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LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
DU PRÉSIDENT DE LA COUR D’ASSISES

Extrait du « Traité d’instruction criminelle »
de R. et P. GARRAUD ( T. IV, p.21 - Paris 1926 )

Le principe de légalité vaut aussi bien
pour les lois de forme que pour les lois de fond.
Mais il a une limite tenant à la compétence législative :
le législateur ne peut s’attacher qu’à des situations
générales, abstraites et impersonnelles.
C’est au pouvoir judiciaire qu’il appartient
de connaître des circonstances
spéciales, concrètes et individuelles.

C’est pourquoi les juges retrouvent une pleine liberté
  sur certains aspects de la qualification des faits,
de l’imputation de l’infraction et de la sanction
(à titre d’exemple, on songe à l’état de nécessité).
Il en est de même  sur certains points de procédure,
tel celui du pouvoir discrétionnaire qui apparaît donc
comme une exception au principe de légalité.

DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
DU PRÉSIDENT DE LA COUR D’ASSISES

1315. En vertu de l’article 268 du Code d’instruction criminelle, le président de la cour d’assises est « investi d’un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel il pourra prendre sur lui tout ce qu’il croira utile pour découvrir la vérité ; et la loi charge son honneur et sa conscience d’employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation ».

Ce texte n’est que le développement de dispositions analogues contenues dans la loi des 16-26 septembre 1791 et le Code de brumaire an IV ; cependant, le Code d’instruction criminelle est plus précis que la législation antérieure et surtout que la loi de 1791, parce que, à côté de l’article 268, qui pose le principe du pouvoir discrétionnaire, il énumère, dans l’article 269, les plus importantes de ses applications. L’attribution au président d’un pouvoir discrétionnaire est ainsi contemporain en France de l’organisation de la cour d’assises

1316. Quel est le sens de l’expression « pouvoir discrétionnaire » et par conséquent quelle est l’étendue de ce pouvoir ? Si on donnait au terme sa signification grammaticale, on serait tenté d’attribuer à ce pouvoir une étendue illimitée. Mais il ne s’est trouvé dans la doctrine qu’une voix isolée pour admettre cette conception, et il ne faut pas s’arrêter aux formules inexactes employées par plusieurs arrêts de principe qui affirment que « ce pouvoir n’a d’autre limite et d’autre règle que la conscience du magistrat auquel la loi en a déféré l’exercice » : ces formules ne rendent pas la véritable pensée de la Cour de cassation qui a toujours fixé des limites au pouvoir discrétionnaire. En réalité « discrétionnaire » ne veut pas dire «arbitraire» ; il veut dire remis à la « discrétion » du président. Mais si le pouvoir discrétionnaire est limité, quelles sont ses limites  ?

Sur ce point les systèmes les plus divers ont été soutenus. On a pu considérer d’abord l’article 269 du Code d’instruction criminelle comme étant à la fois énumératif et restrictif, et limiter le pouvoir discrétionnaire aux seuls actes par lui prévus. Ce système a été condamné de bonne heure par la jurisprudence, qui considère l’article 269 comme seulement démonstratif, et par la doctrine tout entière. La majorité de la doctrine propose alors que le pouvoir discrétionnaire soit limité par toutes les dispositions légales prohibitives : le président ne serait jamais autorisé à faire ce que la loi défend par une disposition générale. Cette conception parait se rencontrer avec les formules couramment employées par les anciens arrêts, formules qui ne correspondent pas en réalité à leur pensée. Il suffit, pour la réfuter, de constater que, pratiquement, un des caractères essentiels du pouvoir discrétionnaire est précisément de permettre au président d’accomplir des actes prohibés par la loi, par exemple l’audition de témoins exclus.

