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LA DÉTENTION PRÉVENTIVE :
MESURE EXCEPTIONNELLE ?

Commentaire de l'article 137 du Code de procédure pénale

(Gazette du Palais - Journal du 10 juin 1966, Recueil 1966 I Doct. 130)

La matière de la détention préventive, devenue détention provisoire,
a été bouleversée par une douzaine de lois depuis que cet article a été publié ;
aussi ne trace-t-il plus un tableau du droit positif.

Mais les avantages et les inconvénients, les difficultés et les problèmes
liés à la détention avant jugement n’ont pas changé pour autant ;
c’est pourquoi il conserve un certain intérêt du point de vue de la science criminelle.

Au demeurant l’instabilité de la législation,
qui a multiplié les causes de nullités et favorisé les moyens dilatoire
entraînant la remise en liberté de dangereux malfaiteurs,
incite à revenir aux principes généraux.

1. — Ainsi que l’a fait remarquer l’un d’entre eux, les rédacteurs du Code de procédure pénale se sont gardés d’utiliser des formules rappelant des principes philosophiques ou constitutionnels (1). Cependant, par exception à cette règle qu’ils s’étaient imposée, ils ont cru devoir consacrer un article à l’énoncé du principe selon lequel « la détention préventive est une mesure exceptionnelle » tant il leur paraissait essentiel.

2. — La détention préventive est en effet une mesure qu’il convient de n’appliquer que là où elle est absolument indispensable du fait qu’elle peut avoir des conséquences particulièrement graves (2) pour celui qui, quoique présumé innocent, est emprisonné.

Son principal inconvénient découle de la première opération qu’elle suppose à savoir l’arrestation. Déjà, sur le plan psychologique, on a justement souligné que c’est à ce moment que se concentre presque toute la perniciosité de l’institution (3) en raison du choc émotionnel qu’elle peut causer (4). D’autre part, d’un point de vue purement juridique, il est bien connu que l’arrestation, créant un commencement de poursuite, fait peser sur l’intéressé une véritable présomption de culpabilité (5) qui risque de fausser le déroulement du procès pénal : « La détention préventive appelle la condamnation. » (5b)

Bien plus, l’expérience a révélé que, si le prévenu vient à être condamné, la juridiction de jugement aura tendance à prononcer une peine ferme d’emprisonnement d’une durée au moins égale à celle de la détention subie, de manière à justifier celle-ci a posteriori. Ainsi, à la mise en échec de la présomption d’innocence, s’ajoute souvent un durcissement de la répression et une mise en échec des règles relatives au sursis (6).

D’autre part, au regard du droit pénitentiaire, la détention préventive présente tous les inconvénients si souvent dénoncés des emprisonnements de courte durée (7). A cet égard encore elle est donc condamnable.

Par ailleurs, en cas d’acquittement, outre l’absence habituelle de droit à réparation, il est à craindre que l’innocence établie dans ces conditions ne paraisse douteuse et que ne subsiste dans le public un doute gravement préjudiciable à l’intéressé.

Enfin, lorsque le procès aboutit à une condamnation, du fait que l’imputation de la détention préventive sur la durée de la peine n’est que facultative, le temps passé en prison par le condamné peut excéder la durée maximale de la peine prévue par le législateur (8). Cela constitue une atteinte au moins indirecte au principe de la légalité des peines.

On peut résumer ces critiques en rappelant l’opinion de R. Garraud : « La détention préventive est une institution à laquelle l’idée de justice est étrangère » (9).

De telles conséquences devraient semble-t-il conduire à prohiber la détention préventive. Mais une solution aussi radicale ne peut être envisagée : la nécessité de l’institution est aussi indiscutable que ses vices.

3. — Depuis Faustin Hélie (10) on s’accorde à reconnaître que la détention préventive est une mesure qui répond à trois fins différentes : elle facilite l’instruction en plaçant le prévenu à la disposition de la justice et en lui interdisant de faire disparaître les preuves, elle assure la sécurité publique en le mettant hors d’état de nuire et elle garantit l’exécution de la peine qui sera prononcée en l’empêchant de prendre la fuite.

Ainsi la détention préventive présente une nature juridique panachée : elle est tout à la fois acte d’instruction (11), mesure de sûreté et peine par anticipation.

Mais en pratique, il est rare que la détention préventive présente ce triple visage : dans chaque d’espèce c’est l’une de ces qualifications qui prévaut. Il conviendrait donc que soit précisé dans chaque hypothèse le but exact poursuivi pour que puisse être déterminé le régime applicable. La motivation du mandat de détention apparaît ainsi dès l’abord une nécessité absolue (12).

4. — Cela est d’autant plus vrai que, ne trouvant pas son fondement dans l’idée de justice, la détention préventive ne peut guère être justifiée que par la notion de nécessité (13). Or cette nécessité, seul soutien de l’institution en détermine les limites : la détention préventive n’est admissible que si les circonstances de l’espèce l’imposent comme seul et unique moyen d’assurer le respect de la sécurité publique et le déroulement normal du procès pénal. Ces circonstances doivent donc être relevées dans une motivation sérieuse.

Ainsi que le soulignait Faustin Hélie : « La détention préalable ne doit point être appliquée dans tous les cas où elle n’est point indispensable soit à la sûreté publique, soit à l’exécution de la peine, soit à l’instruction du procès. La nécessité étant la condition et la mesure de son application, dès que cette nécessité n’est plus constatée, la mesure est présumée inutile, et, si elle est inutile, elle n’est plus qu’un abus odieux » (14).

5. — De tels principes devaient conduire à la conclusion que la détention préventive est nécessairement une mesure de caractère exceptionnel (15), mais ils n’ont été dégagés que bien lentement. Ainsi notre ancien Droit considérait encore que la détention préventive constituait le principe et la liberté provisoire l’exception. Toutefois, l’ordonnance de 1670 défendait de décerner prise de corps contre les domiciliés, sauf pour crime puni d’une peine afflictive et infamante et à la condition qu’il résultât de l’information un commencement de preuve particulièrement pertinent (16).

