LES EFFETS DE LA MORT
SUR LE MANDAT
(Gazette du Palais 1963 II Doct. 27)
I - Aux termes de l’article 2003 du Code civil : « le mandat finit, soit par la mort du mandant, soit par la mort du mandataire ». Ce principe est précisé par les articles 1991 § 2, 2008, 2009 et 2010 qui, dans le même temps, y apportent certains tempéraments nécessaires. Tes sont les seuls textes généraux qui régissent directement le contrat de mandat lorsqu’il est confronté à la mort.
Le principe général apparaît donc très net : les mandats en cours d’exécution prennent normalement fin lors de la mort de l’un des contractants ; les pouvoirs qu’il a fait naître disparaissent instantanément, les droits qui en sont issus sont automatiquement résolus.
Si une personne a donné procuration à une autre de signer un contrat, la mort de l’une des deux rend cette procuration caduque, le contrat ne pourra être valablement conclu.
De même, dans le cas où une société a chargé un professionnel de la représenter dans une certaine région, de s’y attacher une clientèle, d’organiser un service permanent, la mort de ce mandataire devra mettre fin au contrat. L’entreprise qu’il dirigeait sera anéantie.
Dans ces deux espèces, totalement différentes, une solution identique est généralement donnée. Si elle est justifiée dans la première, elle est difficilement admissible dans la seconde.
II - La raison de cette rigueur doit être recherchée dans les profondes transformations subies par le contrat de mandat au cours de son histoire. La souplesse de sa structure le rend en effet particulièrement propre à assurer le jeu de nouvelles institutions ou de nouveaux contrats en voie de formation (1).
En droit romain le contrat de mandat se présentait sous un aspect assez particulier qu’il a longtemps conservé. Il était- conclu entre particuliers, constituait normalement un service d’ami et n’avait qu’un objet relativement limité. L’intuitus personae particulièrement marqué que supposait sa conclusion en était l’un des éléments essentiels, il influait profondément sur son régime : ce contrat était gratuit, révocable ad nutum et intransmissible aux héritiers ; il prenait, par suite, automatiquement fin lors de la mort de l’un des contractants.
Sous l’influence des canonistes notre ancien droit vit le mandat évoluer vers la notion de représentation. Il fut alors considéré qu’il ne pouvait y avoir mandat que dans la mesure où il y avait représentation. Le principe de l’extinction du mandat sous l’effet de la mort de l’une des parties se trouvait par là même renforcé : l’intuitus personae interdisait la transmission du contrat aux héritiers, la notion de représentation empêchait que les pouvoirs issus du mandat puissent survivre au décès de l’un des contractants.
C’est ce double principe que traduit la règle de l’article 2003, règle cependant tempérée par les articles 2008 et suivants selon lesquels, sous certaines conditions, le pouvoir de représentation peut survivre de manière éphémère. De la sorte était ébauché un embryon de régime transitoire.
III - Si le Code civil a pu ainsi reproduire des principes déjà, anciens, c’est que le contrat de mandat se présentait encore sous sa forme ancienne. Il était toujours classé parmi les contrats de bienfaisance ; il ne concernait habituellement que des opérations économiques ou financières de faible importance.
Dès cette époque, cependant, il arrivait qu’un mandat fût confié à une société ou donné par une société. Il a alors été admis, et cette solution est depuis traditionnelle (2), que la dissolution de celle-ci doit être assimilée à la mort d’une personne physique, sous la réserve que la société se survit pour les besoins de sa liquidation et que, par suite, certains mandats peuvent, dans cette limite, se trouver prorogés (3).
Dans le même esprit, on notera que, en cas d’absence du mandant, le mandat reste exécutoire puisque les absents sont présumés vivants et que, dès lors, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient représentés (4). Il est généralement admis néanmoins que le mandat cesse lors de l’envoi en possession (5).
Mais, aux côtés de ce mandat classique, qui subsiste évidemment de nos jours, existait déjà un autre type de mandats : les mandats post mortem ; et sont apparues d’autres formes de mandats dont l’importance n’a fait que croître au cours des dernières décades.
IV - Les mandats post mortem, dont le trait caractéristique est de ne prendre effet que du jour de la mort du mandant, obéissent à un régime mal défini qui prête à de nombreuses discussions. Leur domaine de validité n’est pas clairement établi (6), l’étendue, des pouvoirs qu’ils confèrent est très controversée (7).
V - Plus intéressantes, à la fois en théorie et en pratique, apparaissent les nouvelles formes de mandats. Ces contrats sont conclus entre professionnels pour les besoins de leur profession, le mandataire faisant justement profession de cette qualité de mandataire (8). Bien plus, ces mandataires sont très généralement à la tête d’une véritable entreprise dont toute l’activité, ou la majeure partie de celle-ci, est attachée à l’exercice des mandats qui ont pu être confiés à leur dirigeant, mandats dont l’importance économique et financière est parfois considérable.
Du fait même qu’ils sont des professionnels, ces, mandataires se sont vu reconnaître une très grande liberté d’action. Sans doute demeurent-ils des représentants, mais ils sont des représentants jouissant d’un pouvoir propre. On ne saurait en être surpris, c’est là une tendance très générale dans le droit moderne (9). Le prête-nom et le commissionnaire, considère-t-on depuis longtemps, bénéficient même d’un mandat sans représentation. Par suite, la volonté du mandant ne peut plus être considérée comme l’unique soutien du mandat. D’intermédiaire passif, le mandataire a accédé au rang d’agent actif.
De cette évolution découle une seconde conséquence. Alors que le mandat classique était normalement conclu dans le seul intérêt du mandant, les mandats récents de caractère professionnel le sont habituellement dans l’intérêt commun des contractants, chacun ayant intérêt à ce que le mandat se poursuive et à ce que le mandataire passe les contrats qu’il a mission de conclure.
