L'HYPNOSE ET LE DROIT PÉNAL
(Note sous Versailles 13 mai 1970, Gazette du Palais 1971 I 34)
Vol - Éléments constitutifs -- Soustraction frauduleuse - Notion - Remise d’une somme d’argent par une femme placée en état d’hypnose - Remise non volontaire. - Délit constitué.
Tribunal Correctionnel de Versailles, le 13 mai 1970 :
Attendu que W... Christine, épouse C..., I... Marguerite et C... Georges sont inculpés d’avoir : 1° W... Christine, épouse C..., et I... Marguerite, à O..., le 10 février 1970, ensemble et de concert, frauduleusement soustrait une somme de 2.190 F au préjudice de B.. S... Houcine ; 2° C... Georges, dans les mêmes circonstances de lieu et de temps, sciemment recelé une somme d’argent soustraite frauduleusement par W... Christine et I... Marguerite au préjudice de B.. S... Houcine (délit prévu et puni par les art. 379-401 C.pén., et 460 dudit Code) ;
Attendu qu’il est constant que, le 10 février 1970, les nommées I... Marguerite et W... Christine, épouse C..., nomades, provisoirement installées avec les membres de leur tribu sur la commune de O..., se sont présentées à l’hôtel-restaurant tenu à O... par B.. S... Houcine, en fait exploité par sa concubine K... Z... ;
Attendu que, selon cette jeune femme, Nord-Africaine âgée de 23 ans et enceinte, les inculpées ont entrepris, d’abord, de lui prédire l’avenir, I... lisant dans les lignes de la main candis que W... discourait, exigeant d’elle de la regarder fixement ;
Attendu que la nommée W... l’a ensuite invitée à tenir un fil noué dans la main, indiquant que, si le noeud se défaisait, elle leur donnerait de l’argent ; qu’elle lui a également dit qu’elle voyait beaucoup d’argent dans ses yeux; qu’alors, « saoulée de paroles », selon son expression, dame K... « a fait ce qu’elles voulaient » et qu’elle est ainsi allée cherchez à diverses reprises, de l’argent qu’elle leur a remis, soit au total, selon B.. S..., la somme de 2.190 F;
Attendu que cette version des faits est confirmée par Co... Judith, employée de maison de dame K..., qui a remarqué la façon étrange dont l’une des femmes regardait sa patronne, la pâleur de celle-ci, puis ses allées et venues et son geste renouvelé de remettre quelque chose aux nomades ;
Attendu que Co... Judith déclare encore que, après le départ des inculpées, sa patronne est demeurée silencieuse, paraissant malade, de sorte qu’elle l’a secouée ;
Attendu, enfin, que B.. S... constatait, à son retour, vers 12 heures, que sa femme était dans un état lamentable, pâle et très choquée ; qu’un certificat médical, daté du 11 juin, atteste que dame K... a présenté un choc émotionnel avec tremblements et prescrit un repos de 10 jours ;
Attendu que les deux inculpées soutiennent que dame K... leur a remis volontairement, au cours de leur visite, une somme de 150 F en paiement de napperons et pour fêter le mardi gras ; qu’elles font plaider que, en tout état de cause, il n’y a pas eu appréhension des sommes d’argent; que, dans ces conditions, le délit de vol n’est pas caractérisé ;
Attendu que ne peut être reconnue comme volontaire la remise faite par une personne dont les facultés mentales, momentanément diminuées, ne lui ont pas permis de se rendre compte de la portée exacte de son acte, de sorte qu’elle n’a été qu’un instrument passif à l’aide duquel celui-là même qui a reçu la chose l’a appréhendée, en réalité, frauduleusement ;