En réalité, la limite du pouvoir discrétionnaire résulte des nécessités mêmes qui l’imposent dans le fonctionnement de la procédure en cours d’assises. Devant toutes les juridictions répressives, la pratique montre qu’il se produit constamment à l’audience des incidents, qui nécessitent de nouvelles mesures d’instruction et de recherche des preuves ; ces mesures peuvent être facilement accomplies avec rapidité quoiqu’avec régularité, au cours de la procédure devant les tribunaux de police simple ou correctionnelle, juridictions permanentes, qui ont la faculté de renvoyer les débats et le jugement à une prochaine audience ; devant la cour d’assises, juridiction temporaire, et qui doit juger sans désemparer chaque affaire, le respect des règles ordinaires, quant aux mesures d’instruction dont la nécessité s’imposerait par suite d’incidents au cours des débats, aurait les plus graves inconvénients : il se traduirait par un renvoi de l’affaire à une session ultérieure, où, devant une nouvelle cour, il faudrait recommencer tous les débats ; il entraînerait, en bien des cas, la prolongation, toujours fâcheuse, de la détention préventive des accusés.

C’est aux besoins d’une prompte solution, sans remise de l’affaire, des incidents relatifs à la recherche des preuves survenues en cours d’audience, que répond le pouvoir discrétionnaire. Cette idée permet d’en fixer les limites en déterminant ce que peut faire le président et ce qu’il ne peut pas faire en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Elle fait comprendre la signification respective des articles 268 et 269 : le premier indique d’une façon générale l’étendue du pouvoir discrétionnaire quand aux actes qui peuvent être accomplis par le président ; le second fixe à la fois la durée dans le temps du pouvoir discrétionnaire, et la mesure dans laquelle il permet au président de s’écarter des règles ordinaires de la procédure.

1317. Le pouvoir discrétionnaire est établi pour tenir compte de tous les incidents soulevés au cours des débats par la recherche des preuves. L’article 268 permet au président de « prendre sur lui tout ce qu’il croira utile pour découvrir la vérité », et l’article 269 donne, comme exemples d’exercice du pouvoir discrétionnaire, des actes d’instruction : audition de témoins, apports et lecture de pièces. On peut en conclure que le pouvoir discrétionnaire est un pouvoir d’instruction, qui se rapporte à tous les actes qui tendent au développement de la preuve soit orale, soit écrite.

Il résulte certainement de ce caractère que toutes les ordonnances du président, prises en vertu du pouvoir discrétionnaire, et qui auraient un autre but que la découverte de la vérité, lui sont interdites.

En ce qui concerne les actes d’instruction, autorisés par le pouvoir discrétionnaire, on comprend facilement, en se rappelant que ce pouvoir est fait pour parer à tous les incidents d’audience, qu’il soit impossible de prévoir limitativement toutes les hypothèses qui peuvent se présenter. L’article 269 indique les plus pratiques : l’audition de témoins, et l’apport de nouvelles pièces. On se borne à rappeler ici qu’on a étudié par avance les applications les fréquentes du pouvoir discrétionnaire : audition de témoins non cités, irrégulièrement cités, incapables ou exclus ; lecture des dépositions ou des interrogatoires de l’instruction préalable ; nomination d’expert : ordonnance de transport sur les lieux ; enfin et surtout interrogatoire de l’accusé à l’audience.

Mais si l’on ne peut marquer la limite des actes se rapportant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire par une énumération qui resterait forcément incomplète, on peut du moins rechercher si, parmi les actes qui constituent certainement des actes d’instruction, il en existe qui soient interdits au président de la cour d’assises.

Un premier point est certain, qui a été déjà établi par les développements antérieurs sur les principales applications du pouvoir discrétionnaire et sur les pouvoirs de la cour : un acte n’est pas interdit au président par cela seul qu’il peut être valablement ordonné par la cour tout entière : ainsi une expertise, un transport sur les lieux peuvent être ordonnés soit par la cour soit par le président.