VI - De tels bouleversements n’ont pas été sans modifier profondément la nature même de certains contrats de mandat : il est devenu maintenant de plus en plus difficile de les distinguer des contrats proches (10), et, en particulier, du contrat de louage de services. Il n’est besoin que de consulter les tables du Bulletin de la Cour de cassation (Chambres civiles) pour en avoir la confirmation. Pour leur part les bénéficiaires de ces mandats s’efforcent d’obtenir un statut juridique, proche de celui dont bénéficient les professions libérales.
Cette évolution fait que les règles classiques s’avèrent très fréquemment inadaptées aux difficultés qui apparaissent de nos jours. Il est devenu difficile d’admettre que tout mandat puisse être révoqué ad nutum et doive disparaître à la mort de l’un des contractants. Il serait fâcheux d’appliquer sans réserves le principe selon lequel le pouvoir de représentation cesse instantanément, et selon lequel les droits issus du mandat ne peuvent être transmis aux héritiers.
VII - Sur le premier point, les règles légales permettent de pallier les inconvénients les plus graves qui pourraient découler d’une extinction trop brutale des pouvoirs du mandataire. L’évolution actuelle du mandat ne semble d’ailleurs pas imposer une prolongation dans le temps des pouvoirs du mandataire autre que celle prévue dans les textes.
En ce qui concerne les mandataires légaux tout d’abord, tel le tuteur, il est bien certain que leur mission se termine nécessairement avec la mort du représenté puisque ce décès a pour effet de mettre fin à l’institution même d’où découle le pouvoir de représentation. Du fait même qu’il perd sa qualité de tuteur, le repré-sentant perd celle de mandataire.
Pour ce qui est des mandats tacites, certains, comme celui qui est reconnu à la femme mariée, vont disparaître avec l’institution qui les a fait naître, en l’espèce le mariage. D’autres - par exemple celui que sont censés se donner les copropriétaires indivis - devront immédiatement prendre fin : la fragilité de leur base leur interdit de survivre, ne serait-ce que temporairement, à la mort de l’un des intéressés.
Enfin, pour de nombreux autres mandats donnant un pouvoir propre au mandataire, et en particulier pour les mandats professionnels, il apparaît insuffisant d’envisager une simple prolongation du pouvoir de représentation : c’est la transmissibilité des droits issus du mandat qui devrait être admise.
VIII - En effet, dans ces contrats, au pouvoir propre donné au mandataire professionnel se superpose le droit au mandat qui lui a été reconnu par certains textes et par la jurisprudence. Ce droit au mandat interdit la révocation ad nutum, qui est pourtant une conséquence nécessaire de l’intuitus personae présumé avoir été à l’origine du contrat. Mais surtout il se traduit par une valeur qui entre dans le patrimoine du mandataire, et même éventuellement dans la communauté conjugale (11). Se trouvant ainsi dans le patrimoine du mandataire et représentant la valeur d’un travail effectivement fourni, ce droit ne devrait-il pas équitablement être transmis à ses héritiers ?
Mais il ne s’agit pas seulement d’une question d’équité envers les héritiers. Le mandataire étant habituellement un chef d’entreprise, il est de l’intérêt des employés de sa maison - qui ont d’ailleurs contribué à l’exécution du mandat et à la constitution de la clientèle - de voir le mandat se poursuivre. Le mandat s’exerçant dans le cadre d’une entreprise ne peut être attaché trop étroitement à ]a personne de son chef, ce serait contraire aux tendances actuelles de notre droit positif.
On relèvera enfin que soumettre à un régime juridique archaïque un contrat en pleine évolution, duquel sortira peut-être un jour un nouveau type de contrat, conduirait à freiner cette évolution, ce qui est en soi condamnable dès lors que celle-ci est utile. Or elle l’est certainement en l’espèce puisqu’elle permet depuis plusieurs années un développement favorable de nombreux circuits économiques et financiers.
À vrai dire cependant la question de la transmissibilité du contrat de mandat n’est peut-être pas aussi inquiétante que l’on pourrait le craindre : la règle de l’article 2003 reposant sur une présomption de volonté des parties, il est permis à celles-ci de l’écarter si elles le désirent. Ce n’est donc qu’en cas de silence de la convention que pourra naître la difficulté.
Or, cette difficulté apparaîtra surtout relativement aux mandats professionnels pour lesquels justement il serait souhaitable que le principe de l’intransmissibilité soit écarté. Puisque ces mandats nous sont apparus très nettement différenciés des mandats classiques, c’est en fonction de cette opposition qu’il semble nécessaire d’examiner la question des effets de la mort sur le mandat.
I. — LES EFFETS DE LA MORT
SUR LE MANDAT CLASSIQUE
IX - Le mandat classique étant normalement soumis sans restrictions aux règles édictées par le Code civil, il en résulte nécessairement que le contrat ne peut, sauf volonté contraire des parties, être transmis aux héritiers du contractant prédécédé et que le pouvoir de représentation s’éteint par la mort de celles-ci, sous réserve des tempéraments prévus par la loi. La question de la survie éphémère du pouvoir de représentation au contrat ne peut se poser que si le contrat s’éteint, c’est donc celle de la transmissibilité du contrat de mandat qui doit être examinée en premier lieu.
A - Les effets de la mort sur le contrat de mandat
a) Principe
X - D’ordinaire, les liens d’amitié ou de confiance qui avaient été à l’origine du contrat n’existent pas obligatoirement entre les héritiers du défunt et le survivant, le contrat doit donc prendre fin par la mort de celui-là (12). Cette règle est applicable non seulement aux mandats avec représentation, mais encore aux mandats sans représentation tels que la déclaration de command et la convention de prête-nom (13). Le contrat de commission en revanche, lorsqu’il constitue un mandat professionnel, ce qui est le cas le plus fréquent, est soumis au même régime que ce type de mandats.
On notera que, lorsque plusieurs mandataires ont été désignés, la mort de l’un d’entre eux suffit à mettre fin au mandat dans le cas où ils pouvaient être considérés comme solidaires. Au contraire, s’ils pouvaient agir séparément, les autres mandataires pourront poursuivre l’exécution mandat (14).
