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CRITÈRES DE VALIDITÉ DE L'EXPERTISE
PSYCHIATRIQUE EN MATIÈRE PÉNALE

par le Docteur Thierry MICHAUD-NÉRARD
Président de l'Association de Criminologie
et de Médecine Légale de La Réunion (ACMLR)

Il va de soi que ma totale incompétence en matière psychiatrique
m’a interdit de juger cet aspect de l’article rapporté ci-dessous.

Mais j’ai pu apprécier le souci qu’a eu l’auteur
de rappeler le rôle du médecin psychiatre dans le procès pénal ;
et en particulier le devoir impératif qui lui est fait
d’établir un lien de causalité, certain, entre l’infraction constatée en droit
et les troubles mentaux que le praticien estime pouvoir diagnostiquer.

Il était bon de rappeler que le médecin psychiatre
est totalement étranger à la qualification pénale des faits,
et que son intervention ne se situe qu’au moment
de l’imputation d’une infraction déjà caractérisée
à celui qui en est l’auteur d’un seul point de vue juridique.

C’est pourquoi je remercie l’auteur de m’avoir adressé cette étude.

Observations préliminaires

On est si peu habitué à traiter scientifiquement des comportements criminels que certains passages contenus dans cette présentation critique de l’expertise psychiatrique pourront étonner. S’il existe une science des comportements criminels, elle ne peut pas se réduire à la paraphrase des préjugés psychiatriques habituels. L’expertise de psychiatrie médico-légale doit montrer au jury la réalité des comportements criminels autrement qu’elle apparaît au regard superficiel. Il n’est pas question de prêter à l’expertise psychiatrique une autorité qu’elle n’a plus depuis longtemps dans les prétoires et on ne voit pas d’où une quelconque autorité pourrait lui venir tant que ses conclusions ne seront pas conduites méthodiquement (3).

On doit avoir présent à l’esprit que les manières de penser du psychiatre sont plutôt contraires que favorables à l’étude scientifique des phénomènes criminels. Ainsi, il peut arriver qu’on soit tenté de dénaturer les faits criminels pour en rendre compte de manière psychiatrique, quand le psychiatre les croit irrationnels. C’est pourquoi le jury doit se prémunir contre ses impressions car il risque de juger sans avoir compris la réalité du comportement criminel.

Si on a reproché à l’expertise psychiatrique de faire un "argument de la déraison", c’est que certaines opinions d’experts ont construit des systèmes explicatifs arbitraires "conformes aux principes psychiatriques". On a mis en évidence toutes les ruses de cette méthode qui permet d’écarter sans peine la nécessité de la preuve. Traiter des faits criminels comme d’une catégorie du réel (3), c’est observer une attitude scientifique.

C’est accepter d’en faire l’étude en reconnaissant qu’on ignore absolument tout de ce qu’ils sont réellement et que leurs causes, qui sont inconnues, ne peuvent être dévoilées par une quelconque explication psychiatrique. C’est pourquoi le jury ne peut comprendre que de la manière la plus confuse, et souvent la plus inexacte, les véritables raisons du passage à l’acte criminel et les circonstances qui ont déterminé le criminel à agir. On comprend que les expertises psychiatriques faites sans méthode et sans critique sont dénuées de valeur scientifique et doivent être tenues à l’écart des débats judiciaires. Le jury doit comprendre la motivation qui a déterminé le criminel à agir.

Mais s’il s’agit d’étudier des faits criminels proprement dits en matière d’expertise médico-légale, ils présentent alors un caractère de normalité et doivent être considérés sous cet aspect (3). Et si on conçoit qu’ils sont intelligibles selon le raisonnement médico-légal, ils suffiront à éclairer la conscience des jurés. Si l’expertise donne une impression confuse et subjective, c’est que l’explication des faits criminels ne dépend pas de l’expertise psychiatrique mais de la logique médico-légale.

1 - Le procès controversé d’Anders Behring Breivik

"La psychiatrie n’est pas une science exacte" (6), les experts norvégiens l’ont montré. La presse (9) a indiqué que les deux premiers experts chargés d’examiner Anders Behring Breivik ont conclu qu’il souffrait de "schizophrénie paranoïde". L’intéressé a protesté : "80 % du contenu des entretiens est inventé… Il leur manquait des compétences pour évaluer un auteur de violences politiques… La personne décrite dans ce rapport, ce n’est pas moi". Si les experts l’ont déclaré psychotique et "donc" pénalement irresponsable, aucune preuve n’a jamais été apportée que le seul fait d’être psychotique supprimerait tout discernement.

