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LA LOI APPLICABLE À l'ACTION CIVILE

(Article écrit pour les " Mélanges offerts à Georges Levasseur ")
( Édition Gazette du Palais - Litec p. 89 )

 

1. - L’année où je devins son assistant, M. le professeur Levasseur rédigeait le cours éphémère de Droit pénal général complémentaire  (1). Enchaîné par un programme universitaire inepte, il n’en parvint pas moins à bâtir un enseignement scientifiquement remarquable. On en retenait d’abord qu’en rapprochant les difficultés proches soulevées par une matière donnée on peut, non seulement affiner leur analyse et leur trouver des solutions heureuses, mais encore atteindre le cœur même de cette matière.

J’y pensais justement, en effleurant la question de savoir quelle loi est applicable dans l’espace et dans le temps à l’action civile (2), le jour où j’ai reçu la lettre de M. Bonnard m’indiquant qu’il était parvenu à mettre sur pied les « Mélanges Levasseur » que ses amis et ses anciens élèves souhaitaient tant lui offrir. Aussi n’ai-je pas hésité, quoiqu’il débordât quelque peu le thème général proposé, à retenir ce sujet dicté par le hasard pour honorer mon maître, internationaliste avant de devenir l’éminent pénaliste que chacun connaît.

2. - En ce qui concerne les conflits dans l’espace de lois relatives à la responsabilité délictuelle civile, on considère que la loi applicable est celle du lieu du délit, ou lex loci delicti  (3). Si la règle est la même en droit criminel, elle est d’application plus délicate du fait que les tribunaux répressifs doivent statuer, non seulement sur des rapports de droit privé, mais encore en tenant compte du trouble social causé par le délit constaté ; le rôle de la loi du juge, ou lex fori, y apparaît alors plus important. C’est pourquoi les règles de conflits de lois admises en droit pénal peuvent différer de celles retenues en droit civil (4).

Pour ce qui est des conflits dans le temps de lois de responsabilité délictuelle civile, on pose en principe que la loi applicable est celle existant le jour où l’infraction a été perpétrée  (5). Le domaine pénal du principe de non-rétroactivité de la loi n’est en effet pas limité à la qualification des faits, à l’imputation des délits et à la punition des coupables, mais il s’étend à l’ensemble de la répression comme l’a heureusement établi mon maître  (6). Sur le plan de l’action civile, certains tempéraments devront cependant être admis afin de tenir compte notamment du principe de réparation intégrale.

En conséquence, on estime généralement que l’action civile est commandée, quant au fond du droit, par la loi en vigueur au lieu et au jour de la commission de l’infraction. Mais cette règle a été posée dans un contexte de responsabilité subjective  (7), où une personne ne commet un délit que lorsqu’elle agit avec la conscience d’enfreindre une norme locale présente.

Or, si notre droit pénal repose de plus en plus fermement sur la responsabilité subjective, notre droit civil tend au contraire à revenir au principe de la responsabilité objective, qui commande naturellement un régime fort différent. De ce point de vue, il n’importe que l’auteur du fait dommageable ait agi de bonne foi ; l’élément essentiel de l’infraction est non plus son acte, mais le dommage subi par la victime. La loi applicable devient alors la loi du lieu où le dommage a été ressenti par le demandeur, dans ses dispositions en vigueur le jour où le tribunal statue.

3. - Quant à l’action en justice, nécessairement soumise pour l’essentiel à la loi du for, on est tenté de penser que les prescriptions les plus récentes, réputées assurer une meilleure adminis­tration de la justice, doivent être appliquées immédiatement  (8). Mais ce principe ne saurait avoir une valeur absolue, puisque le principe de légalité couvre aussi bien le fond du droit que la procédure. Chaque fois que les droits de la défense seront effectivement en cause, le prévenu devra pouvoir invoquer le bénéfice de la loi en vigueur à l’époque des faits.

4. - Ainsi, ce n’est pas de « La loi applicable à l’action civile », mais « Des lois applicables à l’action civile », qu’il convient de parler. La première question qui se pose à ce stade est dès lors de savoir dans quel ordre aborder ces diverses lois.

