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CODE CRIMINEL DE L’EMPEREUR CHARLES V
( DIT « LA CAROLINE » )

( Troisième partie )

 

ARTICLE 50.
De celui qui confesse l’Empoisonnement.

Le questionné qui avouera avoir empoisonné ou voulu empoisonner quelqu’un, sera interrogé sur toutes les raisons et circonstances qui sont marquées ci-dessus ; et de plus, on lui demandera ce qui l’a incité à faire cette action, et avec quoi il l’a faite, de quelle manière il s’est servi du poison ou projeté de s’en servir, d’où il l’a eu, et qui lui a aidé ou conseillé à cela.

ARTICLE 51.
De celui qui confesse un Incendie.

Si le questionné avoue être incendiaire, on doit lui demander particulièrement quelles raisons il a eu à faire ce crime, en quel temps, et avec quels complices, comme il vient d’être marqué ; et de plus on lui demandera de quelles sortes de machines ou de feu d’artifice il s’est servi pour faire l’incendie, de qui il les a eus, ou dans quel lieu il les a fabriqués.

ARTICLE 52.
De celui qui confesse un Sortilège.

Lorsque quelqu’un confessera un sortilège, on doit l’interroger sur les causes et circonstances susdites, et par dessus cela on doit lui demander, avec quoi, comment, et quand ce sortilège a été commis, de quelles paroles et de quelle action il s’est servi ; et si le questionné déclare qu’il a enterré ou caché quelque chose, qui est destiné à l’usage de ce sortilège, on doit en faire la recherche pour le découvrir ; mais au cas que le délit ait été commis autrement, par des paroles ou des actions, on doit en connaître la qualité pour voir, si elles lui peuvent imputer le crime de sortilège ; on doit aussi lui demander qui le lui a appris, et de quelle manière il y est parvenu ; de plus, s’il a exercé son sortilège contre plus d’une personne, et contre qui, et quel tort il en est arrivé ?

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 48, 49, 50, 51 ET 52.

Dans ces cinq derniers articles sont renfermées les principales circonstances, sur lesquelles doit être interrogé un prisonnier hors de la question, lorsque y étant présenté, ou l’ayant subie il confesse un délit : ces demandes peuvent servir de modèle aux Juges dans les cas particuliers, pour l’interrogation qu’ils ont à faire aux criminels ensuite de leur confession ; elles se réduisent à sept points, dont chacun peut avoir son étendue différente, selon la nature du délit que l’on doit examiner en particulier, savoir les causes et motifs, qui ont fait agir le criminel, la personne contre laquelle le délit à été commis, le lieu où la chose est arrivée, le temps et l’heure, la qualité ou la manière circonstanciée du crime, la quantité ou la mesure qui s’y est trouvée, enfin l’événement ou la suite qu’a eu cette action. Les Jurisconsultes comprennent toute l’étendue de cet interrogatoire dans les sept paroles suivantes : Causa, Persona, Locus, Tempus, Qualitas, Quantitas, Eventus.

ARTICLE 53.
Des demandes communes à faire à celui qui confesse son délit ensuite de la question.

Tout Juge éclairé par le moyen de la petite instruction, dont il vient d’être parlé, est en état d’observer les autres circonstances, sur lesquelles le questionné doit être interrogé après avoir confessé son crime suivant la nature de chaque délit, surtout ce qui pourra servir à en découvrir la vérité, et ce qui serait trop long à déduire ici par écrit ; les lumières de chacun lui feront trouver dans les indications ci-dessus marquées, la manière d’interroger plus en détail sur les autres cas qui se présenteront, parce qu’il s’y agira de demander à celui qui a confessé son crime, des particularités et des circonstances, qui ne peuvent point être connues ni déclarées par une personne innocente. La manière dont le Criminel distinguera toutes choses dans son récit, sera exactement couchée par écrit.

ARTICLE 54.
De la recherche que l’on doit faire des circonstances avouées d’un crime.