A la suite du Droit intermédiaire, et en dépit des principes contraires à la détention préventive énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme, le Code d’instruction criminelle dans son article 113 refusait la mise en liberté provisoire lorsque le titre de l’accusation emportait une peine afflictive et infamante. Quoique son article 114 ait prévu sous certaines conditions la possibilité d’une liberté provisoire sous caution, la détention préventive n’en demeurait pas moins encore de principe. Une loi du 14 juillet 1865 n’a fait que tempérer cet état de droit (17).

C’est à une loi du 7 février 1933 (18) que revient le mérite d’avoir pour la première fois élevé la liberté provisoire au rang de principe. Elle imposait en effet au juge d’instruction de renouveler tous les quinze jours les mandats emportant détention. Ainsi apparaissait le système dit des mandats à échéance. Mais en dépit d’un allégement de la procédure apporté par une loi du 25 mars 1935, cette réforme se solda par un échec. Les détenus usaient des dispositions de la loi pour freiner la procédure d’instruction, puis ils arguaient des lenteurs de cette procédure pour demander leur liberté provisoire (19). Ceux qui ont connu ce régime, en particulier les magistrats de la Cour suprême, en ont conservé un souvenir très mitigé qui explique peut-être la réaction actuelle de la jurisprudence.

L’entrée de la France dans la Seconde Guerre mondiale ne permit pas de tenter une nouvelle expérience. Un décret-loi du 17 novembre 1939 rétablit en conséquence dans ses grandes lignes, le système de la loi de 1865. Cependant les circulaires ministérielles, en particulier celle du 2 avril 1952, continuèrent à rappeler que la détention préventive ne devait être ordonnée que de manière exceptionnelle. Cet accident législatif ne fit que freiner une évolution dont la continuité est certaine.

Ainsi, dès la fin de la guerre, le caractère exceptionnel de la détention préventive a été réaffirmé au bénéfice des mineurs délinquants. L’ordonnance du 2 février 1945 a en effet posé en principe que ceux-ci doivent être laissés en liberté et précisé que, dans les cas extrêmes, ne peuvent être ordonnées que des mesures de garde ou de placement.

6. — Le Code de procédure pénale, sans aller aussi loin, a néanmoins solennellement affirmé le caractère exceptionnel de la détention préventive dans son article 137. Certains ont hâtivement conclu de ce texte que le port était proche, que la liberté individuelle l’emportait enfin sur les rigueurs de l’instruction. En réalité, lorsque l’on prend soin d’écarter le voile philosophique, on s’aperçoit que sur le plan législatif le nouveau régime n’a pas fait sensiblement progresser la matière.

En effet, si l’on met à part l’article 138 qui limite à cinq jours la détention préventive pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans lorsque le prévenu n’a pas déjà été condamné soit pour crime soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun, on s’aperçoit que toute la réglementation a trait au maintien en détention préventive et non à la mise en détention.

Ainsi, le législateur a repris le système des mandats à échéance, en fixant à quatre mois leur durée de validité (art. 139 modifié par l’ordonnance du 4 juin 1960). Or s’il a exigé que les ordonnances de renouvellement soient spécialement motivées, il n’a pas imposé que les mandats eux-mêmes le soient.

7. — De la sorte apparaît immédiatement une très grave lacune dans cette législation. Des deux phases de la détention préventive elle n’a réglementé que la moins grave, à savoir la seconde, celle de la prolongation (20). Il était pourtant bien connu que notre droit positif souffrait plus d’un abus des mises en détention que d’une durée abusive des détentions (21). Seuls dix pour cent des détenus sont susceptibles de bénéficier des nouveaux textes.

Encore l’exigence du renouvellement du mandat de détention n’est-elle pas générale puisqu’elle ne joue pas en cas d’atteinte à la sûreté de l’État (art. 22 L. 15 janvier 1963) (22), ni lorsque sont applicables les dispositions du nouveau Code de justice militaire (art. 156) (23), et n’est-elle expressément prévue dans le Code de procédure pénale que tant que le juge d’instruction est saisi.

Au lendemain de la promulgation de ces textes on pouvait donc se demander si les règles relatives au maintien en détention s’appliqueraient non seulement pendant la saisine du juge d’instruction mais encore après son dessaisissement.

Après avoir recherché dans quelle mesure l’article 137 a influé sur la détermination du régime applicable tant que le juge d’instruction est saisi (I), il conviendra donc de se demander s’il a conduit à une extension du domaine des règles protectrices du détenu après dessaisissement du juge d’instruction (II).

I. — Le caractère exceptionnel de la détention préventive à l’égard du juge d’instruction.

8. — Si le principe du caractère exceptionnel de la détention préventive a quelque valeur, c’est dans la mesure où il limite la durée du maintien en détention. Ce sont en conséquence l’ordonnance de prolongation et, à un moindre degré, l’ordonnance de rejet d’une demande de mise en liberté provisoire qui sont les pièces essentielles du régime actuel. Ces deux décisions ne peuvent légalement intervenir que si des motifs sérieux les justifient et sous des conditions de forme particulièrement strictes. Mais ces deux garanties ont été prévues dans des termes si imprécis que l’on pouvait craindre qu’elles ne fussent pas absolument respectées dans la pratique.

A. — Les conditions de fond du maintien en détention.

L’article 139 impose que l’ordonnance de prolongation comporte une motivation spéciale qui établisse incontestablement son opportunité, mais il ne prévoit pas expressément un contrôle de la légalité, qui semblerait pourtant devoir s’imposer.

a) L’opportunité du maintien en détention

9. — Sous le régime du Code d’instruction criminelle les demandes de mise en liberté provisoire étaient très souvent rejetées par des décisions fondées sur des motifs généraux et abstraits qui avaient pris la forme de clauses de style. C’était pour mettre un terme à cette pratique que l’article 139 exigeait une motivation spéciale (24).

