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INTRODUCTION
AU POURVOI EN CASSATION

J. Boré, « La cassation en matière pénale »
( LGDJ, Paris 1985 )
( Cet ouvrage constitue la référence en la matière )

1. - Objet de l’étude. - En matière pénale, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation remplit trois attributions essentielles: l’examen des requêtes en règlement de juges et en renvoi, destinées à régler des conflits de compétence; le jugement des recours en révision, destinés, dans les rares cas où la loi l’autorise, à réparer les erreurs de fait entachant les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée ; et enfin le jugement des pourvois en cassation, dont le but est de vérifier la conformité à la loi des décisions en dernier ressort. Seule cette dernière attribution, qui l’emporte très largement sur les autres, fera l’objet de cette étude.

2. - Définition du pourvoi en cassation. - Le pourvoi en cassation a, en matière pénale, la même nature et la même fonction qu’en matière civile c’est la voie de recours extraordinaire qui a pour objet de faire annuler par la Cour de Cassation, les jugements ou arrêts en dernier ressort, rendus en violation de la règle de droit. Si le pourvoi n’est pas soumis aux mêmes règles qu’en matière civile, c’est parce que l’urgence des affaires criminelles, leur nombre important et la relative simplicité de beaucoup d’entre elles, appelaient une procédure particulière.

3. - A) Caractères généraux du pourvoi. - On retrouve dans le pourvoi criminel les cinq traits qui caractérisent le pourvoi civil (V. J. Boré, La Cassation en matière civile, Sirey 1980 et Rép. Dalloz Pro. civ., V° Pourvoi en cassation, n° 1 à 12).

4. - 1° C’est un recours destiné à censurer les erreurs de droit. Et par là, il se distingue fondamentalement du recours en révision, qui tend à réparer des erreurs de fait. Comme l’énonce l’art. 567 du Code de procédure pénale, "les arrêts de la Chambre d’accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police, peuvent être annulés, en cas de violation de la loi, sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief, suivant les distinctions qui vont être établies " ; et l’art. 591 précise que ces arrêts " lorsqu’ils sont revêtus des formes prescrites par la loi, ne peuvent être cassés que pour violation de la loi" (comparez en matière civile l’art. 604 C. pro. civ.), l’expression étant alors prise en son sens, plus res­trictif, de violation des lois de fond.

5. - Ce souci du respect de la loi, qui est à la base de l’institution de la Cour de Cassation, est plus fort encore en matière pénale qu’en matière civile, en raison du principe de la légalité des délits et des peines, posé par l’article 4 du code pénal et rappelé par le préambule de la Constitution de 1958, selon lequel " nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites " et " nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ".

En ces matières, qui touchent de si près à l’exercice des libertés, il est essentiel de contenir les juridictions de répression dans les limites de leurs pouvoirs. L’exacte application de la loi et l’uniformité de son interprétation sur tout le territoire national, est aussi une condition du respect d’un autre principe constitutionnel : celui d’après lequel " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit " ; car cette égalité des citoyens devant la loi ne serait plus assurée, si la même loi était appliquée ou interprétée de façon différente par les diverses Cours d’appel.

C’est en vue de maintenir fermement l’application de la loi, puis l’unité de son interprétation, que le législateur a établi une Cour régulatrice du droit, chargée d’annuler et de retrancher de l’ordre juridique, toute décision illégale rendue en dernier ressort par les juridictions de fond (V.-M. Ancel, Le rôle du juge de cassation, Rev. int. dr. pen., vol. 46, p. 31). Faustin Hélie compare les décisions de la Cour de Cassation aux réponses des jurisconsultes romains, que l’on considérait comme des règles générales s’intégrant à la loi (Instruction criminelle, t. VIII, p. 351). Ainsi la jurisprudence de la Cour régulatrice fait corps avec la loi, dont elle constitue l’interprétation officielle (Maury, Études Ripert 1950, t. I, p. 28). Mais conservateur et interprète de la loi, le juge de cassation français n’en contrôle pas la constitutionnalité (Ancel op. cit ; J. Boré la cassation civile n° 1106 et s.).

6. - En matière pénale comme en matière civile, la conservation des lois et l’uniformité de la jurisprudence sont obtenues par deux voies : par le recours en cassation des parties, qui permet à celles-ci d’aviser elles-mêmes à la sauvegarde de leurs droits ; et par le pourvoi dans l’intérêt de la loi, à la diligence du Procureur général de la Cour de Cassation, agissant spontanément ou sur ordre du Garde des Sceaux (art. 620 et 621 C.pr.pén.), si les parties n’ont pas agi ou n’ont pu agir.

7. - 2° Le pourvoi en cassation est, d’autre part, un recours en annulation. Il ne constitue, ni une voie de réformation, ni une voie de révision. Il n’est pas une voie de réformation, parce que l’art. 3 de la loi des 27 nov.-1er déc. 1790 interdit au Tribunal de Cassation de connaître du fond des affaires (C.org.jud. art. L. 111-2), et l’autorise seulement à vérifier si la loi a été correctement appliquée aux faits souverainement constatés par la décision attaquée ; ce que l’on exprime habituellement en disant que la Cour de Cassation n’est pas un troisième degré de juridiction et qu’elle juge les arrêts, non les procès. Le pourvoi en cassation n’est pas non plus une voie de révision, parce que l’art. 609 C.pr.pén. fait obligation à la Cour régulatrice, lorsqu’elle annule la décision attaquée, de renvoyer le procès et les parties devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui avait rendu la décision annulée, ou devant la même juridiction composée d’autres magistrats (art. L. 131-4 C.org.jud.). L’obligation du renvoi est une règle très ancienne en matière criminelle: Au Conseil des parties, le Roi, après avoir évoqué, renvoyait les affaires criminelles devant une juridiction ordinaire, ou nommait des commissaires pour instruire et juger à nouveau le procès (Jousse, Traité des matières criminelles, t. 2, pp. 768 et 769).