Lorsqu’on aura interrogé ainsi que nous venons de le dire, ensuite d’une confession faite hors de la question, le Juge doit envoyer sur les lieux, et faire une information exacte des circonstances que le Criminel aura déclarées dans sa confession, pour savoir, autant que la certitude du fait ou de la vérité l’exigera, si lesdites circonstances se trouvent conformes à sa confession ; parce que l’on peut conclure, que celui qui déclare la mesure et la forme du délit, ainsi qu’il a été dit en partie ci-devant, a commis le crime qu’il confesse, lorsque ces circonstances se trouveront véritables, surtout lorsqu’il déclare les mêmes circonstances, qui auront accompagné l’action, et qui ne peuvent point être à la connaissance d’une personne innocente.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 53 ET 54.

De cet article il s’ensuit qu’il ne suffit pas que le Criminel confesse son crime, et ses circonstances, mais il faut que le crime et les circonstances soient vérifiées et se trouvent tels qu’il les a déclarés, et c’est ce que l’on appelle constater le Corps du Délit ; par exemple, il faut vérifier par la recherche, si le cadavre a été effectivement enterré ou jeté dans un tel lieu, que le Criminel a déclaré, si l’arme dont il s’est servi, ou l’argent qu’il a pris au mort a été caché dans un tel lieu, parce qu’une seule circonstance peut changer la nature de la chose. Cependant lorsque par la recherche on ne pourra point vérifier toutes et chacune desdites circonstances déclarées, il suffira d’avoir constaté celles qui seront les plus considérables, et qui établiront assez la certitude du fait, pour que l’on y puisse porter un jugement, parce qu’alors les vues da la Justice, qui veut être certaine du fait pour pouvoir prononcer, se trouveront suffisamment remplies.

ARTICLE 55.
De la procédure à faire, lorsque les circonstances avouées du crime ne se trouveront pas véritables.

Si cependant on trouvait par la susdite recherche, que les circonstances déclarées ne fussent pas véritables, on doit représenter cette fausseté au prisonnier, lui en faire une sévère réprimande, et l’on pourra alors le faire mettre une seconde fois à la question, pour l’obliger à déclarer les susdites circonstances telles qu’elles sont, et suivant la vérité, parce qu’il arrive quelquefois que les coupables déclarent des fausses circonstances de leurs crimes, dans l’idée d’obtenir par là leur décharge, au cas que par la perquisition qui en serait faite, la chose ne se trouvât point véritable.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 55.

Le cas que l’Empereur expose dans cet article, donne lieu à une seconde question ; il regarde particulièrement les voleurs et les filous, qui par cette ruse s’imaginent dérober à la connaissance des Juges le corps du délit, et par là, les mettre hors d’état de pouvoir les condamner ; c’est en pareil cas que la question peut être réitérée pour faire avouer au coupable la vérité des circonstances du crime qu’il a déjà confessé : deux raisons autorisent cette seconde procédure : 1°. Parce que le Criminel ayant fait la confession de son crime, il est obligé de la rendre complète par la déclaration véritable des circonstances essentielles. 2°. Parce que son mensonge renferme dans cette occasion une sorte de révocation de son aveu, et le met dans le même état, où il était avant que de déclarer son crime par la question.

ARTICLE 56.
Qu’il ne faut pas indiquer au prisonnier les circonstances de son crime, mais les lui laisser déclarer lui-même.

Nous avons marqué clairement dans les articles précédents, de quelle manière on peut interroger quelqu’un, qui, ensuite de la question, ou sur la menace qu’on lui en a faite, confesse un délit dont on est en doute pour en connaître les circonstances, et parvenir par la recherche au fond de la vérité.

Cette procédure cependant peut devenir vicieuse, lorsque le Juge indique au prisonnier ces circonstances du délit, et que sur cela il l’interroge : c’est pour cela que Nous ordonnons aux Juges d’être en garde là-dessus, et de ne point tomber dans cet inconvénient ; ils ne doivent proposer aux accusés autre chose devant ou durant l’interrogatoire, que ce qui est conforme à la manière prescrite dans les articles ci-dessus. Le prisonnier doit aussi le moins le second ou le troisième jour après la question et la confession, être présenté au Juge, accompagné de deux Assesseurs, s’il le trouve à propos, pour que le Greffier lui fasse lecture de sa confession, et que sur cela on lui demande, si sa confession contient vérité, et tout ce qu’il dira là-dessus sera mis par écrit.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 56.