D’autre part, quand le mandataire s’était, sans que son initiative ait été ratifiée par le mandant, substitué un second mandataire, les pouvoirs du substitué prennent fin par la mort du mandataire principal, puisqu’il n’était qu’un tiers au regard du mandant.
Dès lors que le contrat a cessé, le mandataire, ou ses héritiers, doit procéder à la reddition des comptes selon les règles du droit commun. Il a ainsi été jugé que, si le mandataire avait le droit, à titre d’indemnité, de retenir les fruits de la chose qu’il était chargé d’administrer,> il cesse d’en bénéficier à la mort du mandant (15). De même la Chambre criminelle a estimé que le détournement alors effectué de sommes ou d’objets au détriment de la succession devait être considéré comme un abus de confiance (16).
Cependant, la règle posée par l’article 2003 n’étant que supplétive, il appartient aux contractants d’en écarter l’application par une stipulation expresse (17). Il leur est, en effet, parfaitement possible d’engager leurs héritiers en stipulant au nom de ceux-ci et au leur (18). La seule volonté implicite des parties d’admettre la transmissibilité du contrat peut suffire à tenir ce principe en échec. C’est d’ailleurs, en fait, sur une telle présomption que la jurisprudence fonde les tempéraments qu’elle a admis.
b) Tempéraments
XI - Dans de nombreuses espèces les tribunaux ont en effet considéré que, quoique cela n’ait pas été expressément stipulé, le contrat devait être transmis aux héritiers.
Il en est ainsi tout d’abord, nous l’avons vu, pour les mandats post mortem ; mais il convient de souligner que, dans ce cas, ce n’est pas d’une véritable transmission qu’il s’agit puisque le mandat ne prend réellement corps que par l’effet de la mort du mandant.
Il en est ainsi, d’autre part, pour les mandats en cours dont la nature ou l’objet impliquent la transmissibilité. Tel est le cas en premier lieu de ceux qui constituent une libéralité indirecte faite au mandataire, ou, plus généralement, de ceux qui ont été conclus dans son seul intérêt (19).
Il est, par ailleurs, admis que le mandat est transmis aux héritiers quand il est accessoire à un contrat synallagmatique principal dont il constitue la garantie. Il a ainsi été jugé par la Cour d’appel de Douai, le 22 décembre 1848 (20), que le mandat donné par un locataire à son bailleur de faire vendre ses récoltes en cas de non-paiement à l’échéance du terme ne prend pas fin par la mort de ce débiteur. C’est ce qu’exprime de manière particulièrement nette un arrêt de la Cour de Limoges en date du 1er février 1935 (21) : Il est admis que le mandat prolonge son effet au-delà de la mort du mandant, si sa nature ou son objet l’implique, notamment s’il s’agit d’un mandat indivisible, lié à un autre que la mort du mandant laisse subsister.
De ces décisions doit être rapprochée une ancienne jurisprudence selon laquelle les mandats conclus dans l’intérêt commun du mandant et du mandataire survivent au décès du mandant (22). Mais il faut remarquer que, cette expression a un sens différent de celui qui est actuellement admis Ce qui est pris en considération c’est l’intérêt qui résulte de l’opération envisagée (23).
Dans le même sens il est traditionnellement considéré que les mandats passés dans l’intérêt commun du mandant et d’un tiers ne tombent pas à la suite du décès du mandant (24).
XII - Quoique cette jurisprudence semble au premier abord quelque peu diverse et empirique, elle présente une unité certaine. On peut en effet remarquer que, dans la quasi-totalité des espèces où la transmissibilité a été prononcée, le mandat considéré aurait été tenu pour irrévocable ad nutum (25). Il parait donc que ce sont les mêmes critères qui permettent de distinguer la transmissibilité et la révocabilité. Ainsi apparaît un lien étroit entre ces deux notions. Qu’il suffise, pour le moment, de souligner ce rapprochement.
En définitive, il faut bien constater qu’il est exceptionnel que le contrat de mandat ne soit pas résolu par la mort de l’une des parties. De ce fait on comprendra aisément que la question de la prolongation temporaire du pouvoir de représentation, puisqu’elle assure en quelque sorte un régime transitoire, présente une importance pratique considérable.
B — Les effets de la mort sur le pouvoir de représentation
XIII - Le pouvoir de représentation ayant été donné au mandataire avec les instructions nécessaires pour lui permettre d’accomplir une certaine mission, il est assez naturel que, sous certaines conditions, les actes faits postérieurement à la mort de son mandant par le mandataire soient validés. En revanche il ne peut être qu’exceptionnel que les héritiers da mandataire, tiers par rapport au contrat, soient tenus d’agir au nom du mandant.
a) Mort du mandataire
XIV - La mort du mandataire a normalement pour effet de mettre fin au pouvoir de représentation qu’il était seul à détenir. Cependant la loi a mis certaines obligations à la charger des héritiers de ce dernier en vue d’assurer la protection des intérêts du mandant.
La première est de donner avis au mandant de la mort ne son mandataire afin de lui permettre de prendre toutes mesures utiles ; elle découle de l’article 2010.
La seconde, subsidiaire, est de pourvoir à ce que les circonstances exigent pour l’intérêt du mandant, à moins que cette charge ne soit trop lourde ; auquel cas on admet communément qu’il leur est loisible de demander la nomination d’un séquestre judiciaire (26).
Mais cette seconde obligation, qui a pour effet de conférer certains pouvoirs aux héritiers, soulève un délicat problème. Si chacun s’entend pour reconnaître à ces dernier tous les pouvoirs et toutes les prérogatives des mandataires, il y a controverse sur le point de savoir en quelle qualité ils agissent. Il est en effet assez délicat de leur reconnaître le rang de mandataires puisqu’ils n’ont que des pouvoirs restreints et éphémères, pouvoirs qui ne leur ont d’ailleurs pas été donnés par le mandant. Mais il serait, d’autre part, inéquitable de les tenir pour de simples gérants d’affaires, car, alors ils risqueraient de ne pas pouvoir obtenir le remboursement intégral des frais qu’ils ont pu devoir avancer.