Il ne faut pas non plus s’arrêter au système développé par Faustin Hélie : tout en reconnaissant le caractère simplement démonstratif de l’article 269 dans l’énumération qu’il donne des actes accomplis en vertu du pouvoir discrétionnaire, cet auteur enseigne au contraire que la disposition relative aux « nouveaux développements donnés à l’audience, soit par les accusés, soit par les témoins », a un caractère impératif et limitatif en un double sens: 1° le pouvoir discrétionnaire ne devrait pas intervenir « pour compléter une procédure incomplète », « la loi suppose la procédure complète sur les faits incriminés, mais elle prévoit que ces faits pourront néanmoins être contestés et que des allégations ou des productions nouvelles pourront paraître en modifier le caractère » ; 2° ces développements nouveaux ne sauraient en outre provoquer l’exercice du pouvoir discrétionnaire que si ces développements ont été donnés, ainsi que le précise l’article 269, « soit par les accusés, soit par les témoins » ; l’omission des autres parties, ministère public et partie civile, serait faite à dessein : « La loi, dans sa prévoyante sollicitude, a voulu défendre les accusés contre toutes les surprises ; elle a craint que le ministère public ou la partie civile attendissent au dernier moment pour produire contre les accusés des preuves nouvelles qu’ils ne seraient pas préparés à combattre ».

La jurisprudence, avec raison, n’a jamais admis ces deux réserves. Sur le premier point, on peut considérer qu’il s’agit surtout d’une critique théorique : souvent le pouvoir discrétionnaire doit s’exercer précisément dans le cas où, à l’audience, la procédure préalable se révèle incomplète, pour des raisons qui peuvent d’ailleurs être tout à fait indépendantes de la volonté du magistrat instructeur (par exemple, révélation faite à l’audience de l’importance de la déposition d’un témoin, resté inconnu du juge d’instruction). Quant à la crainte d’une « oppression de la défense » qui amènerait à ne permettre au président d’user de son pouvoir qu’au cas où les développements nouveaux seraient donnés par les témoins et les accusés, il suffit, pour y parer, de poser le principe que le président doit toujours, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, respecter les droits de la défense : on verra que la jurisprudence n’a pas manqué de poser et de maintenir pareil principe ; seulement l’affirmer n’est pas limiter le nombre des, actes permis, mais contribuer à déterminer dans quelle mesure le président peut s’affranchir des règles ordinaires de la procédure en accomplissant les actes rentrant dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En tout cas, la jurisprudence nous parait absolument justifiée d’avoir toujours permis au président d’exercer son p. discrétionnaire à propos des développements donnés à la preuve par le ministère public et la partie civile, aussi bien qu’à propos de ceux émanant de l’accusé ou des témoins.

Faut-il dire alors que certaines des règles prohibitives formulées par les lois de procédure en matière de preuve et d’instruction, s’imposent au président de façon qu’il existe bien des actes d’instruction qui lui demeurent interdits ? En réalité, une seule difficulté s’élève pratiquement, à propos de l’audition en cour d’assises, en vertu du pouvoir discrétionnaire, des personnes dont le témoignage est exclu par l’article 322 : on a déjà signalé que la jurisprudence admet, d’une façon constante, que le président peut faire entendre ces personnes ; une doctrine imposante soutient la solution contraire. Dans les deux sens, on invoque des arguments juridiques qui se balancent : la jurisprudence s’appuie sur l’expression « toutes personnes » de l’article 269 ; la disposition de l’article 322 n’a pas un caractère d’ordre public absolu puisqu’il est admis que ce texte n’écarte pas de plein droit ces dépositions qui, on l’a signalé, peuvent être reçues, même sous la foi du serment, si ni les parties ni le président ne s’y opposent ; enfin l’audition de ces personnes est autorisée dans l’instruction préparatoire. Par contre, la doctrine adverse montre que l’article 315 établit formellement par son texte que le pouvoir discrétionnaire est fait pour remédier à l’absence ou à l’irrégularité des citations adressées aux témoins capables, tandis que l’article 269 ne présente nullement le pouvoir discrétionnaire comme un palliatif à l’exclusion de certains témoignages. En fait, si l’on comprend les regrets souvent exprimés devant l’immoralité qu’il peut y avoir à faire déposer à l’audience les proches parents de l’accusé, il faut considérer que parfois la nécessité commande d’entendre de pareils témoins, parce qu’ils sont seuls (par ex. un attentat à la pudeur commis par un père sur sa fille), et que, dans d’autres hypothèses, l’interdiction faite au président de les faire entendre se retournerait contre la défense elle-même, les témoins reprochables étant souvent des témoins à décharge. Au surplus, on peut considérer que la jurisprudence a été implicitement consacrée par ce fait que le Sénat a repoussé en 1895 une proposition Wallon, qui demandait la modification de l’article 269, pour interdire au président d’entendre les ascendants et descendants de l’accusé ou de l’un des accusés, sauf dans les deux cas suivants : ces personnes ont eté elles-mêmes « l’objet du crime poursuivi » ; ou bien « leur présence à l’audience a été réclamée par le défenseur du parent accusé ».

