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DE LA COMPLICITÉ
suivant la science rationnelle

par J. Ortolan
(extrait des « Éléments de droit pénal » 4e éd., T.I p.593, Paris 1875)

1254.  La formation et le sens des mots complice, complicité, nous sont connus. La complicité n’est autre chose que l’existence d’un lieu qui unit plusieurs agents dans un même délit, et qui doit les unir aussi dans le châtiment. Les complices ne sont autres que tous les agents ainsi liés dans un même délit et devant être liés dans le châtiment (ci-dessus n°1240). Telle est la signification véritable de ces mots pris dans toute leur étendue (lato sensu), conformément à leur origine philologique. Nous verrons que, dans l’usage et par abus, le mot de complice est employé en un sens plus étroit, qui a fait presque oublier l’idée générale.

Le caractère essentiel de la complicité, qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est l’unité de délit et la pluralité d’agents. Le problème pénal est de mesurer la part de responsabilité qui revient à chacun de ces agents.

1255. Vous nous servirons, pour arriver à la solution, d’une image qui ne manque pas de vérité. Le délit est ici un drame auquel concourent plusieurs acteurs. De même que, dans les drames qui se jouent sur la scène théâtrale, chacun de ces acteurs a son rôle, mais tous les rôles ne sont pas de même importance : les uns sont principaux (les premiers rôles), d’autres sont accessoires; entre ceux-ci il y a encore de nombreuses inégalités, et quoique tous servent à marcher vers le même dénouement, serait-il juste de les placer indifféremment sous le même niveau ?

1256. De même que les drames de la scène, le délit parcourt, dans ses péripéties, des phases diverses et peut se diviser en plusieurs actes, dont 1a donnée générale est celle-ci :

premier acte, résolution arrêtée du délit ;

second acte, préparation du délit ;

troisième acte, exécution jusqu’au délit consommé.

Or, comme il peut y avoir dans un drame des acteurs qui figurent dans tous les actes, tandis que d’autres n’apparaissent que dans un seul ou dans quelques-uns, de même peut-il y avoir dans un délit des agents qui prennent part et à la résolution et à la préparation et à l’exécution, tandis que d’autres auront coopéré seulement à l’une ou à l’autre de ces phases diverses du délit. Tous sont néanmoins des acteurs du même délit: il s’agit d’apprécier l’importance du rôle que chacun y a joué.

1257. Cette appréciation est à faire de deux manières : - d’une: manière abstraite, par la loi elle-même, en ce qui concerne la culpabilité absolue; -d’une manière concrète, parle juge, dans chaque cause et à l’égard de chaque personne, en ce qui concerne la culpabilité individuelle.

A travers les divergences d’opinions qui se sont produites pour poser les règles d’une telle appréciation, et les différences du langage employé pour en exprimer les nuances, voici les idées mères, puisées dans les fondements mêmes de l’imputabilité (ci-dessus n°212 et s.), auxquelles il nous semble que la science pénale doit s’arrêter.

Il faut distinguer, parmi ces agents, ceux dont on pourra dire qu’ils sont la cause première, la cause génératrice, 1a cause efficiente du délit même; et ceux qui n’auront fait que prêter un secours qui, sans produire l’acte même constitutif du délit, y aura aidé. Puisque les premiers sont la cause efficiente, tandis que les seconds ne sont qu’une cause auxiliaire du délit, le rôle de ceux-ci est évidemment inférieur au rôle de ceux-là, et, par conséquent, la part de responsabilité moindre. Quant aux termes sous lesquels on peut les désigner, il ne saurait y en avoir de plus simples ni de plus exacts, pour les premiers, que celui d’auteurs, et, pour les seconds, que celui d’auxiliaires. C’est à cela que nous réduirons, tant pour l’idée que pour le langage, les distinctions fondamentales à établir dans la science.

1258. Les auteurs et les auxiliaires sont tous complices, c’est-à-dire liés entre eux dans le même délit et devant être liés dans le châtiment; cependant, plus communément, en un sens étroit (stricto sensu) et dans un langage usuel, le mot de complices opposé à celui d’auteurs désigne seulement les auxiliaires. Ce sont là des occasions d’équivoque et par suite d’obscurité, contre lesquelles il est bon d’être prévenu.

1259. Mais en quoi consistera le rôle d’auteur, en quoi le rôle d’auxiliaire ? La réponse doit se déduire, par le seul raisonnement, de la définition générale même que nous venons de donner.

1260. L’idée qui se présente la première sous le nom d’auteur est celle d’un homme qui a conçu, arrêté et exécuté lui-même la résolution du crime ; aucune difficulté n’existe dans cette hypothèse. Mais les rôles peuvent se diviser.

- Il est possible que celui même qui a conçu et résolu le crime l’ait fait exécuter par un autre, qui lui a servi d’instrument. Or, nous le savons, la cause première, la cause génératrice d’un délit n’est pas dans les actes physiques, elle est avant tout dans les actes moraux (ci-dessus  n° 221 et s., 237 et s.). L’homme dont nous parlons, se fût-il entièrement tenu à l’écart de tout acte matériel de préparation ou d’exécution, n’en est pas moins la cause première, la cause génératrice du délit; nous le qualifierons d’auteur du délit.

- Quant à celui qui lui a servi d’instrument, sans doute il a reçu d’autrui la résolution, mais il l’a adoptée et il l’a mise à exécution; il est la cause qui a produit matériellement le délit, il en est aussi un auteur.

