Page d'accueil > Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > Le procès pénal > Les suites du jugement > W. Jeandidier : La réhabilitation, en France, en 1991

LA RÉHABILITATION,
EN FRANCE, EN 1991

W. Jeandidier « Droit pénal général »
( Montchrestien, Paris 1991, 2e éd. )

NB – Depuis 1993 la réhabilitation est régie par les art. 133-12 et s. du Code pénal

496 – Présentation – La réhabilitation efface pour l’avenir la condamnation et elle suppose que l’intéressé a exécuté ou prescrit sa peine. A vrai dire, l’exécution ou la prescription ont déjà procuré l’extinction de la sanction. Mais l’étude de la réhabilitation se rattache à ce thème car l’institution possède certains effets spécifiques sur ce point, qui en expliquent l’intérêt. Connue sous l’Antiquité, la réhabilitation l’était aussi de l’Ancien Régime et de la Révolution. Le Code d’instruction criminelle la conserva et lui donna un régime mixte, la décision étant prise par le Chef de l’État après avis de la chambre d’accusation. La loi du 14 août 1885 en fit un mécanisme entièrement judiciaire, la chambre d’accusation devenant seule compétente en la matière. Peu après devait apparaître un deuxième type de réhabilitation, jouant de plein droit. La loi du 26 mars 1891 sur le sursis en est à l’origine, puisqu’elle déclarait non avenue la condamnation prononcée avec sursis à l’expiration d’un délai de cinq ans sans rechute. Les lois du 5 août 1899 et du 11 juillet 1900 étendirent ce système aux condamnés à une peine ferme. leur réhabilitation étant automatique une fois écoulé le délai fixé par le législateur. La grande supériorité de la réhabilitation légale est sa discrétion, ce qui explique le chiffre modeste des demandes de réhabilitation judiciaire qui sont environ de 300 par an. La réhabilitation est actuellement régie par les articles 782 à 799 C.P.P.

§ 1 - Conditions

A) Conditions de la réhabilitation judiciaire.

497 – Conditions de fond - Le condamné doit d’abord avoir exécuté sa peine, à cette exécution étant assimilées la prescription de la peine, la grâce et même la contrainte par corps quoique l’intéressé reste toujours débiteur de l’amende. De la sorte un condamné avec sursis ne peut d’aucune façon prétendre à la réhabilitation, que ce soit durant le délai d’épreuve - puisqu’il n’exécute pas la condamnation - ou une fois le délai expiré sans encombre-puisque précisément la condamnation devient non avenue -. On notera que la remise totale ou partielle d’une peine par voie de grâce équivaut à son exécution totale ou partielle (art. 784, dernier al. C.P.P.).

Outre l’exécution de la peine, deux autres conditions de fond doivent être remplies. L’écoulement d’un délai est ainsi exigé. le condamné devant avoir donné des gages sérieux de son reclassement que seul le temps peut révéler. En cas d’exécution de la peine, le délai est de cinq ans pour les peines criminelles, de trois ans pour les peines correctionnelles et d’un an pour les peines de police ; et son point de départ pour les condamnés à l’amende est le jour où la condamnation est devenue définitive, pour les condamnés à une peine privative de liberté le jour de la libération définitive ou le jour de la libération conditionnelle si elle n’est pas suivie de révocation, et pour les condamnés à une autre sanction le jour de l’expiration de cette sanction (art. 786 C.P.P.). Les délais sont augmentés si le requérant est récidiviste, s’il a déjà obtenu sa réhabilitation par le passé ou s’il a prescrit sa peine, étant alors portés à dix ans pour une peine criminelle et à six ans pour une peine correctionnelle ; de surcroît le condamné qui a prescrit sa peine doit justifier qu’il n’a encouru pendant les délais de la prescription aucune condamnation pour faits qualifiés crimes ou délits et qu’il a eu une conduite irréprochable (art. 787 C.P.P.).

On remarquera qu’en cas de commutation gracieuse d’une peine criminelle en une peine correctionnelle, le délai exigé est celui prévu en matière criminelle, la grâce laissant subsister la condamnation (Crim., 22 avril 1909, S. 1910, 1, 168). Aucune condition de délai n’est plus exigée si depuis l’infraction le condamné a rendu des services éminents au pays, l’exécution de la peine n’étant pas plus requise (art. 789 C.P.P.).

La troisième et dernière condition de fond pour la réhabilitation judiciaire est la justification du paiement des frais de justice et des dommages-intérêts, sauf en cas de prescription de la peine. L’intéressé peut d’ailleurs justifier qu’il est hors d’état de se libérer des frais de justice (art. 788 C.P.P.).

498 - Conditions de forme - Au plan formel, le condamné doit adresser sa demande de réhabilitation au procureur de la République de sa résidence actuelle. Ce magistrat instruit le dossier; pour ce faire il prend notamment l’avis du juge de l’application des peines (art. 791 C.P.P.) et il se fait délivrer une expédition des jugements de condamnation, un extrait du registre des lieux de détention où la peine a été subie constatant quelle a été la conduite du condamné et un bulletin n° 1 du casier judiciaire (art. 792 C.P.P.). Son office achevé, le procureur de la République transmet les pièces avec son avis au procureur général à qui il incombe de saisir la chambre d’accusation.