Une contre-expertise n’a ensuite noté aucun signe de psychose, mais des troubles de la personnalité de type "narcissique", "antisocial" et "paranoïaque". Les deux autres experts ont déclaré au tribunal : "Nous ne trouvons aucun signe indiquant que le sujet ait présenté des symptômes psychotiques avant, pendant et après (les faits criminels). Il est très peu probable qu’il souffre d’une maladie (relevant) de la psychiatrie médico-légale". Toujours selon la presse, la principale incohérence réside dans l’interprétation différente des vues extrêmes de l’accusé par les experts : les premiers y voyant des "idées délirantes" symptomatiques d’une "schizophrénie paranoïde", alors que les seconds y voient la simple expression d’une idéologie radicale… Selon les commentateurs, aucun des autres psychiatres appelés à témoigner et ceux qui ont pu observer Breivik en détention, n’ont repéré de signes de psychose. Cela fait penser à la description de Karl Marx, dans Misère de la philosophie (7) et à l’expert psychiatre qui va "jongler, en homme d’esprit, avec ses propres contradictions" et les élaborer selon les circonstances en "charlatanisme scientifique" et arrangements politiques". S’ils ne modifient en rien la réalité objective, ils "ne font que diminuer et simplifier la question".

N’ayant rien appris ni compris de la méthode scientifique, l’explication psychiatrique "ne parvient qu’au sophisme", c’est-à-dire à produire un raisonnement pseudo-scientifique qui essaye de masquer sa fausseté sous une apparence illusoire de vérité. La volonté de ne pas comprendre le problème criminel fait que la pseudo-explication psychiatrique devient la justification d’un travail d’épuration et d’élimination du problème idéologique qui peut alors être invalidé politiquement par un diagnostic de pathologie mentale.

2 - "La critique judiciaire des rapports d’expertise médicale…"

C’est là le titre de l’article très complet de Robert Barrot (2), Président de la 19ème chambre du T.G.I. de Paris, pour qui le principe de la critique des rapports d’expertise doit être "justifié à la fois sur le plan juridique et sur le plan technique".

Rappelant que le juge "n’est pas lié par les constatations ou les conclusions" de l’expert, il ajoute que si le juge écarte ces constatations ou conclusions, il doit expliquer les motifs de cette décision, ce qui l’amène à un examen critique du rapport de l’expert. Selon lui, "la critique (est) un esprit de vigilance et d’attention qui, lorsqu’un rapport présente des anomalies, s’exprime par une contestation motivée".

Robert Barrot cite la Cour de Cassation : "Le rapport des experts constituant seulement un des éléments de conviction soumis à l’examen de la juridiction saisie, celle-ci n’est pas liée par les avis exprimés dans ce rapport… Les juges ont le droit et le devoir de compléter et de redresser (le cas échéant) l’avis des experts, au vu des pièces de la procédure soumises aux débats contradictoires" (Cass.crim. 3 juillet 1969) (4). Robert Barrot met en cause directement "le raisonnement" suivi par l’expert dans son rapport.

C’est pourquoi le juge (et l’avocat) doivent pouvoir "analyser le raisonnement de l’expert pour en détecter les failles". La mission d’expertise ne demande pas seulement une "description" des signes cliniques éventuels, mais une "explication" des faits en fonction des troubles cliniques constatés. C’est pourquoi les "explications" données par l’expert doivent être considérées comme "une proposition soumise à la critique judiciaire". Ainsi, la simple description des symptômes psychiatriques dans le but de définir une maladie mentale n’explique rien.

Il arrive que l’explication de l’enchaînement causal du passage à l’acte criminel par le trouble mental précède la description des symptômes justificatifs. C’est pourquoi, le juge doit pouvoir contester la validité de l’expertise. La critique va porter sur la réalité du trouble mental allégué et sur l’imputabilité du passage à l’acte criminel aux anomalies mentales dûment constatées par l’expert. Or il arrive que la pathologie mentale rapportée n’existe pas ou n’est pas démontrée. Le principe de la causalité est souvent mis en défaut par le raisonnement approximatif de l’expert psychiatre qui est généralement incapable de faire la démonstration que la pathologie mentale constatée serait la cause directe et certaine du passage à l’acte criminel.