- Il y a donc à distinguer parmi les auteurs ceux que nous appellerons auteurs intellectuels, et ceux que nous nommerons auteurs matériels : les uns et les autres, cause productrice, cause efficiente du délit.

1261. Notez que cette expression auteurs matériels ne serait pas exacte si on la prenait dans un sens absolu et exclusif. Elle ne veut pas dire que l’auteur dont il s’agit ici ne soit qu’un agent physique, un instrument purement matériel, sans le concours de ses facultés morales : s’il en était ainsi, il ne serait pas responsable. L’expression n’est prise que par opposition à celle d’auteur intellectuel, pour indiquer que l’auteur dont il est question a fait les actes physiques d’exécution, tandis que l’autre n’y a pris aucune part.

1262. Si l’on suppose que celui que nous appelons l’auteur matériel n’ait été qu’un instrument physique irresponsable, par exemple, c’est un fou, c’est un enfant sans discernement, que celui qui avait résolu le délit a mis en mouvement, où bien il a été contraint par des menaces telles qu’il ne peut être considéré comme ayant été libre : aucune imputabilité n’existe à sa charge, et le crime retombe sur celui-là seul qui l’a fait agir. Tant il est vrai que ce dernier, bien que s’étant abstenu de tout acte physique de préparation ou d’exécution, est un auteur du délit, et que nous avons raison de lui donner cette qualification.

1263. La distinction entre les auteurs intellectuels et les auteurs matériels étant établie, il reste à préciser les détails.

Et d’abord, quant au rôle d’auteur intellectuel, il ne suffit pas, pour être en droit de l’attribuer à une personne, étrangère d’ailleurs à tous les actes physiques du délit, que cette personne ait pris une part quelconque à la résolution. Il faut que la résolution vienne d’elle, que ce soit elle qui l’ait arrêtée et fait exécuter par autrui; autrement, comment dire qu’elle en est la cause première, la cause génératrice ?

1264. Les formes qui se présentent ici et qui ont été le plus souvent discutées entre les écrivains s’occupant, même en théorie, de ces problèmes, sont celles du conseil, du mandat, de l’ordre donné pour l’exécution du délit. Mais, laissant de coté, pour un moment, ces formes, au sujet desquelles, surtout en ce qui concerne le mandat, trop de place a été accordée aux souvenirs du droit civil privé, nous croyons qu’il sera mieux d’aller droit au fond des choses, au principe même de la responsabilité pénale.

Pour être la cause première, la cause génératrice de la résolution du délit, il ne suffit pas d’avoir eu l’initiative de l’idée, d’avoir suggéré cette idée, de l’avoir même conseillée à celui qui l’a mise à exécution : abandonné entièrement à son libre arbitre, celui-ci, s’il y a eu simplement suggestion ou conseil, est le seul auteur du délit.

Mais il n’en sera pas de même s’il a été exercé sur sa volonté quelque action déterminante, quelque pression, quelque influence décisive, qui lui a fait adopter et exécuter cette résolution, dans laquelle il n’aura fait que suivre l’impulsion d’autrui. Or, on peut influencer ainsi la volonté de l’homme : par la cupidité, éveillée à l’appât de dons ou de promesses, par la crainte que suscitent des violences ou des menaces, par l’autorité ou le pouvoir qu’on a sur lui et dont on abuse, par l’erreur qu’on fait naître en son esprit au moyen d’artifices et de manœuvres frauduleuses, ou enfin par un conseil accompagné de renseignements et d’instructions sur la manière de s’y prendre et d’agir pour l’exécution du délit. Alors on peut dire de celui qui a pris l’initiative et qui l’a appuyée par de telles influences qu’il est la cause génératrice de la résolution du délit, et par conséquent l’auteur intellectuel.

1265. Si l’on rapproche cette manière de caractériser le rôle d’auteur intellectuel, des formes sous lesquelles les criminalistes l’envisagent le plus communément, celles de l’ordre, du mandat ou du conseil, on reconnaîtra que le caractère en est marqué ici avec plus de simplicité, avec plus de précision et d’une manière plus complète. Au lieu de la forme, nous nous attachons au mobile déterminant lui-même. L’ordre s’y trouve, mais avec cette circonstance qu’il a été appuyé sur une contrainte par violence ou par menaces, ou bien sur une sorte de pouvoir ou d’autorité dont il a été fait abus. Le mandat s’y trouve, mais avec cette circonstance qu’il a été accompagné de dons ou de promesses qui en ont déterminé l’adoption. Le conseil s’y trouve, mais avec cette circonstance qu’il a été corroboré de renseignements ou d’instructions qui ont concouru à le faire adopter et mettre à effet. Il y a en plus l’influence produite par l’erreur, au moyen de manœuvres ou d’artifices coupables, dont cette trilogie, l’ordre, le mandat et le conseil, ne contient pas nettement la prévision. Cette manière de définir le rôle d’auteur intellectuel, qui est le système de nos Codes de pénalité de 1791 et de 1810, comme nous allons d’ailleurs le montrer en traitant de notre droit positif, est bien supérieure à celle employée usuellement dans la doctrine criminelle, et c’est à celle-là qu’il faut se tenir.

