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LA CONDAMNATION DE GILLES DE RAIS
( ou GILLES DE RETZ ),
MODÈLE DE BARBE-BLEUE

Les faits, selon J. Michelet
La condamnation selon Ch. Lemire

LES FAITS
( selon J. MICHELET dans son « Histoire de France » )

Le duc de Bretagne se trouvant à Nantes, en 1440, l’évêque, qui était son cousin et son chancelier, s’enhardit par sa présence à procéder contre un grand seigneur du voisinage singulièrement redouté, un Retz de la maison des Laval, qui eux-mêmes étaient des Monfort, de la lignée des ducs de Bretagne. Telle était la terreur qu’inspirait ce nom que, depuis quatorze ans, personne n’avait osé parler.

L’accusation était étrange. Une vieille femme, qu’on appelait la Meffraie, parcourait les campagnes, les landes; elle approchait des petits enfants qui gardaient les bêtes ou qui mendiaient, elle les flattait et les caressait, mais toujours en se tenant le visage à moitié caché d’une étamine noire; elle les attirait jusqu’au château du sire de Retz, et on ne les revoyait plus. Tant que les victimes furent des enfants de paysans qu’on pouvait croire égarés, ou encore de pauvres petites créatures comme délaissées de leur famille, il n’y eut aucune plainte. Mais, la hardiesse croissant, on en vint aux enfants des villes. Dans la grande ville même, à Nantes, dans une famille établie et connue, la femme d’un peintre ayant confié son jeune frère aux gens de Retz qui le demandait pour le faire enfant de chœur à la chapelle du château, le petit ne reparut jamais.

Le duc de Bretagne accueillit l’accusation; il fut ravi de frapper sur les Laval; l’évêque avait à se venger du sire de Retz qui avait forcé à main armée une de ses églises. Un tribunal fut formé de l’évêque, chancelier de Bretagne, du vicaire de l’inquisition et de Pierre de l’Hospital, grand juge du duché. Retz, qui sans doute eût pu fuir, se crut trop fort pour rien craindre et se laissa prendre.

Ce Gilles de Retz était un très grand seigneur, riche de famille, riche de son mariage dans la maison de Thouars, et qui, de plus, avait hérité de son aïeul maternel, Jean de Craon, seigneur de la Suze, de Chantocé et d’Ingrande. Ces barons des Marches du Maine, de Bretagne et de Poitou, toujours nageant entre le roi et le duc, étaient, comme les Marches, entre deux juridictions, entre deux droits, c’est-à-dire hors du droit. On se rappelle Clisson le boucher et son assassin Pierre de Craon. Quant à Gilles de Retz, dont il s’agit ici, il semblait fait pour gagner 1a confiance. C’était dit-on, un seigneur « de bon entendement, belle personne et bonne façon », lettré de plus, et appréciant fort ceux qui parlaient avec élégance la langue latine. Il avait bien servi le roi, qui le fit maréchal, et qui, au sacre de Reims, parmi ces sauvages Bretons que Richemont conduisait, choisit Gilles de Retz pour quérir à Saint-Remy et porter- la Sainte ampoule!... Retz, malgré ses démêlés avec l’évêque, passait pour dévot; or, une dévotion alors fort en vogue, c’était d’avoir une riche chapelle et beaucoup d’enfants de chœur qu’on élevait à grands frais ; à cette époque, la musique d’église prenait l’essor en Flandre, avec les encouragements des ducs de Bourgogne. Retz avait, tout comme un prince, une nombreuse musique, une grande troupe d’enfants de chœur dont il se faisait suivre partout.

Ces présomptions étaient favorables; d’autre part, on ne pouvait nier que ses juges ne fussent ses ennemis. II les récusa. Mais il n’était pas facile de récuser une foule de témoins, pauvres gens, pères ou mères affligés; qui venaient à la file, pleurant et sanglotant, raconter avec détail comment ledit enfants avaient été enlevés. Les misérables qui avaient servi à tout cela n’épargnaient pas non plus celui qu’ils voyaient perdu sans ressource. Alors il cessa de nier, et, se mettant à pleurer, il fit sa confession. Telle était cette confession que ceux qui l’entendirent, juges ou prêtres, habitués à recevoir les aveux du crime, frémirent d’apprendre tant de choses inouïes et se signèrent... Ni les Néron de l’empire, ni les tyrans de Lombardie, n’auraient eu rien à mettre en comparaison; il eût fallu ajouter tout ce que recouvrit la mer Morte, et par-dessus encore les sacrifices de ces dieux exécrables qui dévoraient les enfants.