Mais cette volonté manifeste du législateur n’a pas été respectée. Très tôt il est apparu que les magistrats s’en tenaient aux errements anciens sans encourir la censure de la Cour suprême (25). Ainsi a été rejeté (26) le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 avril 1959 motivé en ces termes : « Considérant que la nature et la gravité des faits, le souci de la manifestation de la vérité, les difficultés certaines de l’instruction et le danger de voir l’appelant mettre à profit une éventuelle mise en liberté pour en contrarier le cours et même pour se soustraire aux sanctions qu’il peut encourir, constituent autant d’éléments qui militent en faveur du maintien en détention... ».

Or il est évident qu’une telle motivation constitue un plaidoyer général en faveur de la détention préventive et peut être reproduite dans toute affaire de quelque importance. On est donc bien loin des motifs spéciaux exigés par le législateur.

10. — L’émotion causée par cet arrêt conduisit les pouvoirs publics à compléter en ces termes l’article 139 par une ordonnance du 4 juin 1960 : «  Le juge d’instruction peut prolonger la détention par ordonnance spécialement motivée d’après les éléments de la procédure  » (27) .

Mais cette adjonction n’a pas eu la vertu de faire revenir la Cour de cassation sur sa jurisprudence. Ses décisions postérieures sont toutes dans la ligne ancienne (28). Elle se refuse à contrôler l’opportunité des ordonnances de prolongation, des ordonnances de rejet d’une demande de mise en liberté provisoire et des décisions de révocation d’une ordonnance de mise en liberté provisoire. Elle va jusqu’à dire que les juges du fond jouissent en ce domaine d’un pouvoir discrétionnaire (29).

L’article 137 n’a donc pas sur ce point produit le moindre effet. Cela peut à la rigueur s’expliquer par la considération que l’opportunité est au départ une question de fait. Mais il n’en est pas ainsi de la seconde condition de fond qui, elle, est de pur droit.

b) La légalité du maintien en détention

11. — Si la Chambre criminelle se refusait à contrôler l’opportunité on pouvait cependant penser qu’elle accepterait de vérifier la légalité de la détention, donc si l’instruction dont elle est l’accessoire a fait ressortir des charges telles qu’elles puissent justifier une inculpation.

Sans doute une jurisprudence constante, tant sous le régime du Code d’instruction criminelle que sous celui du Code de procédure pénale, distingue-t-elle entre le procès relatif à la détention préventive et celui qui a trait au fond, mais on pouvait penser que les modifications législatives permettaient un aménagement de cette règle.

La détention préventive devant être exceptionnelle, elle ne devrait pouvoir être ordonnée que si l’inculpation qui lui sert de base est sérieusement fondée en droit. Il faudrait donc que la qualification provisoirement donnée par le réquisitoire introductif soit justifiée au vu d’une analyse sommaire des faits et puisse aboutir à une condamnation. Dès lors on pouvait espérer que la Cour de cassation accepterait de procéder à un examen prima facie pour vérifier que les faits retenus sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale.

12. — La question s’est posée dans l’affaire Lacour. Ce dernier était poursuivi pour des faits qui ne paraissaient pouvoir être qualifiés que de tentative de complicité, ce que notre droit ne sanctionne pas. La fragilité de l’inculpation étant indéniable, pouvait-on maintenir l’intéressé en état de détention préventive pendant une durée illimitée ? Si la détention préventive est réellement une mesure exceptionnelle, il est évident que cette question appelait une réponse négative.

Or la Cour de cassation (30) s’est refusée à examiner ce moyen qui lui était proposé. Elle n’a pas accepté d’apporter cette légère exception au principe de la séparation du procès pénal et de la détention préventive.

Il faut reconnaître que s’engager dans cette voie ne serait pas sans danger. On risquerait d’aboutir à faire trancher, au moins partiellement, une question de droit sans que par hypothèse tous les éléments de fait soient réunis. Mais on peut estimer que le caractère exceptionnel de la détention préventive justifie que ce risque soit couru d’autant que, dès le stade de l’instruction, se pose indéniablement une question préalable de légalité qu’il est anormal de négliger.

En pratique cette jurisprudence est contraire au principe posé par l’article 137 puisqu’elle a pour effet de priver de recours les individus détenus sur la base d’une inculpation évidemment erronée. Dans les cas extrêmes elle pourrait même laisser sans sanction un détournement de procédure qui consisterait à maintenir en détention préventive une personne que la loi pénale ne saurait atteindre quoiqu’elle soit tenue pour coupable par le ministère public et le juge d’instruction.

Il apparaît ainsi que l’article 137 n’a eu aucune influence dans son domaine d’élection, à savoir les conditions de fond du maintien en détention préventive. Ne pouvant être considéré comme une règle de droit positif autonome, il peut seulement constituer une règle générale d’interprétation.

Dans cette mesure il aurait dû conduire à interpréter de manière favorable aux détenus le second corps de dispositions, à savoir les règles de forme relatives au maintien en détention.

B. — Les conditions de forme du maintien en détention

Le maintien en détention peut résulter soit d’une ordonnance de prolongation soit d’une décision refusant la mise en liberté provisoire. Ces deux techniques obéissent évidemment à des règles différentes.

a) L’ordonnance de prolongation

13. — Le régime de cette ordonnance, prévu par l’article 139, n’a été réglementé que de manière très incomplète par ce texte. S’il est précisé qu’elle doit être rendue sur les réquisitions motivées du Procureur de la République, il n’est indiqué ni quand elle doit intervenir, ni dans quelles conditions l’intéressé est admis à présenter ses observations.