Attendu que tel est le cas en l’espèce ; qu’en effet, il ,résulte, tant des procédés employés par les inculpés, et qui sont unanimement reconnus comme efficaces, que de l’état de dame K..., pendant et après les faits, qu’elle a été hypnotisée et qu’elle a, dès lors, perdu le contrôle de sa volonté, son jeune âge, son éducation et son état de grossesse la rendant particulièrement vulnérable ;
Attendu qu’ainsi la prévention est établie à l’égard des dames I... et W... ;
Attendu, par ailleurs, qu’après avoir constaté le vol commis à son préjudice, B.. S... s’est rendu, avec sa concubine, au campement des nomades ; que, sur ses réclamations insistantes, plusieurs nomades lui ont remis de l’argent et notamment la nommée I..., la somme de 40 F, et C... Georges, celle de 165 F ;
Attendu que ce dernier a reconnu que sur cette somme, au moins 150 F ne lui appartenaient pas et qu’il l’avait trouvée avant l’arrivée de Ben Saala dans un meuble de la roulotte de sa mère, l’inculpée I... ; que, selon B.. S..., la somme de 165 F aurait été extraite par C... d’un portefeuille bourré d’argent ;
Attendu que, après cette restitution partielle, C... a immédiatement quitté la localité avec les autres membres de sa tribu, en laissant même sur place des caravanes, attitude qui démontre sa mauvaise foi ; qu’ainsi, la prévention de recel est établie à son encontre…
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NOTES :
Les rapports à établir entre le droit pénal et l’hypnose ont été minutieusement étudiés à la fin du siècle dernier (sur l’historique : v. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal, 3e éd., T.I n°334 ; Vidal et Magnol, Cours de droit criminel, 9e éd., T.I p.314, n°619). Mais la question a progressivement perdu de son éclat depuis lors, au point de n’être plus qu’évoquée dans les meilleurs ouvrages contemporains (voir cependant : A. Mellor, Vers un renouveau du problème de l’hypnose en droit criminel, Rev.sc.crim. 1958.371). Ce déclin tient à ce que la pratique judiciaire n’a rencontré que peu de manifestations de ce phénomène, au fait que les expériences de laboratoire n’ont pas fourni de résultats concluants et à une réticence certaine des juristes à admettre qu’une personne puisse ne devenir qu’un objet inconscient entre les mains d’une autre.
Cependant, la question de l’hypnose a connu un regain d’actualité lorsque certains ont proposé l’utilisation de barbituriques tels que le penthotal pour placer les suspects en état d’hypnose et les contraindre ainsi à passer aux aveux. Elle a pris, d’autre part, une résonance nouvelle avec le développement de l’usage des stupéfiants qui, entre autres effets nocifs, rendent ceux qui s’y adonnent particulièrement sensibles à l’hypnose, comme l’ont révélé les études récentes (à cet égard, on peut évoquer la trop fameuse affaire Sharon Tate).
Quoique, depuis le début du siècle, la connaissance médicale de l’hypnose ait progressé, elle n’est pas encore assez avancée pour nous permettre de bâtir une doctrine parfaitement élaborée. Aussi nous bornerons-nous à donner les quelques indications générales qui suffisent à dégager les solutions juridiques applicables en la matière.
