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LES INFRACTIONS DE PRÉVENTION

(Gazette du Palais 1973 II Doct. p. 764)

 

La prévention des atteintes à l’intérêt général ou aux intérêts privés peut revêtir une forme soit matérielle soit juridique. On peut faire ralentir les automobilistes avant un carrefour dangereux, et éviter ainsi des délits de coups et blessures par imprudence, soit, par exemple, en aménageant une chicane soit, à défaut, en imposant une limitation de vitesse. Ce sont ces prescriptions juridiques prises dans un but préventif qui, en dépit de leur caractère subsidiaire et imparfait, nous retiendront dans cette étude de technique pénale.

Les prescriptions préventives peuvent n’être assorties d’aucune sanction présente : tel est le cas de la circulaire administrative invitant les dirigeants de centres de parachutisme à procéder périodiquement au pliage des parachutes ventraux  (1). Elles peuvent parfois être renforcées par une sanction disciplinaire : il en est ainsi lorsqu’un règlement d’atelier interdit le nettoyage des machines en marche. Elles peuvent enfin recevoir l’appui d’une sanction pénale : le défaut de ramonage de cheminée, par exemple, constitue une contravention de première classe  (2).

Les prescriptions de caractère préventif ainsi pénalement sanctionnées relèvent traditionnellement plus de la police administrative, caractérisée par son rôle préventif, que de la législation pénale, principalement répressive. La sanction pénale qui leur est attachée se présente au demeurant, en raison de sa modicité ordinaire, plus comme un avertissement solennel que comme une peine. C’est pourquoi ces prescriptions préventives doivent être soigneusement distinguées des infractions de pur droit pénal.

Il est aisé de faire le partage entre les infractions de prévention et les infractions pénales fondamentales telles que le vol ou l’homicide. Par hypothèse, en effet, seules ces dernières supposent une atteinte effective à un intérêt protégé par la loi (droit à l’intégrité corporelle ou droit de propriété par exemple). Les premières au contraire sont parfaites, indépendamment de toute conséquence néfaste, par le simple accomplissement d’un acte prohibé par l’autorité publique à raison de son caractère dangereux.

Il est au contraire parfois plus délicat de distinguer les infractions de prévention des délits-obstacles, mieux connus, qui constituent des bastions avancés dans la lutte contre la délinquance, et dont le type est la fabrication de fausse clef  (3). La différence est pourtant grande entre ces deux types d’infractions : alors que les premières ne supposent aucune intention criminelle, les secondes saisissent un acte préparatoire à un délit principal et tendent ainsi à mettre fin à une activité criminelle en cours de développement, avant même que ne soit abordée la phase du commencement d’exécution  (4).

Ces infractions de prévention, qui ne supposent ainsi, ni dommage présent ou imminent, ni intention criminelle sous-jacente, sont naturellement soumises à un régime propre aux trois niveaux du droit pénal, à savoir l’infraction (I), l’imputation (II) et la sanction (III).

I -  L’incrimination des infractions de prévention

Le jugement des infractions de prévention ayant été confié aux tribunaux répressifs dans un but évident de protection des citoyens contre l’arbitraire du pouvoir exécutif, les éléments constitutifs et le régime de ces infractions doivent être nécessairement compatibles avec les principes généraux qui régissent le droit criminel. Cette compatibilité n’est toutefois pas exclusive d’une originalité qui se manifeste aussi bien dans le contenu des textes d’incrimination (A) que dans leurs conditions d’application (B).

A) Le contenu du texte d’incrimination

Puisque les juridictions répressives ne peuvent être saisies que de faits, le législateur (au sens le plus large) doit faire reposer son incrimination sur un ou plusieurs faits. Puisque, par ailleurs, le droit criminel ne s’intéresse qu’aux êtres humains, il faut que ce fait consiste en un acte humain au moins conscient. C’est pourquoi, conformément au droit commun, les infractions de prévention comportent une base objective et un aspect subjectif.

a) L’aspect objectif de l’incrimination

Une incrimination de droit commun présente un aspect objectif double. Elle suppose, à 1a fois, l’accomplissement d’un acte prohibé et une atteinte à un intérêt protégé. Une incrimination de prévention, au contraire, repose sur une base simple.

