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APPEL :
LE DOUBLE DEGRÉ DE JURIDICTION

Extraits de A. Morin,  J. Ortolan  et  Faustin Hélie

Pour simplifier les choses,
disons que dans un premier temps
l’appel a été conçu comme un moyen
pour les gouvernants de marquer leur autorité.

Dans un deuxième temps
la notion d’appel a plutôt été entendue
comme un moyen d’assurer l’unité
du corps judiciaire sous l’autorité tutélaire du Prince.

Dans un troisième temps a prédominé
l’idée d’une stricte hiérarchie judiciaire heureusement
graduée en fonction de l’expérience des magistrats.

D’où l’adoption du principe du double degré de juridiction.

Mais ce principe est socialement trop lourd
pour les simples infractions de police ;
et, dans le cas de cette juridiction souveraine
qu’est la Cour d’assises, il apparaît rationnellement absurde.

Achille MORIN, v° Appel - § 1 Historique

« Répertoire de droit criminel » ( Paris 1850 )

Dans la plupart des législations, l’appel est un recours au Juge supérieur, une voie ordinaire, qui remet en question le procès et les moyens respectifs. En matière civile, cette voie de recours est ouverte à toute partie contre toute décision d’un juge de premier degré, sauf quelques rares exceptions. Dans les matières criminelles, beaucoup de jugements échappent à l’appel, les uns parce qu’ils émanent d’une juridiction souveraine, d’autres à raison de la modicité de l’intérêt. Cela tient à l’organisation et aux rè­gles de compétence des différents tribunaux.

I -  À Rome, sous la République, le droit d’appel n’existait qu’à l’égard des sentences émanées d’un magistrat : il ne pouvait s’appliquer aux jugements intervenus dans les quœstiones, puisqu’ils étaient rendus par des juges ou jurés ayant reçu directement du peuple leur délégation. L’appel au peuple fut introduit pat le triumvir Antoine, mais seulement contre les jugements publics rendus sur accusation capitale (Rosinus, de publicis judiciis, p. 591). Ce n’était pas un appel proprement dit : c’était une sorte de recours en révision, porté devant le peuple omnipotent ou devant un tribunal spécialement élu (Du Boys, Droit criminel des peuples anciens., p. 427-429).

Sous l’Empire, le recours au prince, réunissant tous les pouvoirs, devint une voie ordinaire. Cet appel était permis, quelle que fût l’importance du procès : in omnibus causis criminalibus (Code Théodosien). Il était de droit contre tous juges, sans distinction de rang, excepté le préfet du prétoire. On l’interdisait seulement, comme inutile, lorsqu’il y avait preuve palpable et aveu. Les magistrats inférieurs étaient avertis que l’appel n’était point une injure envers eux ; et les juges d’appel étaient menacés d’amende, pour le cas où ils refuseraient de recevoir le recours.

La déclaration d’appel pouvait être faite, non seulement par le condamné lui-même, mais aussi par tout mandataire. Ulpien allait jusqu’à admettre l’appel déclaré par un tiers, en se fondant sur la maxime : nullus auditur perire volens. Par humanité, les moines clercs qui voulaient soustraire un condamné au supplice, furent autorisés à interjeter appel pour lui, sans autre intervention. Une déclaration verbale pouvait suffire. S’il y avait écrit, on exigeait plusieurs indications. En tous cas, des pièces et mémoires devaient être remis au juge. Le délai, fixé d’abord à trois jours, fut porté à dix jours depuis le jugement. Les délais et formes de l’instruction étaient réglés par la loi ; l’accusé appelant demeurait en état de détention.

Successivement, les appels se multiplièrent ; L’empereur en délégua la connaissance à des judices sacri, investis de toute son autorité.

II -  En France, comme à Rome, l’appel fut une institution politique, ayant pour but de centraliser les pouvoirs. C’est à tort que quelques publicistes lui ont assigné une origine féodale (Faustin-Hélie TI. 555-562). Mais il n’en fut pas moins une garantie judiciaire, se consolidant de plus en plus. On le trouve admis, dans les œuvres de Beaumanoir, dans un arrêt de 1270, dans des ordonnances de 1302, 1319 et 1338. Il fut réglé par les ordonnances de 1453, de 1493, de 1498, de 1541 et de 1670.

