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LA MORT DE Me ARTHÉGUIER

Extrait des
« CAUSES CRIMINELLES ET MONDAINES » de 1891
par Albert BATAILLE
( Paris 1892, p.125 )

Pour une fois nous allons saisir un procès pénal
pris sur le vif, du temps où, sans radio ni télévision,
le public ne pouvait être informé que par la presse écrite.

Une première remarque, d’importance, s’impose :
il s’agit d’un procès d’assises où les jurés
ont statué en équité et non en droit.
En présence d’une infraction aussi caractérisée,
un tribunal composé de magistrats professionnels
aurait prononcé une peine de principe,
ne serait-ce que pour rappeler au respect de la loi.

En second lieu, il est intéressant de se pencher
sur le compte-rendu qui a été fait de cette audience.
Le chroniqueur judiciaire a su faire revivre les débats,
un peu comme l’aurait fait un greffier scrupuleux ;
mais il a su en outre rendre l’ambiance dans laquelle
les débats ont été menés sagement par le Président.
L’immunité légale était acquise à l’auteur de ces lignes.

Le 8 janvier dernier, dans la soirée, un jeune homme de vingt-cinq à trente ans arrivait à Confolens, par le train de Bordeaux, et se faisait conduire à l’hôtel Chaboussant.

C’était l’heure du dîner. Le voyageur s’assit à la table d’hôte, lia conversation avec ses voisins, avec le propriétaire de l’hôtel, et s’enquit avec insistance de l’adresse d’un jeune avocat de la ville, Me Arthéguier.

Il paraissait très calme et se retira de bonne heure dans sa chambre.

Le lendemain, vers neuf heures du matin, l’étranger se faisait montrer la maison de Me Arthéguier, Le patron de l’hôtel la lui indiqua de sa terrasse. Quelques minutes plus tard, l’étranger sonnait à la porte du jeune avocat. Ce fut Mme Arthéguier mère qui le reçut et qui le conduisit elle-même dans le cabinet de son fils.

Me Arthéguier travaillait à côté d’un de ses frères, un tout jeune garçon.

– Monsieur, lui dit l’inconnu, j’ai à vous entretenir de choses confidentielles et voudrais vous parler en particulier.

Le jeune frère de Me Arthéguier se retira aussitôt et l’entretien s’engagea sans témoins.

Un quart d’heure plus tard, sans que personne ne 1’eût vu sortir et sans qu’aucun bruit n’eût été entendu, le voyageur reparaissait à l’hôtel :

– Je désire régler ma dépense, dit-il. Je viens de tuer Me Arthéguier.

À la gendarmerie, où il se rendit aussitôt, le jeune homme déclara qu’il se nommait Edgar Laroche, qu’il avait vingt-cinq ans, qu’il était employé de commerce à Bordeaux et qu’il était venu venger l’honneur de sa sœur Elmire.

Six mois auparavant, à l’époque où Me Arthéguier achevait à Bordeaux ses études de droit, la famille Laroche, très honorablement connue, habitait en face de son appartement.

La jeune fille poursuivie par les déclarations d’amour les plus brûlantes, était devenue sa maîtresse, et quand Arthéguier avait quitté Bordeaux pour se faire inscrire au barreau de Confolens, Elmire Laroche était enceinte.

La pauvre fille tint sa grossesse secrète aussi longtemps qu’elle le put. À plusieurs reprises, elle écrivit à son séducteur pour le supplier de réparer sa faute, de la protéger contre la colère de sa famille, de donner un nom à son enfant.

Arthéguier ne répondit pas.

Le curé de Barbezieux, vieil ami de sa famille, sur l’intervention duquel comptait l’abandonnée, échoua comme elle dans toutes ses démarches.

Enfin le 6 janvier, avant-veille du crime, ne pouvant plus dissimuler son état, Elmire Laroche s’était décidée à écrire à son frère une lettre désolée, en lui faisant sa confession toute entière et en implorant son appui.