Un texte édictant une incrimination de prévention interdit simplement un acte considéré comme dangereux (franchissement d’une bande blanche, pour le risque d’homicide par imprudence), ou prescrit un acte dont l’accomplissement éloigne un danger (ramonage d’une cheminée pour le risque d’incendie). Il peut donc prévoir aussi bien une infraction de commission qu’une infraction d’omission. Remarquons que, dans ce cas précis, le délit d’omission ne présente pas de danger pour les libertés individuelles, car il vise l’oubli d’un acte très précis sur lequel l’attention de l’agent a été spécialement attirée.

Cette interdiction ou cette prescription est la seule indication objective que donne le législateur puisque le résultat est par hypothèse indifférent en matière de prévention. L’acte interdit est irréfragablement présumé dangereux par le législateur. Peu importe dès lors que l’acte prohibé ait eu, ou non, dans une espèce donnée, un effet dommageable ; peu importe même que celui qui l’a accompli ait obtenu un résultat heureux (cas des guérisseurs qui ont effectivement soulagé un malade). Il est tout aussi indifférent, dans le même esprit, que l’acte ait présenté un caractère désintéressé et que son auteur n’en ait tiré aucun profit  (5).

On peut ainsi constater que la base objective d’une incrimination de prévention ne contient que la moitié des indications figurant dans une infraction de droit commun  (6). Si elle comporte bien des actes interdits, elle n’englobe pas le résultat de ces actes. Cette particularité se reflète dans la structure de l’élément moral.

b) L’aspect psychologique de l’incrimination

Pour qu’un acte puisse être pris en considération par le droit criminel, il faut à tout le moins qu’il entre dans une activité consciente. Tel est le sens de la notion de dol général. Il n’y a donc pas infraction si 1’acte émane, par exemple, d’un enfant en bas âge n’ayant pas la maîtrise de ses actes (7). Il n’y a pas non plus infraction, dans les délits de droit commun, lorsque l’agent n’a pas eu conscience qu’il allait porter atteinte à un intérêt protégé par la loi  (8). Il ressort de ces deux règles que le dol général porte, à la fois, sur l’acte lui-même et sur son résultat, c’est-à-dire sur les deux aspects de la base objective de l’infraction.

Or nous avons vu que, par exception, les infractions de prévention comportent une base objective, non pas double, mais unique : le simple accomplissement d’un acte interdit en raison de son caractère dangereux. Par suite elles ne supposent aussi qu’un élément psychologique simple : la conscience lors de l’accomplissement de l’acte interdit (cette conscience étant envisagée de manière abstraite et révélée par le comportement de l’agent). C’est pourquoi une infraction de prévention ne peut être commise par un infans, mais est parfaite indépendamment de toute conscience du danger présenté par l’acte  (8bis). Cet affaiblissement du dol général a conduit certains auteurs à parler d’infractions matérielles dépourvues d’élément moral ; l’expression contient une part de vérité, mais elle est manifestement exagérée (9).

Le dol général n’est au demeurant, en droit commun, qu’un élément moral minimum pouvant être renforcé, du point de vue des éléments constitutifs des infractions, de deux manières différentes (étant précisé que la préméditation est une circonstance aggravante et non un élément constitutif). L’acte peut être tenu pour particulièrement grave lorsqu’il est accompli volontairement  ; le résultat de l’acte peut être considéré comme particulièrement répréhensible quand il a été atteint intentionnellement. Voyons comment se comportent ces deux types d’accentuation de l’élément moral dans le cas des infractions de prévention.