3 - La mission

La mission demande à l’expert de pratiquer l’examen psychiatrique du sujet afin de répondre "notamment" aux questions suivantes :

1°/ L’examen du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentales ou psychiques ?

2°/ Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent.

3°/ L’infraction qui est reprochée au sujet est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?

4°/ Le sujet présente-t-il un état dangereux ?

5°/ Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?

6°/ Le sujet est-il curable ou réadaptable ?

7°/ Le sujet était-il atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement, aboli ou entravé le contrôle de ses actes ?

Le problème est dans la complexité des questions posées à l’expert. L’expertise comporte deux temps très différents. Le premier temps est consacré aux constatations : le psychiatre doit rechercher des anomalies mentales ou psychiques et le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent. C’est-à-dire qu’il doit formuler un diagnostic psychiatrique dans le cas où son examen découvrirait des anomalies mentales. Il précisera, s’il s’agit réellement d’un malade mental, s’il est curable ou réadaptable en fonction des moyens thérapeutiques dont dispose la psychiatrie. On comprend que c’est là que la compétence du psychiatre prend fin.

Au-delà, il faut mettre en cause la compétence médico-légale de l’expert. Le raisonnement médico-légal doit faire la démonstration du lien de cause à effet. L’infraction reprochée au sujet est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ? Était-il atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement, aboli ou entravé le contrôle de ses actes ? Sur le plan médico-légal le terme "en relation" signifie qu’il doit exister une relation "directe et certaine" entre les faits reprochés et les anomalies mentales. Les fondements de l’expertise psychiatrique en matière pénale sont éclairés par la volonté des législateurs à l’origine du Code Pénal de 1810. Si le rédacteur de l’article 64 a énoncé : "II n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister", c’est qu’il entendait faire figurer dans un même article deux aspects étroitement solidaires de la totale aliénation de l’esprit : l’état de démence en tant qu’état de confusion mentale totale et la contrainte de la conviction délirante absolue qui constitue alors "une force à laquelle il n’a pu résister". Sur le plan de la psychiatrie médico-légale, le trouble mental doit non seulement exister "réellement", il doit aussi réaliser une contrainte absolue afin de réaliser le passage à l’acte criminel.

4 - Une question de méthode

L’expertise psychiatrique doit rendre compréhensible par le jury d’assises une "représentation acceptable" de la maladie mentale dans l’occurrence où elle existerait, c’est-à-dire décrire les comportements pathologiques et classer les symptômes en catégories distinctes. L’expertise doit permettre à l’esprit critique d’apporter la preuve que les événements décisifs d’une expérience délirante ont conduit de façon directe et certaine au passage à l’acte criminel, par l’effet d’une contrainte à laquelle le malade mental n’a pu résister. On comprend qu’il est difficile pour la psychiatrie d’entrer "dans la voie sûre de la science", selon les critères d’Emmanuel Kant, "quand elle n’a plus affaire simplement à elle-même" mais à des objets extérieurs à la psychiatrie comme la diversité des comportements criminels (5).

5 - Les modalités pratiques de l’expertise psychiatrique

selon J. Leyrie (6)

L’expert doit "recueillir les données (pour) l’établissement d’un rapport technique, circonstancié et objectif". Il s’agit d’une "observation clinique suivie d’une description rigoureuse destinée à répondre aux questions strictement psychiatriques". Le rapport doit décrire distinctement les symptômes pathologiques constatés dans des termes accessibles aux jurés et aux magistrats, en évitant tout malentendu.

La mission est rendue complexe par le fait que la description des anomalies mentales éventuelles est couplée à l’évaluation de la responsabilité. L’expert doit se prononcer non pas sur la relation possible entre les anomalies mentales et les faits mais sur la relation certaine entre les troubles psychique et les faits reprochés. Le rapport d’expertise doit décrire très exactement les troubles de nature psychiatrique qui auraient provoqué objectivement un état de "démence" avéré au moment des faits et qui seraient la cause de la dangerosité. Il ne suffit pas de faire un diagnostic de schizophrénie ou de paranoïa délirante, il faut montrer en quoi l’attitude du malade vis-à-vis de ses troubles le rend justement dangereux. Une telle évaluation de la personnalité et de la dangerosité concerne le risque de récidive. Elle ne peut avoir une validité quelconque que si l’expert psychiatre a reçu une formation sérieuse en médecine légale et en criminologie.