Sur le premier point la solution est évidente : le renouvellement du mandat doit intervenir tant que celui-ci n’a pas perdu sa force exécutoire, donc dans le délai de quatre mois (31). Passé ce délai le prévenu se trouve en liberté de plein droit et seul un nouveau mandat peut le priver de sa liberté (32). Encore, à notre sens, ce nouveau mandat devrait-il, contrairement au mandat primitif, être motivé spécialement aux termes de l’article 139.

La Cour de cassation a même précisé par un arrêt du 17 janvier 1963 (33) que le délai de quatre mois doit être calculé de quantième à quantième. Ainsi une ordonnance de prolongation qui a pris effet à compter du 13 février 1962 perd son autorité le 12 juin 1962 à 24 heures. Mais ce n’est là qu’une application du droit commun dont nous ne pouvons tirer d’enseignement en notre matière.

14. — Plus délicate est la question de savoir s’il doit être donné avis au conseil du prévenu de l’ordonnance de soit communiqué qui précède l’ordonnance de prolongation. La Chambre criminelle ne l’a pas admis (34).

En ce sens elle a fait valoir que si l’article 138 du Code de procédure pénale impose l’obligation de notifier aux conseils des parties les ordonnances du juge d’instruction ce n’est que dans la mesure où il s’agit d’ordonnances juridictionnelles. Or, estime-t-elle, l’ordonnance de soit communiqué qui précède l’ordonnance de renouvellement n’a pas un caractère juridictionnel, elle est une simple formalité de procédure rendue nécessaire par l’échéance du terme du mandat.

Mais une telle analyse est très inquiétante. En effet, selon une jurisprudence discutée mais constante, la nature juridictionnelle ou non juridictionnelle d’une ordonnance de soit communiqué est déterminée par la nature juridictionnelle ou non juridictionnelle de l’ordonnance qu’elle prépare. Par suite, si l’on pousse le raisonnement de la Chambre criminelle à son terme, on aboutit à cette conclusion que l’ordonnance de prolongation n’a pas un caractère juridictionnel.

Cette ordonnance tiendrait donc plus de la nature du mandat que de celle d’une décision de justice. Elle ne serait guère qu’un mandat soumis à des conditions particulières telles que la consultation du ministère public et la nécessité d’une motivation.

15. — On peut trouver une confirmation de cette conception, que semble se faire la Chambre criminelle dans la jurisprudence selon laquelle la tardiveté de la signification de l’ordonnance est sans influence sur la validité et l’efficacité de celle-ci (35). Si l’ordonnance de prolongation était tenue pour juridictionnelle, n’aurait-il pas été naturel d’exiger qu’elle fût signifiée pour pouvoir être ramenée à exécution ? La solution retenue par la Cour de cassation est la plus simple en pratique, mais comme il a été fait remarquer (36) : « Où sont les grands principes de ...59 ? »

Ainsi tout se passe comme si pour la jurisprudence l’ordonnance de prolongation était une mesure naturelle, une simple formalité administrative. Ce qui est évidemment contraire au principe posé par l’article 137.

L’article C. 279, dans sa rédaction de 1961 s’élève contre cette conception. On ne peut que l’approuver. En soumettant cette ordonnance à la formalité d’une motivation et à celle de l’appel, le législateur avait assez marqué qu’elle présente un caractère juridictionnel.

16. — Si la Chambre criminelle est allée de manière aussi évidente contre la volonté du législateur, c’est qu’elle a entendu en ce domaine comme en d’autres (37) lutter contre un formalisme qu’elle estime excessif. Pour elle, de manière générale, il ne convient de sanctionner la violation des règles de forme que si elles mettent en péril les droits de la défense. Or, dit-elle, il ne saurait en la matière y avoir atteinte aux droits de la défense puisque le détenu peut à tout moment demander sa mise en liberté provisoire (38).

Mais cette analyse est erronée au regard de la pratique. En effet, il est bien évident que le détenu n’a aucune chance de voir prospérer une demande de mise en liberté provisoire formée après l’ordonnance de prolongation. On ne peut imaginer qu’un magistrat accepte ainsi de se déjuger à quelques jours d’intervalle. Par ailleurs, en droit, il ne faut pas oublier que le régime de la liberté provisoire a été lui aussi interprété dans un sens défavorable au détenu par la jurisprudence.

b) Les décisions relatives à la liberté provisoire

17. — Par faveur pour le détenu l’article 141 §3 dispose que le juge d’instruction saisi d’une demande de mise en liberté provisoire doit statuer au plus tard dans les cinq jours de la communication du dossier au procureur de la République, laquelle doit avoir lieu immédiatement (39). Faute par ce magistrat de respecter cette prescription, l’inculpé peut saisir directement de sa demande la Chambre d’accusation. Celle-ci doit au reste se prononcer dans un délai de quinze jours, faute de quoi l’intéressé est mis d’office en liberté provisoire.

C’est là la seule règle dérogatoire au droit commun des ordonnances du juge d’instruction (40). La simple lecture de ce texte suffit à montrer le prix que le législateur attache à ce que la demande soit examinée dans les délais les plus brefs. On aurait donc pu s’attendre à ce que la Cour de cassation en fasse application de manière rigoureuse. Or il n’en a rien été (41).

Un inculpé avait formé une demande de mise en liberté un 9 décembre et le juge d’instruction n’avait statué que le 26, le détenu se porta alors directement devant la Chambre d’accusation qui rejeta sa demande. La Chambre criminelle saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, refusa d’examiner le moyen relatif à la mise en liberté au motif que la possibilité de saisir directement la Chambre d’accusation est une simple faculté dont il n’est possible d’user que tant que le juge d’instruction n’a pas statué.