Rationnellement, puisqu’il concerne l’acte indépendamment du résultat, le caractère volontaire, délibéré, d’un acte interdit comme dangereux est parfaitement susceptible de constituer un élément d’aggravation d’une infraction de prévention simple. Mais, curieusement, le législateur a très généralement négligé cette possibilité technique de renforcer la prévention  (10). On peut en être surpris quand on constate que les auteurs de violations volontaires des prescriptions de prévention révèlent ainsi un caractère particulièrement dangereux. Si les pouvoirs publics se décidaient enfin à prévoir des infractions de prévention aggravées en cas d’accomplissement volontaire d’un acte interdit comme dangereux, les juges ne devraient pas perdre de vue que ce sont les conditions matérielles dans lesquelles l’acte a été accompli, et non un examen psychiatro-sociologique de l’agent, qui révèlent le caractère volontaire de l’acte (11). Par exemple un franchissement de feu rouge a été volontaire et appelle une sanction aggravée lorsque l’auteur du fait a dépassé des automobilistes qui attendaient normalement que la voie fût libre en empruntant la voie de gauche.

S’il est ainsi permis de tenir compte du caractère volontaire de l’acte, en revanche il est techniquement impossible de s’attacher à la notion d’intention. En effet l’intention, ou dol spécial, s’analyse en la recherche d’un résultat précis. Or, nous l’avons vu, l’aspect « résultat » est étranger aux incriminations que nous examinons. Par là-même la notion d’intention se trouve être incompatible avec celle d’infractions de prévention (elle apparaît en revanche avec les délits-obstacles). Cette remarque présente une grande importance pratique, puisqu’elle conduit à écarter les infractions de prévention du champ d’application des grandes théories du droit criminel, notamment du domaine de la tentative  (12). A cet égard les légistes qui ont rédigé le code pénal belge ont eu un mot heureux en observant que, pour de telles infractions, la tentative n’est pas concevable.

B) L’application du texte d’incrimination.

Lorsqu’il est saisi de faits susceptibles d’entrer dans le domaine d’application d’une incrimination de prévention, le juge doit vérifier l’applicabilité de ce texte (a), puis éventuel­lement l’interpréter (b), avant de pouvoir procéder à la qualification des actes reprochés (c).

a) Le contrôle de l’applicabilité.

Quand l’incrimination de prévention émane du législateur, les juges peuvent uniquement procéder à un contrôle de forme, notamment vérifier la publication du texte. Au contraire, lorsqu’elle a été édictée par une autorité administrative, leur contrôle s’étend à la forme et au fond.

Saisis d’une exception d’illégalité les juges répressifs doivent vérifier que l’arrêté ou le règlement invoqué a été pris par une autorité compétente (13), sans atteinte aux normes supérieures et notamment aux principes généraux du droit (14), sans détournement de procédure (15), dans un but de prévention (16), n’a pas été déjà annulé par une juridiction administrative (17) et a été régulièrement porté à la connaissance du public (18). On peut rappeler à cet égard que, quelque soit son auteur, l’incrimination de prévention fait partie de l’ordre juridique, et que sa légalité doit dès lors être défendue par le seul ministère public (19).

Si les juges doivent ainsi vérifier la légalité de l’incrimination de prévention, en revanche ils ne peuvent en apprécier l’opportunité (20). Cette restriction est imposée par le souci d’éviter que les justiciables ne se dispensent de tenir compte des prescriptions préventives en en discutant l’efficacité, mais elle est dangereuse en ce qu’elle risque de conduire des citoyens scrupuleux à accomplir des actes inopportuns voire dangereux prescrits par des arrêtés mal conçus. Dans une telle hypothèse, s’agissant de police administrative, la victime n’aurait de recours que devant les tribunaux administratifs  (21).

b) L’interprétation du texte.

Une incrimination de prévention peut, notamment, faire appel à des notions imprécises ou recouvrir un domaine mal délimité. Pour faire face à ces difficultés d’analyse l’interprète bénéficie dans ce cas particulier d’un point d’appui très précieux. Il lui est en effet permis d’éclairer la disposition obscure en la rapprochant du délit principal qu’elle tend à prévenir  (22).

