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NOTIONS GÉNÉRALES SUR L’AMNISTIE

J-A  Roux  « Cours de droit criminel français », T. I, § 150.
(Sirey, Paris 1927, 2e éd.)

Les notes n’ont pas été reproduites, mais elles méritent d’être consultées sur l’original :
Roux connaissait aussi parfaitement la science criminelle que le droit de son temps.

 

L’amnistie, comme son nom l’indique, est d’origine grecque : c’est l’oubli dans lequel le législateur veut qu’on laisse ce qui a été fait contre la loi.

C’est la forme ancienne, et généralement moins heureuse, du pardon. L’amnistie est, en effet, la remise immédiate et définitive de la peine ; de plus, elle n’exige, ordinairement du moins , aucune manifestation de repentir ou d’amendement de la part de ceux qui en bénéficient. C’est le pardon accordé au hasard, sans connaissance même des délinquants. Il est possible qu’au point de vue politique, après de graves agitations populaires, cette mesure de clémence trouve sa justification ; certainement, il est plus difficile de lui en découvrir une au point de vue pénitentiaire.

L’amnistie est généralement collective : mais rien ne s’oppose à ce qu’elle soit faite pour un individu.

Sous le nom plus usité d’abolition générale, l’amnistie existait dans l’ancien droit français. Elle passa dans le droit intermédiaire ; et les événements de l’époque lui donnèrent une grande importance : de 1789 à l’an X, intervinrent plus de vingt et une lois d’amnistie.

Le droit moderne a conservé l’amnistie et en a fait une prérogative du législateur : il appartient, en effet, régulièrement à celui qui fait la loi d’en suspendre l’application (Voir Constitution du 4 novembre 1848, art. 55; et loi du 25 février 1875, art. 3).

1° Nature et mécanisme de l’amnistie.

L’amnistie est une fiction en vertu de laquelle’ le législateur tient pour inexistants, non pas les faits qui se sont accomplis, mais leur caractère délictuel.

Œuvre de la loi, l’amnistie peut avoir des effets plus ou moins étendus. Ce n’est pas que le législateur puisse supprimer des faits, mais c’est parce qu’il est en son pouvoir de leur ôter toute signification juridique (Argument Code civil, art. 2).

Dans sa technique, l’amnistie s’analyse en la supposition de la suspension ou de l’abrogation momentanée de la loi pénale : ce n’est pas, comme on le dit, un voile d’oubli jeté sur le passé, mais un voile jeté sur la loi pénale.

Mais, étant une fiction, l’amnistie a quelque chose d’empirique, qui s’oppose à ce que tous ses effets soient concordants et harmoniques.

Ainsi, il est de principe traditionnel que l’amnistie ne préjudicie pas aux intérêts privés, et qu’elle concerne seulement le droit de la société de poursuivre la répression des délits.

L’amnistie est seulement applicable aux peines, qui sont prononcées au nom de l’intérêt public dans un but répressif, quels que soient leur nom, leur genre ou leur nature, ainsi qu’à la confiscation, lorsque du moins celle-ci a un caractère pénal.

Elle l’est aussi indirectement, à moins de dispositions contraires expresses, aux mesures, qui, sans avoir un caractère pénal et n’étant que des mesures préventives, comme par .exemple les mesures de redressement et d’assistance prononcées à l’égard des mineurs, ont par leur fondement un fait délictuel.

Elle est, au contraire, inapplicable, sauf dérogation expresse de la part du législateur, aux mesures qui n’ont pas un caractère pénal, comme la confiscation, lorsqu’elle est encourue à titre de réparation civile ou de mesure de police , et les condamnations à des dommages et intérêts, prononcées en faveur de la partie civile, et dont le fondement est non pas un fait délictuel, mais un fait simplement dommageable.

Elle ne porte pas, davantage, atteinte aux demandes, que le ministère public peut formuler dans l’intérêt général aux fins de rétablissement de l’ordre légal, violé par l’infraction : tels que l’enlèvement d’un barrage, l’exécution de travaux, la suppression d’un dépôt de fumier, la fermeture d’on établissement interdit, ou d’un. débit de boissons ouvert dans une zone prohibée.

L’amnistie ne saurait être lucrative : elle n’a abrogé momentanément la loi pénale que pour dispenser le délinquant d’une peine, mais non pour permettre le maintien d’un état de choses, qui est contraire au droit ou préjudiciable à l’intérêt public.

2° effets de l’amnistie.

Généralement, l’amnistie est absolue et est inconditionnelle ; mais, elle peut aussi être partielle, octroyée sous certaines conditions ou limitée à certaines personnes.

Prise dans un intérêt d’apaisement et de concorde, elle s’impose obligatoirement, comme la loi qu’elle est elle-même, et ne peut être refusée par ceux auxquels elle est applicable.

D’un autre côté, la fiction qu’elle crée n’a pas, sauf déclaration contraire du législateur , d’effet rétroactif : elle opère ex nunc et non pas ex tunc.

Il n’y a donc pas lieu de restituer, après une loi d’amnistie, les amendes que le condamné a payées, ou les frais de justice qu’il a acquittés, comme paiement fait sans cause.

[Pareillement, la relégation qui a été régulièrement encourue, ne cesse pas de devoir être exécutée, lorsqu’une loi amnistie un des délits, dont la condamnation a été retenue en vue de la faire prononcer, si du moins ce n’est pas le dernier].

Intervenant avant toute poursuite, la loi d’amnistie éteint l’action publique.

Promulguée après la condamnation, elle efface celle-ci pour l’avenir, en sorte que le condamné est réputé n’avoir pas été condamné, et que sa condamnation n’entre en ligne de compte ni pour la récidive, ni pour la relégation.

Mais, cette suppression, n’existant que dans le domaine pénal, laisse subsister, sauf dispositions contraires expresses, les condamnations disciplinaires que le coupable a pu encourir : l’amnistie n’est pas une restitution d’honneur ; elle n’est que la renonciation au droit social de tirer vengeance du délit commis.

Même sur te terrain pénal, ses effets se trouvent circonscrits et limités.

D’une part, en cas de concours réel d’infractions, l’amnistie n’a d’effet que relativement au délit amnistié, lorsqu’elle intervient avant toute poursuite commencée.

Et, il en est de même, lorsqu’elle intervient après la condamnation prononcée, si le délit non amnistié était l’infraction la plus grave. Par contre, elle rend impossible une autre poursuite et opère d’une manière absolue, lorsque le délit amnistié est celui pour lequel la condamnation a été prononcée.

D’autre part, lorsqu’un fait délictuel unique est susceptible de plusieurs qualifications différentes, l’amnistie a des effets relatifs et n’éteint pas l’action publique, si elle concerne la qualification la plus faible, encore qu’au moment où elle intervient, des poursuites aient été déjà intentées sous cette qualification.

Au contraire, elle a des effets absolus, et anéantit l’action publique, qu’il y ait ou non des poursuites exercées, si elle efface la qualification la plus grave.

Enfin, au point de vue des intérêts civils, l’amnistie qui survient après la condamnation n’efface pas le passé et ne porte pas atteinte aux droits acquis des tiers. Mais, par contre; elle ne leur permet plus d’invoquer le délit amnistié comme fondement d’un droit.

Signe de fin