L’ordonnance criminelle de 1670 autorisa l’appel contre les décrets et autres actes d’instruction, mais sans aucun effet suspensif et à charge de le porter immédiatement à l’audience. Elle l’admit aussi contre les jugements préparatoires ou interlocutoires, sous des conditions analogues. À l’égard des sentences définitives, il fut maintenu avec tous ses effets, pour être instruit par écrit et comme au premier degré (T. 26, art. 1, 13, 14, et 15), Le droit d’appel appartenait à l’accusé, à la partie publique et à là partie civile elle-même. L’appel était porté au parlement, quand il y avait peine afflictive, et, dans les autres cas, aux cours de bailliage, de sénéchaussée ou de parlement, au choix de l’accusé (T. 26, art. 1 et 6).

Dans cette législation ancienne, les formes relatives à l’appel étaient aussi compliquées que celles des autres procès.

III -  La révolution de 1789 ayant amené une nouvelle organisation judiciaire, les règles relatives à l’appel ont subi de profondes modifications. Les jugements criminels se trouvant désormais confiés à des tribunaux souverains, dans lesquels les juges du fait étaient des citoyens-jurés, a cessé d’être admissible en matière criminelle. Cette voie ordinaire de recours a été réservée pour les matières correctionnelles et les matières de simple police, jugées par des tribunaux inférieurs…

Le code du 3 brumaire an IV restreignait encore le droit d’appel. Refusant cette voie de recours, non seulement à l’égard des jugements criminels, mais même pour les jugements de simple police, ainsi que pour les actes ou décisions d’instruction, il ne l’admettait plus que relativement aux jugements des tribunaux correctionnels (art. 153, 272, etc.). Quoique ces dispositions fussent modifiées sur le vœu de l’article 233 de l’Acte constitutionnel, elles présentaient une certaine anomalie, du moins quant aux sentences des tribunaux de simple police. Ainsi, le pourvoi en cassation était seul autorisé, quelle que fût la décision ; les condamnations pécuniaires pouvant être fort élevées, puisque la loi ne fixait aucun maximum pour les dommages-intérêts, le juge de police néanmoins jugeait toujours en dernier ressort, tandis que le juge de paix était soumis à appel dès que la condamnation dépassait telle somme.

Le législateur de 1808 à dû rétablir le droit d’appel, contre les jugements des tribunaux de simple police prononçant une condamnation de quelque importance, afin de conserver aux citoyens une faculté qui était dans les moeurs, et pour ne pas soumettre aux frais dispendieux d’un pourvoi en cassation les condamnés qui placeraient tout leur espoir dans une infirmation par le juge d’appel. L’appel a donc été autorisé contre certains jugements de police, ainsi que contre tous les jugements des tribunaux correctionnels …

IV -  La règle des deux degrés de juridiction, qui est fondamentale en France, ne reçoit donc pas son application dans les matières criminelles autant que dans les procès civils. À cet égard, les législations des pays qui ont adopté nos codes sont aujourd’hui plus tutélaires que la nôtre. L’appel est admis par le code pénal autrichien contre les jugements rendus pour graves infractions de police, contre tous les jugements correctionnels et même contre certains jugements criminels. Il en est de même dans plusieurs législations contemporaines, et notamment dans le code de procédure criminelle des Deux-Siciles. La loi anglaise elle-même, quoiqu’elle soit peu favorable aux recours à un autre juge (V. Blackstone, t. 5, p. 189), admet une sorte d’appel, sous forme de demandé en révision, à l’égard de certaines condamnations prononcées par les juges criminels. C’est ce qu’on à pu voir dans le célèbre procès O’Connel, et c’est ce qui nous fut expliqué lorsque nous eûmes l’honneur d’être constaté par le gouvernement anglais, à cette occasion, sur nos voies ordinaires et extraordinaires de recours à un autre juge et sur leurs effets légaux (Voir le Droit, 21 août et 6 septembre 1844).

