donc renoncé, par une convention, à une partie de ses droits au profit de la Société, pour le cas où il enfreindrait les lois de l’association.

§ III - Appréciation des théories fondées sur le contrat social

32. Tous ces systèmes sont erronés.

Le premier confond le droit de punir avec le droit de légitime défense. Cependant une notable différence sépare l’un de l’autre.

Le deuxième système n’est pas mieux fondé. En admettant même l’hypothèse d’un état de nature, on est forcé de reconnaître que les rapports des particuliers étant des rapports d’égal à égal, et non de supérieur à inférieur, l’homme individuel n’a pas le droit de demander à ses semblables compte de leurs actions et de les juger.

Dans le troisième système, le droit de punir est le droit que chaque individu a sur lui-même, et qu’il transfère à la Société pour le cas où il violerait les lois sociales. Mais la vie, l’honneur, la liberté de l’homme, sont des biens qui ne peuvent faire l’objet d’une aliénation quelconque. Les partisans de ce système ne peuvent donc admettre d’autres pénalités que celles qui frappent le patrimoine ; et encore les amendes et les confiscations ne pourraient-elles être légitimement prononcées contre ceux qui n’auraient pas la capacité d’aliéner.

33. Une observation générale s’applique à toute doctrine qui fonde le droit de punir sur une convention, expresse ou tacite. Le contrat social n’est qu’une fiction contraire à la nature humaine. La Société ne repose pas sur une convention ; elle n’est point le résultat du choix de l’homme ; elle lui a été donnée comme moyen de développement et de secours. La sociabilité est une loi de la nature humaine, et l’existence sociale est l’état naturel de l’homme.

Si le contrat social n’est qu’un rêve, que deviennent les conventions spéciales que l’on voudrait y rattacher ? Sans doute, les citoyens peuvent, par un consentement mutuel, conférer l’exercice de la puissance souveraine à une personne ou à un corps, en régler la forme et en déterminer les limites. Mais ces conventions politiques ont pour objet l’organisation, et non pas l’existence même de la Société.

§ IV - Les théories qui considèrent le droit de punir
comme un élément naturel de la souveraine puissance.

34. La doctrine du contrat social, et des conventions qui s’y rattachent, est abandonnée par les philosophes et les publicistes de notre époque. On reconnaît généralement aujourd’hui que le droit de punir, loin de dériver d’une cession expresse ou tacite, est inhérent à la souveraineté, que c’est un élément naturel du pouvoir social.

Mais quel est le fondement de ce droit ? Les nombreuses théories que la solution de cette question a fait naître, peuvent se ranger sous trois chefs. Les unes sont exclusivement fondées sur un principe de justice; on les appelle théories absolues ou spiritualistes; elles émanent toutes de Kant et de son école. Les autres ont uniquement pour base l’utilité publique ou l’intérêt social; on les désigne sous la dénomination de théories relatives ou utilitaires ; elles sont défendues par la plupart des publicistes, principalement par Bentham et ses partisans. D’autres enfin reposent sur la combinaison de ces deux principes; nous les nommons théories mixtes. Le représentant le plus éminent de ces dernières est Rossi.

§ V - Les théories absolues

35. Les théories absolues ont pour fondement unique le principe d’expiation ; elles ne diffèrent entre elles que dans la forme. La justice veut que le bien soit récompensé par le bien, et que le mal soit expié par le mal. La peine est donc légitime, lorsqu’elle frappe le violateur de la loi morale, et qu’elle est proportionnée à l’infraction. La Société a le droit de punir, parce qu’elle a le devoir de maintenir l’ordre moral et de faire régner la justice.

La peine n’a aucun but d’utilité ; la Société l’inflige, non dans l’intérêt de sa conservation ou de son bien-être, mais pour réaliser le principe d’expiation ; le coupable est puni, non pour que lui-même ne commette plus de délit et que d’autres ne soient pas tentés de l’imiter, mais uniquement parce qu’il a mérité la souffrance qu’on lui fait subir. La mesure du châtiment est déterminée par la loi du talion. Toutefois, la peine ne doit pas être matériellement identique à l’offense ; il suffit qu’il existe une proportion exacte entre le mal qui retombe sur le coupable et le mal qu’il a fait.

36. La théorie de la vengeance, sur laquelle l’antiquité et le moyen âge ont fondé la légitimité de la peine, dérive également du principe d’expiation. Le mot vengeance a, en effet, une double signification.

Dans le sens subjectif, la vengeance est le mal que l’on rend à l’offenseur, pour avoir la satisfaction de le voir souffrir à son tour. La vengeance, prise dans cette acception, est condamnée par la morale.

