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LE CONTRAT D'ASSASSINAT

(Gazette du Palais 1982 II Doct. 502)

 

Le jour des morts de l’an de grâce 1575 la reine Margot, exaspérée par les railleries dont Bussy d’Amboise, son amant du moment, était criblé par Du Guast, le favori d’Henri III, eut recours aux grands moyens : elle vint trouver dans son refuge un certain baron de Vittaux, alors à demi hors-la-loi, et le pria de la débarrasser du railleur. Le contrat fut vite conclu et les obligations souscrites rapidement remplies : la volage princesse, dit-on, paya immédiatement de sa personne ; le spadassin, pour sa part, dépêcha Du Guast dès le lendemain.

Un semblable contrat, aux termes duquel le donneur d’ordre s’engage à verser telle rémunération et le sicaire à assassiner telle personne, s’analyse en un contrat d’entreprise, nul à raison de l’illicéité de son objet. Cette sanction civile ne saurait toutefois présenter un caractère dissuasif suffisant ; aussi doit-elle être confortée par une sanction pénale. Or à cet égard notre droit positif présente d’étranges insuffisances, de curieuses lacunes.

Pour répliquer à l’exécution d’un contrat d’assassinat les législations évoluées, s’inspirant du principe de la responsabilité subjective, traitent a priori le donneur d’ordre, qui le plus souvent a inspiré le crime, d’auteur principal et le spadassin de simple coauteur matériel. Le droit chinois classique, avec son habituelle pénétration, va plus loin puisqu’il place toujours au premier rang « l’auteur de l’idée du meurtre prémédité ». Notre Code pénal en revanche, encore profondément marqué par la conception objective de l’ancien droit, voit dans l’exécutant l’auteur principal et dans l’instigateur un simple complice, Cette analyse archaïque ne permet notamment pas de poser aux jurés des questions rédigées dans des termes reflétant exactement notre actuelle conception de la responsabilité individuelle.

Si l’on se place maintenant au stade de la conclusion du contrat, l’insuffisance du droit français apparaît plus grave encore.

Aucune disposition légale spécifique ne permet en effet de sanctionner la simple existence d’un contrat d’assassinat. Supposons qu’une nouvelle Frédégonde envoie deux de ses séides assassiner le fils de Brunehaut, et qu’ils soient démasqués avant même d’avoir pu dresser leur plan d’attaque. L’autorité judiciaire (écartons ici l’aspect public du complot) se trouverait fort embarrassée. Le seul texte légal qui s’offrirait à elle serait en effet l’art. 265 du Code pénal visant l’association de malfaiteurs. Or cette incrimination s’adapte mal à la situation puisqu’elle suppose traditionnellement l’existence d’un groupe organisé et la perspective de plusieurs crimes. La nouvelle rédaction de l’art. 265, donnée par la loi du 2 février 1981, ne serait d’ailleurs probablement pas plus applicable, puisque ses auteurs ne semblent pas s’être dégagés de l’idée d’association.

Mais c’est l’insuffisance de la législation pénale relative à ,la période pré-contractuelle qui surprend le plus. Ni le fait de solliciter les services d’un tueur à gage, ni le fait pour un tueur à gage d’offrir ses services, ne tombent en effet sous le coup de la loi française.

Voici une vingtaine d’années le docteur Lacour, par des actes qui auraient été estimés non équivoques s’ils avaient été établis devant une Cour d’assises, aurait demandé à un certain Rayon de supprimer le jeune Guillaume. Malheureusement pour lui, il avait manqué de discernement dans le choix de son homme de main : Rayon fit semblant d’accepter, laissa son interlocuteur se découvrir et finit par prévenir les autorités judiciaires. Mais il apparut alors que, dans notre droit encore largement objectif, à défaut de l’accomplissement d’un acte principal par Rayon, auteur matériel désigné, la résolution criminelle de Lacour n’était pas punissable. II nous manque manifestement un délit d’instigation individuelle non suivi d’effet, délit relevant des techniques subjectives.

Plutarque fournit un exemple bienvenu de la situation inverse. Le médecin du roi Pyrrhus, celui qui fit trembler l’Empire romain, manda au consul Fabricius qu’il s’engageait à faire périr son maître si les Romains lui garantissaient en contrepartie une récompense digne du service qu’il s’offrait à leur rendre. Fabricius, indigné par cette offre, en avertit loyalement son adversaire, qui fit exécuter l’indigne disciple d’Hippocrate. Nos lois ne nous auraient pas permis de prononcer cette sanction, faute de commencement d’exécution.

On l’a bien vu à Liège, après la guerre de 1870, lorsqu’un chaudronnier de Seraing, Duchesnes-Poncelet, écrivit à l’archevêque de Paris, dans une lettre fort circonstanciée, qu’il était disposé à assassiner Bismarck moyennant 40.000 francs à la commande et 20.000 après la commission du meurtre : la juridiction d’instruction fut contrainte de rendre un non-lieu faute de loi d’incrimination.

Cette lacune a été comblée en droit belge, elle ne l’a pas été en droit français.

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Note - La constante actualité de ce type de délinquance est confirmée par cette récente information. Télétexte du 18 octobre 2002 : En Russie, 327 meurtres commandités ont été commis en 2001. Encore ne s'agit-il que du nombre des faits établis en justice !

Signe de fin