1266. Nous employons, en notre langue, pour exprimer l’impulsion donnée, ou, en d’autres termes, l’appel fait à quelqu’un dans le but de lui faire commettre un délit auquel on l’incite, les mots de provoquer, provocateur, provocation, qui déjà figurent en notre droit pénal dans une acception différente, quoique analogue (ci-dessus, n° 446). Lorsque la provocation est appuyée par quelqu’un des moyens d’influence que nous venons d’indiquer, elle constitue le rôle d’auteur intellectuel du délit.

1267. A ces modes de provocation déterminante il en faut ajouter encore un autre. Si l’appel, par des discours proférés, par des affiches placardées ou par des imprimés répandus publiquement, a été adressé à des masses, à la foule, à qui que ce soit qui aura pu l’entendre, un tel appel, quoique non appuyé sur l’un des motifs d’influence signalés aux numéros précédents, se produit avec une énergie non moins grande : en premier lieu, parce que les masses, la foule, le public sont plus impressionnables et plus faciles à exciter que les individus isolés; en second lieu, parce que, entre tant de personnes, il y a bien plus de chances que la provocation aille frapper sur quelqu’un disposé précisément à y répondre. Si donc il en a été ainsi, et que sur cette provocation, le délit ait été commis, l’auteur d’une telle provocation pourra être justement qualifié d’auteur intellectuel du délit. Bien entendu qu’il ne s’agit pas ici seulement d’une excitation générale, d’un soulèvement de passions desquelles auraient pu résulter ensuite des actes coupables : ce serait là un tout autre cas. Il s’agit d’un appel direct à commettre tel délit déterminé, par exemple, à aller mettre le feu à tel édifice, à telle forêt, à se porter sur tel établissement et à s’en emparer ou à le détruire, à envahir le domicile de telle personne, à la violenter ou à la tuer.

1268. Le rôle d’auteur intellectuel ainsi déterminé, la science a la même détermination à faire pour celui d’auteur matériel. Cette dernière qualification appartiendra en première ligne à celui qui, agissant d’ailleurs dans l’exercice de ses facultés morales, aura exécuté physiquement les actes constitutifs du délit, c’est-à-dire les actes destinés à produire par eux-mêmes et sans opération intermédiaire l’effet préjudiciable du délit (ci-dessus n° l010): celui, par exemple, qui, en cas d’homicide, de coups ou blessures, aura frappé la victime, aura tiré sur elle son arme à feu; qui, en cas d’incendie, aura mis le feu aux objets à brûler; qui, en cas de vol, aura porté la main sur les objets à soustraire : c’est de lui qu’on peut dire, par-dessus tous, qu’il est physiquement la cause productrice, la cause efficiente du délit.

1269. La qualification d’auteur matériel peut être étendue encore à celui qui, sans avoir fait les actes constitutifs par eux-mêmes du délit, eu a fait de tellement nécessaires à la production de ce délit qu’ils font partie essentielle de l’exécution, et que sans eux cette exécution n’aurait pas pu avoir lieu : par exemple, à celui qui a tenu la victime et qui l’a empêchée de fuir ou de se défendre pendant qu’un autre la frappait ou la dépouillait; à celui qui a placé l’amas de poudre et la mèche destinés à faire sauter un édifice, ou l’amas de matières inflammables destinées à l’incendier, quoique ce soit un autre qui y ait appliqué le feu; en un mot, à celui qui a fait une action tellement nécessaire à la production du délit, qu’on est autorisé à la qualifier de cause efficiente, cause productrice de ce délit. Cette détermination est moins arrêtée, moins précise que la précédente; elle demande une appréciation dont la loi ne peut que poser le principe régulateur, et que la juridiction seule est à même de faire dans chaque espèce.

1270. Rien n’empêche d’ailleurs qu’il n’y ait, soit plusieurs auteurs intellectuels, soit plusieurs auteurs matériels : on les qualifie alors de coauteurs. Comme aussi rien n’empêche également, et c’est même le cas le plus fréquent, que la qualité. d’auteur intellectuel et celle d’auteur matériel ne se réunissent en la même personne, lorsque cette personne a conçu, résolu et exécuté elle-même physiquement le délit.

1271. Les rôles d’auxiliaires offrent des variétés bien plus nombreuses, avec de fort grandes inégalités.

Les uns seront auxiliaires dans la résolution : ceux qui, sans avoir arrêté pour eux-mêmes cette résolution , ni l’avoir provoquée par l’un des moyens d’influencé désignés ci-dessus, auront concouru à la faire adopter par d’autres en promettant un secours quelconque, par exemple de cacher le délinquant après le délit, d’assurer sa fuite ou son impunité, de faire disparaître les traces ou indices accusateurs, de receler les objets obtenus à l’aide du délit et d’en réaliser le prix.

D’autres seront auxiliaires dans la préparation : ceux, par exemple, qui, un autre ayant conçu et résolu le délit, lui auront donné sciemment des renseignements on des instructions de nature à l’aider dans son dessein, l’auront transporté sur les lieux ou lui auront fourni des moyens de transport, une maison ou un lieu de retraite pour attendre le moment voulu, des vêtements pour se déguiser, des armes, des instruments, des munitions, des matières ou substances utiles ou nécessaires à l’accomplissement de son projet, ou lui auront donné un signal ou l’auront averti de l’occasion favorable.