Mais dans le sens objectif, la vengeance consiste à faire expier au coupable le mal qu’il a causé, par le mal qu’on lui inflige en retour. C’est dans ce sens que l’on parle de la vengeance divine et de la vindicte publique. La vengeance ainsi entendue n’est donc que l’application de la peine morale, l’accomplissement d’un acte de justice absolue ; celui qui accomplit cet acte ne se venge point, il venge le crime. Le droit de se venger, ou de venger un autre, n’existe point ; il n’appartient ni à l’homme privé, ni au corps social. Le droit de venger le crime, c’est-à-dire de le réparer par le mal infligé au coupable, ne peut non plus être attribué aux particuliers ; les théories absolues le réservent au pouvoir social. Ce droit, exercé par la Société, est la vindicte publique que l’on oppose à la vindicte privée, qui ne peut se concilier ni avec la morale, ni avec l’existence de la Société.

§ VI - Appréciation des théories absolues

37. Les théories absolues ou spiritualistes sont impuissantes à justifier le droit de punir exercé par l’État. Sans doute, le châtiment est intrinsèquement légitime, lorsqu’il est appliqué pour la violation d’un devoir, qu’il frappe le vrai coupable, et qu’il est proportionné à l’offense. Mais la Société n’est point chargée d’accomplir l’œuvre de l’expiation et de maintenir l’ordre moral dans ce monde ; sa mission se borne à garantir la liberté de tous par la protection des droits de chacun. La peine qu’elle inflige, doit donc être un moyen utile par ses effets et nécessaire à la conservation de l’ordre social.

Tout châtiment qui ne réunit pas ses conditions, fût-il commandé par la loi d’expiation, est injuste, non pas en lui-même, mais relativement à la Société, qui n’a pas le droit de l’appliquer. Ensuite, la justice sociale serait investie d’un pouvoir illimité, si elle était appelée à rendre à chacun le mal qu’il a mérité par sa faute. Dans ce système, en effet, l’État aurait le droit de réprimer toute violation de la loi morale, quand même elle ne troublerait point l’ordre public ; de rechercher et de punir tous les actes d’immoralité privée, et jusqu’aux égarements mêmes de la pensée. Ce serait l’inquisition et l’esclavage.

§ VII - Les théories relatives

38. Les théories relatives ou utilitaires ne reconnaissent d’autre règle que l’intérêt général. L’État a le droit de punir, parce qu’il a le droit de pourvoir à sa conservation, et que la peine est un moyen de protection efficace et nécessaire. Il importe peu de savoir si elle est juste en elle-même et indépendamment de l’effet qu’elle doit produire; elle se justifie par cela seul qu’elle est un besoin social.

39. Le but de la peine établie par la loi et appliquée par la justice répressive est le maintien de l’ordre social. Mais de quelle manière la peine protège-t-elle cet ordre ? Évidemment par les effets naturels qu’elle produit, soit comme menace légale, soit comme application d’un mal.

Au lieu de reconnaître que c’est l’ensemble de ces effets préventifs et réparateurs, qui rend la peine utile, et de laisser déployer à celle-ci son efficacité dans toute sa plénitude, chacune des théories relatives s’attache exclusivement à un effet spécial, et impose au législateur le devoir de le réaliser par le choix et la mesure des châtiments. De là cette grande variété des doctrines utilitaires, professées surtout en Allemagne et en Italie, variété qui concerne, non pas le fondement du droit de punir et le but final de la peine ; sur ces points on est généralement d’accord ; mais le but immédiat et direct de celle-ci, l’effet qu’elle doit spécialement produire pour être un moyen de protection sociale.

40. Les théories dont nous parlons, comprennent :

1°) Les théories de la prévention. La peine a pour but de prévenir les délits, d’empêcher la violation des droits d’autrui. Ces doctrines se divisent en deux classes.

Les unes ont en vue une prévention générale : le châtiment doit exercer un effet préventif sur les hommes en masse et les détourner des infractions aux lois. Telles sont les théories de la contrainte morale ou de l’intimidation soit par la menace légale, soit par l’exécution de la peine ; et la théorie de l’avertissement, qui est une intimidation adoucie.

Les autres n’admettent qu’une prévention spéciale. La peine est destinée à empêcher les délits que le délinquant qui est puni, serait tenté de commettre dans la suite, de prévenir les récidives, et la Société doit poursuivre ce but, d’après les uns, en s’appliquant à amender le coupable ; d’après les autres, en le réduisant â l’impuissance de nuire.