Ainsi se trouve considérablement réduite la garantie prévue par le législateur. Alors que l’on aurait pu penser que ce délai, comme celui accordé à la Chambre d’accusation, était un délai de rigueur, il a été tenu pour un simple délai comminatoire.

Une nouvelle fois c’est l’interprétation défavorable au détenu qui l’a emporté contrairement au principe posé par l’article 137. Ce texte n’a donc même pas été considéré comme un principe général d’interprétation. L’examen d’une dernière situation ne peut que confirmer cette analyse.

18. — A supposer que l’inculpé ait obtenu sa mise en liberté, il peut de nouveau être incarcéré si, invité à comparaître, il ne se présente pas ou si des circonstances nouvelles ou graves rendent sa détention nécessaire (art. 144 §2). Toutefois dans le cas où la liberté provisoire a été accordée par la Chambre d’accusation, réformant l’ordonnance du juge d’instruction, ce magistrat ne peut décerner un nouveau mandat qu’autant que cette Chambre, sur les réquisitions écrites du ministère public a retiré à l’inculpé le bénéfice de sa décision (art. 144 §4).

En ce qui concerne les conditions de forme, seule cette dernière règle peut prêter à discussion. La nature juridique de la décision prise par la Chambre d’accusation est en effet délicate à analyser du fait que, par exception, c’est la juridiction supérieure qui statue ici la première.

Les deux seules indications données par le législateur, à savoir que c’est la Chambre qui statue et non son président et qu’elle le fait au vu des réquisitions écrites du ministère public, donnent à penser que la décision rendue présente un caractère juridictionnel. Dès lors il semblerait normal que l’audience soit tenue selon les règles de l’article 197 du Code de procédure pénale, donc après que l’intéressé ait été mis à même de faire valoir ses moyens de défense.

Mais la Cour de cassation (42) n’a pas admis cette conception. Elle a considéré que cette décision de la Chambre d’accusation est une simple autorisation donnée au juge d’instruction de statuer à nouveau, donc une simple mesure d’ordre intérieur. Dès lors elle a estimé que l’inculpé n’a pas à être avisé de la date de l’audience et qu’il est inutile de lui demander s’il a des moyens à faire valoir.

Là encore c’est donc la solution défavorable à la défense qui est retenue. Elle est pourtant extrêmement critiquable. En effet, dès lors que la Chambre d’accusation a autorisé le juge d’instruction à délivrer un nouveau mandat, il est évident que le détenu ne peut plus espérer obtenir d’elle une mise en liberté provisoire. Cette autorisation fait en pratique disparaître la possibilité pour l’inculpé d’agir par la voie juridictionnelle.

Bien plus on remarquera que la procédure ainsi définie est secrète, écrite et non contradictoire, ce qui est contraire à l’évolution générale de notre procédure pénale. N’est-il pas surprenant de voir renaître une telle procédure dans le domaine où elle est le plus à proscrire ? Lorsqu’elle est appliquée dans le procès au fond, le mal est minime puisque seulement éventuel. Au contraire dans le procès sur la détention préventive le mal est immédiat.

Une personne peut donc ainsi être incarcérée sans avoir été entendue et sans même avoir la possibilité de former utilement une demande de mise en liberté.

Que devient dans ces conditions l’article 137 ? Écarté de son domaine propre, les conditions de fond du maintien en détention, il est ignoré là où il aurait pu servir de règle générale d’interprétation, c’est-à-dire relativement aux conditions de forme du maintien en détention. On peut dès lors se demander avec quelque inquiétude quel a été son sort lorsque aucun texte n’y faisait même expressément appel, donc après dessaisissement du juge d’instruction.

II. — Le caractère exceptionnel de la détention préventive après dessaisissement du juge d’instruction.

Le juge d’instruction se dessaisit, soit au profit d’une autre juridiction d’instruction, soit par renvoi devant la juridiction de jugement. Ces deux situations sont régies par des textes différents, il convient donc de les distinguer.

A. — Dessaisissement au profit d’une autre juridiction d’instruction.

Le juge d’instruction peut saisir une autre juridiction d’instruction soit parce qu’il n’est pas compétent en raison de l’infraction poursuivie, notamment lorsque celle-ci relève d’une juridiction militaire, soit parce que, son instruction ayant abouti à la conviction d’un crime, il est tenu de renvoyer l’inculpé devant la Chambre d’accusation.

a) Dessaisissement au profit d’un juge d’instruction militaire

19. — C’est dans cette situation exceptionnelle que s’est posée pour la première fois la question de l’étendue du caractère exceptionnel de la détention préventive.

Un juge d’instruction militaire, saisi après dessaisissement d’un juge d’instruction civil, avait omis de décerner un nouveau mandat et laissé s’écouler le délai de validité du précédent mandat sans rendre une ordonnance de renouvellement. Le prévenu soutenait en conséquence être détenu irrégulièrement.

La Cour de cassation rejeta, le 25 avril 1960 (43), le pourvoi formé contre l’arrêt qui avait validé cette procédure, au motif que ce juge n’avait pas à décerner de nouveau mandat et que les dispositions de l’article 139 du Code de procédure pénale ne sont pas applicables devant la juridiction militaire.

Ce second point, qui seul nous intéresse directement, posait un délicat problème d’interprétation. Il était tout d’abord possible de considérer que si la Cour de cassation écartait dans ce cas les règles protectrices du détenu c’était parce que le Code de justice militaire de l’armée de terre ne le connaissait pas. Mais on pouvait aussi penser que la Chambre criminelle faisait application d’un principe général selon lequel l’article 139 serait propre à la phase de la procédure devant le juge d’instruction.