On trouva dans la cour de Chantocé une pleine tonne d’ossements calcinés, des os d’enfants en tel nombre qu’on présuma qu’il pouvait y en avoir une quarantaine. On en trouva également dans les latrines du château de la Suze, dans d’autres lieux, partout où il avait passé. Partout il fallait qu’il tuât... On porte à cent quarante le nombre d’enfants qu’avait égorgés la bête d’extermination.

Comment égorgé, et pourquoi ? c’est ce qui était plus horrible que la mort même. C’étaient des offrandes au Diable. Il invoquait les démons Barron, Orient, Belzébuth, Satan et Bélial. Il les priait de lui accorder « l’or, la science et la puissance ». Il lui était venu d’Italie un jeune prêtre de Pistoïa, qui promettait de lui faire voir ces démons. Il avait aussi un Anglais qui aidait à les conjurer. La chose était difficile. Un des moyens essayés c’était de chanter l’office de la Toussaint en l’honneur des malins esprits. Mais cette dérision du saint sacrifice ne leur suffisait pas. Il fallait à ces ennemis du Créateur quelque-chose de plus impie encore, le contraire de la création, la dérision meurtrière de l’image vivante de Dieu. Retz offrait parfois à son magicien le sang d’un enfant, sa main, ses yeux et son cœur.

Cette religion du Diable avait cela de terrible que, peu à peu, l’homme était parvenu à détruire en soi tout ce qu’il avait de l’homme; il changeait de nature et se faisait Diable. Après avoir tué pour son maître, d’abord sans doute avec répugnance, il tuait pour lui-même avec volupté. Il jouissait de la mort, encore plus de la douleur; d’une chose si cruellement sérieuse, il avait fini par se faire un passe-temps, une farce; les cris déchirants, le râle, flattaient son oreille; les grimaces de l’agonisant le faisaient pâmer de rire; aux dernières convulsions, il s’asseyait, l’effroyable vampire, sur sa victime palpitante.

Un prédicateur d’une imagination grande et terrible a dit que, dans la damnation, le feu était la moindre chose ; que le supplice propre au damné, c’était le progrès infini dans le vice et dans le crime, l’âme s’endurcissant, se dépravant toujours, s’enfonçant incessamment dans le mal de minute en minute (en progression géométrique !) pendant une éternité... Le damné dont nous parlions semble avoir commencé, sur cette terre des vivants, l’effroyable descente du mal infini.

Ce qui est triste à dire, c’est qu’ayant perdu toute notion du bien, du mal, du jugement, Il eut toujours jusqu’au bout bonne opinion de son salut. Le misérable croyait avoir attrapé à la fois le Diable et Dieu. Il ne niait pas Dieu, il le ménageait, croyant corrompre son juge avec des messes et des processions. Le Diable, il ne s’y fiait qu’à bon escient, faisant toujours ses réserves, lui offrant tout, « hors sa vie et son âme ». Cela le rassurait. Quand on le sépara de son magicien, il lui dit en sanglotant ces étranges paroles : « Adieu, François, mon ami, je prie Dieu qu’il vous donne bonne patience et connaissance; et soyez certain que, pourvu que vous ayez bonne patience et espérance en Dieu, nous nous entreverrons en la grand joie du Paradis.».

LA CONDAMNATION
selon Ch. Lemire
(dans « Le Barbe-Bleue de la légende et de l’histoire » Paris 1886)

Un grand seigneur, en proie aux passions les plus criminelles, s’y abandonna impunément pendant 8 ans. Malgré la rumeur publique et les indices surpris, il put égorger des victimes par centaines, peut-être huit cents.

Les juges étaient épouvantés d’horreur. C’était de l’insanité dans la cruauté et, comme le disait Poitou, le sire de Rais était possédé du diable. Il avait la monomanie du massacre, à tel point qu’on lui attribue une lettre à Charles VII dans laquelle il aurait osé avouer au roi qu’il avait eu un jour la tentation d’occire le dauphin Louis.