2°) Les théories de la réparation. Le but direct de la peine est le rétablissement de l’ordre social, troublé par le délit, la réparation du préjudice moral qu’il a porté à la Société par l’entraînement du mauvais exemple, par l’affaiblissement de l’autorité des lois et par l’alarme qu’il a répandue.

§ VIII - Appréciation générale des théories relatives

41. Les théories absolues détruisent la liberté des citoyens au profit d’un principe de justice, en imposant à la Société le devoir de réaliser ce principe dans toute son étendue ; elles n’ont pas de base sociale. Les théories relatives, au contraire, sacrifient l’idée du juste à la notion de l’utile, les règles du droit aux exigences de l’intérêt public ; elles n’ont pas de base morale. Ces dernières, sont donc aussi incapables de justifier le droit de répression exercé par l’État, que les premières.

42. Si la loi pénale n’a d’autre base rationnelle que la nécessité de pourvoir à la conservation de l’ordre social, qui n’est en réalité que l’ordre existant, cette loi peut légitimement frapper même des actions qui ne sont pas moralement répréhensibles, mais que le pouvoir a intérêt à réprimer.

Ensuite, si la peine ne doit pas être intrinsèquement juste, si sa légitimité repose uniquement sur la nécessité de la protection sociale, la question de culpabilité est indifférente ; peu importe que la peine retombe sur le coupable ou sur l’innocent, pourvu que celui-ci ait contre lui les apparences du crime ; car, dans l’un et l’autre cas, le châtiment produira les effets en vue desquels il est infligé. La justice répressive ne doit donc pas attacher trop d’importance aux droits des individus, lorsqu’il s’agit de protéger, par l’application d’une peine, la Société tout entière. Salus populi suprema lex est.

43. Ce n’est pas tout. Le législateur appelé à déterminer, pour chaque catégorie d’offenses, la mesure de la pénalité, et le juge chargé de graduer celle-ci dans chaque cas particulier, suivant les circonstances, ne doivent pas apprécier la gravité morale de l’action et le degré de culpabilité de l’auteur ; leur devoir leur commande de faire abstraction de ces éléments, pour n’avoir égard qu’au mal social de l’infraction, au dommage qu’elle a causé à la Société, au danger qui en résulte, à l’alarme qu’elle répand. La peine établie et appliquée sous l’empire exclusif de l’intérêt social, doit donc nécessairement blesser les principes de la justice distributive.

Enfin, pour être légitime, la punition n’a pas besoin d’être infligée en vertu d’un jugement rendu, en connaissance de cause, par un tribunal régulièrement constitué. Pourquoi, en effet, soumettre l’affaire à toutes les lenteurs d’une procédure dont la marche est tracée par la loi  Pourquoi garantir, par des formalités tutélaires, la libre défense des accusés ? Il ne s’agit pas du passé ; il faut songer à l’avenir. Que le patient soit plus ou moins coupable, et même qu’il ne le soit pas du tout, c’est indifférent ; il suffit qu’il ait ou qu’il paraisse avoir commis le crime, pour que la Société ait un intérêt, et partant le droit de lui infliger le châtiment destiné à prévenir des crimes de même nature et à rétablir la sécurité publique. Dans ce système, la justice répressive qui protège le plus efficacement la Société, est celle qui applique la peine sans forme de procès, après avoir constaté tout au plus l’identité de l’inculpé.

§ IX - Appréciation des diverses théories relatives

44. En choisissant, parmi les effets naturels que produit la sanction et l’application de la peine, un effet spécialement déterminé, et en chargeant le législateur de réaliser cet effet, à l’exclusion des autres, par le choix et la mesure des châtiments, les théories relatives conduisent fatalement à une répression marquée au coin d’une sévérité excessive.

45. Tel est le résultat inévitable de la théorie de l’intimidation, soit par la sanction, soit par l’application de la peine. En effet, l’homme qui a envie d’attenter aux droits de ses semblables met en balance les avantages du crime et le mal du châtiment. La loi doit donc établir des pénalités assez rigoureuses pour que la crainte qu’elles inspirent, l’emporte sur la tentation criminelle. Mais les causes qui excitent au mal sont plus ou moins puissantes, suivant les circonstances et suivant le caractère et les passions des individus ; le même crime n’a pas les mêmes attraits pour toutes les personnes, il offre des avantages plus considérables dans un cas que dans l’autre. Il ne reste donc au législateur, qui n’a pour guide que le principe d’intimidation, d’autre moyen d’atteindre son but, que de jeter dans la balance le poids de châtiments très sévères, pour la faire pencher, autant que possible, de son côté dans toutes les circonstances.