Depuis quelques années, pour intégrer divers régimes spéciaux de responsabilité  (9), les pénalistes ont été conduits à distinguer soigneusement deux aspects de l’action civile : l’action civile à fin répressive, participant à la restauration de l’ordre social, et l’action civile à fin indemnitaire, concernant les seuls rapports privés. Si la première est étroitement soumise aux règles régissant le droit criminel, la seconde peut au contraire en être parfois détachée et se trouver alors soumise à des lois propres.

C’est en partant de cette distinction entre « L’action civile à fin répressive » (I) et « L’action civile à fin indemnitaire » (II), qui permet d’ailleurs de suivre le déroulement de la procédure dans son ordre chronologique, que l’on a le plus de chances de parvenir à organiser la matière.

I. - La loi applicable à l’action civile à fin répressive

5. - Quoique étroitement unies, puisqu’elles tendent toutes deux à l’établissement d’une infraction pénale, à la constatation de la responsabilité du prévenu dans cette infraction et à la détermination de la sanction légale­ment encourue par celui-ci, l’action publique et l’action civile à fin répres­sive n’en demeurent pas moins distinctes puisque la première est tournée vers l’intérêt social et invite le juge répressif à prononcer une peine, alors que la seconde est guidée par un intérêt privé et sert ordinairement d’introduction à l’action indemnitaire. Si l’action civile à fin répressive se présente comme un aiguillon à l’exercice de l’action publique, elle s’analyse tout autant en un préalable à la demande de réparation ; de ce fait, on peut ne la soumettre à la loi commandant l’action publique que dans la mesure nécessaire à une bonne administration de la justice pénale (10).

Puisqu’une action en justice participe, et de l’acte de procédure, et du droit substantiel qu’elle tend à promouvoir  (11), on peut concevoir que l’action civile répressive obéisse parfois à des règles propres. Cela s’observe d’abord quant au droit de déclencher les poursuites (A), mais surtout au niveau des règles fixant l’exercice de ce droit (B).

A. – Le droit d’exercer l’action civile

6. - Quand une juridiction française est compétente pour statuer sur l’action publique, elle l’est aussi pour connaître accessoirement de l’action civile (12). Comme la loi déterminant les personnes privées qui ont qualité pour la saisir revêt évidemment le caractère d’une loi de compétence et de procédure, on imagine mal qu’une loi étrangère puisse être ici applicable. Sur ce point, il convient nécessairement de se tourner vers la loi française.

Si cette loi est nouvelle, la Cour de cassation considère que, en raison de sa nature purement judiciaire  (13), elle s’applique immédiatement aux instances pénales en cours. Ainsi, une association attachée à la lutte contre le racisme a pu invoquer la loi du 1er juillet 1972 pour justifier son intervention dans des poursuites relatives à des faits antérieurs  (14). Cette jurisprudence va à l’encontre de l’enseignement de M. Levasseur  (15).

On observera que, selon un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 1990 (Gaz.Pal. 21 fév. 1991, rapport Bayet), se référant à la Convention européenne des droits de l’homme et à son premier protocole additionnel, « toute personne morale étrangère, qui se prétend victime d’une infraction, est habilitée à se constituer partie civile devant une juridiction française, dans les conditions prévues par l’article 2 du Code de procédure pénale ».

7. - La seule question d’exercice de l’action civile qui pose vraiment problème concerne le régime de sa prescription.

Du point de vue de l’application de la loi nouvelle dans le temps, la doctrine de la Cour de cassation est parfaitement établie. Estimant que les lois relatives à la prescription du droit de poursuivre relèvent de la procédure, elle en fait une application immédiate  (16). Sur ce point aussi elle s’est attirée les critiques de M. Levasseur  (17).

8. - Du point de vue de l’application de la loi dans l’espace, la question est plus délicate. Il a bien été jugé autrefois, au civil (18), que « la loi applicable à la prescription de l’action est la loi du lieu du dommage » ; mais, du temps où le législateur affirmait la solidarité des actions publique et civile, la prescription de l’action civile était nécessairement commandée par les règles françaises de prescription de l’action publique.