On peut affirmer ainsi que tous les actes d’instruction rentrent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire : en réalité, la véritable limite de ce pouvoir résulte de ce qu’il n’est pas indéfini dans le temps, et surtout de ce que le président, en l’exerçant, ne peut s’écarter que dans une certaine mesure des règles ordinaires de la procédure. Avant de le montrer, il faut cependant signaler la disposition un peu vaine de la loi qui prétend donner un caractère inférieur aux preuves résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

1318. En effet, d’après l’article 269, alinéa 2, lestémoignages et les écrits versés aux débats en vertu du discrétionnaire ne sont considérés que comme des « renseignements ». Cette disposition constitue un anachronisme, car elle se réfère à la théorie des preuves légales, étrangère au droit moderne. Aujourd’hui, toutes les preuves de jury étant des preuves de conviction, la valeur que 1a loi y attache importe peu, et cette disqualification de la preuve produite en vertu du pouvoir discrétionnaire n’est qu’une question d’étiquette. Cependant, par cette disposition, la loi donne aux jurés un conseil de prudence d’autant plus nécessaire qu’elle vient encore soustraire les témoignages versés aux débats, en vertu du pouvoir discrétionnaire, à la formalité et à la garantie du serment ; on sait d’ailleurs que la jurisprudence ne fait sortir aucune nullité du fait qu’un témoin entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président a prêté serment.

Pour que les preuves apportées aux débats par l’exercice du pouvoir discrétionnaire puissent être considérées par les jurés comme de simples renseignements, il faut évidemment que ceux-ci aient reçu du président un double avis : il doit d’abord leur faire observer qu’en leur soumettant ces nouveaux éléments de preuve, il agit en vertu de son pouvoir discrétionnaire ; il doit aussi les inviter à ne leur accorder que la valeur de simples renseignements. L’article 269 ne contenant, il est vrai, aucune mention d’un avertissement de ce genre, sur l’utilité duquel s’accordent cependant la doctrine et la jurisprudence, on est amené à se demander si cet avertissement est nécessaire à peine de nullité, si son absence ou, ce qui revient au même, sa non constatation au procès-verbal des débats crée une cause de nullité de la procédure ? Une jurisprudence constante, qui parait suffisamment justifiée par l’absence d’aucun texte prescrivant au président de procéder à cet avertissement, admet que son omission n’est pas une cause de nullité.

1319. Le pouvoir discrétionnaire est limité dans le temps à la durée des débats ; c’est la conséquence des nécessités mêmes qui l’ont fait établir, et elle est affirmée par l'expression « au cours des débats » de l'article 269. En l’absence d’une disposition sur l’ouverture des débats aussi formelle que celle de l’article 335 sur leur clôture, la question est de savoir à quel moment on peut considérer les débats ouverts au point de vue de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. On a soutenu qu'il fallait appliquer ici l’article 354 et fixer l’ouverture des débats à la première déposition de témoin (Lorsqu’un témoin qui aura été cité ne comparaîtra pas, la cour pourra, sur la réquisition du procureur général et avant que les débats soient ouverts par la déposition du premier témoin, etc.). Cette limite serait d’ailleurs, dit-on, imposée par la nature des actes autorisés par le pouvoir discrétionnaire : complétant la preuve, « ils supposent qu’elle a commencé à se produire ».