Quant à la doctrine d’après laquelle la Société doit prévenir les délits en avertissant les particuliers, par la loi pénale, que toute infraction à celle-ci emporte un châtiment, cette doctrine n’est qu’une des nombreuses variétés de la théorie d’intimidation ; car l’avertissement qui s’adresse à des malfaiteurs en intention, n’est en réalité qu’une menace.

46. En vain le législateur chercherait-il un principe réglant le choix et la mesure des peines dans les théories qui veulent empêcher, par le châtiment, les offenses que le coupable qui est puni, pourrait encore commettre dans la suite. En effet, si la justice répressive avait exclusivement pour mission d’amender les criminels, la peine ne pourrait être établie par une loi ; pour atteindre son but, elle devrait être choisie et mesurée, dans chaque cas particulier, d’après l’individualité du prévenu.

Cependant la nécessité de la loi pénale est généralement reconnue, même par des partisans du système d’amendement. Et quel doit être le châtiment destiné à mettre le condamné dans l’impuissance de commettre des infractions nouvelles ? La détention perpétuelle, quelque léger que soit le délit, et la peine de mort, s’il est à craindre que le coupable n’attente à la personne de son geôlier.

47. Enfin, le reproche de n’offrir aucun principe régulateur de la pénalité, s’adresse également aux systèmes qui placent le but exclusif de la répression dans la réparation du dommage causé à la Société par le délit. Quel degré de souffrance faut-il infliger aux infracteurs de la loi pour raffermir l’autorité de celle-ci, pour rassurer les citoyens alarmés et rétablir la sécurité publique ? Cette question ne trouvant aucun élément de solution dans les systèmes dont il s’agit, le législateur se voit forcé d’édicter des châtiments hors de proportion avec la culpabilité du délinquant, pour être sûr de ne pas manquer son but.

§ X - Les théories mixtes

48. Les théories que nous appelons mixtes, combinent la théorie de l’utilité avec celle de la justice distributive. Cette combinaison se présente sous deux formes.

En voici la première. La Société a le droit de punir, parce que ce droit est une condition de son existence ; la peine est juste, parce qu’elle est utile ; sa légitimité est tout entière dans l’intérêt social ; elle n’a pas besoin d’autre titre. Mais le principe de l’utilité, considéré comme fondement de la justice répressive, conduit forcément à l’exagération des pénalités, et l’expérience prouve que les châtiments qui ne sont pas en harmonie avec la moralité du fait manquent leur but. Le pouvoir social doit donc suivre les principes de la justice absolue dans le choix et la mesure des peines qu’il se propose d’appliquer. Ainsi, la légitimité intrinsèque du châtiment n’est qu’un moyen d’en assurer l’efficacité ; la peine doit être juste en elle-même, pour mieux atteindre le but qui lui est assigné. Cette doctrine n’est pas plus admissible que les théories purement relatives ; car, si celles-ci font complètement abstraction de la justice, la première la subordonne à l’intérêt. D’ailleurs, la nécessité de recourir à un principe qui lui est étranger, condamne cette théorie. Singulier système que celui qui ne peut suffire à lui-même, et qui est forcé d’invoquer d’autres principes pour repousser ses propres conséquences.

49. Suivant une autre théorie, le droit social de punir a besoin de s’appuyer à la fois sur la justice absolue et sur l’intérêt social. Ces deux principes doivent se prêter un mutuel secours; aucun d’eux ne peut exclusivement dominer le système de répression.

Pour être légitime, la peine, considérée comme menace légale et comme application d’un mal, doit être juste en elle-même et indépendamment de l’utilité qui peut en résulter. Mais la Société n’a le droit de recourir à la mesure extrême du châtiment, qu’à la condition qu’il soit un moyen efficace et nécessaire pour la protection de l’ordre social. Ainsi l’efficacité et la nécessité de la punition ne suffisent point pour la justifier. D’un autre côté, l’État n’est pas autorisé à l’infliger par cela seul qu’elle est commandée par le principe de justice qui veut que le mal soit expié par le mal.

L’idée du juste et l’idée de l’utile, le principe de l’expiation et le principe de l’intérêt public, constituent les deux éléments sur lesquels repose la légitimité de la peine sociale ; ces deux éléments, dont chacun doit exercer son influence sur la loi pénale et sur l’application de celle-ci, concourent pour former la base du droit de répression exercé par la Société.

Nous donnons la préférence à cette dernière théorie.

Signe de fin