Dans ces législations, et surtout dans celle de l’Angleterre, le droit d’appel dépend principalement de la nature du fait punissable Chez nous, au contraire, il dérive du rang de la juridiction qui à prononcé. Ainsi, dans notre législation, l’appel n’est pas permis et serait même impossible, quand la décision émane d’une cour d’assises, d’un conseil de guerre ou de la Haute-Cour, que le fait poursuivi soit un crime ou un simple délit, que la condamnation soit grave ou légère.

En sens inverse, l’appel est généralement autorisé à l’égard dés jugements rendus par un tribunal correctionnel de premier degré, qu’il s’agisse d’un crime imputé à un mineur de seize ans, d’un délit ordinaire ou spécial, ou bien d’une simple contravention exceptionnellement jugée au correctionnel. Si l’appel n’est pas admis contre tous les jugements des tribunaux de police, il l’est du moins au profit du condamné dès qu’il y a une condamnation tant soit peu grave, par le motif qu’a exprimé en ces termes l’orateur du gouvernement, M. Grenier : « L’atteinte la plus légère à ce qui constitue la considération personnelle est sans prix aux yeux de tout Français ; elle ne peut être supportée avec insouciance que par les hommes endurcis dans le crime, dont le législateur doit faire abstraction dans ses combinaisons. La faculté d’appel, dans ce cas, est plus analogue aux mœurs d’un peuple aussi sensible à tout de qui tient à l’honneur. »

Quand le droit d’appel n’existe pas, il est suppléé, mais seulement au point de vue du droit, par une autre voie de recours qui est aussi d’une grande importance : la cassation.

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Joseph ORTOLAN, « Éléments de droit pénal »

( 4e éd. Paris 1875, T. II p.389 )

Il soutient une opinion très minoritaire,
mais qu’il convient néanmoins de rapporter en raison
du rang éminent qu’il occupe parmi les criminalistes.

 

1949 - Subordonner les juridictions les unes aux autres, en ce sens que l'affaire, après avoir été jugée par une de ces juridictions, puisse être portée devant une juridiction supérieure, chargée de la juger de nouveau et investie du pouvoir de confirmer, de modifier ou d'infirmer la sentence du premier juge ; après cette seconde juridiction à une troisième encore supérieure, après cette troisième à une quatrième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu'on soit parvenu au sommet de cette sorte de hiérarchie. Ce qui revient, en somme, à faire juger plusieurs fois et successivement la même affaire par des juridictions supérieures les unes aux autres.

Ces sortes de recours successifs portent le nom d'appel ; chaque juridiction y forme un degré ; on dit en conséquence qu'il y a un degré, deux degrés, trois degrés de juridiction, ou davantage ; que ces juridictions jugent en première, en seconde, en troisième instance ou ressort, et ainsi de suite, jusqu’à celle placée au sommet, qui juge en dernier ressort ; celle-ci, à cause de la position qu’elle occupe, est qualifiée, chez nous, de juridiction souveraine : elle est souveraine, c'est-à-dire n’en ayant aucune au-dessus d’elle (suprema, en italien soprana ou sovrana, d'où en français souveraine), quant au jugement de l'affaire ; et ses jugements, par la même raison, comme formant décision arrêtée, sont qualifiés d'arrêts.

1950 - Il fut un temps où le nombre des degrés de juridiction était multiple, et où plusieurs appels successifs pouvaient avoir lieu ; le nombre en a été réduit généralement à un seul appel, ou deux degrés de juridiction. Notre conviction bien arrêtée est qu’il ne devrait y en avoir aucun : jamais d'appel, toujours un seul degré de juridiction en matière pénale, sans parler des affaires civiles, dont il n’est pas ici question. Les lenteurs, les déplacements, l’augmentation des frais, mais surtout les contradictions dans les décisions de la justice, engendrant le défaut d’autorité, l’altération du respect ; et tout cela pour aboutir, en définitive, à une décision du second juge, que rien, dans les questions de culpabilité, ne garantit être meilleure que celle du premier juge, surtout quand cette seconde décision est prise sur notes, sans comparution nouvelle des témoins que le premier juge a entendus : tels sont, en résumé, les motifs de notre conviction.

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Faustin HÉLIE, « Traité de l’instruction criminelle »

( 2e éd., T. II, p.389 - Paris 1867 )

L’opinion du plus éminent  spécialiste
de procédure pénale dans l’histoire
du droit contemporain retient l’attention.