« J’en ai assez fait, disait Gilles de Rais, pour. faire condamner à la mort dix mille hommes.»

Cette monomanie exclut toute idée de folie. Ce n’est même pas, à part les meurtres d’enfants, un cas isolé. Ainsi, il y aurait un curieux rapprochement historique à faire, toutes proportions gardées, entre Gilles de Rais et le Régent Philippe d’Orléans (1430-1715).

Ce prince se fit en effet remarquer, comme le maréchal., par le goût et la pratique des arts et des lettres, par un mélange de cynisme, d’impiété et de dévotion, par ses faiblesses, par sa passion pour les vins capiteux et la bonne chère, au point qu’il mettait la main à la préparationdes plats. Il maniait aussi le pinceau; il était, comme Gilles, grand amateur de musique et en composa lui-même.

Il se conduisit d’abord en vaillant soldat. Dans la suite, il se livra, aux plus grands excès de la débauche avec des compagnons dissolus. Comme Gilles de Rais, Philippe s’adonnait aux sciences occultes. Il allait faire des invocations magiques dans les carrières de Vanves et évoquait les démons dans des vases d’eau avec un égal insuccès et dans un esprit de malsaine curiosité, aussi ardente, mais plus inoffensive.

On voit combien ce personnage, 300 ans plus tard et seulement un siècle et demi avant notre époque, présenta de traits communs avec le baron de Rais , au milieu du XVe siècle.

Quant aux raffinements de cruauté qui accompagnent les raffinements de la luxure, de scandaleuses révélations ont démontré, en Angleterre comme ailleurs, que Gilles de Rais n’était pas un criminel unique en ce genre et qu’une fois sur la pente du vice, la nature humaine se sent entraînée jusqu’au dernier degré de l’abjection et bien au-dessous de la bête.

En présence de ces forfaits, dit Henri Martin, cet âge de fer qui semblait ne pouvoir s’étonner de rien, en fait de mal, avait été frappé de stupeur.

Sans l’aveu de ses sortilèges et sacrilèges, le maréchal aurait pu échapper à la peine capitale; il y comptait bien et il se disait inviolable. S’il se décida à avouer ses crimes, c’est qu’il croyait qu’il lui suffirait de se faire carme pour les expier et de laisser confisquer ses biens. De leur côté, les juges de Nantes facilitaient à l’accusé les moyens de se disculper, s’il l’avait pu, contre l’évidence.

Le 21 octobre, Gilles fut amené devant une commission des principaux de ses juges, dans une salle basse, où l’on avait déployé tous les instruments de la question ordinaire et extraordinaire ; mais ils étaient cachés par une grande tapisserie. Le tribunal ecclésiastique de Rouen avait eu moins de ménagements pour Jeanne d’Arc. La jeune prisonnière avait eu à subir en face les apprêts de la torture, dans la grosse tour du château, et les apprêts du supplice, dans le cimetière Saint-Ouen, avant sa condamnation.

On lut à Gilles de Rais les aveux de ses deux complices, Henriet et Poitou. Puis il fut interrogé par Pierre de l’Hospital, chancelier de Bretagne, et l’évêque de Saint-Brieuc.

Le maréchal se mit à sangloter; ensuite il exposa, comme ses deux co-accusés, les tueries d’enfants et les invocations du diable qui devaient lui donner science, puissance et richesse, déclarant naïvement que, se confessant avant et après, il était absous de ces sacrilèges : « Il m’est permis, disait-il, de me réjouir de ce que Dieu m’a fait tenir ma pauvre âme en état de grâce ». Les juges ne le lui demandaient pas, tandis que ceux de Rouen l’avaient demandé à leur chaste victime.

Le sorcier François Prélati avait été arrêté à Tiffauges. Confronté avec son maître, il avoua que les corps des enfants tués servaient à ses sortilèges et à ses opérations magiques.