Or une loi du 23 décembre 1980 a mis fin à cette solidarité, en sorte que l’on est maintenant en droit de se demander si la prescription de l’action civile, de caractère purement privé (19), obéit à la lex loci ou à la lex fori. Si l’on retient la doctrine selon laquelle la prescription d’une action en justice est liée au fond du droit plutôt qu’à son exercice  (20), on peut penser que la prescription de l’action civile est maintenant dictée par la loi régissant la responsabilité civile du prévenu.

Mais comme, en droit français, on ne saurait admettre que le plaignant soit déclaré irrecevable à veiller à la bonne marche de l’action publique tant qu’elle peut être exercée, on doit faire une certaine place à la loi du for et déclarer qu’il peut se constituer partie civile devant les tribunaux français tant que le délai de prescription de l’action publique n’est pas écoulé (étant précisé que, si l’action indemnitaire est prescrite selon la lex loci, le tribunal français ne saurait accorder de réparations civiles au plaignant).

B. – Les modalités d’exercice de l’action civile

9. - Les lois qui régissent l’exercice de l’action civile sont des lois de procédure qui intéressent directement l’organisation judiciaire locale. Il en résulte deux conséquences sur le plan des conflits de lois.

D’abord, c’est la loi en vigueur au moment où l’action civile est engagée qui régit les formalités de constitution  (21). Il a ainsi été jugé que la loi autorisant l’Administration des finances à déposer ses différentes plaintes à l’encontre d’un même contribuable devant une seule juridiction est une loi de compétence applicable dès sa promulgation (22). C’est de même la loi présente qui régit la consignation que le juge d’instruction peut prescrire au plaignant.

10. -Ensuite, c’est la lex fori qui a autorité pour poser les règles que devra observer le demandeur afin de saisir le Tribunal  (23). C’est elle, notamment, qui fixe les conditions qui devront être remplies pour que l’action soit déclarée recevable en la forme  (24). Il arrive toutefois que la lex fori renvoie à une loi étrangère.

11. - En particulier, c’est la loi personnelle qui seule permet de dire si une personne physique est en âge pour agir en justice : la majorité judiciaire est déterminée non par la loi du for mais par celle fixant le statut personnel de l’intéressé  (25). En ce qui concerne les personnes morales, c’est à la loi de leur siège social qu’il convient de se reporter  (26).

Cette même loi personnelle va naturellement indiquer qui a qualité pour agir au nom d’un incapable, ou plus généralement pour représenter quelqu’un qui ne peut ester par lui-même. Un jeune Espagnol, mineur d’après sa loi personnelle, a ainsi pu être représenté par sa mère, devant un tribunal répressif français, en vertu de la loi espagnole qui lui reconnaissait la qualité d’administratrice légale  (27).

Il a également été jugé qu’un exécuteur testamentaire est recevable à agir devant les tribunaux répressifs français lorsqu’il y est autorisé par la loi du lieu d’ouverture de la succession « sous réserve des exigences de l’ordre public français dans les relations internationales » (28).

Cette réserve traditionnelle ne se manifeste que rarement dans le cadre de l’action civile à fin répressive, qui est généralement soumise à la loi du for et ne laisse que peu de place à la loi étrangère. Il n’en va pas de même dans le cadre de l’action civile à fin indemnitaire, qui autorise plus facilement le recours à une loi étrangère.

II. - La loi applicable à l’action civile à fin indemnitaire

12. -L’exercice de l’action civile à fin répressive a permis au demandeur de se faire reconnaître comme victime. L’exercice de l’action civile à fin indemnitaire va lui donner la possibilité d’obtenir réparation du préjudice subi par lui du fait de l’infraction. Alors que sous son premier aspect, l’action civile revêtait un certain caractère social, sous son second aspect, elle présente un caractère purement privé. Les éventuels conflits de lois vont donc se présenter dans un cadre nouveau, et appeler des réponses différentes.