En réalité, il semble que l’on puisse considérer que l’obligation qui leur est faite de gérer a une source légale et qu’ils agissent ainsi, en vertu de la loi, au lieu et place de leur auteur. Par suite, dans la mesure où ils exercent les pouvoirs qui incombaient à celui-ci, ils doivent être considérés comme des mandataires. Mais, s’ils dépassaient ces pouvoirs, ils ne pourraient plus être tenus que pour des gérants d’affaires (27).
b) Mort du mandant
XV - La mort du mandant n’a pas des conséquences aussi brutales que celles du mandataire : cela est dû au fait qu’il n’avait qu’un rôle passif.
On retrouve naturellement ici le même tempérament que dans le cas précédent : le représentant doit poursuivre sa mission si son inaction risque d’être préjudiciable aux intérêts des héritiers du mandant (art. 1991, § 2, C.civ.).
XVI - Mais l’article 2008 édicte une seconde exception dont l’importance pratique est plus considérable. Il y est prévu que les pouvoirs du mandataire ne prennent effectivement fin que du jour où ce dernier a eu connaissance de la mort de son mandant et non du jour où le décès est réellement survenu. En conséquence, tant que le mandataire ignore la mort de son cocontractant, il peut valablement exercer ses pouvoirs, étant unanimement admis qu’il n’est pas besoin d’une notification pour porter cet événement à sa connaissance.
Quant à l’étendue des pouvoirs reconnus au mandataire, la jurisprudence s’est montrée très large dans l’application qu’elle a faite de ce texte. Elle admet qu’il peut effectuer, sans la moindre restriction, tous les actes qui entraient dans les pouvoirs qui lui ont été conférés. Il peut par exemple passer des baux (28), faire opérer une saisie-arrêt (29), ou agir en justice (30).
En revanche, elle semble faire preuve de plus de sévérité à l’égard du mandataire pour ce qui a trait à la preuve de l’ignorance de la mort du mandant. L’article 2008 n’est, en effet, pas aussi clair sur ce point qu’on pourrait le souhaiter : Si le mandataire ignore la mort du mandant, ce qu’il a fait dans cette ignorance est valide.
Une jurisprudence ancienne imposait au mandataire de rapporter, de manière non équivoque, la preuve de son ignorance (31). Un arrêt de la Chambre des requêtes avait cependant admis que, dans le cas où le mandant meurt le jour même de la signature d’un acte en son nom, c’est à celui qui invoque la nullité de l’acte qu’il incombe de rapporter la preuve de l’antériorité de la mort (32).
Mais, par son arrêt précité du 16 novembre 1954, la Cour de cassation a paru vouloir abandonner de son ancienne rigueur. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris (33) qui lui avait été déféré avait estimé que : Le tiers acquéreur n’apportant pas la preuve que (le mandataire) ait connu le décès de son mandant durant la période de première instance et d’appel (les héritiers du mandant) doivent être admis à prouver par simple présomption le fait de l’ignorance où s’est trouvée (le mandataire) pendant la même période.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour suprême n’a pas repris des motifs aussi révolutionnaires qui conduisent à renverser la charge de la preuve, elle a seulement retenu que : En faisant état de telles présomptions, graves, précises et concordantes, les juges d’appel ont fait usage de leur pouvoir souverain d’appréciation et ont pu retenir dans la cause l’ignorance du mandataire.
Cet arrêt n’a peut-être pas la portée que l’on avait pu craindre lors de sa publication. On remarquera tout d’abord qu’il ne s’agit que d’un arrêt de rejet, rendu au demeurant dans des circonstances de faits assez particulières. On notera, en outre, qu’il prend soin de préciser que, s’il se refuse à casser la décision déférée, c’est parce qu’elle satisfait à un souci sérieux de vérité.
D’ailleurs, par un arrêt de cassation, en date du 17 mars 1961, la Cour de cassation a clairement énoncé que, s’il est possible de permettre au mandataire d’apporter la preuve de son ignorance par voie de présomptions, encore faut-il que celles-ci soient extrêmement sérieuses (34).
Il semble donc ressortir de ces deux décisions que la jurisprudence, tout en faisant preuve d’un plus grand libéralisme, s’en tient au principe selon lequel c’est au mandataire qu’il incombe de prouver son ignorance.
XVII - Que penser de ce dernier état de la jurisprudence ? En faveur de la conception stricte, imposant la charge de la preuve au mandataire, on peut faire valoir que le pouvoir de représentation aurait dû être éteint par la mort du mandant et que, en conséquence, on ne doit admettre qu’avec beaucoup de prudence qu’il ait pu survivre à la volonté de celui qui l’avait consenti. Exorbitante du droit commun, cette survie ne devrait être admise qu’avec circonspection.
À l’appui de la thèse contraire on fait remarquer que c’est en fait la bonne foi du mandataire qui constitue le fondement de cette règle. Le seul fait pour le mandataire de croire qu’il conserve ses pouvoirs a pour effet de les lui conférer. Dès lors, la bonne foi devant se présumer, il appartiendrait au demandeur de faire la preuve de la mauvaise foi du mandataire pour obtenir l’annulation des actes passés par ce dernier (35).
On a, en outre, fait valoir en ce sens que l’article 2008 ne constituerait pas tant une exception à l’article 2003 qu’un retour au principe posé par l’article 1122 du Code civil, selon lequel les droits et actions sont normalement transmis aux héritiers. Mais cet argument va trop loin, il dépasse le but qu’il veut atteindre : il revient, en effet, à dire qu’il y a non seulement survie temporaire du mandat, mais encore transfert du contrat aux héritiers du mandant, ce qui, nous l’avons vu, est en principe inadmissible.