Après avoir lu cette lettre, Edgar Laroche se rendit dans la chambre de sa sœur, il lui fit répéter ses aveux, et jura d’amener le séducteur de la jeune fille à une éclatante réparation.

Le lendemain, il demandait un congé à son patron, achetait un revolver et quittait précipitamment Bordeaux, sous prétexte d’un voyage d’affaires en Touraine.

Laroche s’arrêta en route et prit la ligne de Confolens. On sait ce qu’il y venait faire, et le dénouement tragique de son entrevue avec Arthéguier.

Que s’est-il passé pendant les dix minutes de cet entretien ?

Un seul témoin, un seul narrateur, car Me Arthéguier, atteint de deux balles à la tempe, avait été relevé mourant et avait expiré sans pouvoir prononcer une parole.

Edgar Laroche raconte, avec toutes les apparences de la sincérité, qu’après s’être fait connaître au jeune avocat, il l’avait supplié d’écrire sous sa dictée une promesse formelle de mariage, allant jusqu’à lui jurer que si les deux caractères ne se pouvaient accorder, si sa sœur n’était pas heureuse en ménage, elle prendrait les torts sur elle et ne s’opposerait point à un divorce.

Le jeune avocat n’aurait répondu que par des railleries, par des refus obstinés et méprisants :

– Non, s’écria-t-il, je n’épouserai jamais votre sœur. Tuez-moi plutôt, si vous voulez.

Laroche tira un revolver de sa poche et fit feu !

Edgar Laroche est un jeune homme de vingt-cinq ans, blond, portant lorgnon, l’allure énergique, haut en couleur, avec la moustache et la mouche, tout à fait le type du sous-officier. Il est assisté de Me Peyrecave, du barreau de Bordeaux, un des avocats, les plus distingués du Midi, qu’il me souvient d’avoir entendu il y a dix ans, dans la fameuse affaire des scandales de Bordeaux, où il portait la parole comme partie civile.

Les débats sont présidés par M. le conseiller Riffaud. M. le procureur de la République Eyquem occupe le siège du ministère public.

Me Arthéguier, la victime, débutait à peine au barreau de Confolens quand il fut assassiné. C’était le fils d’un gendarme, élevé gratuitement au séminaire et tout d’abord destiné à l’état ecclésiastique. La vocation l’abandonna vers la vingtième année et il avait renoncé à la chaire pour se destiner à la barre.

L’interrogatoire, très habilement conduit, rappelle dans tous leurs détails les péripéties de cette dramatique affaire, qui a attiré, comme on le suppose aisément, une foule énorme à la Cour d’assises d’Angoulême.

Demande : Vous avez d’excellents antécédents. Votre famille est très honnête. Votre sœur était irréprochable jusqu’au moment où elle fit la connaissance de Joseph Arthéguier. Vous-même, vous étiez intéressé dans une distillerie de Bordeaux, où vous gagniez largement votre existence, et votre famille, grâce à vous, vivait dans l’aisance. Connaissiez-vous M. Arthéguier ?

Réponse : Nullement. Je l’ai vu pour la première et dernière fois le jour où je l’ai frappé.

D. Soupçonniez-vous la conduite de votre sœur ?

R. Pas le moins du monde.

D. Votre sœur avait vingt-sept ans. Elle avait une confiance illimitée en vous. Vous avait-elle jamais dit que M. Arthéguier la recherchât ?

R. Jamais.

D. Le 7 janvier, en sortant du théâtre, vous avez trouvé une lettre sur votre table. Cette lettre, qui portait pour suscription À mon frère, vous faisait l’aveu de la faute.

R. Oui, monsieur. Ma sœur me disait que M. Arthéguier l’avait séduite, qu’elle était enceinte. Elle me suppliait de la sauver de la colère de notre père ou de la tuer. Elle me demandait de l’aider à fuir à l’étranger. Celte lettre me bouleversa, me désespéra.