Selon les psychiatres (nos principales sources ont été l’étude de MM. Kress et Ritter dans l’Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, n° 37820 B 50, et les ouvrages du. docteur Chertok, « L’hypnose », Paris 1969, et du docteur Chauchard, « Hypnose et suggestion », 5e éd., Que sais-je ? n°457), l’hypnose se définit comme un état proche du sommeil caractérisé par un abaissement du niveau de conscience, une régression des fonctions de base de la personnalité (notamment de la volonté et de l’affectivité) et surtout une élévation de la suggestibilité. Elle peut être provoquée par des procédés mécaniques consistant en une fixation du regard sur un objet brillant et en suggestions verbales, ce qui suppose une certaine acceptation du sujet à se soumettre à l’opération, mais elle peut aussi être obtenue par des procédés chimiques et notamment par l’injection de barbituriques tels que le penthotal.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des sujets normaux, s’ils y consentent, peuvent être hypnotisés (ils sont même plus hypnotisables que les névrosés), mais il est certain que l’élévation du niveau de la suggestibilité est très variable d’un sujet à l’autre. Aux premières expériences, la plupart. des personnes ne peuvent guère qu’entrer en transes légères, mais un sujet entraîné ou particulièrement prédisposé peut être conduit à un état d’hypnose très avancé dont l’aboutissement est l’état somnambulique. L’hypnose se manifeste alors par une régression du sujet à un état de dépendance infantile. La personne hypnotisée n’a plus ni conscience ni volonté, elle est livrée aux impulsions de son inconscient et aux injonctions de l’hypnotiseur. Il est cependant remarquable que le sujet n’exécutera pas n’importe quel ordre, il refusera d’accomplir les actes heurtant par trop son sens moral, il refusera souvent de dire ce qu’il veut ardemment tenir caché (ou du moins mentira s’il n’a pas la force de refuser de répondre aux questions qui lui sont posées).
Cette observation établit le caractère utopique de l’hypothèse extrême du meurtre sur commande, à partir de laquelle s’était développée la théorie classique et explique le déclin de la question de l’hypnose en droit pénal.
Cependant, le jugement rapporté révèle que des pratiques para-hypnotiques peuvent porter atteinte ou faciliter une atteinte aux intérêts du sujet, aussi le commentaire de cette décision nous conduira-t-il à étudier, à titre principal, le cas de l’hypnose de la victime d’une infraction (I). D’autre part, les techniques nouvelles de mise en état d’hypnose rendent concevable la commission de certaines infractions telles que la violation du secret professionnel par la personne hypnotisée, aussi ne sera-t-il pas vain d’étendre cette étude au cas de l’hypnose de l’auteur d’une infraction (II).
I - L’état hypnotique
de la victime d’une infraction
Comme le révèle le jugement rapporté, cette situation présente deux aspects bien distincts : d’une part, la mise en état d’hypnose peut porter atteinte à l’intégrité physique du sujet ; d’autre part, l’existence d’un état d’hypnose peut faciliter des atteintes aux diverses prérogatives du sujet.
A) L’incrimination de la mise en état d’hypnose
D’ordinaire, la mise en état d’hypnose ne trouble pas notablement l’état physique du sujet, et l’on ne songerait guère à la reprocher que sous l’incrimination d’exercice illégal de la médecine, à condition qu’il y ait eu but curatif. Mais il peut en être autrement lorsque le sujet se trouve, comme en l’espèce, particulièrement vulnérable du fait d’une suggestibilité exacerbée. On peut alors se demander si l’hypnotiseur ne peut pas se voir reprocher une atteinte volontaire à l’intégrité physique d’autrui (art. 309 et R 40-1° C.pén.), le fait que le mal causé soit supérieur au trouble voulu étant certainement indifférent.
Tout d’abord, il convient de remarquer que le prévenu ne saurait se prévaloir du consentement de la victime s’il avait été donné, puisque les personnes ne peuvent disposer de leur propre corps. Le seul fait justificatif susceptible de jouer en la matière paraît être le but médical poursuivi, mais il ne peut évidemment être invoqué que par un médecin.
En ce qui concerne les éléments constitutifs de l’infraction, l’aspect violences et voies de fait retient particulièrement l’attention. Il est assurément caractérisé lorsque l’hypnose a été provoquée par une injection de barbiturique, la piqûre étant en soi une voie de fait (ce point n’était pas discuté dans l’affaire Heuyer : Trib. corr. Seine 23 février 1949,Gaz. Pal. 1949.1.140 - D. 1949.287 - S. 1950. 2.150). Mais la question est plus délicate lorsque l’hypnotiseur s’est borné, comme en l’espèce, à user de procédés mécaniques tels que le fait d’inciter le sujet à fixer un objet et de le subjuguer par un flot de paroles.