Ainsi constitue une arme, au sens du décret-loi du 18 avril 1939, tout objet pouvant, compte tenu des circonstances, servir à commettre un délit de coups et blessures volontaires ou un crime de meurtre  (23).

De même, puisqu’elles tendent à prévenir les homicides et les blessures par  imprudence dans la conduite d’un véhicule, les dispositions du Code de la route doivent être observées, non seulement sur les voies ouvertes à la circulation générale, mais encore sur celles qui sont encloses dans un terrain militaire ou universitaire  (24).

Ces deux exemples montrent que les incriminations de prévention font aisément l’objet d’une interprétation extensive. Si cette légère entorse aux principes est justifiée par la notion de prévention, et rendue peu grave par la modicité de principe des sanctions, elle ne doit pas pour autant conduire à un raisonnement par analogie en toute hypothèse inadmissible.

c) La qualification des faits.

Saisis d’agissements dangereux par le ministère public, les juges répressifs procèdent normalement ici à une banale opération de qualification. Se plaçant au moment où les faits reprochés se sont produits, ils vérifient que ces faits coïncident avec les agissements abstraits énoncés dans la loi d’incrimination.

C’est dans le cas où des agissements, interdits en eux-mêmes comme dangereux, ont abouti au résultat redouté, que les difficultés apparaissent. Le délit de pur droit pénal ayant été commis (p.ex. un incendie par imprudence) ont peut se demander si le délit de prévention qui y a conduit (p.ex. un défaut de ramonage de cheminée) doit être aussi compris dans les poursuites.

On peut en effet soutenir que l’ensemble des agissements reprochés forme un tout indivisible, constituant un fait pénal unique, susceptible par là-même de ne recevoir qu’une seule qualification, la plus élevée. Selon cette opinion, déjà reproché au titre de l’incendie par imprudence, le défaut de ramonage de cheminée ne peut l’être en outre du chef de l’incrimination de prévention  (25).

Mais, les infractions de prévention relevant de la police préventive et les infractions de pur droit pénal de la justice répressive, il est tout aussi possible d’observer qu’il n’existe aucune incompatibilité entre elles. De même qu’un seul fait peut constituer une faute disciplinaire et un délit pénal, de même un fait unique peut fort bien être reproché du point de vue de la prévention puis de celui de la répression.

Quoique nous ayons longtemps soutenu la première opinion, il nous semble finalement que la Chambre criminelle a raison de retenir la seconde  (26). En effet, au moins dans le cas où il est nécessaire d’établir la violation de la prescription préventive pour pouvoir retenir le délit pénal, le juge pénal constate successivement la contravention puis le délit, et il devient alors difficile pour lui d’écarter rétroactivement la première qualification établie. Au surplus, l’incrimination de prévention étant fréquemment assortie de sanctions présentant elles-aussi un caractère préventif, il serait regrettable de perdre le bénéfice de celles-ci en délaissant la qualification qui permet de les prononcer.

Une dernière observation doit être faite. L’inobservation de prescriptions préventives non pénalement sanctionnées, comme figurant dans une circulaire ou un règlement d’atelier, peut servir de justification à une poursuite pour coups et blessures par imprudence (27). Ces textes reçoivent alors une sanction pénale indirecte ; ils peuvent même produire effet au stade de l’imputation.

II -   L’IMPUTATION DES INFRACTIONS DE PRéVENTION

Une infraction aux prescriptions préventives peut être mise au compte, soit, en l’absence de texte, de l’auteur matériel de l’acte prohibé (A), soit, en vertu d’un texte spécial, de la personne désignée par la loi (B).

A) L’imputation à l’auteur matériel.

Lorsque, dans une espèce donnée, une seule personne doit être logiquement poursuivie, l’imputation ne soulève guère de difficultés que s’il s’agit d’une infraction d’omission. On peut par exemple se demander si un défaut de ramonage de cheminée doit être reproché au propriétaire d’une villa ou plutôt à son locataire. Mais cette difficulté a été depuis longtemps résolue par la jurisprudence : à bon droit, elle impute l’infraction à celui qui avait effectivement la possibilité d’éviter l’apparition de la situation dangereuse visée dans la loi d’incrimination. Dans l’exemple pris ci-dessus le responsable est le locataire (28).