D. Ne vous demandait-elle pas, au contraire d’obtenir pour elle le pardon de vos parents ?

R. Oh ! je ne me souviens plus. J’ai été tellement affolé par cette lecture !

D. Dans cette lettre, Mlle Elmire Laroche vous disait-elle que M. Arthéguier lui eût promis le mariage ?

R. Non, monsieur.

D. Ne disait-elle pas, au contraire, qu’elle savait bien qu’un aussi jeune homme ne voudrait pas s’embarrasser d’une femme et d’un enfant ?

R. Je ne me souviens pas.

D. Vous n’étiez donc point chargé par elle d’aller exiger de M. Arthéguier l’exécution d’une promesse de mariage ?

R. Non. Je suis entré dans la chambre de ma sœur, qui pleurait à genoux sur son lit; nous avons pleuré ensemble pendant une heure. Je suis rentré dans ma chambre, où j’ai passé une nuit horrible, me demandant ce que j’allais faire. Dès le lendemain matin, je suis allé consulter un avocat de Bordeaux, Me de Ribero, qui m’a répondu que je pourrais demander des dommages-intérêts, mais il n’était pas question d’argent pour nous. Me de Ribero me conseilla alors d’aller trouver M. Arthéguier sans violences, et de lui dicter une lettre ainsi conçue :

Ma chère Elmire, connaissant votre situation, je n’ai attendu pour vous demander votre main que le jour où ma situation de jeune avocat sera suffisamment assise. Mais je m’engage d’honneur à faire les démarches nécessaires dans le délai d’un mois.

Après être tombé d’accord avec lui sur ce projet de lettre, je demandai un congé à mon patron. J’allai acheter un revolver, je dis à mon père que mon chef m’envoyait à Tours pour affaires commerciales et, le soir, je partis pour Confolens.

D. Vous aviez dit à votre sœur où vous alliez. Vous lui aviez dit ce que vous alliez faire ?

R. Oui, elle connaissait tout, sauf l’achat du revolver. Je lui avais dit simplement : Elmire, penses-tu que je réussisse dans ma démarche ? Tu connais ce monsieur au moral, est-ce un homme d’honneur ? - Je crois que oui, me répondit-elle.

D. Alors, à quoi bon acheter un revolver?

R. L’accusé, avec énergie : Je l’achetai pour m’en servir au cas où ma démarche n’aboutirait pas. (Sensation.) J’étais décidé à tuer M. Arthéguier, s’il refusait d’épouser ma sœur.

Edgar Laroche arriva à Confolens à sept heures du soir. À peine descendu à l’hôtel, il demanda au patron l’adresse de M. Arthéguier et se coucha de bonne heure. Dès le lendemain matin, il se présentait chez le jeune avocat.

D. Que s’est-il passé ?

R. C’est Mme Arthéguier mère qui m’a ouvert et qui m’a conduit dans le cabinet de son fils. Je l’ai remerciée et je suis entré. L’avocat travaillait à côté de son jeune frère. Sans me nommer, je lui demandai quelques instants d’entretien particulier. M. Arthéguier ayant éloigné son frère, je lui dis : Je suis le frère de Mlle Elmire Laroche. II parut très troublé et m’offrit un fauteuil. Je viens chercher un mot pour ma sœur, lui dis-je, rendez-lui l’honneur.

- Monsieur, me répondit-il, je ne me marierai jamais, ni à votre sœur ni à une autre.

- Je viens chercher un mari, lui dis-je. Si vous êtes trop pauvre pour vous établir, comptez sur moi, je vous abandonnerai une police d’assurance, je vous aiderai par tous les moyens, j’adopterai l’enfant qui va naître. Si le ménage ne marche pas, je vous faciliterai le divorce.

- Non, répliqua-t-il, je ne me marierai pas. Qui est-ce qui me prouve que je suis le père de cet enfant ?