Cependant, il semble que la Chambre criminelle accepterait de retenir ces agissements comme délictueux puisqu’elle qualifie de voie de fait tout acte perpétré dans le but de troubler l’équilibre nerveux du sujet, dès lors que son auteur a eu un comportement actif empreint d’agressivité ; v. à cet égard G. Levasseur, Observations sur Paris 13 mars 1968 (Rev.sc.crim. 1968.827). Elle a ainsi rejeté les pourvois formés par des personnes condamnées pour persécution téléphonique en relevant que les appels téléphoniques reprochés présentaient une gravité certaine en raison de leur multiplicité et de leur caractère agressif : Cass.crim. 3 janvier 1969 (Gaz. Pal. 1969 I 249, note P. M.).
Le second aspect de l’élément matériel des infractions des coups et blessures volontaires, à savoir l’importance du trouble causé à la victime, soulève moins de difficultés sur le plan juridique. Ce sont les médecins experts qui préciseront si la mise en état d’hypnose a entraîné un léger trouble (d’où application de l’art. R.38-l°), une maladie ou incapacité de travail personnel n’excédant pas 8 jours (art. R.40-l°), ou une maladie ou incapacité de travail personnel excédant 8 jours (art. 309).
En l’espèce, si l’on se réfère aux faits rapportés dans le jugement, on constate que la dlle K... a été victime d’agissements destinés à lui causer une perte de conscience et qu’elle a subi un choc émotionnel la contraignant à prendre dix jours de repos. Le délit de coups et blessures de l’art. 309 C.pén. paraît donc bien constitué. Pourquoi le tribunal a-t-il alors refusé de retenir cette qualification : maladresse de rédaction dans l’acte de saisine, ou erreur des juges quant à leur pouvoir de disqualification ?
A cet égard, on relèvera que les délits de coups et blessures volontaires et de vol traduisent deux intentions criminelles distinctes et portent atteinte à des intérêts juridiques indépendants 1’un de l’autre (intégrité corporelle et droit de propriété). En conséquence, compte tenu du droit positif en matière de conflit de qualifications, ils peuvent, en principe, être retenus ensemble (rappr. Cass.crim. 3 mars 1960, Bull.crim. 1960 n°138 p.286). Seulement, en l’espèce, on peut se demander si les voies de fait constatées constituent non un délit indépendant, mais une circonstance aggravante du délit de vol commis à l’encontre de la victime puisqu’elles l’ont rendu possible.
B - L’incrimination des agissements dirigés
contre une personne en état d’hypnose
La technique de l’hypnose sera utilisée par un délinquant qui désire vaincre de l’intérieur la résistance du sujet ; elle lui permettra de faire l’économie de la violence physique en agissant avec le consentement apparent de la victime. Alors, ou bien cette dernière sera purement passive (a), ou bien elle accomplira elle-même l’acte dont elle sera victime (b), ce qui a été le cas en l’espèce.
a) La victime purement passive
Lorsque la victime, privée de volonté par l’effet de l’hypnose, consent aux entreprises de l’auteur, se pose la question de savoir si le consentement ainsi donné est efficace. La doctrine ne l’admet évidemment pas : en ce sens, voir notamment, Garraud (Traité de droit pénal, 3e éd., T.I, n°334 p.650). En conséquence, elle enseigne que l’individu qui abuserait d’une femme en état d’hypnose commettrait un viol (Garçon, Code pénal annoté, art. 331, n°38 ; Vouin, Droit pénal spécial, n°296 p.308).