D’autres enfin seront auxiliaires dans l’exécution : ceux qui, sans avoir fait dans cette exécution aucun des actes qui constituent le rôle d’auteur (ci-dessus n° 1268 et 1269), y auront coopéré par quelque secours : par exemple, en tenant l’échelle, en gardant les issues, en portant la lumière, en faisant le guet, ou même en faisant nombre par leur présence, comme les comparses dans une mise en scène, et en aidant ainsi à intimider; à détourner l’attention, ou à soustraire aux regards les délinquants.

Enfin ces divers rôles d’auxiliaires peuvent se réunir ou se diviser : les uns portant leur secours dans une seule, d’autres dans quelques-unes, ou d’autres enfin dans chacune des trois phases entre lesquelles se distribue l’action du délit.

1272. Nous ne donnons là que des exemples; la loi ne peut prévoir ni préciser le nombre infini de ces cas, non plus que l’inégalité d’importance de l’un à l’autre. Les échelonner en diverses catégories, comme l’ont fait certains codes, sera toujours un procédé défectueux et plein de danger, parce qu’il est impossible qu’il n’y ait de nombreuses omissions. L’œuvre de la loi est d’en définir le caractère par une formule générale, et d’ouvrir à la juridiction une latitude suffisante pour les apprécier en chaque cause.

1273. S’il nous est permis de poursuivre plus loin la comparaison dont nous nous sommes servi, quelquefois dans les représentations théâtrales, lorsque le drame est terminé , que le dénouement s’est accompli et que l’action des personnages qui y ont figuré a pris fin, la toile une dernière fois se lève, et, dans un épilogue lié à cette action comme un tableau postérieur qui nous en présente quelque suite ou quelque souvenir, de nouveaux personnages apparaissent. Le délit aussi, après qu’il a été accompli et que l’action en a pris fin, peut avoir son épilogue; de nouveaux acteurs peuvent surgir, comme agents de quelques nouveaux faits qui se relieront au délit par un lien plus ou moins étroit de connexité.

1274. Le mobile de ces faits postérieurs pourra être de deux sortes : soit le dessein de soustraire le coupable à la peine dont il est menacé, soit celui d’assurer et de partager le bénéfice illicite du délit.

Le premier de ces desseins est de nature à donner naissance à des actes divers : ne pas dénoncer à l’autorité le délit ou le délinquant, dont on a connaissance ; receler, c’est-à-dire cacher afin de la soustraire aux recherches de l’autorité, la personne du coupable, ce qui comprend aussi les instructions, les moyens, les facilités qu’on lui aurait donnés pour qu’il pût fuir avant de tomber aux mains de l’autorité ; receler le corps de la personne homicidée, s’il s’agit d’un homicide; les instruments ayant servi à commettre le délit, ou tous les objets quelconques qui pourraient servir d’indices et d’éléments de preuve ; aider à l’évasion du coupable déjà détenu par l’autorité ; enfin, ce qui est de beaucoup l’acte le plus criminel entre tous ces faits, trahir la vérité par de fausses dépositions en sa faveur devant la justice. Le second se résume dans un seul fait, receler les objets formant le bénéfice illicite du délit, afin de mettre â couvert et d’aider à réaliser ce bénéfice.

Dans le premier de ces desseins il y a sans doute oubli d’un devoir social, mais le mobile qui conduit à cet oubli est un sentiment d’humanité, de commisération pour le coupable, peut-être d’attachement, ou de délicatesse à ne pas trahir la confiance de celui qui a eu recours à vous: sauf le cas de fausse déposition eu justice, ce sentiment est digne de quelque indulgence, et parmi les faits auxquels il peut donner naissance, les uns doivent rester impunis, les autres frappés seulement de peines peu élevées. Le plus grave d’entre ces faits, toujours après le faux témoignage, est celui d’évasion de détenus, parce que, soit par ruse, soit par force, il y a ici une lutte directe, une attaque effective contre l’action même de l’autorité. Dans le second dessein, au contraire, on ne rencontre qu’un mobile de cupidité, n’ayant rien que de bas et de vil en soi ; la liaison avec le délit est la plus étroite et (toujours à part le faux témoignage) la plus coupable.

1275. Mais ce qui ressort incontestablement des observations précédentes, c’est qu’aucun de ces faits postérieurs ne saurait constituer un acte de complicité, aucun de ces agents survenus après coup ne saurait être qualifié logiquement de complice. Dans la complicité il y a unité de délit: or, ici le délit était terminé, ce sont de nouveaux faits qui se sont produits. Les complices doivent avoir été liés d’une manière quelconque à l’une des phases parcourues par l’action même du délit: or, ici cette action avait pris fin ; les nouveaux agents y ayant été étrangers et le passé étant irrévocablement passé, rien dans les actes postérieurs ne peut faire qu’il en soit autrement.

Sans doute, si l’un quelconque des secours postérieurs dont nous parlons avait été promis à l’avance, en un moment quelconque de l’action du délit, avant que cette action fut accomplie, il y aurait alors dans une telle promesse, contemporaine de l’action même du délit, une participation à cette action, et par conséquent un véritable cas de complicité, de vrais complices auxiliaires. Mais telle n’est pas notre hypothèse, dans laquelle l’intervention nouvelle n’a eu lieu qu’après l’accomplissement entier du délit. La vérité est qu’il y a, dans cette dernière hypothèse, de nouveaux faits, par conséquent de nouveaux délits si ces faits postérieurs méritent une punition, ou, en d’autres termes, pluralité et non pas unité de délits; que ces nouveaux délits se rattachent au premier par le lien logique de l’effet à la cause, que la criminalité peut en être plus ou moins grave suivant la gravité du délit même auquel ils se rattachent; mais qu’en définitive tout cela forme, non pas un lien de complicité, mais un lien de connexité (ci-dessus n° 1243 et 1250).