À ce moment, si je ne m’étais retenu, je l’aurais tué, mais je voulais ramener un mari à ma sœur. Je le suppliai encore : Cela ne presse pas, lui dis-je, signez-moi seulement une promesse de mariage.

- C’est inutile, fit-il. Je ne me marierai pas.

- Prenez garde, repris-je, je serai forcé de vous tuer.

- Eh bien ! tuez-moi ! s’écria-t-il.

J’avais encore sur le cœur l’insulte qu’il venait de faire à ma sœur, je tirai mon revolver et je fis feu.

Les trois détonations successives n’avaient fait aucun bruit. Edgar Laroche sortit tranquillement, régla sa note à l’hôtel et se constitua prisonnier. Dix minutes à peine s’étaient écoulées depuis le départ de l’hôtel.

Le malheureux M. Arthéguier n’avait pas été atteint par les deux premières balles, qui s’étaient perdues dans ses vêtements; il se leva et voulut fuir. Mais Edgar Laroche lui tira une troisième balle qui lui traversa les deux tempes. Le jeune avocat tomba. Il ne devait plus reprendre connaissance, et expira, quelques heures après, entre les bras de sa pauvre mère.

M. le président. – Vous avez voulu sauver l’honneur de votre sœur et vous avez tout perdu. Vous êtes devant la Cour d’assises, votre famille est très malheureuse, l’honneur de votre sœur n’est pas sauf. Vous êtes venu chercher un mari, vous avez laissé un cadavre.

R. J’avais promis à ma sœur de lui rapporter une promesse de mariage.

M. Chaboussant, maître d’hôtel à Confolens, premier témoin cité, déclare que Edgar Laroche était d’un grand sang-froid. Je viens de tuer M. Arthéguier, dit- il en revenant de la maison du jeune avocat. Mais vous êtes fou ! - Fou ? non pas. Je l’ai tué, reprit-il. Payez-vous, voici vingt francs. Des misérables comme ceux-là s’introduisent dans les familles et croient vraiment en être quittes à trop bon compte.

M. Chaboussant conduisit lui-même M. Laroche chez le juge d’instruction. Pendant la route, l’accusé dit avec mélancolie : J’ai tout perdu. J’ai encore deux balles dans mon revolver, je ferais mieux de m’en servir contre moi.

Mme Arthéguier, mère de la victime, comparaît ensuite à la barre tout en larmes, en grand deuil, et très humainement, M. le président Riffaud abrège, autant qu’il le peut, la déposition de la pauvre femme. C’est elle qui a relevé son malheureux fils, râlant en travers de la porte de son cabinet. Jamais son enfant ne lui avait fait aucune confidence de son amourette de Bordeaux. Mme Arthéguier a cru d’abord qu’il s’était suicidé parce qu’il avait un chagrin d’amour. Le blessé a râlé jusqu’aux dernières heures de la journée sans reprendre connaissance.

Le jeune frère de M. Arthéguier, un enfant de onze ans, succède à sa mère et rend compte de la fatale visite du 9 janvier. Mais il n’a pas assisté à la conversation qui devait avoir un dénouement si tragique.

Le beau jeune homme qui était venu demander mon frère, dit-il, avait commencé par le prier de renvoyer l’enfant, et je remontai dans la chambre de ma mère. Un quart d’heure après, notre petite bonne m’appela bien vite. - Où est votre mère, monsieur Paul ? criait-elle, votre frère est tombé dans son cabinet et il va mourir. (Sensation.)

Le blessé avait été découvert par un client qui, deux minutes après le crime, venait le consulter dans son cabinet.

Un détail bien particulier. La blessure de la tête n’avait pas répandu une seule goutte de sang. Le trou de la balle, caché par les cheveux, était à peine visible. Les médecins, appelés auprès du mourant, crurent à une attaque d’épilepsie, de telle sorte que si Laroche ne s’était pas dénoncé à la gendarmerie, jamais peut-être personne n’aurait su que le jeune avocat de Confolens était mort assassiné.