En réalité, on peut penser que la Cour de cassation est parfaitement fondée à rechercher une voie moyenne entre ces deux solutions extrêmes : il est tout aussi abusif de présumer la connaissance que de supposer l’ignorance dans ce cas. On assiste là à un heurt de deux présomptions antéjudiciaires dont aucune ne semble pouvoir prévaloir sur l’autre. Si l’article 2008 semble bien impliquer que la charge de la preuve incombe au mandataire, il semble néanmoins équitable de n’exiger de celui-ci que les preuves qu’il est en mesure d’apporter, à savoir celles qui sont tirées des circonstances de l’espèce. Or cela revient à laisser au juge du fait tout pouvoir d’appréciation, et la faculté de se référer à des présomptions simples telles que le temps qui s’est écoulé entre la mort du mandant et la conclusion des actes litigieux, l’urgence qu’il y avait à agir ou l’éloignement de l’une des parties.
Peut-être, d’ailleurs, pourrait-on apprécier avec moins de sévérité les présomptions avancées par le mandataire, dans le cas où il est attaqué par les héritiers du mandant, que dans celui où il l’est par un tiers. Il pourra, en effet, très généralement être reproché une certaine négligence aux premiers.
XVIII - En ce qui concerne les tiers, l’article 2009 précise que les engagements pris par le mandataire après la mort du mandant doivent être exécutés à leur égard s’ils étaient de bonne foi. Ce n’est là qu’une application particulière de la théorie de l’apparence, celui qui traite de bonne foi avec un mandataire apparent ne peut se voir opposer l’extinction du mandat (36).
La combinaison des articles 2008 et 2009 permet donc, dans une certaine mesure, d’assurer la sécurité des tiers dans les relations juridiques fondées sur des mandats. Mais l’intervention de la notion d’apparence ne peut suffire à donner toute assurance. Cette solution extérieure, sorte de deus ex machina, ne peut constituer qu’un pis aller, sans doute suffisant dans des cas exceptionnels, mais certainement peu satisfaisant dès lors que la situation à laquelle elle apporte son appui devient courante.
De plus, en admettant même qu’elle puisse assurer une sécurité convenable et le respect des intérêts des tiers et du mandant, elle ne répond pas au principe d’équité le plus élémentaire qui voudrait que les héritiers du mandataire puissent bénéficier du fruit du travail accompli par celui-ci.
Tant sur le plan de la sécurité que sur celui de l’équité, il apparaît donc que les principes admis en ce qui concerne les mandats classiques ne semblent pas pouvoir être applicables aux mandats professionnels.
II. — LES EFFETS DE LA MORT
SUR LE MANDAT PROFESSIONNEL
XIX - Ainsi qu’il a déjà été relevé, dans les mandats professionnels le mandataire se voit reconnaître de plus en plus expressément un véritable droit au mandat. Dans les mandats conclus entre simples particuliers l’extinction du mandat enlève une charge au mandataire, dans ceux-ci au contraire elle lui cause un préjudice. C’est la raison pour laquelle il est maintenant acquis que ces mandats ne peuvent être révoqués ad nutum (37). Le représentant écarté sans motif légitime peut prétendre à l’octroi d’une indemnité de rupture.
Le mandant, pour sa part s’est vu accorder des droits nouveaux. Le mandataire auquel il s’adresse ayant des pouvoirs très étendus et une puissance économique parfois considérable, il lui a été reconnu la possibilité, pour éviter que son représentant n’agisse à l’encontre de ses intérêts, d’intenter l’action en concurrence déloyale.
Il semble difficilement admissible que de tels droits puissent disparaître du seul fait de la mort du mandataire (l’hypothèse de la mort du mandant étant provisoirement écartée puisqu’en pratique seules des sociétés ont ce rôle) pour la seule raison que les contractants auront omis de stipuler la transmissibilité du mandat. Ce décès ne devrait pas avoir pour effet de porter préjudice, soit aux droits des héritiers du mandataire, soit à ceux du mandant.
A - Les effets de la mort sur les droits du mandataire
dans le mandat professionnel
XX - Les mandats professionnels sont en principe des mandats d’intérêt commun, dans le sens qui est actuellement donné à cette formule. La Cour de cassation l’a expressément reconnu dans le cas où ces mandats sont commerciaux, mais rien ne permet d’écarter cette analyse pour les mandats professionnels non-commerciaux.
Lorsque l’on dit que le mandataire bénéficie d’un droit au mandat, cela ne signifie évidemment pas qu’il ne peut se voir retirer le mandat qui lui a été confié ; cela signifie seulement que, s’il est révoqué avec motif légitime, il peut demander que lui soit versée une indemnité égale à la valeur de sa carte de clientèle, ou tout au moins à la valeur de la clientèle qu’il a lui-même constituée, et que, s’il est révoqué sans motif légitime, il lui est dû en outre des dommages-intérêts.
Ce droit au mandat se manifeste donc essentiellement par la valeur qui entre dans le patrimoine du mandataire. La question qui se pose est par suite essentiellement celle de savoir si, à la mort de celui-ci, la valeur de ce droit va purement et simplement disparaître ou être transmise à ses héritiers.
La Cour d’appel d’Amiens, saisie sur renvoi par la Cour de cassation dans l’affaire Lambert c. Netter, tout en énonçant le problème de la manière la plus claire, ne lui a pas donné une réponse théorique (38). Dans le silence du Code civil et de la jurisprudence, les textes spéciaux relatifs à certaines catégories de mandataires peuvent à cet égard donner d’utiles indications.
a) Les textes spéciaux
XXI - En vertu d’une ancienne jurisprudence, il a été longtemps admis que les héritiers des agents commerciaux ne pouvaient prétendre à une indemnité lors du décès de leur auteur (39). La doctrine approuvait généralement cette solution en invoquant la règle de l’article 2003 (40). Par réaction, l’article 38 de l’arrêté du 5 novembre 1946 autorisa le mandataire, et ses héritiers, à céder sa carte à un tiers, le mandant conservant néanmoins un droit de préemption. Mais cette nouvelle orientation conduisait à reconnaître aux agents commerciaux la propriété de leur carie, ce qui les faisait bénéficier d’un régime nettement plus favorable que celui auquel sont soumis les V.R.P.
C’est pourquoi un décret du 23 décembre 1958, tout en reconnaissant expressément au mandat d’agent commercial le caractère de mandat d’intérêt commun, ne contient pas de dispositions spéciales relatives aux conséquences de la mort du mandataire. Là encore le problème est donc seulement posé (41).