1276. Dans la doctrine et dans les codes de l’Allemagne on se sert pour caractériser le rôle de ces agents postérieurs du mot consacré de Begünstiqer, favorisateur (en notre vieux langage fauteur), protecteur du délit ou, pour mieux dire, du délinquant. L’expression, traduite en notre langue, ne nous représente que d’une, manière imparfaite l’idée dont il s’agit, mais pour un criminaliste allemand elle y répond sans équivoque, et elle marque avec netteté qu’il y a dans l’intervention de ces agents postérieurs un fait nouveau, relié au premier, et non pas un cas de complicité. Le projet portugais (art. 51 et 52) se sert du mot d’adhérents.

1277. A propos de ces actes postérieurs, on a poussé si loin l’application au droit pénal de l’idée du mandat et des règles qui se groupent autour de cette idée en droit civil privé, qu’on a agité, même en doctrine théorique, la question de savoir si une approbation, un assentiment donné après coup au délit qui a été accompli, ne pouvait pas constituer dans certains cas un fait de complicité, si, par exemple, celui dans l’intérêt duquel, à son insu et sans aucune participation quelconque de sa part, un délit a été commis, venant à y donner après coup son assentiment, ne se trouvait pas dans le cas d’une personne qui ratifierait ce qu’aurait fait pour elle un gérant d’affaires, et si, en droit pénal, de même qu’en droit civil privé, la ratification n’équivaudrait pas au mandat. On n’a même pas manqué de textes de droit romain à l’appui de l’affirmative. Cette discussion, qui s’évanouit devant l’application des principes exposés ci-dessus (notamment n° 1268 et s., 1275 et s.), n’est plus de notre époque.

1278. Une condition essentielle pour l’existence de la complicité, c’est que les actes qui la constituent aient été faits sciemment, c’est-à-dire avec connaissance du but criminel auquel ces actes ont aidé à tendre ou à parvenir. Cela est compris forcément, sans qu’il soit nécessaire de l’exprimer, dans le rôle d’auteur intellectuel; et aussi, quoique d’une manière moins absolue, dans le rôle d’auteur matériel ayant exécuté personnellement les actes même constitutifs du délit; mais quant aux autres complices, et surtout aux auxiliaires, il pourrait facilement arriver qu’ils eussent prêté leur coopération ou leur secours dans l’ignorance du résultat coupable auquel ils allaient contribuer, croyant rendre un service innocent ou même méritoire. Il ne saurait y avoir en cas pareil aucune complicité.

Il en est de même à l’égard des faits postérieurs formant de nouveaux délits connexes au premier. La connaissance du délit auquel ils se rattachent est nécessaire aussi pour la criminalité de ces actes, à moins qu’il ne s’agisse de cas dans lesquels la loi a voulu punir la simple négligence, la contravention même non intentionnelle.

1279. Les conséquences de pénalité auxquelles conduisent les observations qui précèdent sont les suivantes : - contre les auteurs tant intellectuels que matériels, puisqu’ils sont la cause génératrice, la cause efficiente du délit, la peine de ce délit; - contre les complices n’ayant figuré dans le délit que comme cause auxiliaire, par conséquent avec une moindre part de responsabilité, la peine du délit abaissée de certains degrés; et, puisqu’il y a entre ces rôles d’auxiliaires de nombreuses inégalités, que la loi est impuissante à prévoir à l’avance et dont elle est obligée de laisser l’appréciation au juge, cet abaissement doit être marqué avec une latitude suffisante pour qu’il soit possible an juge de tenir compte de ces inégalités; - enfin, contre les faits postérieurs qui constituent des délits nouveaux, connexes au premier, une peine particulière, telle que ces délits nouveaux paraîtront la mériter. Cette peine pourra quelquefois, sans doute, par suite du lien de connexité, être plus ou moins élevée suivant la criminalité plus ou moins grave du délit primitif auquel le fait postérieur se rattachera (ci-dessus n°1275), mais dans tous les cas elle n’en frappera pas moins ce fait postérieur à titre de délit distinct, sui generis.

1280. C’est une des questions les plus délicates touchant la complicité, même dans la science pure, que de décider comment et jusqu’à quel point, dans cette association criminelle qui a lieu entre tous les complices d’un même délit, s’il existe dans le délit des causes d’aggravation ou d’atténuation par rapport à l’un ou à quelques-uns de ces complices, soit auteurs, soit auxiliaires, les autres devront s’en ressentir. L’influence en devra-t-elle être étendue des uns aux autres ? Ou devra-t-elle rester exclusivement propre à celui ou à ceux qu’elle concernera ? Et comme notre opinion sur ce point n’est pas en tout conforme à celle qui a cours 1e plus généralement parmi les criminalistes théoriciens, et qui a été suivie en plusieurs des Codes les plus récents de pénalité, ce nous est un devoir d’y apporter une grande attention, et de l’exposer avec toute la clarté et toute l’autorité de raisonnement qu’il nous sera possible d’y mettre.

1281.