Ainsi une menace sérieuse planait sur l’étendue du principe posé par l’article 137. Il fallait, pour avoir une certitude, attendre qu’intervienne une décision relative à une juridiction de droit commun.

b) Dessaisissement au profit de la Chambre d’accusation

20. — En ce qui concerne la procédure applicable devant la Chambre d’accusation est intervenu un arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 1960 (44). Un juge d’instruction, ayant retenu des charges certaines contre une personne, l’avait renvoyée devant la Chambre d’accusation. Celle-ci, après avoir ordonné un supplément d’information, omit de statuer sur la détention préventive quoique le délai d’efficacité du mandat arrivât à expiration. Le détenu demanda à être mis en liberté, mais sa requête fut rejetée.

Il forma alors un pourvoi dont le moyen faisait valoir que «  la détention préventive étant une mesure exceptionnelle, les textes la permettant doivent être interprétés strictement et dans le sens le plus favorable au prévenu » et que, en conséquence, par combinaison des articles 181 § 2 et 205, si le mandat de détention conserve sa valeur tant que la Chambre n’a pas rendu une première décision, il doit postérieurement être renouvelé si son délai arrive à échéance.

Mais ce pourvoi a été rejeté par la Chambre criminelle. Celle-ci a en effet considéré que le mandat emportant détention conserve toute sa valeur jusqu’à ce que soit rendu l’arrêt de renvoi.

Cet arrêt est certainement critiquable dans la mesure où il considère que les règles limitant la durée de la détention préventive ne jouent pas devant la Chambre d’accusation, ce qui est contraire au principe général posé par l’article 137.

Toutefois, cet arrêt ne contenant pas de prise de position générale, il est insuffisant pour permettre de connaître la position de principe de la Cour suprême. Force est donc de se tourner vers les décisions rendues relativement aux juridictions de jugement.

B. Dessaisissement au profit d’une juridiction de jugement.

Devant la juridiction de jugement deux périodes doivent être distinguées. En effet, si la détention peut se prolonger jusqu’au jugement, elle est encore maintenue après ce jugement, tant qu’il n’est pas devenu définitif.

a) Avant le prononcé du jugement

Le prévenu est remis en liberté s’il a été renvoyé devant le tribunal de police (art. 178), mais il demeure en détention s’il l’a été devant le tribunal correctionnel (art. 179 §2) ou la Cour d’assises.

Dans ce second cas se pose la question de savoir si sont encore applicables les règles protectrices posées par les articles 139 à 141. Elle a été résolue par les deux arrêts Camille Olive des 5 octobre 1960 (45) et 1er mars 1961 (46).

21. — Dans son premier pourvoi Camille Olive reprochait à la Chambre d’accusation d’avoir refusé d’informer sur la plainte qu’il avait formée pour détention arbitraire, le mandat de dépôt délivré contre lui par le juge d’instruction n’ayant pas été renouvelé alors qu’il avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il invoquait en ce sens que, si l’article 179 §2 dispose que le prévenu arrêté demeure en état de détention, il a pour sens que le mandat ne tombe pas du seul fait de l’existence de l’ordonnance de renvoi et non qu’il échappe à l’exigence d’un renouvellement.

La Chambre criminelle, pour rejeter le pourvoi a entendu l’article 179 §2 dans son sens le plus large. Elle a estimé que les prescriptions de l’article 139 n’ont plus à recevoir application après l’ordonnance de renvoi en police correctionnelle et que, en conséquence, le prévenu arrêté demeure en état de détention préventive quel que soit le temps écoulé depuis l’ordonnance de renvoi.

La doctrine de la Chambre criminelle, déjà en germe dans les arrêts étudiés sous la précédente rubrique, est ici totalement épanouie. Elle est, comme l’on pouvait s’y attendre, défavorable aux détenus. Les règles limitatives du maintien en détention préventive, édulcorées tant que le juge d’instruction est saisi, sont purement et simplement écartées après son dessaisissement.

22. — Le deuxième arrêt Camille Olive, relatif au second volet de diptyque, est la suite logique du premier. Ce prévenu, qui avait formé une demande de mise en liberté provisoire sur le fondement de l’article 142 du Code de procédure pénale, reprochait à la juridiction de jugement de n’avoir pas examiné celle-ci dans le délai de quinze jours imposé par l’article 141 et soutenait que, par application de ce texte, il devait de plein droit être remis en liberté. Mais là encore, la Cour de cassation n’a pas cru devoir accueillir le pourvoi. Elle a estimé que l’article 141 a un champ d’application différent de celui de l’article 142 et que les dispositions de l’un ne peuvent être étendues à la situation régie par l’autre. En conséquence, du fait que l’article 142 n’impose pas de délai pour statuer à la juridiction de jugement, la Chambre criminelle a conclu que le législateur a confié à la conscience des juges le soin de se prononcer dans le plus bref délai.

Ainsi, outre que, après dessaisissement du juge d’instruction, il n’est plus besoin de renouveler le mandat de détention, rien ne garantit plus qu’une demande de mise en liberté provisoire sera examinée dans un bref délai. On peut même craindre que la juridiction de jugement ne renvoie l’examen de cette demande au jour de l’audience du procès du fond.

Dans ces conditions, il apparaît que, à ce stade de la procédure, le caractère exceptionnel de la détention préventive a pratiquement disparu. Sans doute la Chambre criminelle estime-t-elle que plus le procès est avancé, plus la culpabilité de l’intéressé est probable et moins les garanties relatives à la détention sont justifiées. Mais cette conception est contraire à celle que s’était faite le législateur ainsi que le prouve un dernier texte.

b) Après le prononcé du jugement

23. — Dans ses alinéas 2 et 3 l’article 465 dispose que celui qui a été condamné demeure en état de détention préventive dans la période qui s’écoule entre le jour du jugement et celui où la décision devient définitive. Mais son alinéa 6 prévoit que, en matière correctionnelle, en cas d’opposition au jugement, l’affaire doit venir devant le tribunal à la première audience ou au plus tard dans la huitaine du jour de l’opposition faute de quoi le prévenu doit être mis en liberté d’office.