Lorsqu’on le reconduisit à sa prison, Gilles se retourna vers lui et lui dit : « Adieu, François, mon ami! jamais plus nous ne nous entreverrons en ce monde. Je prie Dieu qu’il vous donne bonne patience et connaissance et soyez certain que si vous avez bonne patience et espérance nous nous entreverrons à la grande joie du paradis. Priez Dieu pour moi et je le prierai pour vous ».

Et il embrassa avec attendrissement Prélati, qui resta impuni.

Ainsi le maréchal croyait qu’il lui suffirait d’une expiation toute mentale pour obtenir la récompense des justes, au lieu du châtiment des coupables. Les remords étaient étouffés par la «bonne espérance » de l’oubli de ses crimes devant l’inflexible justice éternelle. Quelle aberration de conscience et quel renversement des lois de la morale humaine et divine que cette assurance du pardon par l’inévitable aveu et le tardif repentir de ses crimes au moment suprême du châtiment!

Le lendemain samedi, 22 octobre, le maréchal renouvela devant le tribunal ecclésiastique, en séance publique, l’aveu de ses vices et donna le détail de ses crimes en les faisant remonter jusqu’à l’époque de sa jeunesse. La foule en éprouva un indicible sentiment d’horreur. L’accusé s’en rendit compte et se tournant vers elle, il s’écria tout en larmes : « La cause en est à la mauvaise direction que j’ai reçue dans ma jeunesse. J’allais, les rênes sur le cou au gré de tous mes désirs et je m’adonnais sans retenue au mal. 0 vous, pères et mères, je vous en prie, instruisez vos enfants dans les bonnes doctrines dès leur enfance et leur jeunesse et menez-les avec soin dans le sentier de la vertu. »

Après que le tribunal eut fait donner lecture en latin de la déposition faite la veille par le maréchal, celui-ci demanda que cet exposé fût de nouveau fait en français pour qu’il pût être compris de tout l’auditoire. Puis, il ajouta pour la seconde fois :

« Ma jeunesse entière s’est passée dans les délicatesses de la table. Marchant au gré de mes caprices, rien ne me fut sacré et tout le mal que je pus faire, je l’accomplis. En lui, je mettais toutes mes pensées; tout ce qui était défendu et déshonnête m’attirait et, pour l’obtenir, il n’est moyens que je n’employais, si honteux qu’ils fussent. Pères et mères qui m’entendez, et vous tous, parents et amis de jeunes gens que vous aimez, quels qu’ils soient, je vous en prie, veillez sur eux. Formez-les par les bonnes mœurs et les bons exemples et surtout ne craignez pas de les corriger de leurs défauts ; car, élevés hélas! comme je l’ai été moi-même, ils pourraient peut-être glisser comme moi dans le même abîme. »

Gilles de Rais voulut répéter lui-même ses aveux en langue vulgaire devant l’auditoire frémissant. Enfin, il, termina par cette troisième et dernière adjuration : «  Gardez-vous donc, pères de famille, d’élever vos enfants dans les délicatesses de la vie et les douceurs funestes de l’oisiveté; car des excès de la table et de l’habitude de ne rien faire naissent les plus grands maux. L’oisiveté, les mets délicats, l’usage fréquent des vins capiteux sont les trois causes de mes fautes et de mes crimes. Et vous, parents et amis des enfants que j’ai si cruellement mis à mort, vous, qui que vous soyez, contre qui j’ai péché et à qui j’ai pu nuire, présents ou absente, en quelque lieu que vous soyez, je vous en prie à genoux et avec larmes, accordez-moi, ah! donnez-moi votre pardon et le secours de vos prières! »

Et c’était l’un des plus grands seigneurs du temps, un haut et puissant baron, un maréchal de France, un vaillant capitaine, un ami des lettres et des arts, un jeune homme de 36 ans, un grand criminel, qui parlait ainsi à ce peuple qui l’avait tant admiré et qui, assemblé là pour le maudire, le voir juger et condamner, ressentait, en l’entendant, d’indéfinissables et étranges émotions !

Ces paroles du maréchal ne renferment-elles pas tout l’enseignement à tirer de sa lamentable histoire ? Ne suffisent-elles pas à justifier le but moralisateur de ce récit ? Ne sont-elles pas de nature à laisser dans tous les cœurs une vive impression, chez les petits comme chez les grands ?