Malgré les termes de l’article 354, qui, envisageant un tout autre problème que l’exercice du pouvoir discrétionnaire, ne saurait avoir la portée absolue qu’on veut lui attribuer, il faut admettre que le pouvoir discrétionnaire peut valablement s’exercer dès que la juridiction est entièrement constituée, c’est-à-dire dès que 1es jurés ont prêté serment : c’est ainsi qu’on peut supposer qu’un incident né de la lecture de l’acte d'accusation rende nécessaire l'exercice de ce pouvoir ; c'est ainsi surtout qu'il faut admettre cette solution pour justifier la pratique de l'interrogatoire, lequel se place avant les dépositions. En tout cas, un principe est certain en jurisprudence, c'est que le président peut « préparer », avant l’ouverture des débats, l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au cours de ceux-ci ; ainsi appeler à l’avance une personne qu’il fera entendre en vertu de son pouvoir discrétionnaire, faire imprimer un plan des lieux qu'il distribuera aux jurés. L'exercice du pouvoir discrétionnaire se termine à la clôture des débats, qui est fixée avec précision par l’article 335 du Code d’instruction criminelle. Bien entendu, si les débats sont réouverts, comme ils peuvent l’être jusqu’au jugement définitif, le président reprend l’exercice du pouvoir discrétionnaire. En fait même, le plus souvent, les débats seront réouverts pour permettre d’ordonner une mesure rentrant dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire et qui s’est révélée nécessaire.

1320. Le pouvoir discrétionnaire est essentiellement fondé sur l’impossibilité, en cour d’assises, de surseoir, pour ordonner, d’office ou sur la demande des parties, la comparution régulière de nouveaux témoins, ou l’accomplissement de tous actes d’instruction supplémentaires ; et ce caractère détermine la mesure dans laquelle le président peut s’affranchir des règles ordinaires de la procédure et accomplir les actes qui rentrent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le président rencontre deux limites :

Il ne peut faire irrégulièrement un acte qu’il est possible, sans ajourner le débat, d’accomplir régulièrement. Par exemple, il ne saurait, sans excès de pouvoir, autoriser la lecture de la déposition écrite avant la déposition orale, quand le témoin, régulièrement cité et présent, pourrait être entendu ; entendre un témoin cité sans prestation de serment, lorsque celui-ci est capable de le prêter ; refuser d’entendre un témoin régulièrement cité et à l’audition duquel les parties n’ont pas renoncé.

Leprésident, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, est tenu de respecter les droits de la défense qui sont les corollaires des principes primordiaux de la contradiction, de la publicité et de l’oralité des débats. Ainsi, et parce qu’il violerait les principes de la contradiction, le président ne peut pas communiquer directement des pièces aux jurés, sans offrir de les communiquer à l’accusé et à son défenseur, ni ordonner un transport sur les lieux sans admettre la présence de l’accusé, du défenseur et du public, ni empêcher l’accusé de conférer avec son défenseur ; l’obligation de respecter la publicité lui interdit, au cas où il ordonnerait un transport du jury sur les lieux, de décider que ce transport se produira hors de la cour et de l’accusé, et le jury étant entouré de gardes, de façon à ce que ce transport soit privé d’une publicité analogue à celle qui règne dans une audience ordinaire des assises ; enfin on a déjà signalé que le principe de l’oralité des débats amène à frapper de nullité une procédure en cour d’assises qui ne serait faite que de lectures de pièces ou de dépositions de l’instruction préalable, ordonnées par le président en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

Bien entendu les principessur la contradiction, la publicité et l’oralité de la procédure limitent encore plus strictement les pouvoirs du président, lorsqu’ils sont, quant à des points particuliers, formulés en termes exprès par des textes de procédure : ainsi, à peine de nullité, le président ne peut interdire la lecture, après la déposition orale à l’audience, de la déposition écrite faite à l’instruction (art. 318) ; ni faire entendre sous serment un témoin appelé en vertu de son pouvoir, si l’accusé s’oppose à la prestation du serment (art. 269 et 408).

1321. Le pouvoir discrétionnaire présente deux caractères qui résultent du texte même qui l’attribue au président de la cour d’assises : pouvoir personnel au président, il est d’abord incommunicable ; pouvoir discrétionnaire, il est essentiellement facultatif.