Cette disposition, outre son intérêt pratique direct est intéressante en ce qu’elle établit que, dans l’esprit du législateur le caractère exceptionnel de la détention préventive doit subsister pendant toute la durée de celle-ci. La meilleure preuve en est que l’on retrouve ici un cas de mise en liberté de plein droit. Ce texte nous semble bien implicitement condamner la jurisprudence qui a supprimé cette suprême garantie après le dessaisissement du juge d’instruction.

Il est à noter que la Chambre criminelle, fidèle à sa ligne de conduite, a réduit la portée de ce texte. Par un arrêt du 17 novembre 1960 (47) elle a jugé que, lorsque l’affaire est venue avant l’expiration du délai de huitaine et avant toute remise, il n’y a pas lieu pour la Cour d’appel qui n’est saisie d’aucune conclusion sur ce point, de statuer sur le maintien ou la mainlevée du mandat. Le silence vaut donc confirmation de l’acte de détention. Cette solution ne peut surprendre. Elle est l’aboutissement logique d’une construction d’ensemble dans laquelle l’article 137 n’a aucune place.

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24. — Que le principe posé par l’article 137 n’ait eu aucune influence sur notre droit positif semble incontestable. Le législateur, en n’osant pas lui faire produire effet au stade essentiel de la mise en détention, lui a, dès le départ, retiré l’essentiel de sa substance. Bien plus, comme l’a justement fait remarquer M. le professeur Vouin (48), il l’a définitivement affaibli en n’opposant à la détention préventive qu’une « liberté provisoire ». Cette simple remarque de terminologie montre clairement que le principe du caractère exceptionnel n’est pas encore entré dans les mœurs. C’est ainsi que la Cour suprême parle encore de « bénéfice » de la liberté provisoire (49).

On ne peut dans ces conditions être surpris de la position systématiquement hostile à la liberté provisoire qu’a adoptée la Cour de cassation. Deux remarques générales doivent d’ailleurs être faites : tout d’abord, jamais la Cour de cassation n’a visé l’article 137 ; d’autre part, la quasi-totalité de ses arrêts en la matière sont des arrêts de rejet.

Un conseiller a indiqué que la Chambre criminelle a cherché à approuver les solutions des juges du fond de manière à ne pas gêner leur action. Comme seuls les arrêts défavorables aux détenus lui ont été soumis, ce sont donc indirectement eux qui ont fait jurisprudence ! Ainsi s’explique le travail de refoulement auquel s’est livrée la jurisprudence et qui a abouti à supprimer toute application directe ou indirecte de l’article 137 en ce qui concerne le maintien en détention.

25. — Ces conclusions auxquelles conduit une étude théorique de la matière sont exactement confirmées par l’examen des chiffres rapportés au compte général de l’administration de la justice criminelle.

Ainsi, de 1952 à 1957, on comptait en moyenne 54,2% de mises en détention préventive par rapport au nombre des affaires soumises aux juges d’instruction. Si cette moyenne est montée à 59,7% de 1958 à 1963, c’est sans doute en raison des événements d’Algérie et de leurs suites en France. Une certaine stabilité peut donc être relevée.

Dans le même temps, la moyenne des libérations provisoires par rapport aux affaires soumises aux juges d’instruction passait de 15,2% à 16,7%. Là encore, la continuité de la pratique est remarquable. Ces premiers chiffres indiquent avec une netteté surprenante que l’affirmation du caractère exceptionnel de la détention préventive n’a eu aucun effet quant au principe du maintien en détention.

En ce qui concerne la durée du maintien en détention, les indications que donne le compte général sont à première vue surprenantes. Elles révèlent qu’il y a moins de très courtes détentions depuis 1958 et que se produit en revanche une augmentation des détentions de quatre à huit mois, ce qui laisse à supposer que les magistrats, au lieu de rendre une ordonnance de mise en liberté provisoire dès qu’elle leur paraît possible, préfèrent attendre que le mandat primitif perde sa valeur. De la sorte on a pu constater une augmentation de la durée moyenne des détentions qui s’est traduite par une plus grande proportion des prévenus dans la population pénitentiaire (50).

Il apparaît ainsi que l’énoncé solennel du principe du caractère exceptionnel de la détention préventive n’a eu aucune conséquence tant en théorie qu’en pratique. Le seul résultat auquel aient conduit les textes d’application est paradoxalement d’avoir allongé la durée des détentions.

Jean-Paul DOUCET
Docteur en droit
Chargé de cours à la Faculté de droit et des sciences économiques de Caen.


NOTES :

(1) Besson, Vouin et Arpaillange, Code annoté de procédure pénale, art. 137.

(2) V. tout particulièrement : J. Carbonnier, Le problème de la détention préventive (Revue générale du Droit 1937, p.113 et s., 187 et s., 1938, p.45 et s.)

(3) J. Carbonnier, loc. cit., p.126.

(4) Faustin Hélie, Traité de l’instruction criminelle, t. IV (2e éd.) p. 606, n° 1948.

(5) Faustin Hélie, op. cit., n°1941.

(5b) J. Carbonnier, loc. cit., p. 113.

(6) En ce sens : Stéfani et Levasseur, Droit pénal général et procédure pénale, t. II p.362, n° 496.

(7) Ce risque a été particulièrement souligné par M. le président Rousselet : « De quelques réflexions sur la détention préventive » (Rec. dr. pén. 1964.275).

(8) Cass. crim. 9 novembre 1965 (Gaz. Pal. 1966.1.155).

(9) R. Garraud, Traité d’instruction criminelle, t. III, Paris 1912, p.128.

(10) Op. cit., p.606, n° 1948 ; voir aussi : J. Carbonnier, premier article précité.

(11) Retenant cette qualification par priorité : Le Poittevin, C. instr. crim. annoté, art. 94, n.6.