 

2982 -  Avant d’entrer dans les détails de la procédure d’appel, il est nécessaire de rechercher le principe de ce second degré de juridiction et d’en apprécier les effets.

C’est d’abord une chose digne de remarque que, lorsque la voie de l’appel n’existe ni dans la matière du grand criminel ni même dans la justice militaire ou maritime, lorsque dans la juridiction de la simple police elle est réduite au seul cas d’une condamnation excédant un certain taux, la juridiction correctionnelle en a seule l’entière et pleine possession. Pourquoi cette sorte d’exception dans notre organisation judiciaire ? Pourquoi ce double jugement dans une matière qui n’est pas la plus grave ? Pourquoi cette prolongation de la procédure pour l’appréciation de faits qui doivent être jugés avec célérité ? Faut-il croire que notre législateur ait été entraîné par les souvenirs et les traditions des anciennes législations, et qu’il n’ait fait que reproduire les formes d’une instruction séculaire dont il reprenait d’ailleurs plus d’un élément ? Non, car les motifs qui avaient créé les appels, soit dans les lois romaines, soit dans nos anciennes ordonnances, n’existaient plus, et cette institution, transplantée hors des circonstances qui l’ont suscitée et maintenue, n’avait plus les mêmes caractères et le même but.

L’appel en France, nous l’avons déjà dit dans le premier livre de ce Traité, fut, comme il l’avait été à Rome, une institution politique bien plus que judiciaire. Sous la république romaine, l’appel au peuple n’avait eu d’autre objet que de placer l’autorité des magistrats sous l’autorité inquiète et jalouse des comices. Sous l’empire, le recours au prince n’était qu’un instrument de la centralisation, une base de la hiérarchie administrative, principaux éléments du gouvernement impérial. En France, l’appel, dont les justices ecclésiastiques avaient d’abord pris l’idée dans la loi romaine, fut mis en pratique avec le même esprit et dans le même but. Nous avons démontré qu’il ne fut point une institution féodale : la féodalité ne le connaissait pas; les appels de défaut, de droit et de faux jugement n’étaient point des appels dans sens juridique de ce mot. Ce n’est qu’au moment où la puissance du régime féodal commençait à décliner que l’appel vint en hâte la chute, en lui disputant ses plus utiles attributions. Sous notre monarchie, comme sous l’empire romain, il n’eut qu’un but : c’est de ramener au centre de chaque province les pouvoirs disséminés sur sa surface, c’est de soumettre à la justice royale toutes les justices qui couvraient le sol. Cette institution dut sans doute servir en même temps les intérêts de la justice, car il y avait plus de lumières et d’indépendance dans les juges supérieurs que dans les juges des seigneurs ou des communautés ; mais ce n’était là, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, qu’une de ses conséquences, ce n’était pas son but principal. Nous avons précédemment établi la vérité de toutes ces assertions.

Ce n’est donc point à l’histoire qu’il faut demander la raison de l’établissement de l’appel. Sans doute notre législateur a dû en puiser la pensée dans les institutions qu’il avait sous les yeux et qui fonctionnaient encore lorsqu’il préparait ses réformes ; l’appel était, dans notre ancienne législation, une voie commune de recours, non seulement contre les sentences définitives, mais même contre les jugements préparatoires et les simples ordonnances du juge. Il était institué dans toutes les juridictions et en formait l’un des éléments essentiels. Il était impossible qu’une institution si générale, et qui constituait l’un des principaux ressorts de la justice, n’attirât pas l’attention des légistes qui siégeaient à l’Assemblée constituante. Mais il faut distinguer la forme de la procédure et le principe de son application, l’instrument, pour ainsi dire, et la pensée qui le dirigeait. La loi moderne n’avait point à faire revivre une institution dominatrice destinée à faire rayonner la souveraineté de la justice royale sur toutes les justices privées ; elle n’avait plus à débattre les territoires et les attributions de toutes ces justices, puisqu’elles avaient été complètement balayées. Elle a donc pu reprendre, non la pensée qui lui devenait inutile, mais l’instrument auquel elle pouvait donner une destination nouvelle ; non l’ancien principe, qu’elle répudiait, mais la forme de procédure qui pouvait être appliquée avec un autre but et dans d’autres conditions.