8. - Aujourd’hui, l’art. L. 131-5 du Code de l’organisation judiciaire ne fait exception à la règle du renvoi que dans deux cas exceptionnels: lorsque la cassation ne laisse rien à juger et lorsque les faits souverainement constatés par les juges du fond « permettent (à la Cour de Cassation) d’appliquer la règle de droit appropriée ». Et la Cour régulatrice n’exerce que modérément ce droit, la Chambre criminelle faisant toutefois un plus large usage que les Chambres civiles de la cassation sans renvoi.

9. - 3° Le pourvoi en cassation est en outre une voie de recours extraordinaire, c’est-à-dire qui n’est ouverte que dans les cas déterminés par la loi. C’est sous ce titre qu’il figure au Livre III, titre I du Code de procédure pénale, aux côtés du recours en révision. Et à la différence du Code de procédure civile, qui se borne à désigner la violation de la loi comme ouverture générale du recours en cassation (art. 604), le Code de procédure pénale consacre un chapitre à la définition des ouvertures à cassation (art. 591 à 600), en des termes toutefois suffisamment généraux pour respecter la nécessaire souplesse du contrôle de la Cour régulatrice.

10. - 4° En matière pénale comme en matière civile, le pourvoi en cassation est un recours de droit commun, qui est ouvert dans le silence de la loi contre les décisions en dernier ressort, dès lors qu’une disposition expresse ne l’a pas prohibé (Cass.crim. 13 mars 1951, B. n° 84, rapport Brouchot ; Cass.crim. 25 févr. 1953, rapport Fillaire, inédit ; Cass.crim. 31 juillet 1952, B. n° 213). Cela résulte des termes de l’art. 567 C.pr.pén., qui pose le principe de la recevabilité du recours en cassation contre les jugements et arrêts en dernier ressort des juridictions répressives d’instruction et de jugement. Et si ce texte énonce in fine que le pourvoi est ouvert « suivant les distinctions qui vont être établies », c’est parce qu’un certain nombre de textes exprès sont venus interdire le pourvoi contre certains jugements, le différer contre d’autres décisions jusqu’au jugement sur le fond, ou restreindre les cas d’ouverture contre certaines décisions des juridictions d’instruction. Le principe de la nécessité d’un texte exprès pour interdire le pourvoi est donc respecté. Et le Conseil d’État est venu rappeler que, le recours en cassation constituant pour les inculpés une garantie fondamentale de procédure, ce texte prohibitif ne pouvait émaner que du pouvoir législatif, la procédure pénale étant du domaine de la loi (Conseil d’État  Ass. 19 oct. 1962, Canal, Rec. p. 552).

11. - Le principe d’après lequel le pourvoi en cassation est un recours de droit commun, ouvert dans le silence de la loi, semble écarté par un arrêt du 13 avril 1983 (B. n° 101), qui s’appuie sur les termes de l’art. 567 C.P.P., n’autorisant le pourvoi que contre les "arrêts et jugements rendus en dernier ressort". pour déclarer irrecevable le recours formé contre l’ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel statuant en référé, sur une demande de suspension de l’exécution provisoire. L’absence d’une prohibition expresse aurait dû l’emporter sur l’interprétation exégétique du texte général autorisant le pourvoi. Mais à l’opposé un arrêt du 17 mai 1984 (Gaz.Pal. 23-25 décembre 1984, p. 6 rapport Cruvellié) rendu en matière d’extradition a admis qu’en vertu des principes généraux du droit, même l’interdiction de " tout recours " par un texte législatif, ne pouvait exclure le recours en cassation ; la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ont une autorité supérieure à la loi interne, ménagent en effet ce contrôle de légalité (V. le rapport précité).

12. - 5° Enfin le pourvoi en cassation est un recours porté devant la Cour Suprême judiciaire, juridiction unique et souveraine, chargée de donner de la loi une application uniforme. Les décisions de la Cour de Cassation, sont, par nature, insusceptibles de recours, puisqu’elle est placée au sommet de la hiérarchie judiciaire; et si la doctrine juridique de l’arrêt de cassation ne s’impose pas à la juridiction de renvoi lorsqu’elle émane d’une formation ordinaire, telle que la Chambre criminelle, ou d’une Chambre mixte, elle devient au contraire obligatoire si l’arrêt de cassation émane de l’Assemblée plénière (art. L 131-4 C.O.J.). La Cour de Cassation est ainsi assurée d’avoir toujours le dernier mot ; et en vue de hâter le processus de formation de la jurisprudence, la loi du 3 janvier 1979 a même permis à l’Assemblée plénière de trancher une question de principe, dès le premier pourvoi, en dehors de toute résistance d’une juridiction de renvoi à la doctrine d’un arrêt de cassation (art. L. 131-2 modifié C.O.J.).

Signe de fin