(12) Ainsi, en tant que mesure d’instruction la détention préventive ne se justifie que pendant la durée nécessaire à la recherche des preuves ; en tant que mesure de sécurité elle pourrait être suppléée par des mesures d’assignation à résidence ; et en tant que peine par anticipation elle ne devrait pouvoir être ordonnée que si la peine encourue est très lourde, si les garanties de représentation ne sont pas sérieuses et si l’infraction est sérieusement établie.

(13) En ce sens, p. ex. : R. Garraud, op. cit., p.186, n° 884 ; J. Carbonnier, loc. cit., p.157.

(14) Op. cit. p.610, n°1950.

(15) En ce sens : Le Poittevin, Dictionnaire des parquets (8e éd.), t. II, v° Détention préventive.

(16) En faveur d’une interprétation libérale de ce texte : Jousse, Traité de la justice criminelle, Paris 1771, t. II, p.167.

(17) Toutefois les circulaires ministérielles (p. ex. : circulaire du 20 février 1900) soulignaient régulièrement que, particulièrement en matière correctionnelle, la détention préventive devait être exceptionnelle.

(18) Voir sur l’origine de ce texte le rapport de M. le professeur Hugueney présenté au nom de la Commission d’Études législatives, Bulletin de la Société d’Études législatives 1926, p.57.

(19) Sur ces textes voir Vidal et Magnol, Cours de droit criminel, t. II. Paris 1949, p.1201

(20) De même le projet de Code d’instruction criminelle de 1948 (Rev. sc. crim. 1949 433) ne prévoyait qu’une réglementation du maintien en détention.

(21) En ce sens : J. Carbonnier, loc. cit., p.187.

(22) V. Georges Levasseur, la Cour de sûreté de l’État (Gaz. Pal. 1963.1.Doct., p.26).

(23) V. J. L. Ropers, le Nouveau Code de justice militaire, (J.C.P. 1966.I.1922, n° 58).

(24) Ainsi MM. Besson, Vouin et Arpaillange (ouvrage précité), estiment que la motivation de l’ordonnance de prolongation constitue la garantie d’une décision mûrement réfléchie. Voir de même : Lebret, Cours de droit pénal général et procédure pénale, Aix 1964, t. II, p.167.

(25) Il en avait été de même sous le régime de la loi de 1933 : Cass. crim. 14 avril 1934 (Gaz. Pal. 1934.1.882).

(26) Cass. crim. 25 juin 1959 (Gaz. Pal. 1959.2.33 — J.C.P. 1959.II.11288, concl. Gerthoffer, note Vouin).

(27) MM. Arpaillange et Vouin (Rev. sc. crim. 1960, p.669) ont exactement souligné que cette modification tend à exclure les pures clauses de style trop souvent utilisées depuis la promulgation du Code de procédure pénale.

(28) Cass. crim. 5 octobre 1960 (Bull. crim, p.840 n° 423) ; Cass. crim. 11 janvier 1961 (Bull. crim. p.36 n° 20 ) ; Cass. crim. 25 juin 1964, (Bull. crim, p.466 n° 218).

(29) Par exemple : Cass. crim. 10 février 1966, Riou. Par ailleurs il a été jugé (Cass. crim. 24 mai 1962, Bull. crim. n.206 p.423) que les juges du fond n’ont pas à justifier par des motifs spéciaux leur déclaration selon laquelle il n’existe pas de garantie suffisante de représentation de l’inculpé. Cela revient à entériner les clauses de style.

(30) Cass. crim. 25 juin 1959, précité.

(31) Sur le conflit de lois dans le temps résultant de l’allongement du délai : Cass. crim. 20 mars 1961 (Bull. crim. n° 177, p.344).

(32) Cass. crim. 29 octobre 1959 (J.C.P. 1959.II.11338, note Chambon).

(33) D. 1963.244 - J.C.P. 1963.13102 ; de même : Cass. crim. 23 février 1961 (Bull. crim. n° 119, p.229).

(34) Cass. crim. 12 novembre 1959 (Bull. crim. n° 486) ; v. les observations J. Robert (Rev. sc. crim. 1960, p.295).

(35) Cass. crim. 19 juillet 1981 (Bull. crim. p.651 n° 341); Cass. crim. 4 août 1962 (Bull. crim. p.537, n° 256).

(36) Observation Robert (Rev. sc. crim. 1963, p.124 n. 7).

(37) Voir : Georges Levasseur, « Les nullités de l’instruction préparatoire », n° 2, in La Chambre criminelle et sa jurisprudence Paris 1966, p.471.

(38) Par exemple : Cass. crim. 5 octobre 1960 (Bull. crim. n° 426, p.846).

(39) Sur l’appel de l’ordonnance du juge d’instruction rejetant une demande de mise en liberté provisoire : Cass. crim. 25 octobre 1962 (Bull. crim. n° 291 p.604).

(40) En ce qui concerne le point de départ du délai : Cass. crim. 3 mai 1960 (Bull. crim. p.488, n° 235).

(41) Cass. crim. 27 juillet 1964 (J.C.P. 1965.II.14360, note P. C).

(42) Cass. crim. 26 juillet 1965 (Gaz. Pal. 1965.2.178).

(43) Bull. crim. n° 211, p.440.

(44) Bull. crim. n° 424, p. 843.

(45) Cass. crim. 5 octobre 1960 (Bull. crim. 1960 n° 426, p.846) ; de même : Cass. crim. 21 novembre 1962, (Bull. crim. n°335, p.690).

(46) Cass. crim. 1er mars 1961 (D. 1961.275).

(47) Bull. crim. n° 531 p.1043.

(48) Le cas du docteur Colin (Rev. Sc. crim. 1965 p.823).

(49) Cass. crim. 26 juillet 1965 (Gaz. Pal. 1965.2.178)

(50) V. sur ce point, R. Vouin, article précité.

Signe de fin