Plus délicate est l’hypothèse où plusieurs personnes peuvent être mises en cause. En effet, les infractions de prévention étant étrangères à la notion d’intention criminelle, on ne peut, en ce qui les concerne, faire jouer la théorie du concert frauduleux qui suppose justement une intention criminelle commune. C’est pourquoi, notamment, le législateur a exclu les contra­ventions du domaine de la complicité. Mais il est nécessaire d’aller plus loin.

Tout d’abord, en matière contraventionnelle, il ne peut pas plus y avoir coaction que complicité puisque ces deux modes de participation relèvent également de la notion de concert frauduleux dont nous venons de voir qu’elle est incompatible avec celle d’incrimination de prévention (29). C’est la raison pour laquelle le législateur de 1810 a sagement exclu la solidarité des auteurs de contraventions. Les participants à une même infraction de prévention doivent être rationnellement considérés comme de simples auteurs conjoints.

D’autre part, le principe selon lequel la complicité est toujours punissable en matière délictuelle ne peut ici recevoir application. En effet, dès lors qu’il ne peut y avoir de complice, les règles de la complicité se trouvent par là-même exclues.

Cela est si vrai que, dans le cas du délit d’ingérence, le législateur a pris soin de prévoir un cas de complicité à l’égard des dirigeants des entreprises dans lesquelles l’ancien fonctionnaire a pris un intérêt.

B) Les imputations légales particulières.

Afin de renforcer l’efficacité des incriminations de prévention, le législateur prend souvent soin de désigner les personnes qu’il charge spécialement de la mise en œuvre des prescriptions qu’il édicte. Par exemple, 1es textes relatifs à la sécurité du travail imposent au chef d’entreprise de veiller personnellement à l’application des dispositions préventives d’accidents du travail.

Dans cette hypothèse les infractions constatées doivent naturellement être imputées à la personne visée dans la loi d’incrimination. Il ne s’agit pas là de responsabilité pénale du fait d’autrui, comme on l’a longtemps pensé, mais bien d’une responsabilité du fait personnel  (30). L’auteur légal se voit simplement reprocher de ne pas avoir empêché, comme il aurait dû le faire, l’apparition de la situation dangereuse. Et seule la preuve d’un cas de force majeure peut en principe le mettre à l’abri d’une condamnation.

Cependant cette imputation légale abstraite ne répond pas dans tous les cas d’espèce au souci très concret de prévention qui a animé le législateur. C’est pourquoi la jurisprudence, faisant heureusement prévaloir le fond sur la forme, estime que les termes de la loi d’imputation doivent être interprétés en fonction des caractères propres à chaque situation examinée. Ainsi, du point de vue des infractions de prévention, le propriétaire peut être un locataire ou un usufruitier, et le chef d’entreprise un chef d’établissement, un chef du personnel, voire un associé prépondérant (31). En cas d’imputation légale le responsable d’une infraction de prévention est donc finalement celui qui, en raison de ses pouvoirs et de sa compétence, avait le devoir de faire respecter la loi (32). Ce devoir étant évidemment d’ordre public, il est interdit de s’en décharger par contrat (33).

C’est le même souci d’efficacité qui explique les dispositions, au premier abord surprenantes, qui s’adressent, soit à des tiers par rapport à l’infraction redoutée : fait de laisser dans un lieu public des instruments dont pourraient abuser des malfaiteurs  (34), soit même à d’éventuelles victimes : fait pour un automobiliste de ne pas user d’une ceinture de sécurité ou par un motocycliste de ne porter un casque adéquat (35).