Parmi ces causes d’aggravation ou d’atténuation, il en est dont l’influence s’exerce sur la criminalité du fait lui-même, qui constituent, aggravent ou atténuent cette criminalité du fait; de telle sorte que lorsqu’elles existent on se trouve en présence de tel délit plutôt que de tel autre, ou d’un délit plus ou moins aggravé ou atténué en lui-même.

II en est d’autres, au contraire, qui, laissant le délit tel quel, sans l’aggraver ni l’atténuer dans les éléments de fait dont il se compose, n’exercent leur influence que sur 1a culpabilité morale, la culpabilité personnelle de l’agent qui a commis ce délit ou qui y a pris part. Nous citerons en exemple, comme cause d’aggravation de cette nature, la récidive, et comme cause d’atténuation, le jeune âge du délinquant {chez nous la minorité de seize ans). - De ce nombre sont aussi incontestablement les considérations abandonnées à l’appréciation du juge pour la mesure de la culpabilité individuelle, qui font que le juge estime, dans le même délit, telle personne plus coupable ou moins coupable individuellement que telle autre, différences auxquelles il pourvoit en se mourant suivant la latitude qui lui est laissée à cet effet par la loi pénale (chez nous au moyen du maximum et du minimum, ou de la déclaration qu’il existe en faveur d’un tel des circonstances atténuantes).

Sur la même ligne se trouvent aussi, par une semblable raison, les causes d’aggravation ou d’atténuation qui, laissant le délit toujours le même, dérivent de faits postérieurs personnels à l’un des complices, auxquels les autres n’eut pris aucune part. Nous citerons en exemple, comme cause d’aggravation de ce genre, le cas où, après un meurtre commis par plusieurs dans une rixe, l’un des coupables se transporterait au domicile de la personne homicidée, et, la nuit, à l’aide d’escalade, d’effraction ou de fausses clefs, dévaliserait ce domicile, les autres restant entièrement étrangers à ce nouveau crime (ci-dessus n° 1178 et s.); et comme cause d’atténuation de ce genre, les révélations qu’aurait faites ou les arrestations qu’aurait procurées un des complices, dans les cas où la loi y a attaché un effet atténuant (ci-dessus n° 1102).

1282. Aucune difficulté ne saurait exister sur la deuxième ou la troisième classe de ces causes d’aggravation ou d’atténuation. N’affectant que la culpabilité personnelle, la culpabilité individuelle de celui chez lequel elles se rencontrent, que ce soit un auteur intellectuel, un auteur matériel, ou un auxiliaire, l’effet aggravant ou atténuant en est exclusivement propre à cette personne; les autres ne doivent ni en souffrir ni en profiter.

1283. Mais il n’en est pas de même de celles de la première classe. Affectant la criminalité du fait lui-même, elles doivent s’étendre, par cette seule raison, avec leur effet aggravant ou atténuant, à tous ceux qui ont pris part sciemment à ce fait ainsi aggravé ou atténué; car ceux-là tous sont plus coupables ou moins coupables qui se sont associés sciemment, soit comme auteurs, soit comme auxiliaires, à un fait plus ou moins criminel.

1284. Toutefois, une distinction se présente encore relativement à ces causes d’aggravation ou d’atténuation qui affectent la criminalité du fait lui-même.

Les unes peuvent tenir à des modalités, à des circonstances de l’action elle-même: par exemple, la préméditation ou la non-préméditation, le guet-apens, l’emploi du poison, la provocation par coups ou violences graves contre les personnes, en cas d’homicide; la circonstance de lieu habité ou non habité, servant ou non servant à l’habitation, dans l’incendie; celles de nuit, d’armes, violence, escalade, effraction ou fausses clefs, de maison habitée, parcs, enclos ou de chemin public, dans le vol; celle de connexité dans le meurtre qui serait commis à dessein de préparer, de faciliter, d’exécuter un délit ou d’en procurer l’impunité (ci-dessus n°1253), et tant d’autres encore. - Sur ces circonstances, que l’on qualifie ordinairement de matérielles, il n’y a pas de dissentiment : chacun s’accorde à reconnaître que l’effet en doit être étendu à tous ceux qui ont pris part sciemment au fait ainsi modifié.

Les autres peuvent tenir à des qualités personnelles qui appartiennent à l’un des coupables et non pas aux autres : par exemple, la qualité de descendant de la personne homicidée en crime d’homicide, d’où résulte le parricide; la qualité de fonctionnaire ou officier public en crime de faux dans les actes de son ministère (C.pén., art. 146), ou en crime de concussion (C.pén., art.174) ; la qualité d’ascendant, instituteur, tuteur, fonctionnaire ou ministre d’un culte, dans les crimes ou délits d’attentats aux mœurs (C.pén., art. 333 et 334); celles de domestique, d’aubergiste, dans le vol (C.pén., art. 386), et tant d’autres analogues. - A l’égard de celles-ci, l’opinion courante parmi les criminalistes théoriciens est que l’effet en est incommunicable et doit être restreint à ceux-là seuls en la personne desquels se trouve la qualité produisant aggravation ou atténuation.