Si la solution est certaine, sa justification est discutable. Garraud voyait dans la mise en état d’hypnose une violence morale, une contrainte, donc un vice de consentement. Il nous semble plus exact de dire, puisque l’individu en état d’hypnose se trouve sans conscience et sans volonté, qu’il y a absence totale de consentement. C’est en ce sens que se prononce implicitement le jugement rapporté lorsqu’il dit que la personne hypnotisée n’est qu’un instrument passif.
b) La victime agent actif
L’hypnotiseur peut inciter le sujet, non seulement à subir une infraction, mais encore à, en faciliter la commission. Ainsi, en l’espèce, la victime a d’elle-même remis aux prévenues l’argent qu’elles demandaient. Dans ces conditions, l’auteur n’accomplit pas personnellement tous les actes prévus par la 1oi d’incrimination et l’on peut se demander si l’infraction se trouve néanmoins constituée (peut-il y avoir vol sans acte de soustraction ?).
La Chambre criminelle s’est vu poser la question dans un espèce où le prévenu avait obtenu d’une idiote la remise d’une somme d’argent. Or, elle a cassé l’arrêt relaxant le prévenu au motif que l’idiote n’a pas eu conscience de son acte et n’y a apporté qu’une volonté quasi animale, de telle sorte qu’elle n’a été qu’un instrument passif à l’aide duquel celui-là même qui a reçu la chose l’a appréhendée en réalité frauduleusement.
C’est de cette décision que s’inspire le jugement rapporté, qui reprend d’ailleurs la formule ci-dessus. Sa transposition nous paraît parfaitement justifiée : l’hypnotiseur a dicté ses actes à une victime privée de volonté et doit, dès lors, être réputé les avoir accomplis lui-même. Si celui qui profite de la faiblesse d’esprit d’autrui pour se faire remettre un bien commet un vol, à plus forte raison doit-il en être ainsi quand le prévenu est responsable de la faiblesse mentale de sa victime.
Mais alors, n’y a-t-il pas vol avec violence ? (art. 382 C.pén.). Ne faut-il pas faire du délit de coups et blessures déjà établi une circonstance aggravante du vol maintenant caractérisé ? Cela semble difficile à admettre. En effet, selon la doctrine dominante, la violence, circonstance aggravante du vol, n’est caractérisée que par des violences matérielles, elle ne saurait résulter de simples pressions morales ; en ce sens : Garraud (ouvrage précité, T.IV, n°2485 p.238) et Garçon (ouvrage précité, art. 381-386, n°19). En l’espèce, il semble donc que les juges auraient dû retenir les deux qualifications de vol et de coups et blessures volontaires.
Ce que l’on retiendra surtout de ce jugement, c’est l’imputation à l’hypnotiseur d’actes matériellement accomplis par la victime à son détriment. Mais cette analyse peut-elle être étendue au cas où la personne hypnotisée porte atteinte aux intérêts d’un tiers ?
II - L’état hypnotique de l’auteur d’une infraction
Une personne en état d’hypnose peut-elle commettre une infraction, soit de son propre mouvement, soit sur la suggestion de l’hypnotiseur ? Telle est la question qui a retenti l’attention de la doctrine lors de la période faste des études sur l’hypnose. Médecins et juristes, partant d’infractions de droit naturel telles que l’homicide ou le vol, y ont généralement répondu par la négative en relevant que les interdits moraux du sujet s’opposent irréductiblement à une semblable suggestion. C’est oublier qu’il existe des infractions de nature technique qu’une personne momentanément privée de sens critique peut commettre sans violer ses tabous ; il en est ainsi notamment de la violation du secret professionnel ou de la diffamation. Il n’est dès lors pas sans intérêt de rechercher si l’on petit poursuivre la personne hypnotisée (A) et même l’hypnotiseur qui a sciemment provoqué l’infraction (B).