6. En quoi l’expertise psychiatrique est-elle utile à la manifestation de la vérité, et de quelle vérité s’agit-il ?

Dans le "Traité de la réforme de l’entendement et de la meilleure voie à suivre pour atteindre à la vraie connaissance des choses" Baruch de Spinoza nous éclaire : "À moins qu’on ne prenne les plus grandes précautions… on tombera immédiatement dans l’erreur. En effet, là où l’on conçoit les choses de façon abstraite… on est tout de suite sous l’empire confus de l’imagination…" (9). Si la psychiatrie observe la réalité criminelle de manière abstraite et non dans la vie concrète qui est le véritable contexte des faits examinés, l’imagination de l’expert peut créer la confusion dans l’esprit des jurés. Si l’expertise psychiatrique est fondée sur l’hypothèse et sur l’opinion, elle n’a nul besoin de faire la moindre démonstration, ni en conséquence d’apporter la moindre preuve de ce qu’elle avance, parfois très imprudemment. Dans la Volonté de puissance, Nietzsche a indiqué : "Une chose qui convainc n’en est pas plus vraie, elle est seulement convaincante". On comprend que l’hypothèse de l’expert qui repose sur l’intime conviction n’a rien à voir avec une quelconque vérité scientifique. Seule la démonstration médico-légale peut avoir une valeur probante.

7. La doctrine de l’expertise médico-légale

Du point de vue de la causalité, il n’y a pas lieu de distinguer le normal du pathologique au cours de l’explication scientifique. Si l’état de démence au temps de l’action (selon l’article 64 du Code Pénal de 1810) doit être certain, il doit découler directement de la maladie mentale, comme l’effet découle de la cause. Si l’expert fait état de troubles pour lesquels il conclut à l’irresponsabilité pénale, la règle juridique impose de démontrer que les anomalies mentales, à supposer que la réalité des troubles soit prouvée, ont provoqué de manière certaine l’abolition du discernement au temps de l’action.

L’expert doit démontrer le lien de causalité. Il doit se prononcer sur la réalité du trouble psychique allégué et sur la certitude de sa conséquence, à savoir l’abolition du discernement. Si les juges constatent souverainement l’enchaînement des faits, ils doivent, pour justifier le lien de causalité, vérifier s’il existe une relation directe entre le passage à l’acte criminel et la maladie mentale pour conclure à l’irresponsabilité pénale. Cette exigence de la preuve du lien de causalité s’impose aux juges. Pour être acceptable l’état de démence doit être certain quant à son existence et la cause certaine de l’acte criminel. La pensée médico-légale doit poser le problème de la connaissance scientifique en termes d’obstacles logiques à une compréhension qui contredit les connaissances du passé (1).

Rendre compréhensible l’acte criminel, c’est la mission de l’expert criminologue. C’est de cette manière qu’il arrive à une représentation du comportement concret de l’auteur présumé. C’est pourquoi l’expertise psychiatrique qui prétend concilier la théorie du trouble mental et les faits criminels révèle beaucoup d’insuffisances logiques, notamment quand la description des symptômes psychiatriques est fondée sur des phénomènes psychiques mal observés et mal compris, ce qui aboutit à entretenir la confusion chez les jurés. La logique médico-légale "s’oppose aux préjugés comme la science s’oppose à l’opinion. (L’expert) s’interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement." (1) Mais il s’en faut de beaucoup que l’expertise psychiatrique en soit arrivée à ce degré de maturité intellectuelle.

*

NOTES :

1. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Librairie J. Vrin, Paris, 1972.

2. Robert Barrot, La critique judiciaire des rapports d’expertise médicale… Rev. franç. D.C., 1984.

3. Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Préface de la 1ère édition, P.U.F., Paris, 1968.

4. Gazette du palais, L’expertise médicale, 3ème édition, 1978.

5. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, textes choisis, Collection Sup, P.U.F., Paris, 1974.

6. Jacques Leyrie, Manuel de psychiatrie légale et de criminologie clinique, Librairie J. Vrin, Paris, 1977.

7. Karl Marx, Misère de la philosophie, Éditions sociales, Paris, 1972.

8. Baruch de Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement et de la meilleure voie à suivre pour parvenir à la connaissance vraie des choses, Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1988, p. 102

9. Olivier Truc, Le Monde.fr avec AFP. (également les articles : Le Point.fr ; Le Figaro.fr ; Le Nouvel Obs.fr)

Signe de fin