XXII - En revanche, les décrets du 10 mars 1949 et du 28 décembre 1950 approuvant, le premier le statut des agents généraux d’assurance incendie, accidents et risques divers et, le second celui des agents généraux d’assurance-vie, fournissent des indications précieuses.
L’article 20 du premier de ces textes reconnaît à l’agent qui cesse ses fonctions, et à ses ayants cause, le droit : 1° de présenter un successeur dans un délai de deux mois ; 2° de demander une indemnité compensatrice des droits de créance qu’il abandonne sur les commissions afférentes au portefeuille de l’agence générale d’assurance dont il est titulaire. En cas de refus d’agrément du successeur la société doit à l’agent ou à ses héritiers cette même indemnité.
De plus, il est prévu, dans l’article 21, que, en cas de décès du mandataire, son conjoint ou ses parents en ligne directe ont, s’ils en manifestent le désir, une priorité pour lui succéder dans ses fonctions d’agent général, si du moins ils justifient de titres ou d’une compétence professionnelle équivalente à ceux des candidats éventuels. L’article 22 sanctionne ce droit en précisant que, en cas de refus d’agrément injustifié, la société doit une indemnité semblable à celle qui aurait été due en cas de révocation.
Plus qu’un droit à la valeur de la clientèle, ces dispositions reconnaissent donc aux héritiers du mandataire un véritable droit au mandat lui-même. C’est une transmission du contrat de mandat qui est par suite admise. On doit se demander si cette solution peut être généralisée.
b) Généralisation
XXIII - Pour que cette solution puisse être étendue à tous les mandats professionnelsil est nécessaire qu’elle réponde à la nature propre du mandat d’intérêt commun qui nous est apparu comme une espèce tout à fait particulière de mandat.
On rappellera tout d’abord que, dans ces mandats professionnels, le représentant fait profession de mandataire et qu’il est habituellement à la tête d’une entreprise. Loin d’être un service d’ami ce mandat est un contrat passé entre entreprises complémentaires.
Dans un tel contrat, il est bien évident que l’intuitus personae, qui a rang d’élément constitutif dans le mandat classique, perd de son importance. Ce n’est pas tant la personnalité du chef de l’entreprise mandataire qui est pris en con- sidération par le mandant que le lieu où se trouve l’agence, l’organisation de celle-ci et son importance tant économique que financière. Pour reprendre un terme courant, l’agence est choisie en fonction de sa « surface ». De son côté, l’agent n’accepte de contracter que si son éventuel mandant est une société économiquement prospère et que si des propositions intéressantes lui sont faites.
S’il existe toujours un intuitus personae dans les mandats professionnels, il ne peut être autre que celui que l’on rencontre à l’origine de tout contrat. Il ne peut avoir une place prépondérante, il est accessoire et ne peut plus produire que des effets secondaires. Par ce fait même, le régime juridique de ces mandats devrait être modifié, il ne devrait plus être influencé par une présomption dont le mal fondé serait certain. Un retour au droit commun s’impose. Tous les effets ressortissant de la présomption d’intuitus personae devraient être écartés, à savoir la gratuité, la révocabilité ad nutum et l’intransmissibilité.
Une première conséquence de cette évolution a été tirée depuis longtemps par la doctrine et la jurisprudence : ces contrats sont désormais réputés salariés et non gratuits.
Une deuxième conséquence a été consacrée récemment par les tribunaux qui admettent maintenant que les mandats d’intérêt commun ne sont pas révocables ad nutum.
Pourquoi, dans ces conditions, n’admettrait-on pas la troisième conséquence ; à savoir la transmissibilité à cause de mort des mandats d’intérêt commun ?
XXIV - Le principe posé par l’article 2003 ne fait, en effet, nullement obstacle à sa consécration, puisqu’il n’est que supplétif de la volonté des parties.
De même que la jurisprudence a écarté pour ces contrats l’application de l’article 2004, qui prévoit la révocabilité ad nutum, au profit de l’article 1134 qui n’autorise que la révocation par consentement mutuel ou judiciaire, de même, il semblerait possible de passer outre à l’article 2003 et de faire appel à l’article 1122 aux termes duquel on est censé avoir stipulé pour soi et ses héritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention.
L’article 2004 a été écarté parce qu’il ne constitue qu’une exception fondée sur une présomption d’intuitus personae dans ces mandats, à la règle de l’article 1134 et que cette exception n’est pas justifiée dans les mandats d’intérêt commun.
Le même raisonnement doit conduire au rejet de l’article 2003. Il est en effet de principe, en droit français, que les droits d’une personne sont automatiquement transférés à ses héritiers lors de son décès. Il n’en est autrement que si les conventions qui les ont fait naître ont été conclues intuitus personae. L’article 2003 n’apparaît donc que comme une application particulière d’un principe général auquel il convient de se référer en cas de difficulté d’application (42).
Or, en l’espèce, si nous sommes bien en présence d’un contrat, de mandat, c’est d’un mandat particulier qu’il s’agit; d’un mandat sans intuitus personae. L’article 2003 ne saurait lui être appliqué, l’article 1122 en revanche doit retrouver toute sa valeur. Il en résulte que les mandats professionnels doivent être tenus pour transmissibles aux héritiers des contractants.
En conséquence, dès lors qu’il est établi qu’un mandat est d’intérêt commun il doit être présumé transmis aux héritiers et c’est à celui qui invoque son extinction qu’il appartient de prouver qu’il avait été conclu intuitu personae. Cette solution apparaît comme une conséquence nécessaire de la jurisprudence relative à révocabilité de ce type de mandat. Le motif qui a conduit les tribunaux à écarter l’application de l’article 2004 doit les amener à rejeter l’article 2003 § 3.
XXV - Ainsi rejoint-on la règle admise pour les agents d’assurance, tout au moins dans sa conception générale. L’héritier d’un mandataire professionnel doit pouvoir, soit à son tour prendre la direction de l’agence, soit la céder à un tiers.