Il convient enfin de souligner que, dans le cas où la commission d’une infraction de prévention aboutit à l’infraction principale redoutée, l’imputation légale assortissant la première infraction se répercute sur la seconde. Est ainsi automatiquement tenu pour responsable d’un délit de coups et blessures par imprudence l’auteur légal de l’infraction de prévention dont le développement a fait une victime. Mais cette imputation légale n’est pas exclusive d’imputations matérielles. C’est pourquoi un homicide par imprudence survenant sur un chantier peut être reproché, non seulement au chef d’entreprise qui n’a pas veillé de loin au respect des règles de sécurité, mais encore au chef de chantier et au contremaître convaincus de négligence (36).

III -  LA SANCTION DES INFRACTIONS DE PREVENTION

Sous cette rubrique nous examinerons successivement, mais sommairement, la sanction encourue par l’auteur d’une infraction (A), puis le déroulement des poursuites (B).

A) La sanction encourue.

Si le législateur, en matière de prévention, déroge parfois au principe de l’imputation à l’auteur matériel, en revanche il respecte toujours le principe de la personnalité des peines. Seuls ceux qui se sont vu matériellement ou légalement imputer une infraction de prévention encourent donc une sanction pénale.

Tendant simplement à renforcer l’avertissement adressé à l’auteur d’un acte dangereux, cette sanction se situe en principe au modeste niveau des première et deuxième classe des peines de police. Ainsi est assurée la cohérence d’un système qui situe les infractions de prévention dans la catégorie des contraventions et soumet celles-ci à un régime adapté à la structure particulière de celles-là. Lorsque, par exception, le législateur prévoit une peine correctionnelle, il fait entrer l’infraction dans la catégorie des délits et la soumet en conséquence à des règles de fond inadaptées ; ce sont ces infractions en porte à faux que l’on désigne sous le nom, fâcheusement célèbre, de délits-contraventionnels  (37).

Cette sanction, peu affectée par le jeu d’éventuelles circonstances atténuantes, ne l’est ni par des excuses, ni par des circonstances aggravantes, au reste difficilement concevables. A cet égard il pourrait être toutefois instructif d’envisager les délits de coups et blessures ou d’incendie par inobservation des règlements comme des délits dérivés d’infractions de prévention, dont ils emprunteraient alors les caractéristiques et notamment l’absence de dol général quant aux conséquences éventuelles des actes incriminés ; ainsi s’expliquerait la jurisprudence, actuellement discutée, selon laquelle ces infractions sont punissables même quand le résultat était imprévisible (38).

En cas de pluralité d’infractions les différentes peines encourues se cumulent, le législateur ayant sagement pensé que doivent être prononcées autant de sanctions qu’il y a eu de risques créés. Cette règle ne devrait logiquement pas jouer pour les contraventions de pur droit pénal, simples délits déclassés. Effectivement, en présence d’un acte unique, la Chambre criminelle distingue entre le concours d’une contravention de police avec un délit et le concours d’une contravention de droit pénal avec un délit pour n’admettre le cumul des peines que dans le premier cas (39). Cette jurisprudence constitue l’une des preuves les plus évidentes qu’il conviendrait d’épurer la catégorie des contraventions des délits qui y ont été artificiellement introduits.

B) Les poursuites.

Les textes édictant des incriminations de prévention, qui se sont considérablement multipliés ces dernières années, peuvent chacun donner lieu à d’innombrables infractions. Ainsi les pouvoirs publics ne peuvent-ils raisonnablement espérer faire aboutir une recherche systématique des contraventions commises et doivent-ils s’en tenir à des contrôles limités dans le temps et l’espace. Cette technique, inévitable, présente un inconvénient majeur : elle fait perdre à la sanction pénale son caractère de certitude et par là-même l’essentiel de sa vertu préventive. C’est pourquoi il pourrait paraître de bonne technique juridique d’admettre largement en ce domaine l’action des ordres et des syndicats professionnels  (40), voire des associations reconnues d’utilité publique.