1°. La conséquence qu’il faut tirer de cette Loi, est qu’il est défendu aux Juges de prévenir le prisonnier sur les circonstances de son crime, en l’interrogeant par exemple, s’il n’a pas jeté dans un puits l’argent volé, au lieu de lui demander en général dans quel endroit il l’a caché. Il n’arrive que trop souvent que les Juges, faute de connaître l’esprit de la Loi, tombent dans cette irrégularité qui fait que leur interrogatoire n’est plus un examen juridique, mais une pure suggestion, qui ne peut jamais être admise, puisque selon le sentiment des Jurisconsultes, elle rend la procédure nulle, et ne saurait opérer une condamnation de mort, surtout, lorsque par la suggestion on prévient le prisonnier sur une circonstance essentielle, de laquelle dépend principalement la condamnation.

Cette nullité ne peut point être réparée en faisant ensuite ratifier au prisonnier cette circonstance suggérée, parce que la suggestion qui en a été faite, est censée subsister toujours ; d’ailleurs quand même le prisonnier, en lui faisant ratifier sa confession, voudrait révoquer cette circonstance, il en serait empêché par la crainte que sa révocation ne lui fît subir une seconde question, et cela d’autant plus, qu’il en a déjà éprouvé la rigueur, se pouvant trouver des personnes qui aiment mieux s’exposer à perdre la vie, que d’être appliquées aux tourments de la question ; d’où l’on doit conclure qu’un prisonnier, dont le délit n’aura point été prouvé d’une autre manière que par la confession, des circonstances ainsi suggérées, ne pourra point être condamné à une peine capitale.

2°. La procédure seconde, qui est prescrite à la fin de cet article, forme un acte que les Jurisconsultes appellent ratification devant le Ban de la Justice ; elle n’est point nécessaire lorsque la confession a été volontaire, mais elle est requise lorsque le prisonnier n’aura confessé son délit que par la question, ou par les menaces prochaines de la question, c’est-à-dire, lorsqu’il y aura été présenté dans le lieu qui y est destiné, que les préparatifs en auront été faits, et les instruments préparés à la lui donner, et non pas lorsqu’on l’aura simplement menacé par paroles de la lui faire subir.

3°. L’Empereur s’en rapporte à la prudence des Juges pour l’intervalle qu’il faut mettre entre la question donnée, et la ratification que l’on doit ensuite exiger du questionné. Ce qu’il y a de certain, c’est que suivant cette règle on ne doit pas mettre moins des deux jours d’intervalle entre ces deux procédures, parce qu’il faut donner au prisonnier questionné le temps de respirer de ses douleurs, et de reprendre ses forces, dans l’incertitude où seront les Juges, s’ils ne se trouveront pas obligés d’ordonner une autre question.

4°. Il n’en est pas de même d’un témoin que l’on met à la question pour le faire déposer sur la vérité d’un fait que l’on sait être à sa connaissance ; on n’a pas besoin de lui faire ratifier, si avant la question il a déposé du fait, sans vouloir déclarer cependant les circonstances essentielles, qui doivent lui être connues, et qu’il ne les déclare que par la question. La raison en est, parce que la question ne lui a été donnée que pour corriger le défaut de sa première déposition, qui par là se trouve entièrement rectifiée. Mais si ce témoin ne commençait à faire sa déposition qu’à la question, et qu’avant il ne l’eût pas voulu faire de son gré, alors il serait nécessaire de la lui faire ratifier devant le Ban de la Justice, aussi bien qu’au Criminel même, contre lequel il a déposé.

ARTICLE 57.
De la procédure à faire contre celui qui révoque la confession qu’il a faite de son crime.