L’examen de la jurisprudence suggère deux plans différents : le droit à réparation (A), d’une part, les modalités de la réparation (B), d’autre part Il est cependant parfois délicat de déterminer la ligne de partage entre les deux ; par exemple, on ne sait pas exactement où ranger l’importante question de l’étendue du droit à réparation.

A. – le droit à réparation

13. - Après avoir constaté la culpabilité du prévenu quant aux faits dommageables reprochés, puis prononcé la sanction pénale, les juges répressifs doivent ordonner l’indemnisation de la victime. Notre droit pénal est très ferme à cet égard, car nous estimons que le trouble social causé par l’infraction n’est pleinement réparé que lorsque la victime a reçu une réparation intégrale.

14. - La loi qui permet au juge de dire si l’infraction a fait naître un droit à réparation est normalement celle qui était en vigueur le jour où l’infraction a été commise  (29), et plus précisément le jour où l’acte dommageable a été perpétré  (30). S’appuyant sur les travaux du doyen Roubier  (31), la Cour de cassation a ainsi jugé que c’est sur la base des textes en vigueur lorsqu’un enfant a commis un fait dommageable que doit être appréciée la responsabilité encourue par ses parents  (32).

Constituerait d’ailleurs une inadmissible atteinte à un droit acquis de la victime le fait de lui retirer, voire de restreindre, le droit à indemnisation né à son profit le jour où l’acte dommageable a été perpétré  (33). Au demeurant, en droit interne, l’abrogation de la loi d’incrimination ne saurait porter atteinte au droit à réparation.

Dans le même sens il a été jugé qu’une Convention internationale nouvelle, régissant les intérêts civils, ne peut s’appliquer à un accident antérieur à la date de son entrée en vigueur en France (34).

15. -Pour résoudre les conflits généraux de lois dans l’espace, il faut partir de la doctrine selon laquelle la dualité de l’action civile à fin répressive, accessoire de l’action publique, et de l’action civile à fin indemnitaire, indépendante par nature, permet de soumettre cette dernière aux lois civiles. Si la première est strictement dépendante de la loi pénale locale, la seconde jouit rationnellement d’une très large indépendance  (35).

Certains ont pu en douter tant que l’action civile était quant au fond liée à l’action publique par le délit générique de l’article 1382 du Code civil, équivalent civil des diverses incriminations pénales (36). Mais depuis que l’article 470-1 du Code de procédure pénale (loi du 8 juill. 1983) autorise sous certaines conditions le juge répressif à réparer, « en application des règles du droit civil », l’ensemble des dommages résultant des faits reprochés, l’action civile à fin indemnitaire s’est encore éloignée de l’action publique. Le juge pénal se trouve en effet autorisé à indemniser la victime en s’appuyant, non plus seulement sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, mais encore sur les articles 1384, 1385 ou 1386, sur la loi du 5 juillet 1985, voire sur l’article 1147 du Code civil régissant la responsabilité contractuelle.

Sans doute cette extension de compétence est-elle limitée, mais elle montre que, de nos jours, aucun principe fondamental de droit interne ne s’oppose plus à ce que le juge répressif statue sur les réparations civiles en s’appuyant sur une loi autre que l’article 1382 du Code civil. Dès lors, après qu’il ait constaté l’existence d’un délit pénal au regard de la loi française, notre juge répressif semble maintenant parfaitement en droit de réparer le dommage subi par la victime en s’appuyant sur une loi étrangère. Or il est de principe, en droit international privé, que la loi compétente est la loi du lieu où le délit a été commis  (37).

Pour être plus précis, si elles diffèrent, faut-il prendre en considération la loi du lieu de l’acte dommageable ou la loi du lieu de la survenance du dommage ? On a longtemps préféré la loi du lieu de l’action, en observant que les règles de la responsabilité subjective imposent d’appliquer à l’agent la loi du lieu où il se trouvait et qu’il pouvait dès lors légitimement s’attendre à se voir opposer. Mais la législation contemporaine, orientée vers la responsabilité objective, tend à donner la préférence à la loi du lieu du dommage subi par la victime, loi la plus apte à rétablir l’équilibre rompu par le dommage causé par l’infraction : la lex loci delicti, au sens subjectif, se trouve alors supplantée par la lex loci damni  (38).