C’est d’ailleurs bien dans ce sens que semble s’orienter la jurisprudence. Ainsi la Cour d’Amiens dans l’arrêt précité (note 38), tout en écartant le problème théorique, a tranché de la sorte. Elle a considéré que le mandat avait été confié non au mandataire lui-même, mais à sa maison et que, en conséquence, il avait été transmis à ses héritiers qui travaillaient à ses côtés (43). C’était bien reconnaître que ce contrat était conclu sans intuitus personae.
Mais cette espèce montre que la transmissibilité du mandat ne peut être admise sans limites. Si elle assure la protection des intérêts des héritiers du mandataire, elle risque de porter une grave atteinte à ceux du mandant. L’arrêt a pris soin, pour justifier la solution qu’il retenait, de préciser que les héritiers avaient travaillé dans l’entreprise. Y eussent-ils été étrangers, la décision eût pu être différente, les droits du mandant retrouvant leur empire.
B - Les effets de la mort sur les droits du mandant
dans le mandat professionnel
XXVI - Les mandats professionnels se caractérisent par un affaiblissement des liens personnels et un accroissement des rapports juridiques ; parallèlement et parfois réciproquement au renforcement des droits du mandataire, des droits nouveaux ont été reconnus au mandant. Ces droits apparaissent tant pendant l’exécution du mandat, où il peut révoquer son mandataire ou refuser le successeur qui lui est proposé, qu’après son extinction puisqu’il a alors, si besoin est, la faculté d’exercer contre son ancien représentant l’action en concurrence déloyale. De même que les droits du mandataire ne sont pas affectés par sa mort, de même ceux du mandat doivent alors continuer à produire effet.
a) Les droits du mandant pendant la durée du mandat
XXVII - En ce qui concerne les droits dont bénéficie le mandant pendant la durée du mandat, et qui demeurent évidemment valables dès lors que le contrat de mandat est effectivement passé à un nouveau mandataire, il convient de se demander dans quelle mesure ils vont empêcher, ou tout au moins limiter, la transmission. On ne peut, en effet, admettre que le mandant se voit imposer un représentant inapte à accomplir une mission nécessairement délicate, puisqu’elle ne peut l’être que par un professionnel aux connaissances parfois considérables.
Si l’héritier ne désire pas prendre la direction de l’agence, il demandera au mandant de lui verser la valeur de la carte de clientèle. Aucune difficulté autre que l’évaluation ne peut alors naître.
En revanche, s’il demande à céder cette carte à un tiers, il est nécessaire de reconnaître à la société le droit de refuser son accord. Ce tiers n’ayant aucun droit à faire valoir, le refus d’agrément ne peut être fautif. Mais alors il semble que la société soit tenue de verser l’indemnité de clientèle. Le droit de refus d’agrément doit, en effet, être tempéré par une obligation de préemption, sans lequel le droit des héritiers deviendrait théorique.
Enfin, si l’héritier brigue la succession du défunt, il lui suffit d’accepter la succession pour devenir à son tour titulaire de la fonction de mandataire. Mais le mandant ne se trouve pas pour autant privé de tout recours ; les règles relatives à la révocation du mandat lui permettent alors d’agir. Lorsque l’héritier n’a pas les capacités requises — de connaissances techniques ou d’expérience — il lui est possible de le révoquer sans commettre de faute, et il ne lui doit que la valeur de la carte de clientèle. En revanche, s’il a les titres indispensables, il ne peut le révoquer sans faute, et il doit lui verser, outre cette indemnité, des dommages-intérêts.
Telle est d’ailleurs, dans son esprit, comme il a déjà été indiqué, la solution applicable pour les agents d’assurance. Elle est conforme aux tendances actuelles du droit successoral selon lesquelles l’héritier qui a participé à l’activité du défunt bénéficie d’une priorité pour lui succéder. En la matière, en effet, ce sera lorsque l’héritier aura occupé un poste important dans l’agence qu’il bénéficiera pleinement de son droit et que le mandant ne pourra le révoquer ad nutum.
Mais cette protection des intérêts du mandant serait incomplète si elle prenait fin lors de l’extinction du mandat. La cessation des rapports juridiques ne met pas en effet le mandant à l’abri de toute action nuisible à son activité.
b) Les droits du mandant après l’extinction du mandat
XXVIII - Si le mandant a besoin d’être protégé après l’extinction du mandat, c’est que l’ancien mandataire, en raison des grands pouvoirs qui lui ont été confiés, du rôle qu’il a joué et des renseignements qu’il a obtenus, peut, à la fin de sa mission, utiliser ces avantages pour tenter d’en tirer un profit injustifié. Il lui a en conséquence été reconnu le droit d’agir contre ce dernier par la voie de l’action en concurrence déloyale quand bien même le contrat n’aurait pas prévu d’obligations postérieures au mandat à la charge du mandataire. On s’est demandé si cette possibilité lui était ouverte dans le cas où le successeur a renoncé à exercer le mandat.
La question s’est posée relativement aux agents d’assurance. Le fils d’un agent, qui avait accepté purement et simplement la succession mais qui avait refusé à la fois de poursuivre le mandant de son père et l’indemnité de clientèle, s’était efforcé, étant lui-même agent d’assurance, mais mandataire d’une autre société, d’inciter les clients de son père à souscrire de nouveaux contrats auprès de la société qu’il représentait. Pour faire obstacle à l’action en concurrence déloyale intentée contre lui par la société lésée, il invoquait que le contrat de mandat, conclu intuitu personae, se serait éteint à la mort de son père et que, n’ayant pas accepté l’indemnité de clientèle, il aurait été délié de toute obligation à l’égard du mandant.
Mais la Cour d’appel de Montpellier, le 9 octobre 1962 (44), a rejeté ces conclusions. Elle a relevé que le contrat ne pouvait, en raison des dispositions du statut précédemment exposé, être considéré comme s’éteignant lors du décès du mandataire et que ses effets devaient se prolonger dans la personne des héritiers. Dès lors que ceux-ci ont accepté la succession, ils sont tenus des mêmes obligations que leur auteur (45), et ce sans qu’il soit besoin de rechercher s’ils ont ou non accepté les droits qu’ils pouvaient invoquer.