2983 -  Quelle est l’idée nouvelle que l’appel a eu pour objet de faire entrer dans notre législation ? C’est celle d’une garantie plus efficace assurée à la justice, la garantie qui peut résulter du double examen d’une même procédure, de deux instructions successivement édifiées à raison d’un même fait, de deux jugements intervenus l’un après l’autre sur la même question, sur la même affaire. Tel est le seul motif du double degré de juridiction dans notre législation moderne, le seul principe de l’institution des appels. II est facile de le démontrer.

L’art. 1er du T. V, de la loi du 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire pose comme une règle générale que « les juges de districts seront juges d’appel les uns à l’égard des autres ». L’une des conséquences de cette règle, que nous ne voulons considérer ici que sous ce seul rapport, c’est que l’égalité politique est établie entre les tribunaux de première instance et les tribunaux d’appel ; c’est par conséquent que l’appel ne prend plus sa source ni dans la domination d’une juridiction supérieure, ni dans le besoin d’amoindrir les justices inférieures, ni dans la souveraineté d’une autorité centrale ; la seule raison de cette voie de recours est donc uniquement et nécessairement la nouvelle discussion qu’elle provoque quand la première est close ; dès que les deux juridictions existent au même titre et sont égales l’une et l’autre, il est clair que l’appel ne peut avoir d’autre objet que la deuxième instruction qui en est le résultat. Il serait impossible de lui en assigner un autre.

Cette disposition néanmoins n’a point été littéralement reproduite en matière correctionnelle ; mais les différences que nous allons noter ne sauraient altérer le principe qui, au fond, est identique. Dans le système de la loi du 19-22 juillet 1791, le tribunal de police correctionnelle était composé de trois juges de paix et l’appel de ses jugements était porté, non point à un tribunal identiquement composé, mais au tribunal de district, où siégeaient trois juges. Dans le système de la constitution du 5 fructidor an III, développé par le Code du 3 brumaire an IV, le tribunal de police correctionnelle était composé d’un juge du tribunal civil président et de deux juges de paix, et l’appel était porté devant le tribunal criminel du département, composé de cinq juges. Enfin; dans le système du Code d’instruction criminelle, les appels sont portés des tribunaux d’arrondissement au tribunal du chef-lieu de département et du tribunal chef-lieu au tribunal chef-lieu du département voisin ; dans les départements où siège une cour impériale, les appels sont portés devant cette cour, et il en est encore ainsi à l’égard des appels des tribunaux chefs-lieux des départements voisins lorsque la distance n’est pas plus forte que celle du chef-lieu d’un autre département.

Il est clair que, dans ces diverses organisations, la seule pensée de la loi a été d’instituer une révision sérieuse et complète du premier jugement. Si, dans quelques cas, le tribunal d’appel, soit par les éléments qui le composent, soit par le rang hiérarchique qu’il occupe, est supérieur au tribunal de première instance, cette supériorité ne change rien à l’égalité des attributions : ils sont établis et délégués par le même pouvoir, ils sont investis de la même autorité. Il se peut que le nombre plus grand des juges et leurs services plus anciens supposent dans le tribunal d’appel plus de lumières et d’expérience ; qu’en résulte-t-il ? une discussion plus approfondie, un examen plus éclairé. C’est là le seul but de la loi ; elle ne trahit aucun sentiment de défiance centre les juges de première instance, aucun désir d’envahir leur juridiction pour l’absorber dans la juridiction supérieure. Elle ne cherche qu’à constituer une deuxième instruction, indépendante de la première, et qui contienne tous les moyens d’arriver à la constatation de la vérité.