Le pouvoir discrétionnaire, pouvoir réservé par la loi au président de la cour d’assises, est incommunicable en ce sens qu’il s’exerce sans contrôle ni partage. La loi charge l’honneur et la conscience du président seul de l’emploi qu’il va faire de son pouvoir. La cour n’a donc pas le droit de s’immiscer dans l’exercice de ce pouvoir, ni de son propre mouvement, ni sur la provocation des parties, ni même sur l’invitation du président et de son consentement. On a déterminé par avance la conséquence essentielle de cette idée : dans le cas où des conclusions seraient prises par les parties à l’occasion d’un acte du pouvoir discrétionnaire, la cour d’assises devrait sans doute intervenir, mais elle interviendrait uniquement pour déclarer qu’à raison même de la mesure ordonnée ou refusée, elle n’a pas à s’immiscer dans l’exercice fait par le président de son pouvoir discrétionnaire, en d’autres termes, la cour se bornerait à donner acte de la demande en déclinant sa compétence pour y faire droit.

Parce qu’il est personnel et incommunicable le pouvoir discrétionnaire ne peut pas être délégué. Mais ce caractère personnel ne saurait évidemment empêcher le président, s’il le juge à propos, de consulter, avant de prendre une décision relative à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, soit ses assesseurs, soit les jurés, soit les parties.

Le pouvoir discrétionnaire est facultatif, en ce sens que, laissé qu’il est «à la discrétion» du président, ni le ministère public ni l’accusé n’ont, à son égard, aucun droit d’opposition ou de réquisition. Toutefois, si les parties ne peuvent requérir l’exercice du pouvoir discrétionnaire, ou s’y opposer,  il leur est permis de provoquer, sous forme de simples observations, les mesures qui leur semblent utiles pour la manifestation de la vérité.

1322. Le pouvoir discrétionnaire est la manifestation d’un pouvoir d’instruction : personnel et facultatif, il s’exerce sans caractère juridictionnel, puisqu’il ne peut être requis et qu’il ne peut être fait opposition aux actes résultant de son exercice. On comprend dès lors que la loi n’exige aucune forme particulière : non seulement il n’a pas besoin d’être motivé, mais même il ne s’exerce pas sous forme d’une véritable ordonnance : son exercice se manifeste par des ordres donnés par le président, ordres habituellement accompagnés d’une formule qui avertit les jurés du caractère de l’acte et de la valeur des preuves qui en résulteront : «en vertu de mon pouvoir discrétionnaire» ; mais on a déjà signalé que l’absence d’un pareil avertissement n’entraînait aucune nullité. Pareillement, et pour les mêmes raisons, les mesures ordonnées par le président peuvent être à son gré, et sans qu’il ait à suivre aucune forme spéciale, révoquées ou modifiées dans leur exécution.

Du reste la jurisprudence admet que tous les actes nouveaux d’instruction intervenus dans le cours des débats, et constatés par le procès-verbal sans indication particulière, sans notamment qu’il soit formellement relevé qu’ils aient été accomplis sur l’ordre du président, sont présumés émaner du pouvoir discrétionnaire. Présomption d’autant plus importante qu’elle sert à couvrir de véritables irrégularités de la procédure : ainsi il a été constaté que, pendant la déposition d’un témoin, le ministère publie lit une pièce du dossier relative à ce témoin : on considère que cette lecture a été autorisée par le président. Présomption qui se justifie cependant, puisqu’elle évite des nullités toujours trop nombreuses dans la procédure en cour d’assises, en ne couvrant jamais d’ailleurs que des actes qui, même s’ils n’ont pas été en fait accomplis par lui, auraient pu toujours être valablement ordonnés par le président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire : « Il est donc raisonnable de penser, puisque ces actes se sont passés sous ses yeux, que le président les a en effet régulièrement autorisés » (Faustin Hélie, « Traité de l’instruction criminelle » 2e éd., T.VII p.359 n° 3304).

N.B. L’article 310 du Code de procédure pénale dispose : Le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et conscience, prendre toutes les mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité

Signe de fin