La très grande proportion des espèces où les faits sont constants et où le prévenu, reconnaissant sa responsabilité, ne demande qu’à être condamné à moindre frais, justifie en première instance une procédure simplifiée. Comme par ailleurs les incriminations de prévention ont le plus souvent pour auteur une autorité de police administrative, on peut parfaitement admettre que cette autorité, sous réserve de recours judiciaire, soit juge du premier degré. C’est pourquoi nous paraissent admissibles, dans leur principe, les procédures simplifiées adoptées par les législateurs belge  (41) et français  (42).

Mais si une procédure mi-administrative mi-judiciaire se conçoit en matière de police administrative préventive, il n’en va pas de même pour les contraventions de pur droit pénal, délits déclassés ayant fait une victime. Alors cette dernière doit jouir de toutes les garanties que peut seule offrir une procédure entièrement judiciaire. La loi française du 3 janvier 1972 n’est pas satisfaisante à cet égard.

De manière générale on peut d’ailleurs observer qu’une législation pénale en progrès ne ferait plus entrer dans la catégorie des contraventions que des incriminations de prévention (ou de police professionnelle) et s’efforcerait de faire sortir de cette catégorie les délits déclassés qui y ont été introduits à tort (comme le maraudage), quitte à créer deux catégories de délits. Alors serait assurée la cohérence des règles de fond avec la structure propre aux différents types d’infractions et serait assuré le bon fonctionnement d’une procédure très simplifiée pour les seules infractions de prévention.


NOTES :

(1) V. Paris 20 décembre 1971 (Gaz.Pal. 1972 1 317). Rapp. Deutéronome 22-8 qui prescrit l’installation d’un parapet sur les maisons avec terrasse pour éviter les chutes et prévenir ainsi la vengeance du sang.

(2) Art. R. 26-11 C. pén. francais, et art. 551 -1 1° C. pén. Belge. Voir : J. Constant, Manuel de droit pénal, 2e partie, T.II, p.574, n°1728. Rapp. l’ordonnance du Lieutenant général de police de Lyon du 27 février 1778 sur la détention de crics pouvant servir à forcer des portes ou volets (Revue de la police nationale, mai 1972 p. 33).

(3) Sur les délits obstacles, v. Merle et Vitu, Traité de droit criminel, p.338 n°353 ; A. Decocq, Droit pénal général, p.184.

(4) Les actes constitutifs d’un commencement d’exécution peuvent être, soit incriminés par le législateur en tant que délits formels (p.ex. incendie), soit réprimés par les juges grâce à la théorie de la tentative.

(5) Cass.crim. 29 décembre 1970 (Gaz.Pal. 1971 I somm. p.4) relatif à la prévention des abus de confiance que pourraient commettre les agents d’affaires.

(6) Cette particularité a été notée dans un domaine limité par Thévenon (L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, thèse Lyon 1942) : « Les contraventions au Code de la route apparaissent comme des infractions de coups, blessures ou homicides non consommés ou incomplets. C’est même en raison du risque de ce résultat qu’elles sont réprimées ; pourtant elles ne peuvent être considérées comme des tentatives de ces infractions ».

(7) Cass.crim. 13 décembre 1956 (D.1957.349 rapport Patin).

(8) Il n’y a pas, par exemple, détournement de mineure lorsque la minorité de 18 ans n’était pas décelable : Cass.crim. 6 novembre 1963 (Gaz.Pal. 1964 I 65 - JCP 1964.13463 note Larguier).

(8 bis) L’erreur de fait est en la matière inopérante : Cass.crim. 4 janvier 1973 (Gaz.Pal. 1973 1 380).

(9) V. R. Legros, L’élément moral dans les infractions, Paris 1952, p.10 n°9.

(10) Parmi les exceptions on peut citer l’art. 73 C. des ports maritimes qui incrimine la destruction intentionnelle (volontaire) d’une balise.

(11) V. le dernier moyen de l’arrêt Bontems du 16 mai 1972 (Bull.crim. n°169, p.427).