A) Les poursuites dirigées contre la personne hypnotisée
A cet égard, il convient de distinguer selon que le sujet a accepté en connaissance de cause d’être hypnotisé (a), ou a au contraire subi involontairement l’influence de l’hypnotiseur (b).
a) La personne en état d’hypnose voulu
Si l’auteur matériel des faits s’est laissé hypnotiser en sachant que, lorsqu’il se trouverait en état d’inconscience, il commettrait une infraction, sa responsabilité peut assurément être engagée sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur le degré de suggestibilité atteint. Dans ce cas, en effet, on peut considérer que c’est la volonté préalable à l’état d’hypnose qui a dicté les actes réalisés pendant l’hypnose. Quoique curieusement séparés dans le temps, l’élément matériel et l’élément moral de l’infraction se trouvent néanmoins réunis. Par ailleurs, de même que l’ivresse fautive, l’hypnose recherchée ne saurait constituer une cause de non-imputabilité : rappr. Vidal et Magnol (Cours de droit criminel, 9ème éd., T.I p.317 n°169) et J-A. Roux (Cours de droit criminel, 2ème éd., T.I, p.170).
C’est ce qu’a jugé le Tribunal correctionnel de Jonzac le 26 mai 1898 (S. 1899.2.22) dans une affaire de somnambulisme (on rappellera à cet égard que le somnambulisme peut résulter d’une transe profonde provoquée par hypnose). Une femme poursuivie pour exercice illégal de la médecine faisait valoir, pour sa défense, qu’elle avait accompli les agissements reprochés alors qu’elle se trouvait en état de sommeil somnambulique. Mais le tribunal a écarté cet argument au motif qu’elle se soumettait volontairement à l’état somnambulique depuis de nombreuses années afin d’accomplir des actes médicaux et que cette volonté constante devait recouvrir l’ensemble de son activité (au demeurant fort rémunératrice).
De même pourrait être poursuivi pour contravention de divination (sinon pour délit d’escroquerie) celui qui prédirait l’avenir après s’être fait mettre en état d’hypnose.
b) La personne en état d’hypnose involontaire
On ne peut assurément reprocher à une personne d’avoir contrevenu à une prescription légale, dès lors que les constatations des médecins établissent qu’elle se trouvait en état d’hypnose au moment des faits (en ce sens : Stéfani et Levasseur, Droit pénal général et procédure pénale, T.I, n°295). On ne saurait, par exemple, la poursuivre pour la violation d’un secret professionnel qu’elle aurait commise sous l’effet d’une injection de penthotal. Mais on peut s’interroger sur la cause exacte de cette impunité indiscutable.
Très généralement, la doctrine considère que l’état hypnotique doit être assimilé à la démence et que celui qui a agi dans cet état est couvert par la cause de non-imputabilité de l’article 64 C. pén. Il aurait bien commis une infraction, mais on ne pourrait la lui reprocher puisqu’il ne jouissait pas de toute sa lucidité lorsqu’il a agi.
Cette analyse nous semble discutable. Une personne en état hypnotique profond se trouve, non pas atteinte de l’une des maladies de l’intelligence ou de la volonté qui entrent dans le domaine de l’art. 64, mais totalement privée de conscience. Parler de cause de non-imputabilité paraît, dès lors, insuffisant. La source de l’exonération est beaucoup plus profonde. Ce que fait disparaître cette absence de conscience, c’est non seulement la culpabilité ou l’imputabilité, mais encore l’infraction elle-même. En effet, les diverses formes de l’élément moral comportent comme plus petit commun dénominateur la conscience de ses agissements chez l’auteur des faits (voir notamment la définition du dol général proposée par Garçon, Code pénal annoté, art.1 n° 77). Dès lors, à défaut de conscience, il ne saurait y avoir d’élément moral et, par voie de conséquence, d’infraction pénale.
En ce sens, on peut évoquer la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 décembre 1956 (D. 1957 349, note Patin) ; voir. J-L. Costa, « A propos d’un arrêt récent de la Cour de cassation en matière de minorité pénale » (Rev.sc.crim. 1957.363). Selon cet arrêt, tout délit supposant que son auteur a agi avec intelligence et volonté, un enfant en bas âge ne peut commettre d’infraction pénale. En effet, dès lors que l’enfant n’a pas compris et voulu l’acte qu’on lui reproche, l’élément moral de l’infraction fait défaut et l’infraction elle-même ne peut être constituée.