1285. C’est à cette dernière opinion que nous ne saurions nous ranger. Assurément, les délits dans lesquels se rencontrent des circonstances personnelles semblables à celles que nous venons d’indiquer, sont des délits plus criminels en eux-mêmes que les délits correspondants dans lesquels ne se rencontrent pas ces circonstances. Assurément, celui qui aide un fils à tuer son père, un notaire à falsifier les minutes de son étude, un ascendant ou un instituteur à commettre un attentat aux mœurs contre sa fille ou contre son élève, s’associe à son plus grand délit, fait preuve de plus de perversité et par conséquent est plus coupable lui-même que s’il s’associait à un délit analogue mais franc de ces circonstances. La distinction à laquelle il faut s’attacher n’est donc point de savoir si les causes d’aggravation ou d’atténuation dérivent de circonstances matérielles ou de qualités personnelles, mais bien si elles affectent la criminalité du délit lui-même, ou si, laissant le délit tel quel, elles ne modifient que la culpabilité personnelle du délinquant. L’effet de celles-ci ne peut pas s’étendre, et l’effet de celles là doit être étendu, au contraire, de l’un à l’autre.

1286. Cependant i1 est vrai que cette extension, lorsqu’il s’agira d’aggravation ou d’atténuation du délit par suite de qualités personnelles à l’un des délinquants, ne devra pas se faire toujours au même degré, et qu’il se présente ici plusieurs hypothèses

Étant donnés un auteur et un ou plusieurs auxiliaires, la qualité existe en la personne de l’auteur, mais non en celle de l’auxiliaire: par exemple, c’est un fils qui commet le meurtre de son père, et il y est aidé accessoirement par un étranger. Celui-ci s’associe au crime et à l’aggravation dont ce crime est affecté; mais, ne s’associant à l’un et à l’autre qu’à titre accessoire, comme simple auxiliaire, il n’encourra la peine du crime et le surcroît résultant de l’aggravation qu’avec un abaissement portant et sur cette peine et sur ce surcroît.

Étant donnés deux auteurs ou davantage, soit tous coauteurs matériels, soit les uns auteurs intellectuels et les autres auteurs matériels, la qualité existe chez l’un de ces auteurs et n’existe pas chez les autres : par exemple, de deux meurtriers ayant commis ensemble l’homicide et frappé tous deux la victime, l’un est le fils et l’autre est un étranger ; ou bien c’est un fils qui soudoie le meurtrier de son père; ou bien c’est lui-même qui, provoqué par un tiers, par sa mère peut-être, donne .la mort à son père. (Toutes ces suppositions sont horribles, nous en demandons pardon au lecteur, mais on les a vues en réalité.) L’auteur, soit intellectuel, soit matériel, en la personne duquel existe la qualité aggravante, encourra dans leur intégrité tant la peine du crime que le surcroît résultant de l’aggravation. Le coauteur, soit matériel, soit intellectuel, étant cause efficiente par rapport au crime, en encourra la peine; mais, n’étant qu’associé auxiliaire par rapport à la qualité aggravante qui n’est pas en lui, il n’encourra le surcroît résultant de cette aggravation qu’avec un abaissement.

Enfin, étant donnés un auteur et un on plusieurs auxiliaires, la qualité est en l’un de ces auxiliaires, et non pas en la personne des autres ni en celle de l’auteur. Cet auxiliaire, bien que n’encourant, d’une part, que la peine du crime avec abaissement, à cause du rôle secondaire qu’il y a joué, devra encourir en plus, d’autre part, un surcroît résultant de l’aggravation dont la cause est en lui. Quant aux autres, qui l’ont accepté pour associé, à la peine du crime par eux encourue suivant le rôle qu’ils y ont joué devra se joindre le surcroît résultant de la circonstance aggravante dont ils ont accepté l’association, mais avec un abaissement, parce qu’à l’égard de cette aggravation leur situation n’est que secondaire.

Ce qui revient, en définitive, à dire que le surcroît de l’aggravation résultant de qualités personnelles qui affectent la criminalité du délit lui-même, pèsera, toujours proportionnellement au rôle joué par chaque acteur dans le délit, en totalité sur la personne en laquelle se trouvera cette qualité, et seulement avec un abaissement sur celles qui, ne l’ayant pas en elles-mêmes, ne s’y trouveront associées qu’accessoirement.

II est clair que nous raisonnons ici en science pure, d’une manière abstraite, et dans l’hypothèse d’un système de peines tellement bien graduées, qu’elles comporteraient toutes ces nuances délicates dans leur mesure. - En pratique, il est difficile d’atteindre à une pareille graduation; et souvent, pour plus de simplicité, la loi pénale positive laisse de côté plusieurs de ces nuances, dont elle néglige de tenir compte.

1287. Des décisions analogues sont applicables au cas d’agents survenus après coup, lorsque la peine édictée coutre ces agents postérieurs doit se graduer d’après celle du délit antérieur (plus particulièrement au cas des receleurs des objets formant le bénéfice illicite du délit) ; mais seulement dans l’hypothèse prévue au n° 1° du paragraphe précédent, celles des numéros suivants restant sans application possible à leur égard.

1288. Chacun, d’ailleurs, reconnaît, en théorie, que dans tous les cas les circonstances aggravantes ou atténuantes ne nuisent ou ne profitent qu’à ceux qui en ont eu connaissance. La même connaissance qui est exigée quant au fait principal de complicité (ci-dessus, n°1278), l’est aussi par rapport aux circonstances accessoires qui augmentent ou qui diminuent la criminalité du fait.