2984. La loi du 13 juin 1856, qui a centralisé tous les appels entre les mains des cours impériales, a-t-elle modifié ce principe ? On trouve dans l’exposé des motifs de cette loi quelques paroles qui pourraient faire croire à une certaine déviation : «Le droit d’appel, est-il dit, ne s’exerce réellement avec des garanties sérieuses que lorsque le tribunal qui est chargé du second examen des affaires est incontestablement supérieur, dans l’ordre des juridictions, au tribunal qui statue en premier ressort. Cette condition n’est qu’imparfaitement remplie par les tribunaux siégeant aux chefs-lieux de département... La supériorité des cours impériales est au contraire incontestable ; elle se manifeste non seulement par le nombre, mais en outre par le titre, le costume, la préséance, l’étendue et la variété des attributions, les lumières et l’expérience des magistrats, surtout par ce pouvoir qui leur est donné d’une manière générale et qui est l’essence même de leur institution, de mettre à néant, comme le disent leurs arrêts, les sentences des tribunaux de première instance. »

Ces paroles néanmoins, attentivement examinées, n’expriment qu’un argument, contestable d’ailleurs, à l’appui de la loi ; elles n’en contiennent point le vrai motif. Quel est ce motif ? C’est d’instituer l’unité dans la juridiction qui statue sur les appels, c’est de rétablir une règle que la difficulté des communications avait fait fléchir en 1810 et qui reprend son empire à raison de ces mêmes communications devenues aujourd’hui faciles. « Le gouvernement, dit l’exposé des motifs, attentif à ces merveilleux changements survenus dans l’état de la viabilité et dans les moyens de locomotion, a jugé qu’il était sage et opportun de rendre à l’organisation judiciaire, pour les matières correctionnelles, le caractère d’unité et de simplicité qu’il a et qu’il a toujours eu pour les matières civiles. Le projet de loi qui vous est présenté est l’expression de cette pensée... La volonté de ne pas trop éloigner le juge du justiciable fut, lors de la publication du Code, la considération déterminante; elle n’aurait pas eu cette influence sur l’esprit du législateur si, alors comme aujourd’hui, il y avait eu des routes nombreuses et bien entretenues, des bateaux à vapeur et des chemins de fer ».

Et comment le législateur essaye-t-il de justifier cette transposition de juridiction qui place le justiciable si loin du juge ? Il invoque le petit nombre des appels : « II résulte des comptes rendus de la justice criminelle qu’en matière correctionnelle les appels sont approximativement dans la proportion de cinq pour cent avec le nombre des jugements, et les affaires où les témoins sont de nouveau entendus dans la proportion de trois pour cent avec le nombre des appels ». Donc ce n’est point la pensée d’exercer une sorte de domination sur les premiers juges ; c’est la pensée exclusive d’une juridiction unique à laquelle tous les appels sont dévolus. Il est certain que la loi croit trouver dans cette juridiction une plus mûre expérience et de plus hautes lumières : l’exposé le déclare plus loin en termes formels; mais de ce que les juges d’appel sont entourés de toutes les conditions qui font les juges éclairés, il ne s’ensuit pas qu’ils doivent dominer et annihiler les juges inférieurs. Il n’est pas sans doute mauvais que le juge d’appel soit placé dans une position hiérarchique supérieure au premier juge ; mais ce n’est point là, comme l’affirme l’exposé des motifs, une condition de son institution. Le deuxième degré de juridiction n’est pas autre chose qu’un deuxième examen ; il instruit, il juge comme avait instruit et jugé le premier ; il a les mêmes attributions, le même pouvoir. II peut mettre, à la vérité, le premier jugement à néant, mais ce n’est pas en vertu d’un pouvoir supérieur ; c’est parce qu’il exerce une seconde fois le pouvoir exercé déjà par le premier juge ; parce que le jugement ne peut exister dès qu’il en rend nouveau.

2985. Maintenant, de ce que l’appel n’est qu’une garantie de justice, un moyen d’arriver à la vérité, en soumettant le même procès à l’épreuve d’une double discussion, on doit déduire plusieurs corollaires importants.

Il en résulte d’abord que la différence qui sépare à cet égard la matière correctionnelle des autres matières se trouve clairement expliquée : si l’appel n’a point été appliqué avec la même généralité en matière de police, c’est que cette matière n’exigeait pas, surtout en ce qui touche les petites contraventions, une même garantie ; c’est qu’à mesure que les intérêts deviennent plus graves, une plus haute protection doit les environner. Si, l’appel n’a point été établi en matière de grand criminel, c’est que cette matière a pour unique garantie l’institution du jury, la plus puissante de toutes les garanties de la justice pénale, et ce n’est que pour suppléer à l’imperfection des juges permanents qu’il a paru nécessaire de permettre la réitération de leur examen.