M. l’abbé Martial Augereau, curé-archiprêtre de Barbezieux, était un ami très ancien de la famille Laroche.

Au mois de novembre dernier, dit cet honorable ecclésiastique, je reçus une lettre de Mlle Elmire Laroche, qui me faisait confidence de sa grossesse et me priait d’écrire à M. Arthéguier, que je ne connaissais point, pour l’engager à réparer par un mariage prompt la faute qu’ils avaient commise ensemble. M. Arthéguier, auquel j’écrivis en effet, me répondit que c’était une affaire de chantage ; qu’il n’était absolument pour rien dans la grossesse. Je brûlai sa lettre comme j’avais brûlé celle de Mlle Laroche.

M. l’abbé Augereau ajoute que la famille Laroche, qui a longtemps habité Barbezieux, y jouissait de la considération universelle.

Mlle Laroche, sur le point de devenir mère, a été dispensée de l’audience.

Suit un jeune clerc de notaire de Bordeaux, qui a prêté sa chambre à Arthéguier, à l’époque où celui-ci achevait son droit. L’étudiant s’y rencontrait avec une jeune dame qui n’était autre que Mlle Laroche. Arthéguier raconta à son ami que c’était une jeune fille de bonne famille, qui avait accepté de lui un rendez-vous avec une très grande facilité.

À cinq heures, M. le procureur de la République Eyquem commence son réquisitoire.

L’orateur de l’accusation évoque avec émotion l’image de la malheureuse mère ouvrant elle-même, le sourire aux lèvres, la porte à l’homme qui venait assassiner son fils. Il demande aux jurés un verdict de condamnation contre Laroche, dont la sœur Elmire, la jeune fille séduite ou prétendue telle, porte en cette affaire une lourde responsabilité. Elle a vingt-sept ans ; Arthéguier était de trois ans plus jeune qu’elle. Il ne s’agit pas ici d’une fillette inexpérimentée, subissant un ascendant invincible. Mlle Elmire Laroche était décidée à trouver un mari. Elle avait coiffé sainte Catherine, et si elle a été séduite, c’est qu’elle l’a voulu.

Mlle Laroche prétend avoir été suivie par Arthéguier, alors son voisin, un jour qu’elle se rendait à vêpres. Pourquoi n’en a-t-elle pas fait confidence à sa mère et demandé son appui ? Loin de là, Mlle Laroche avoue qu’elle se laissa accoster dans la rue, qu’Arthéguier lui déclara son amour et lui promit le mariage, en lui vantant sa situation d’avocat. Tout de suite, la conversation s’engage sur des questions d’intérêt. Il semble, dit M. le procureur de la République, que ce soit un notaire qui ait été séduit. (Rires.)

Pourquoi Mlle Laroche n’a-t-elle pas ouvert la bouche de cette rencontre à sa mère ou à son frère ? – Pourquoi a-t-elle accepté d’abord des rendez-vous à l’église et ensuite d’autres rendez-vous dans la chambre d’un clerc de notaire ? Il n’y a eu dans toute cette histoire aucune surprise des sens. Les rencontres avec Arthéguier ont continué pendant plusieurs semaines, Mlle Elmire Laroche sortant toujours sous le prétexte d’aller à vêpres, jusqu’au jour où le jeune avocat, ses études terminées, repartit pour Confolens. La vérité dans cette affaire, c’est que la prétendue victime était une fille ambitieuse, qui a voulu avoir un enfant, pour s’assurer un mari. La principale coupable est cette fille, et son frère ne doit pas être acquitté, car où il n’y avait pas eu séduction, il ne pouvait y avoir vengeance.