Tentant une conciliation, certains soutiennent que le droit à indemnisation doit être reconnu d’après la loi du lieu de l’acte délictueux, mais que le niveau de l’indemnisation doit être calculé d’après la loi du lieu du dommage, et plus précisément d’après la loi du lieu où la victime a été prise en charge par les organismes sociaux ou par son assureur  (39). De nos jours, où le recours des tiers payants occupe une place de plus en plus importante dans le déroulement de l’action civile à fin indemnitaire, cette opinion semble techniquement tout à fait défendable.

16. -Simplement, de droit commun, l’application de la loi étrangère est subordonnée à la condition qu’elle ne heurte pas l’ordre public français. Ainsi, la cour d’appel de Paris  (40) a écarté une loi étrangère qui comportait des dispositions délictuelles rétroactives, et qui prohibait le partage de responsabilité entre le coupable et sa victime. Ces réserves devraient prendre une place de plus en plus importante au fur et à mesure que se creuse le fossé entre le principe de la responsabilité subjective qui régit l’action publique et les règles objectives qui envahissent peu à peu l’action en responsabilité civile.

Le 26 avril 1990 (Gaz. Pal. 1990 I 513), la Cour de cassation a ainsi heureusement jugé que la loi de responsabilité suisse, d’inspiration subjective, ne saurait être déclarée inapplicable en ce qu’elle contredit notre loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de circulation, de philosophie résolument objective.

17. - La Convention de La Haye du 4 mai 1971, relative au cas particulier des accidents de la circulation routière, peut servir de guide au juge français dans certains cas délicats. Si elle pose en principe que « la loi applicable est la loi de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu », elle énonce cependant que lorsque tous les véhicules en cause sont immatriculés dans un même pays, c’est la loi de cet État qui doit être appliquée (41).

Cette référence à la doctrine anglo-saxonne de la « proper law of the tort », normalement condamnée chez nous par le principe de légalité, montre que, dans certains cas spéciaux, le juge français peut considérer que le simple bon sens l’invite à écarter la loi locale au profit de la loi du for. Celle-ci a notamment vocation à s’appliquer lorsque toutes les parties s’y rallient.

B. – les modalités de la réparation

18. -Puisque, déjà reconnu coupable du délit reproché, le prévenu voit maintenant peser sur lui l’obligation de réparer le préjudice subi par la victime, le tribunal peut, sans hésiter, faire application de toute loi nouvelle améliorant les conditions d’indemnisation de celle-ci.

Aussi la Cour de cassation a-t-elle pu admettre l’application immédiate d’une loi autorisant les juges répressifs à condamner le coupable d’une fraude fiscale au paiement des sommes fraudées  (42), puisque cette mesure ne revêt pas le caractère d’une sanction pénale mais celui d’une réparation civile.

19. - Les lois relatives aux mesures d’exécution des condamnations civiles, notamment celles qui autorisent le tribunal à prononcer une astreinte ou à ordonner la contrainte par corps, présentent cette particularité de délimiter l’imperium du juge (43).

Par suite, en cas de modification, la loi applicable est nécessairement celle qui est en vigueur le jour où le jugement est rendu. Ainsi une loi nouvelle, qui a autorisé les tribunaux à ordonner sous astreinte la démolition d’une construction irrégulièrement édifiée, a pu recevoir application dans les instances en cours et toucher les auteurs d’infractions antérieures (44).

Mais, du fait qu’elles délimitent l’imperium des juges, ces dispositions ne sauraient être régies que par la loi du for. En la matière des tribunaux répressifs ne sauraient faire appel à une loi étrangère.

20. - Parvenu au terme de son jugement, le tribunal doit encore statuer sur les frais et dépens. Comme il se trouve ici en présence de lois normalement étrangères aux droits de la défense, il doit s’en tenir à la lex fori et appliquer les dispositions présentement en vigueur. Par exemple, après que le législateur ait autorisé les juges à ordonner le remboursement à la partie civile des débours non compris dans les frais et dépens, le nouvel article 575-1 du Code de procédure pénale a été déclaré immédiatement applicable aux instances en cours  (45).