Il en résulte, en second lieu, que l’instruction des premiers juges doit être reprise tout entière en appel ; car, puisque le second degré de juridiction n’est qu’un second examen de la prévention, il s’ensuit que cet examen doit être complet, qu’il doit s’étendre à toutes les parties de la cause, qu’il doit être en tout point le même que le premier ; et puisque ce nouvel examen n’est qu’une garantie judiciaire, il s’ensuit qu’il doit employer tous les moyens de vérifier ou de découvrir la vérité.

Il en résulte enfin que les mêmes formes de procédure doivent être appliquées en première instance et en appel ; car le second examen n’est efficace que s’il est soumis aux mêmes règles, aux mêmes conditions que le premier. S’il en était autrement, ce ne serait plus une nouvelle épreuve, un nouveau débat : ce serait seulement une espèce de révision sommaire qui s’attacherait aux formes de la procédure plus qu’au fond de la prévention. Dès qu’il s’agit d’un second degré de juridiction, il faut que l’instruction passe par les mêmes phases ; dès qu’il s’agit de la garantie d’un double jugement, il faut que toutes les formes du jugement soient appliquées en appel comme en première instance.

Nous nous bornons à poser ici ces règles générales ; elles nous serviront tout à l’heure à résoudre plusieurs des questions de cette matière.

2986. Nous sommes amené maintenant par ce qui précède à parler de l’un des problèmes les plus graves de notre organisation judiciaire : la voie de l’appel est-elle réellement utile en matière correctionnelle ? apporte-t-elle à la justice une indispensable garantie ?

L’institution de l’appel en matière civile a donné lieu à de sérieuses objections. Quel est le but, a-t-on dit, de toutes les formes de la procédure ? c’est d’assurer au juge la connaissance de la vérité judiciaire. Or, peut-on dire qu’il y ait plus de probabilités de la connaître dans le juge d’appel que dans celui de première instance ? La seule base des jugements n’est-ce pas la conviction du juge ? Or, pourquoi cette conviction, qui n’est que l’impression laissée dans sa conscience par l’instruction, aurait-elle d’autres éléments à un degré de juridiction qu’à l’autre, quand l’instruction est la même ? On prétend que les juges du second degré sont plus éclairés que les premiers. Alors pourquoi ne pas transporter tout de suite les mêmes garanties au premier degré ? Multiplier les degrés de juridiction n’est-ce pas prolonger les procès au détriment de tous les intérêts ? n’est-ce pas même ébranler l’autorité que la loi a voulu attacher à la chose jugée ?

A-t-on assez réfléchi, a dit un éminent magistrat, à tout ce qu’il y a de périlleux dans cette faculté d’appeler d’un tribunal à un autre ? A-t-on assez remarqué combien l’autorité des jugements s’en trouve affaiblie, combien la justice elle-même en est déconsidérée ? Ce droit, conféré à chaque citoyen, d’attaquer l’autorité de la chose jugée, ne détruit-il pas tout respect pour elle ? car si la décision du premier tribunal n’est pas une chose sacrée, comment celle du tribunal plus élevé le serait-elle ?

L’appel, en effet, proclame la fragilité de la justice, frappe les jugements d’incertitude et les range parmi les événements qui sont le résultat d’une chance plus ou moins heureuse ; il en détruit la souveraineté ; il fait plus, il contient en lui-même une sort d’injure pour le juge dont émane la décision frappée d’appel. Ce n’est pas tout : par une inconséquence étrange, la loi n’admet l’appel en matière civile que dans les affaires importantes ; le plus grand nombre des procès, les plus minimes à la vérité, n’ont qu’un seul degré de juridiction. Est-ce à raison de la moindre valeur des intérêts qu’ils agitent ? Mais cette valeur, dans son rapport avec les personnes qu’elle concerne, peut avoir une importance égale à celle des procès les plus considérables : « Car le citoyen pauvre, dont une petite somme est toute la fortune, a un intérêt aussi puissant à être bien jugé que l’homme riche, dont le patrimoine en litige a une valeur centuple. Or, si l’appel est fondé sur la possibilité d’une erreur, pourquoi priver les parties intéressées, dans les deux cent cinquante mille causes civiles qui sont jugées souverainement chaque année, des moyens de la faire réparer, et pourquoi n’accorder ce privilège qu’aux personnes intéressées dans les dix mille causes pour lesquelles la voie l’appel est exclusivement réservée ?