La cause était entendue; les débats avaient été résumés. Il ne restait plus qu’à prononcer la sentence et, à cet effet, la séance fut fixée au mardi 25 octobre.

Le jugement fut rendu dans les termes suivants :

Nous, Jean de Malestroit, évêque de Nantes et frère Jean Blouyn, bachelier en texte sacré, vice-inquisiteur, siégeant en tribunal; étant consultés et nous assistant deux évêques, docteurs en jurisprudence et en texte sacré;

Ouïes les dépositions des témoins produits par nous, fidèlement examinés et leurs paroles exactement transcrites ; ouïe la confession spontanée faite devant nous ;

Te déclarons, toi, Gilles de Rais, présent en justice devant nous, hérétique, apostat, coupable d’horrible invocation des démons, de meurtres d’enfants et de crimes odieux ;

Prononçons la sentence d’excommunication et te disons, comme tel, devoir être puni par les peines du droit séculier, salutairement corrigé, comme le veulent les canons.

Fait en présence des notaires soussignés, de Pierre de l’Hospital, président de Bretagne, et autres honorables et nobles hommes, en Grande cour supérieure , siégeant en tribunal au château de Nantes, pour justice être rendue, le mardi 25 octobre 1440, à 3 heures du matin.

Henriet Griart et Corrillaud, dit Poitou, avaient été condamnés à mort dès le 23 octobre.

Gilles fut renvoyé devant le tribunal séculier.

A peine cette sentence était-elle rendue qu’un capitaine, portant par dessus son armure une huque aux armes du duc de Bretagne, somma par trois fois à voix haute et solennelle Messire Gilles de Laval, sire de Rais, d’avoir à comparaître sur l’heure devant la cour civile.

Le tribunal était prêt. L’instruction avait été faite et les témoins entendus.

Une forte escorte entoura le maréchal qui fut conduit au Bouffay, où le tribunal séculier était réuni.

Une foule immense était accourue devant le château et l’avait envahi. Les sergents avaient beau frapper de leurs boulaies, ou baguettes de bouleau, à droite et à gauche, ils ne pouvaient écarter la population, accourue de Nantes et de toute la région et qui était avide de voir le monstre à la Barbe-Bleue.

L’accusé, avant d’être emprisonné, préludait à ses crimes par des chants religieux accompagnés par l’orgue. Le tribunal chargé de le juger crut de même devoir entendre une messe en musique avant d’entrer en séance.

La Cour séculière se composait des jurés-consultes du Parlement et des commissaires du Duc. Le président était Pierre de l’Hospital : Gilles avait pour avocat Meschinot André, docteur chargé de décret et de rhétorique. Jeanne d’Arc n’avait pas eu de défenseur à Rouen.

Le maréchal parut. Il faisait horreur à la foule.

Il n’était plus vêtu en blanc comme un carme, mais tout en noir. Il portait, a-t-on dit, un pourpoint de damas noir, garni de fourrures noires et sur la tête un chaperon de velours de même couleur. Les sombres reflets de ce brillant et sévère costume de gentilhomme se confondaient avec les reflets d’un bleu noir de sa barbe.

Il lisait des prières dans son livre d’heures. Il s’avança, s’agenouilla, fit dévoiler le crucifix et renouvela des aveux devant les juges et la foule. Il reconnut ses rébellions et forfaitures vis-à-vis du duc, ses homicides et mutilations d’enfants, ses sacrilèges diaboliques et déclara qu’il méritait et acceptait le châtiment.

L’avocat soutint que c’était les démons qui avaient été les instigateurs de ces crimes et que leur auteur était irresponsable de leur fait. Rais ne l’écoutait pas et lisait ses prières.

Le président de Bretagne résuma les débats; puis, après avoir recueilli les votes, il s’assit, se couvrit et dit solennellement :

La Cour condamne l’accusé à être pendu et brûlé ! L’exécution aura lieu demain entre onze heures et midi. J’admoneste le condamné à crier merci à Dieu !