21. - On observera enfin que, régi par la lex fori, le droit d’appel est acquis au jour du jugement, mais que ses modalités d’exercice sont déterminées par la loi en vigueur le jour où l’appel est interjeté  (46).


NOTES :

(1) G. Levasseur, Cours de droit pénal général complémentaire, Les Cours de droit, Paris 1960.

(2) J.-P. Doucet, Le jugement pénal, Paris 1991, p. 510 et 511.

(3) G. Viney, La responsabilité : conditions, p. 208 n’ 180 : « La responsabilité délictuelle est soumise à la loi du lieu du délit »

(4) H. Donnedieu de Vabres, Les principes modernes du droit pénal international, p. 32.

(5) G. Viney, ouvrage précité, p. 208, n° 179 : « Il faut en principe apprécier la responsabilité délictuelle en fonction du droit applicable au jour du fait générateur de cette responsabilité ».

(6) G. Levasseur, Réflexions sur la compétence, un aspect négligé du principe de légalité (Mélanges Hugueney, p. 13). G. Levasseur, Droit pénal général complémentaire, p. 66 « Le principe de la légalité doit s’appliquer à toute la répression, et en particulier à la procédure, avec une rigueur particulière ».

(7) L. Forget, Les conflits de lois en matière d’accident de la circulation routière, p. 23, n° 19 : « La responsabilité pour faute doit se mesurer au regard de la loi que l’auteur pouvait connaître au moment où il a agi ».

(8) Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T.I, (6e éd.) p. 329 n°244 ; Levasseur, Chavanne et Montreuil, Droit pénal général et procédure pénale, (10e éd.) p. 42 n°77 : « Les lois de forme s’appliquent immédiatement, même à des infractions commises antérieurement. Il s’agit de lois organisant le fonctionnement d’un service public, celui de la justice, et nul n’a de droit acquis à être jugé selon une procédure déterminée ». (Ce principe ne vaut toutefois que) « lorsqu’il s’agit de détails d’organisation dont la modification est incontestablement inspirée par un souci de progrès technique ».

(9) Dans le cadre de la Convention de Varsovie sur les transports aériens : Cass.crim. 17 mai 1966 (Bull.crim. n° 147, p. 331) ; Cass.crim. 3 décembre 1969 (Bull.crim. n° 325, p. 771 ; Gaz.Pal. 19701 129). De même, en matière d’accident du travail : Cass.crim. 15 mars 1977 (Bull.crim. n° 224, p. 94).

(10) H. Batiffol, Droit international privé (4° éd.), p. 612, n° 563 bis.

(11) Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, p. 398, n° 857 : « Il faut situer l’action en justice à mi-chemin des droits substantiels, dont elle permet d’obtenir la sanction judiciaire, et des actes de procédure, notamment de la demande, par quoi on la met en œuvre en introduisant l’instance. On comprend que les divers traits de son régime ne soient pas soumis à la loi française du for, directement applicable aux questions de procédure, mais que certains puissent relever, le cas échéant, des lois étrangères que nos règles de conflit appellent à gouverner le fond ».

(12) Cl. Lombois, Droit pénal international, n° 310, p. 353.

(13) Stefani, Levasseur et Bouloc, Droit pénal général (13° éd.), p. 218 n° 166 : « Les lois qui sont relatives... à la poursuite des infractions sont considérées comme lois de forme et à ce titre s’appliquent immédiatement, même au jugement des faits commis avant leur promulgation ».

(14) Cass.crim. 15 février 1973 (Bull.crim. n° 83, p. 196). Rappr. Cass.crim. 23 février 1933 (S. 1933 I 169 note Levasseur) faisant application immédiate de la loi autorisant la victime de poursuites téméraires à demander au tribunal correctionnel réparation du préjudice qu’elle a subi.