Cette critique, dont nous ne présentons que quelques traits appelle les méditations du législateur et pourra quelque jour, exercer sur notre organisation judiciaire une notable influence. On sait au reste les raisons, non moins graves peut-être, qu’on lui oppose : c’est d’abord cette organisation elle-même, la grandeur de l’édifice judiciaire, l’existence des grands corps qui sont la base et l’autorité hiérarchique qui en est la conséquence ; c’est ensuite la nécessité de laisser à chaque cause un moyen de redressement, puisque dans chaque cause il y a possibilité de méprise ou d’injustices ; c’est enfin les plus vives clartés que projettent sur une affaire son instruction reprise à deux fois, une discussion réitérée des mêmes questions, la garantie d’u, juridiction plus éclairée, d’une vérification plus attentive, d’ un examen plus mûr : tels sont, tels doivent être du moins les résultats du double degré de juridiction. Ce n’est pas, au surplus, sur ce terrain général qu’il nous appartient de placer le débat.

En matière correctionnelle, la question se complique d’un autre problème, celui des attributions. Quelle que soit la force des raisons invoquées contre l’appel, i1 est certain que, si la juridiction correctionnelle doit conserver, ses attributions actuelles, elle doit conserver en même temps cette voie de recours ; car c’est la plus puissante des garanties que notre Code lui ait assurées en la constituant.

On peut alléguer, à la vérité, que cette garantie peut ne pas être très efficace, puisqu’il est impossible d’affirmer que la manifestation, de la vérité sera plus complète en appel qu’en première instance ; et cette objection semble se fortifier aujourd’hui depuis que la loi du 13 juin 1856 a éloigné le juge d’appel des justiciables, et par là même rendu les éléments de l’instruction plus difficiles, Cependant c’est quelque chose, quand il s’agit des intérêts les plus précieux de l’homme, quand il s’agit de son honneur et de sa liberté, quand il s’agit de le défendre contre une prévention qui peut faire peser sur lui jusqu’à dix ans d’emprisonnement, c’est quelque chose qu’une voie de recours qui reprend cette prévention tout entière, qui la soumet, nous ne dirons même pas à une instruction, mais à une discussion nouvelle, qui permet le redressement des erreurs et une autre appréciation faite par d’autres magistrats des mêmes actes Assurément il y a dans cette faculté d’attaquer le premier jugement, de le traduire devant une nouvelle juridiction, de faire valoir tous les griefs dont il est susceptible, une puissante garantie de bonne justice. Il est certain que les juges du second degré peuvent se tromper comme ceux du premier, mais il est également certain qu’ils ont peut-être moins de chances de s’égarer, puisque tous les éléments du premier débat sont contrôlés dans le second, que toutes les critiques viennent s’y faire entendre et qu’ils se trouvent à la fois en présence du jugement des premiers juges et de tous les moyens qu’on lui oppose.

Au regard de la statistique … l’appel n’est point un recours qui puisse, sous quelque rapport que ce soit, paraître inutile, puisqu’il fait tomber annuellement 3 à 4.000 jugements de première instance. Ses effets seraient-ils moins considérables, il ne faudrait pas le juger inutile encore ; il suffirait qu’il fît opérer le redressement de quelques jugements, qu’il permît la réparation de quelques erreurs, de quelques méprises, pour que son utilité fût incontestable. Toute garantie de justice, quelque restreint que soit le cercle où elle s’exerce, est trop précieuse pour qu’il soit possible d’y toucher, à moins de la reproduire sous une autre forme. Il ne faut pas d’ailleurs perdre de vue que cette juridiction est chargée de quelques délits dont la gravité égale, si elle ne surpasse pas celle de certains crimes, qu’elle prononce des pénalités considérables, et qu’il importe, par conséquent, lorsque ses attributions ont été aussi étendues, de ne pas lui enlever, les formes qui constituent sa principale force.

Signe de fin