Rais remercia et demanda comme une grâce d’être conduit à la mort en même temps que ses deux complices Henriet et Poitou, «afin de les conforter et avertir de leur salut et de leur montrer exemple de bien mourir. S’il en était autrement, exposa le maréchal, et que mesdits serviteurs ne me vissent mourir, ils pourraient choir en désespérance et imaginer que je demeurerais impuni tandis qu’ils subiraient la peine que j’ai méritée plus qu’eux. Accordez-moi cette grâce, messire, de mourir avec eux et j’espère, bien que je sois cause de leurs méfaits et de leur punition, être semblablement cause de leur repentir et de leur salvation en la Jérusalem céleste.»

Cette requête vous soit octroyée, répondit le Président, qui autorisa en outre l’ensevelissement du corps, avant qu’il ne soit entièrement consumé par le feu ainsi que la sépulture dans l’église des Carmes.

Le condamné, qui avait été, sur sa demande, relevé de la sentence d’excommunication, requit en outre une procession générale des églises de Nantes, ce qui lui fut encore accordé.

Elle eut lieu le lendemain, à 9 heures du matin. L’évêque sortit de la cathédrale avec le Saint-Sacrement et dans les églises on disait des messes. Le peuple suivait en chantant des psaumes, avec le clergé, les moines et les confréries de toutes paroisses et abbayes.

Neuf ans auparavant, l’évêque et les juges ecclésiastiques avaient refusé à Jeanne d’Arc, leur pauvre victime, les prières, les messes et la sépulture qu’elle avait tant et si pieusement réclamées.

Le 26 octobre 1440, trois gibets, dont un plus haut que les autres, étaient dressés dans la prairie de Biesse et sous chacun d’eux s’élevait un bûcher. La foule entourait de près le lieu du supplice.

Les trois condamnés furent amenés ensemble au milieu d’une même escorte de nombreux hommes d’armes. Le maréchal était placé entre Henriet et Poitou qui lui baisaient les mains. Tous trois marchaient avec calme et fermeté. Ils se mirent à chanter le De Profundis que le peuple et les religieux accompagnèrent à haute voix, ainsi que les bourreaux. Rais engagea ses deux complices à bien mourir et leur promit le paradis.

Puis il salua le peuple, en ôtant son chaperon qu’il donna aux bourreaux, se mit à genoux, les mains jointes, baisant un crucifix et adjura les pères et mères des enfants occis par lui de lui pardonner et de prier pour lui. Il les invita une dernière fois à veiller sur les bonnes mœurs de leurs enfants: Enfin il se recommanda à Monseigneur Saint-Michel, le suppliant de porter son âme à Dieu.

Il récita les prières des agonisants pendant qu’on le faisait monter sur un haut escabeau et qu’on lui passait la corde au cou, alors que le bûcher était déjà allumé.

Les deux complices à genoux lui crièrent adieu et au revoir au paradis. Le bourreau renversa l’escabeau et l’on vit le corps de ce grand misérable pendu et enveloppé de flammes.

Un instant après, retentit un lugubre et solennel chant d’église. Six femmes vêtues de robes blasonnées et voilées de cagoules blanches s’approchèrent processionnellement, précédant un cercueil armorié porté par six carmes. Le peuple prétendit que la dame de Rais et sa fille Marie étaient parmi ces six femmes. Elles se placèrent près du bûcher.

La flamme brûla bientôt la corde à laquelle se balançait le supplicié, dont le corps retomba sur le brasier. Avant que le feu l’eût dévoré, les femmes l’enlevèrent, le lavèrent et le placèrent dans le cercueil que les moines emportèrent, suivis par elles, à l’église Notre-Dame-des-Carmes, après que plusieurs demoiselles eurent gardé en souvenir du repentir du maréchal quelques fragments du cadavre.

Au même moment, les deux autres condamnés étalent pendus et brûlés, et leurs cendres jetées au vents.

Et en même temps, dans la ville de Nantes, étaient solennellement célébrées, en ladite église, les obsèques et funérailles de très haut, très puissant, très redouté seigneur Gilles de Laval, sire de Rais, en son vivant chambellan du roi Charles septième et maréchal de France.

Les pères et mères de Bretagne jeûnèrent trois jours et tous les enfants du pays de Rais reçurent le fouet jusqu’au sang afin qu’ils gardent en mémoire le châtiment de ce grand criminel.

Signe de fin