Après des débats oraux et contradictoires. cette juridiction sera amenée à prendre sa décision. Elle apprécie souverainement les faits et circonstances qui permettent d’accéder ou qui s’opposent à la demande de réhabilitation (Crim., 6 novembre 1947, B. n° 217 ; R.S.C. 1948. 293, obs. Magnol ; 20 févr. 1973. B. n° 84) et elle statue dans les deux mois (art. 794 C.P.P.). La chambre d’accusation ne doit pas s’abstenir de tenir compte de la conduite du requérant pendant le délai légal, sinon elle méconnaîtrait gravement le principe et l’utilité de la réhabilitation. Ainsi ont été censurées des cours d’appel qui s’étaient contentées, pour rejeter une demande, de faire allusion à l’insuffisance du délai d’épreuve eu égard à la gravité des faits qui avaient motivé la condamnation (Crim.. 12 février 1963, B. n° 72 ; R.S.C. 1963, 798, obs. Légal) ou de se fonder uniquement sur la gravité et le nombre des condamnations prononcées contre le demandeur (Crim., 16 oct. 1974, B. n"295 ; adde Crim., 10 déc. 1975, B. n° 275).

S’il y a rejet, une nouvelle demande ne peut être formée avant l’expiration d’un délai de deux ans, à moins que le rejet de la première n’ait été motivé par l’insuffisance des délais d’épreuve ; auquel cas la demande peut être renouvelée dès l’expiration de ces délais (art. 797 C.P.P.). On notera enfin que l’Avant-projet de Code pénal de 1978 propose de substituer à la chambre d’accusation le tribunal de l’exécution des sanctions (art. 208) et que le texte de 1983 vise la juridiction chargée de l’application des peines (art. 160). Le Projet de 1986 renvoie à cet égard purement et simplement au Code de procédure pénale (art. 131-12), l’institution d’une juridiction collégiale spécifique pour le contentieux de l’exécution des sanctions étant abandonnée.

B) Conditions de la réhabilitation légale.

499 - Description- Le jeu de la réhabilitation légale suppose d’abord, comme en matière de réhabilitation judiciaire. que le condamné ait exécuté sa peine, ou encore qu’il l’ait prescrite ou qu’il ait été gracié ou, pour l’amende, qu’il ait subi la contrainte par corps.

Une condition de délai est également exigée, la durée variant à nouveau en fonction de la gravité de la condamnation, mais de façon différente, à savoir : trois ans pour une peine d’amende, cinq ans pour une condamnation unique soit à une peine d’emprisonnement n’excédant pas six mois, soit à une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende prononcée à titre principal. dix ans pour une condamnation unique à une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans ou pour les condamnation multiples dont l’ensemble ne dépasse pas deux ans. Sont réputées condamnation unique les condamnations dont la confusion a été accordée. La remise totale ou partielle d’une peine par voie de grâce équivaut à son exécution totale ou partielle (art. 784 C. P. P.).

Les chiffres fixés parle législateur suscitent deux observations. En premier lieu, la réhabilitation légale est exclue pour les condamnations multiples excédant deux ans d’emprisonnement, pour les condamnations les plus graves à l’emprisonnement- c’est-à-dire supérieures à cinq ans - et surtout pour les condamnations criminelles. Ce domaine limité de la réhabilitation légale est normal, car l’indulgence aveugle est inconcevable pour les délinquants les plus dangereux. Mais avec l’article 775-2 C.P.P. - dû à la loi du 20 juillet 1988 -, ceux-ci peuvent, sur simple requête, obtenir l’exclusion de la mention de leur condamnation au bulletin n° 2, selon les règles de compétence fixées par l’article 775-1, à l’expiration d’un délai de vingt années à compter de leur libération définitive ou de leur libération conditionnelle non suivie de révocation, s’il n’ont pas, depuis cette libération, été condamnés à une peine criminelle ou correctionnelle. De surcroît un condamné à une peine criminelle peut même prétendre à une quasi-réhabilitation de plein droit quarante ans après avoir purgé sa peine. En une telle occurrence la fiche portant la condamnation est retirée du casier judiciaire (art. 769, al. 2, C.P.P.) ; la réhabilitation est alors acquise, d’où l’irrecevabilité d’une demande de réhabilitation judiciaire (Versailles, 14 mars 1990, D. 1990, 350, note Azibert). En second lieu, les chiffres retenus peuvent paraître bas ; d’ailleurs, jusqu’à la loi du 11 juillet 1975, ils étaient respectivement de cinq, dix et quinze ans. Les différentes versions de la réforme de Code pénal reconduisent en tout cas l’extrême générosité du droit positif.

Pour les peines privatives de liberté, le délai court à compter de l’expiration de la peine subie, ou de sa prescription, ou de sa grâce ; pour les peines pécuniaires, le point de départ du délai est le jour du paiement de l’amende, de l’expiration de la contrainte par corps, de la prescription ou de la grâce.