M. le procureur de la République donne lecture de la lettre d’aveu écrite par Mlle Laroche à son frère. La voici :

C’est à toi que je m’adresse pour apprendre à mes pauvres parents la fatale nouvelle. Je n’ai pas le courage d’affronter sans toi leur courroux. Peut-être aurais-je mieux fait de fuir ? Mais où aller ? Je sais que vous êtes sans pitié pour les coupables. Je reste quand même et je viens te faire ma confession sans grandes phrases.
Au mois de juin, je fis la connaissance d’un tout jeune homme. Il fut très entreprenant ; il me troubla. Après quelques entrevues avec lui, j’étais perdue.
J’ai payé cher ma folie de quelques heures. Depuis deux mois, je ne puis douter de ma situation. Je ne cherche pas d’excuses, mais à force de chercher une issue, mon énergie s’est épuisée. J’ai écrit il y a plus d’un mois au curé de Barbezieux. Je pensais qu’il se dévouerait un peu pour moi. Je n’ai reçu ni un conseil ni une promesse.
Je n’ai pas eu le courage de mourir, mais mon avenir est perdu !
Montre-toi fort pour moi, mon frère, obtiens que mes parents ne me maudissent pas. Celui que j’ai aimé est bien jeune, notre roman a été court. Il habitait en face de nous, chez la lisseuse, maintenant il est avocat et est fixé à Confolens et ne songe point, sans doute, à s’embarrasser d’une femme, même avec la certitude que cette femme a été honnête, et d’un enfant, même avec la certitude que cet enfant a été le sien ! Aussi n’ai-je rien demandé, sachant que je n’avais rien à attendre !

M. le procureur de la République trouve cette lettre très habile, trop habile même. Il n’est pas éloigné de penser qu’elle a été concertée entre le frère et la sœur.

Il demande au jury un verdict de culpabilité avec admission de circonstances atténuantes.

Me Peyrecave prononce pour Laroche une chaude et vibrante plaidoirie.

Les deux amants étaient presque du même âge. La séduction peut parfaitement exister entre un jeune homme de vingt-quatre ans et une jeune fille de vingt-sept ans purement élevée dans une famille honorable, et qui a conservé dans ce milieu tranquille les pudeurs et les inexpériences de la quinzième année. Et quand Mlle Elmire Laroche aurait rêvé de se marier, serait-ce donc un si grand crime ? L’hypocrisie n’est pas chez elle, mais chez celui qui la poursuivait jusque dans les églises pour se donner les allures d’un bon jeune homme.

Quand bien même la jeune fille se serait offerte aux caresses du jeune Arthéguier, le frère le savait-il ? N’a-t-il pas été parfaitement convaincu, au contraire, que sa sœur avait été indignement séduite ? Ce jeune homme n’a vu que le déshonneur de son nom, le désespoir de ses vieux parents, l’avenir de sa sœur compromis. Il a été affolé et il est parti pour Confolens, espérant ramener un mari.

Me Peyrecave raconte dans quelles circonstances M. et Mme Laroche ont appris à la fois et la faute de leur fille et l’arrestation de leur fils, Un agent de police de Bordeaux vint les trouver et leur dit : Je viens vous annoncer de la part du commissaire que votre fils est arrêté. Il a tué un avocat de Confolens qui était l’amant de votre demoiselle! » (Sensation.).

Me Peyrecave demande, dans une péroraison admirable, l’acquittement de M. Laroche. M. Arthéguier n’avait pas besoin de suivre une jeune fille honnête à l’église, de s’agenouiller derrière son prie-Dieu. Il avait à Bordeaux assez d’occasions sans se faire un voleur de filles, un voleur d’honneur ! L’argent et les billets de banque ne sont pas le seul patrimoine des familles. Laroche ne se mariera jamais. Il vivra pour sa sœur, pour le pauvre petit qui va naître. Il élèvera cet enfant dont il a tué le père !

À sept heures, le jury entre en délibération. Il rapporte après une demi-heure un verdict d’acquittement.

Signe de fin