Cette analyse semble bien pouvoir être étendue à l’hypothèse de l’hypnose puisque, d’après les psychiatres, l’état hypnotique est justement caractérisé par une réduction du sujet à l’état infantile.
On remarquera en outre que, selon la jurisprudence rappelée précédemment, la personne hypnotisée n’intervient dans les événements que comme un instrument passif doté, au plus, d’une volonté quasi animale. On ne conçoit dès lors pas qu’elle puisse commettre une infraction et, à plus forte raison, être poursuivie. Ne reste alors à la victime que la possibilité de se tourner contre l’hypnotiseur.
B) Les poursuites dirigées contre l’hypnotiseur
Si la personne hypnotisée avait conservé suffisamment de conscience au moment des faits pour que l’on puisse considérer qu’elle a commis une infraction pénale, l’hypnotiseur pourra être poursuivi en tant que complice, dès lors qu’i1 aura manifesté une volonté criminelle. Il sera même plus précisément qualifié d’instigateur par abus d’autorité ou de pouvoir (en ce sens : Garraud, ouvrage précité, n°334 p.652) ou par artifices coupables (en ce sens : Donnedieu de Vabres, ouvrage précité, n°347 p.202 ; Vidal et Magnol, ouvrage précité, n°169 p.316 ; Bouzat et Pinatel, Traité de droit pénal, T.I, n°256).
Mais si la personne hypnotisée a agi dans un état d’inconscience totale et si elle n’a pu, dès lors, commettre une infraction pénale, il n’est évidemment plus possible de recourir à la théorie de la complicité. Force est alors de demander si l’hypnotiseur peut être poursuivi en qualité d’auteur, donc s’il est possible de lui imputer les agissements réalisés par le sujet sur ses suggestions. De manière plus générale, la question qui se pose est de savoir si une personne peut réaliser un délit en faisant accomplir l’élément matériel par un tiers inconscient.
La Chambre criminelle l’a admis, dans le cas du vol, par un intéressant arrêt du 19 novembre 1909 (Bull.crim. n°536 p.1034). En Indochine, un chef de canton donne l’ordre à son planton d’aller appréhender un acte de vente chez un tiers ; le planton accomplit sans la comprendre la mission qui lui a été confiée ; la victime porte plainte. La Chambre criminelle rejette le pourvoi formé par le chef de canton contre l’arrêt qui l’avait condamné aux motifs que « l’appréhension ainsi, commise, sur l’ordre de Trinh Hiep, par son subordonné qui était son instrument passif, constitue Trinh Hiep auteur de la soustraction incriminée ».
Cette décision semble parfaitement fondée. Ne condamnerait-on pas sans hésitation comme auteur d’un vol celui qui ferait dérober un bien par un enfant en bas âge ou par un animal ? Pourquoi en irait-il autrement lorsque l’agent est un adulte inconscient ?
Une telle analyse serait sans doute valable pour de nombreuses infractions (notamment pour l’empoisonnement), mais elle semble inapplicable aux délits qui, en vertu de la loi, ne peuvent être accomplis que par une personne donnée (ce que Prins, dans son ouvrage « Science pénale et droit positif », appelait « Les délits propres »). Ainsi, on concevrait mal que soit tenu pour auteur d’une violation d’un secret professionnel l’hypnotiseur qui aurait réussi, par des méthodes mécaniques ou par l’injection de barbiturique, à faire, parler celui qui était détenteur d’un secret professionnel. Dans ce cas, en effet, une condition préalable à l’infraction, à savoir la qualité de l’auteur, fait irrémédiablement défaut et l’infraction ne peut dès lors être constituée.
Ce cas particulier doit être ajouté à la liste des hypothèses qui font regretter que notre droit ne connaisse pas une incrimination indépendante visant les agissements de l’auteur intellectuel.