La dernière condition posée pour le jeu de la réhabilitation légale est la bonne conduite du condamné ainsi formulée par la loi - et reprise par les différentes versions de la réforme du Code pénal - : l’intéressé ne doit avoir, pendant le délai déterminé par la loi, encouru aucune nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle (art. 784, al. 1 C.P.P.). Le législateur se montre ici plus sévère que par le passé, puisque avant 1975 seuls l’emprisonnement ou des peines plus graves faisaient obstacle à la réhabilitation. Il y a ainsi une certaine compensation du laxisme observé plus haut à propos de la durée des délais. Il serait toutefois erroné de croire que la condition de bonne conduite joue pleinement son rôle de filtre : en effet, la survenance de nombreuses lois d’amnistie permet à bien des délinquants de passer à travers les mailles du filet.

§ 2 - Effets.

500 – Disparition des peines secondaires - Aux termes de l’article 799 C.P.P., la réhabilitation - judiciaire comme légale- efface la condamnation qui par conséquent ne peut plus compter pour la récidive ou comme obstacle au sursis. Nul ne peut en faire état, cette interdiction n’étant cependant pas prescrite à peine de nullité (Crim., 17 juill. 1976, B. n° 258 ; 21 nov. 1989, B. n° 433).

Le même texte précise par ailleurs que la réhabilitation fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités. Cette expression lapidaire laisse clairement entendre que la réhabilitation met un terme aux mesures de sûreté, d’où son intérêt en comparaison de l’amnistie dont les effets sur ce point sont en principe plus mitigés. Pourtant, la Cour de cassation, dans un arrêt remarqué (Crim., 12 juin 1968. B. n° 189 ; J.C.P. 1969, II, 15 850, note Sacotte ; R.S.C. 1969, 133, obs. Légal), avait jugé que la réhabilitation n’effaçait les incapacités résultant de la condamnation que sous réserve des interdictions qui présentent le caractère de mesures de police et de sécurité publique, comme l’interdiction d’exploiter un hôtel meublé frappant le tenancier d’un établissement où s’exerçait la prostitution. Mais peu après, la haute juridiction délaissait cette analyse, soulignant que la réhabilitation, « contrairement à l’amnistie, suppose l’amendement du condamné (et) tend à faciliter son reclassement ; qu’elle efface la condamnation et fait cesser l’interdiction d’exercice d’une profession, dès lors que la loi n’en dispose pas autrement » (Crim., 14 octobre 1971, B. n° 266 ; J.C.P. 1971, II, 16 294, note P.M.B. ; R.S.C. 1972, 102, obs. Légal ; 7 janv. 1972, J.C.P. 1972, II, 17 052, note A. P. ; D.1972, 501, note Roujou de Boubée). Le revirement est d’autant plus net que ces deux décisions ont elles aussi trait à des condamnés pour proxénétisme poursuivis pour infractions à l’interdiction d’exploiter un hôtel. Se distinguant de ses sœurs, la version de 1978 de la refonte du Code pénal est la plus précise à ce sujet, énonçant en son article 210 que la réhabilitation « fait cesser pour l’avenir toutes les interdictions déchéances et incapacités ».

Mention de l’arrêt prononçant la réhabilitation est faite en marge des jugements de condamnation et au casier judiciaire. Les bulletins n° 2 et n° 3 du casier judiciaire ne doivent pas mentionner la condamnation. La loi du 17 juillet 1970 avait même décidé que la condamnation disparaissait totalement du casier judiciaire une fois écoulé un délai de cinq ans pour une peine criminelle ou de trois ans pour une peine correctionnelle : mais la loi du 11 juillet 1975 a supprimé cette innovation, voulant probablement éviter à cet égard un trop grand rapprochement avec l’amnistie, l’oubli ne valant ici que pour l’avenir. II faut cependant se garder d’exagérer ces différences, du moins en ce qui concerne l’amnistie après condamnation définitive. On a vu en effet que la fiction de la rétroactivité bute sur certains obstacles. En outre. à l’instar de l’amnistie, la réhabilitation bénéficie désormais de la règle interdisant de faire état des condamnations qu’elle touche. Aussi bien la conservation de la fiche au casier judiciaire a-t-elle surtout valeur symbolique. Lorsqu’il y a d’ailleurs amnistie post judicium, l’oubli porte sur le fait et par voie de conséquence sur la sanction. Et lorsqu’il y a réhabilitation, il est évident que l’oubli ne saurait avoir prise sur le fait. Ainsi peut s’expliquer la disparité des solutions du droit positif. L’Avant-projet de Code pénal de 1983 (art. 162, al. 2) propose d’y mettre fin, édictant que la réhabilitation « entraîne la suppression de la ou des fiches de condamnations inscrites au casier judiciaire de la personne réhabilitée ». Il est curieux en effet que le condamné qui a fait des efforts soit moins bien traité que celui qui a la chance de bénéficier d’une loi d’amnistie. Lui accorder pour l’avenir un total oubli ne serait en définitive que justice.

Signe de fin