1289. Il semblerait logique de poser en axiome que, pour qu’il y ait plusieurs personnes liées entre elles dans un même délit, ou, en d’autres termes, des participants, des complices en un même délit, il faut de toute nécessité que ce délit existe. Toutefois, les complices n’ayant pas tous le même rôle, et l’un pouvant avoir accompli le sien tandis que d’autres ont renoncé au leur ou ne l’ont exécuté qu’en partie, il se présente à ce sujet des hypothèses variées dont l’appréciation ne saurait être uniforme.

1290. Ainsi, il est possible, à l’égard des auteurs intellectuels, ou en d’autres termes des provocateurs, et à l’égard aussi des auxiliaires, que, le rôle de ceux-ci ayant été rempli, par exemple le provocateur ayant commandé le crime et payé celui qu’il salariait à cet effet, l’auxiliaire ayant fourni sciemment les instruments ou les moyens destinés au crime, ou donné le signal, ou s’étant placé en sentinelle pour faire le guet, celui qui était chargé d’exécuter le crime n’en ait rien fait, ou se soit arrêté volontairement, ou ait été arrêté par quelque circonstance indépendante de sa volonté, dans le cours de l’exécution.

Assurément, les provocateurs, les auxiliaires sont bien étrangers à ces faits postérieurs à leur propre action; ils avaient, quant à eux, achevé leur rôle; et moralement, au point de vue de la justice absolue, leur culpabilité intentionnelle n’a pas changé; néanmoins, d’après les principes de la pénalité sociale, ils sont associés à ces faits ultérieurs, et leur sort se règle en conséquence: complices d’un crime consommé, d’un crime manqué, ou d’une tentative suspendue, suivant l’événement qui aura eu lieu. Tant il est vrai que l’intention ne suffit pas, mais que le fait, l’événement matériel, compte pour beaucoup dans la pénalité humaine! Sans doute le législateur pourra être autorisé, en certains cas, à frapper de quelque peine les faits accomplis par les provocateurs, par les auxiliaires, même quand le crime que ces personnes avaient en vue n’aura pas été effectué; mais alors ces faits seront punis comme délits sui generis, et non comme cas de complicité.

1291. Ainsi, en sens inverse, le provocateur a révoqué l’impulsion, l’incitation donnée par lui, mais trop tard; l’auxiliaire a voulu retirer, afin que le crime ne pût plus avoir lieu, les instruments, les moyens qu’il avait fournis, mais il n’était plus temps, le crime était déjà consommé : il en sera comme en cas de repentir tardif ; la pénalité, en justice sociale, sera encourue. S’il arrive à temps, et que, malgré l’impulsion révoquée, malgré les instruments et les moyens retirés opportunément, l’auteur matériel persévère et accomplisse ensuite l’acte coupable, l’association a été rompue, la complicité n’existe plus.

1292. Si le fait est déclaré par le juge non constant, ou s’il est déclaré non puni par la loi, il est clair qu’il ne saurait y avoir de condamnation par la même sentence contre personne, pas plus en qualité d’auteur qu’en qualité d’auxiliaire.

Des exemples d’une appréciation délicate à ce sujet nous sont offerts par le suicide, sous l’empire des législations qui ne prononcent aucune peine contre ce fait. - Ainsi l’auxiliaire d’un suicide, qui a fourni sciemment l’arme ou le poison, ne saurait être condamné à titre de complice, puisque le fait principal est impuni. - Mais si, à la prière de l’ami qui veut en finir, il lui a porté le coup mortel, de sa part il n’est plus question de suicide, il y a un homicide, dont il est l’auteur matériel (ci-dessus n° 549). - Et si l’on suppose que par la violence, sous la menace d’un mal imminent, il ait forcé un homme à se donner lui-même la mort, qu’importe qu’il ait pris pour moteur du coup son bras à lui ou le bras du patient lui-même ! Il y a eu de sa part un homicide, dont il est le véritable auteur intellectuel.

1293. Enfin, s’il est jugé seulement que la personne accusée comme auteur n’est pas coupable, en sorte que cette personne soit acquittée, cette décision n’étant qu’une décision individuelle, de laquelle on est autorisé seulement à conclure, ou bien qu’il n’a pas été prouvé que cette personne fût l’auteur du fait, ou bien que le juge n’a pas reconnu en elle des conditions suffisantes pour la culpabilité pénale, ce qui ne détruit pas l’existence du fait et n’en fait pas disparaître la criminalité à l’égard des antres participants, rien n’empêche de condamner tant le coauteur, intellectuel ou matériel, que l’auxiliaire. - Il en est de même si l’auteur principal est inconnu, ou en fuite, ou décédé.

1294. Outre ses effets quant à la pénalité, la complicité en produit aussi de bien importants quant à la procédure et quant à la compétence. N’y ayant en cas de complicité qu’un seul délit à plusieurs acteurs, il ne doit y avoir qu’un seul procès, l’affaire est la même; ce n’est pas seulement la jonction facultative, c’est l’indivisibilité de la procédure qui résulte de la complicité. Tous les complices devront en conséquence être poursuivis ensemble dans une même instance, devant la même juridiction; d’où il suit que, si quelques-uns d’entre eux, par quelques circonstances particulières, relevaient de tribunaux différents, il y aurait nécessairement prorogation de compétence, afin de les ramener tous à la même juridiction. Cette indivisibilité ne devra céder que devant des impossibilités de fait: par exemple, si quelques-uns des auteurs ou auxiliaires, étant inconnus, ne sont découverts que plus tard, ou s’ils sont en fuite.

Signe de fin