(15) Opinions hétérodoxes sur les conflits de lois répressives dans le temps (Mélanges Constant, p. 189 n° 26) : « A notre avis, la situation s’est cristallisée au jour de l’infraction ; c’est donc la loi en vigueur à cette époque qui détermine qui peut mettre en mouvement l’action publique. Il faut que l’intéressé puisse savoir, au moment où il agit, qui aura le droit de le traîner devant une juridiction répressive. S’il en était autrement on pourrait douter de l’impar­tialité du législateur qui établit la loi nouvelle ».

(16) Cass.crim. 28 mai 1974 (Bull.crim. n° 202, p. 514) ; Cass.crim. 4 octobre 1982 (Bull.crim. n° 204, p. 55) : « Une loi nouvelle, régissant la prescription, est applicable immédiate­ment aux situations en cours ». Rapprocher : Cass.civ. 2e 29 avril 1970 (Gaz. Pal. 1971, I, 37, note Levasseur et Doucet).

(17) Mélanges Constant précités : « On peut penser que si l’auteur de l’infraction avait su, au moment où il a commis celle-ci, que le délai de prescription serait plus long que celui qui existait à l’instant où il a agi, il aurait peut-être hésité à le faire, et que, dans cette mesure, la durée de la prescription se rattache au système général d’avertissement que l’auteur doit avoir reçu... En conséquence, le déclenchement de l’action publique ne doit pas pouvoir intervenir après l’expiration du délai de prescription prévu par la loi en vigueur au jour où l’infraction a été commise ».

(18) Paris 27 octobre 1969 (Gaz. Pal. 1970 I somm. p. 9).

(19) Stefani, Levasseur et Bouloc, Procédure pénale (14e éd.) p. 318, n° 257.

(20) Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, ouvrage précité p. 400 n° 862 « Mode d’extinction de l’action, la prescription est cependant étroitement liée au droit dont elle paralyse l’action judiciaire. Elle est donc soumise à la loi qui régit ce droit, non à la loi du for. Il semble cependant qu’il faille appliquer le délai de prescription du for lorsque l’action civile est portée devant la juridiction répressive ».

(21) Cass.crim. 21 mars 1908 (S. 1910 1 525) : « Les lois de procédure deviennent immé­diatement applicables aux poursuites qui sont en cours d’exécution au moment où elles ont été promulguées ».

(22) Cass.crim. 17 octobre 1962 (Bull.crim. n° 276, p. 574).

(23) G. Levasseur, Droit pénal général complémentaire, p. 152 : « En principe la procédure est soumise à la lex fori, c’est-à-dire à la loi du tribunal. C’est une règle qui ne comporte à peu près pas d’exceptions : un tribunal ne peut appliquer que sa propre procédure ».

(24) Donnedieu de Vabres, Principes du droit international pénal, p. 207 : « Si la loi du juge subordonne l’exercice de l’action à une formalité spéciale, elle doit être observée ».

(25) Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, ouvrage précité, p. 400 n° 861 « La capacité nécessaire pour agir en justice échappe à l’empire de la loi du for, qui est immédiatement applicable aux questions de procédure ».

(26) Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, ouvrage précité, p. 154, n° 235 « La personne morale étrangère ne saurait se voir reconnaître plus de personnalité que la loi de son siège ne lui en accorde ».

(27) Cass.crim. 15 mars 1977 (Bull.crim. n° 94, p. 224) : « La qualité pour agir en justice au nom d’un mineur étranger est déterminée par la loi interne de l’État dont le mineur est ressortissant ». De même : Cass.crim. 31 janvier 1902 (S. 1903 1 247).

(28) Cass.crim. 4 juin 1941 (Gaz. Pal. 1941 II 354).

(29) Cass.crim. 8 février 1850 (S. 1850 1 329) : Le droit de réponse est régi « par la légis­lation existante à l’époque de la publication des articles qui ont provoqué cette réponse ». Cass.crim. 8 janvier 1976 (Bull.crim. n° 5 p. 10) : « La loi en vigueur au jour de l’infraction fixe, en principe, les droits de la partie lésée ».