(12) Crahay, Traité des contraventions de police, 2e éd., Bruxelles 1887, p.98 n°77 ; Combaldieu, Encyclopédie Dalloz de droit pénal v° Contraventions n°43.

(13) Cass.crim. 12 mai 1963 (Gaz.Pal. 1963 2 261).

(14) Cass.crim. 1er  février 1956 (D. 1956 365).

(15) Cass.crim. 25 octobre 1961 (Gaz.Pal. 1961 2 280).

(16) Cass.crim. 12 mars 1969 (Gaz Pal. 1969 1 295).

(17) Cass.crim. 19 décembre 1971 (Gaz.Pal. 1972 1 221).

(18) Cass.crim. 24 octobre 1963 (Gaz.Pal. 1963 2 37).

(19) Cass.crim. 9 novembre 1961 (Gaz.Pal. 1962 1 42).

(20) Cass.crim. 21 février 1952 (D. 1952 303).

(21) V. Cons. d’Etat 23 février 1951, Desgranges (Rec. Lebon, p. 112) ; Rapp. Cons. d’Etat 20 octobre 1972 (Gaz.Pal. 1973 1 269).

(22) En ce sens : Trousse, Novelles de droit pénal, T.I (1) n°521 ; sur le défaut de ramonage : Rigaux et Trousse, Les Codes de police T.1, p.13.

(23) Cass.crim. 5 juin 1971 (Gaz.Pal. 1971 2 591) Rapp., relatif à l’abandon dans un lieu public d’objets dont peuvent abuser les voleurs J. Constant (ouvrage précité, p.596 n°1759).

(24) Cass.crim. 24 février 1971 (Gaz.Pal 1971 1 302). Rapp. Cass.crim. 23 février 1971 (Gaz.Pal. 1971 1 somm. p.58).

(25) En ce sens : Crahay (ouvrage précité, p. 193 n°161) Rigaux et Trousse, (ouvrage précité, p.16).

(26) Cass.crim. 7 juillet 1971 (Gaz. Pal. 1971 II 691) ; Cass.crim. 8 mars 1972 (Gaz.Pal 1972 II somm. p.80).

(27) Voir : Paris 20 décembre 1971 (précité).

(28) Voir, par exemple : J. Constant (ouvrage précité n°1730, p.575).

(29) En ce sens : Crahay (ouvrage précité p.87 n°63).

(30) En ce sens, par exemple : Stéfani et Levasseur, Droit pénal général, n°277 quater ; R. Legros (ouvrage précité n°37 p.37).

(31) Cass.crim. 16 mars 1971 (Gaz.Pal. 1971 I somm. p.58).

(32) Cass.crim. 17 octobre 1967 (Gaz. Pal. 1967 II 290).

(33) Cass. crim. 22 mars 1966 (Gaz.Pal. 1966 I 390).

(34) Art. R. 26-7° C.pén. français et art. 552-2° C.pén. belge ; J. Constant (ouvrage précité, n°1759 p.595).

(35) Art. R. 53-1 C.route (D. 28 juin 1973).

(36) Cass.crim. 1er février 1972 (Bull.crim n°40 p.95).

(37) Voir, par exemple : Vidal et Magnol, Cours de droit criminel 9ème édition, p.100 n°75 bis.

(38) Cass.crim. 17 novembre 1971 (Gaz Pal. 1972 161).

(39) Cass.crim. 10 avril 1973 (Chauvin).

(40) Voir, pouvant être considéré comme un pas dans cette direction : Cass.crim. 20 mars 1972 (Gaz.Pal. 1972 II somm. p.81).

(41) Voir A. Fettweis, Procédure sommaire en matière répressive (Annales de la Faculté de droit de Liège 1958 p.341).

(42) Voir J. Pradel, La simplification de la procédure applicable aux contraventions (D. 1972 Chr. 153) ; Lorentz et Volff, La procédure simplifiée ou l’adaptation de la procédure d’ordonnance pénale au droit français (Gaz.Pal. 1972 I 274).

Signe de fin