Cette solution, qui est la conséquence nécessaire des principes devant régir les mandats professionnels, paraît, par là même, justifiée. Elle devrait, en conséquence, être étendue à l’ensemble de ces mandats qui, présentant les mêmes caractéristiques, ne peuvent qu’être soumis à un régime identique.
Mais alors on doit remarquer que ces mandats diffèrent des mandats classiques beaucoup plus profondément que l’on avait pu le penser lors de leur apparition. Ne reposant pas sur des liens personnels, n’impliquant pas nécessairement un pouvoir de représentation ou ne le comportant qu’à titre accessoire, étant soumis en outre à un régime propre, ils semblent devoir être considérés plus comme un nouveau type de contrats que comme une simple branche de la famille des mandats.
Jean-Paul Doucet
NOTES :
(01) Sur ce point : cf. Giverdon « L’évolution du contrat de mandat » (thèse 1947).
(02) Notamment : Cass. req. 26 décembre 1891 (D. 1892 1 411 ; Cons. d’Etat 16 juin 1909, D.P. 1911 3 48).
(03) R. Savatier, in Planiol et Ripert « Traité pratique de droit civil français » T. XI, 2e éd., p. 941, n° 1494.
(04) Cf. Laurent, T. 28, n° 237 ; Paris 25 novembre 1811, Bruxelles 27 mai 1830 (Pas. belge 1830 II.141).
(05) Huc « Commentaire du Code civil » 1892-1903, T. XII, n° 135.
(06) R. Savatier, op. cit. - La Chambre des requêtes a admis cependant la validité de principe de ces mandats : Cass. Req. 30 avril 1862 (S. 1867 1 329).
(07) Par exemple, en ce qui concerne le droit de regard des héritiers : Paris 1er décembre 1876 (D. 1878 2 73).
(08) Cf. Giverdon, op. cit., p. 111.
(09) Le professeur Giverdon oppose d’ailleurs les mandats comportant un « pouvoir propre » à ceux qui ne confèrent qu’un « pouvoir donné ».
(10) Par exemple, le contrat intitulé « vente avec exclusivité » passé entre un constructeur de véhicules automobiles et un concessionnaire comporte un ensemble de clauses et de conditions « qui en fait en grande partie un mandat » d’intérêt commun (Paris 12 novembre 1962, Journ. spéc. soc. 13 avril 1963, n° 45).
(11) Sur l’ensemble de la question : P. Julien, « Les clientèles civiles » (Rev. trim. dr. civ. 1963, p. 213). Pour les sous-agents d’assurance : Cass. 1e civ. 9 oct. 1962 (D. 1962 724).
(12) Paris 4 décembre 1946 (Gaz. Pal. 1947 I 110).
(13) Aubry et Rau, T. VI, p. 204, n° 410 ; Cass. civ. 9 février 1848 (D. P. 1948.1.97).
(15) Cass. civ. 29 décembre 1852 (S. 1853 1 91).
(16) Cass. crim. 25 février 1937 (D.P. 1937 1 239).
(17) Cass. com. 28 avril 1952 (Bull. civ. 1952 II 129) ; Cass. civ. 1e civ. 17 janvier 1962 (Bull. civ. 1962 I 40) ; Paris 10 mars 1938 (D. hebd. 1938 247).
(18) Cass. Req. 18 décembre 1911 (D. 1913 1 185, note Lalou).
(19) Cass. Req. 22 mai 1860 (D. P. 1860 1 448).
(20) S. 1850 2 101 - D. P. 1851 5 352.
(22) Cass. Req. 16 mai 1882 (D. P. 1883 1 175).
(23) Sur l’évolution de la notion de mandat d’intérêt commun, cf, note Vidal sous Cass. com. 26 février 1958 (D. 1958 541).
(24) En ce sens : Limoges 1er février 1935, précité.
(25) Sur la révocabilité ad nutum, cf. Sallé de La Marnière, « Le mandat irrévocable » (Rev. trim. dr. civ. 1937, p. 241).
(26) En ce sens : R. Savatier, op .cit.
(27) En ce sens : De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge » T. V. n° 459.
(28) Paris 22 décembre 1955 (D. 1956 295).
(29) Rouen 19 janvier 1853 (D. 1854 II 255).
(30) Cass. 1e civ. 16 novembre 1954 (J.C.P. 1955 II 8616, note Giverdon) et observations Carbonnier (Rev. trim. dr civ. 1955 p.522, n° 6).
(31) Cass. civ. 29 avril 1845 (D. 1845 1 222) ; Cass. civ. 25 avril 1864 (D. 1864 I 182).
(32) Cass. Req. 30 novembre 1925 (D. hebd. 1926 54).
(33) Paris 11 avril 1951 (Gaz. Pal. 1951 I 320).
(34) Cass. 2e civ. 17 mars 1961 (Bull. cass. II 233 168).
(35) En ce sens : Baudry-Lacantinerie, « Traité de droit civil » T. XXIV, n° 496 et 861.
(36) H. L. et J. Mazeaud, « « Leçons de droit civil » T.. III, p. 1165, n° 1424.
(37) Cass. com. 10 novembre 1959 (Gaz. Pal. 1960 I 77).
(38) Amiens 15 décembre 1960 (Gaz. Pal. 1961 I 198).
(39) P. ex. : Cass. soc. 15 juin 1944 (D. 1945 58).
(40) G. Ripert (D. hebd. 1939 1).
(41) Sur ce point cf. : J. Hémard (Rev.trim.dr.com. 1959, p. 573).
(42) Cf. : H. L. J. Mazeaud, op. cit., T. II, n° 739.
(43) En pratique, d’ailleurs, le plus souvent les contrats de mandats professionnels prévoient expressément la transmissibilité.
(45) Dans le même sens : Amiens 11 octobre 1960 (Rev. gén. assur. terr. 1961 36).