(30) Cass. req. 11 mars 1940 (DP 1940, I, 52) : « Le droit d’obtenir réparation est acquis dans les limites fixées par la loi en vigueur au moment où a été commis le fait préjudiciable ».

(31) ROUBIER, Le droit transitoire (2e éd.), p. 188, n° 42 : « En matière de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, c’est la loi du jour où le dommage a été causé qui fixera les conditions de la responsabilité civile, c’est-à-dire qui dira si une dette est née, ou non, vis-à-vis de la victime du dommage et à la charge de qui cette dette existe ».

(32) Cass.crim. 18 juin 1975 (Gaz. Pal. 1975 II 661) : « Aux termes de l’article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ; la loi nouvelle ne peut porter préjudice à des situations juridiques antérieurement établies à moins que le législateur n’en ait autrement ordonné ».

(33) A. Vitu, Les conflits de lois dans le temps en matière pénale p.217. Cass.crim. 11 octobre 1973 (Bull.crim. n° 355, p. 875) : « Une loi nouvelle régit les situations établies et les rapports juridiques formés avant sa promulgation quand elle n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits acquis sous la législation antérieure ».

(34) Cass. 1e civ. 16 avril 1985 (Gaz. Pal. 1983-1985, TQ, V° Étrangers n° 60).

(35) Forget, ouvrage précité, n° 22, p. 19 : « Le droit pénal exige uniquement que la loi du for soit applicable à l’action publique. Il ne préjuge pas de la loi applicable à la responsa­bilité civile de l’inculpé. Il ne serait d’ailleurs pas souhaitable que la victime puisse éluder aussi facilement les règles de conflit, en se portant partie civile ».

(36) Voir, Cl. Lombois, Droit pénal international, p. 359, n° 318 et p. 361, n° 320.

(37) Fr. Chabas, Le droit des accidents de la circulation, (2e éd.), p. 58,. n° 96. Cass.civ. 25 mai 1948 (Gaz. Pal. 1948 II 56) : « En droit international privé, la loi territoriale compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle... est la loi du lieu où le délit a été commis ».

(38) Batiffol, Droit international privé (4’ éd.), p. 607 n° 561 : « Le droit de la responsabilité tend à un équilibre des intérêts de chacun, qui se trouve rompu au lieu du dommage... Il semble donc préférable d’appliquer la loi du lieu du dommage ». Cass., 1e civ. 16 avril 1985 (Gaz. Pal. 1983-1985, TQ, V° Etrangers, n° 60) se réfère à « la loi du lieu où le fait dommageable s’est produit ».

(39) Max le Roy, L’évaluation du préjudice en cas de lésion corporelle, (DS 1990, I, p. 227, n°10) : « Le droit à l’indemnisation doit être décidé selon la loi du lieu de l’accident, le quantum de l’indemnisation selon la loi du pays où la victime vit normalement ».

(40) Paris 30 juin 1964, (Gaz. Pal. 1964 II 295). Rapp. Paris 10 octobre 1969 (Gaz. Pal. 1970 I 39).

(41) Cass. 1re civ. 22 janvier 1991 (Bull. civ. I n° 26 p.16).

(42) Cass.crim. 15 octobre 1979 (Bull.crim. n° 279 p. 755) ; Cass.crim. 3 novembre 1981 (Bull.crim. n° 290, p. 760).

(43) Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T.I, (6° éd.), p. 355, n° 264.

(44) Cass.crim. 16 janvier 1969 (Bull.crim. n° 34, p. 75).

(45) Cass.crim. 12 juillet 1982 (Bull.crim. n° 193, p. 527) : « Ces dispositions, qui con­cernent seulement le remboursement à la partie civile des débours non compris dans les frais et dépens, ne modifient ni les caractéristiques de l’infraction, ni la responsabilité de l’auteur, ni la fixation de la peine et, dès lors, ne revêtent pas le caractère d’une sanction pénale ; elle doivent trouver ainsi application immédiate dans les instances pénales en cours lors de la promulgation ».

(46) Cass.crim. 21 mars 1908 (S. 1910 1 525). G. Levasseur, Droit pénal général complémentaire, p.82.

Signe de fin