Si le prisonnier révoque la confession qu’il a déjà faite de son crime, et que néanmoins le soupçon, comme il a été dit ci-dessus, subsistait, on le doit ramener dans la prison, et procéder de nouveau contre lui par la question, en continuant avec soin dans la recherche des circonstances, ainsi qu’il a été marqué, parce qu’elles sont tout le fondement pour la question, à moins que le prisonnier ne pût alléguer des raisons assez fortes de sa révocation, pour que le Juge fût fondé de croire que sa confession a été faite par erreur, auquel cas le Juge permettra au prisonnier de déduire et de prouver ladite erreur ou surprise.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 57.

I°. Quoique l’Ordonnance prescrive en général de faire remettre à la question celui qui aura révoqué sa confession faite par les tourments, cette Loi étant fondée sur la variation du prisonnier, qui fait un indice nouveau ; cependant cette maxime générale veut être interprétée, et a besoin des conditions suivantes pour que la question puisse être réitérée contre celui qui révoque ainsi sa confession :

1°. Il faut que le Juge ait employé tous les soins requis pour vérifier les circonstances du crime, parce que c’est sur cette vérification qu’est fondée la procédure de la question.

2°. Il faut que le prisonnier ne puisse donner aucune raison valable pour faire voir que sa confession a été faite par erreur ou par surprise.

3°. Il faut que sa révocation ait été faite après l’intervalle de deux ou trois jours prescrits ci-dessus.

4°. Il faut que le prisonnier ne puisse point reprocher aux Juges que la première question a été employée sur des preuves insuffisantes, et par conséquent injustement ; par exemple, lorsqu’il n’a pas été constaté du corps du délit.

5°. Il faut que les Juges n’aient point excédé dans la première question, c’est-à-dire, qu’ils ne l’aient pas fait exécuter plus sévèrement qu’elle ne leur a été ordonnée par le Magistrat supérieur, ou conseillée par l’instruction des Gens de Loi qu’ils ont consultés avant que d’y procéder.

Lorsque ces conditions s’y trouvent, les Juges sont autorisés de faire appliquer une seconde fois à la question le prisonnier qui aura révoqué sa confession devant le Ban de la Justice, et qui ne pourra donner d’autres raisons de sa révocation, que celle d’avoir avoué le délit par la force des tourments.

II°. La confession faite ensuite d’une seconde question doit de même que la première être ratifiée deux ou trois jours après devant le Ban de la Justice en la manière que nous venons de le dire. Si dans cette seconde comparution le Criminel, au lieu de persister dans sa première et deuxième confession, venait encore à la révoquer, on peut dans les délits très atroces le faire appliquer une troisième fois à la question, en quoi il est nécessaire de distinguer deux sortes de délits : on appelle délits atroces ceux que les lois punissent d’une simple mort, comme d’être pendu ou arquebusé ; les délits très atroces sont ceux qu’on punit d’une mort qualifiée, comme d’être brûlé, roué, écartelé, traîné sur une claie au lieu du supplice, et autres pareilles. C’est dans les cas de ces derniers délits que les Jurisconsultes disent unanimement que l’on est autorité de procéder à une troisième question, supposé toutefois, que les indices suffisants subsistent dans leur force, et que le Criminel dans sa seconde révocation n’ait rien prouvé pour les détruire.

III°. Dans les autres délits que les Lois appellent seulement atroces, elles défendent de procéder à une troisième question, à moins que l’on ne découvre des nouveaux indices différents des premiers, et plus forts : en quoi les Juges doivent prendre garde de ne point s’abuser en prenant pour un nouvel indice, ce qui n’est qu’une confirmation et un soutien des anciens : Par exemple, Jean est soupçonné d’avoir tué Pierre, parce qu’il s’est trouvé seul dans la maison où le meurtre a été fait, et que d’ailleurs le bruit public veut qu’il en est l’auteur : sur ces indices il est mis à la question ; après l’avoir subie sans rien avouer, on découvre par dessus cela, que Jean était ennemi juré de Pierre, et qu’il a été vu avec l’épée nue dans le lieu et dans le temps de l’action ; ce sont là des nouveaux indices différents des premiers, et qui demandent que la question soit réitérée.

Les nouveaux indices ne doivent pas seulement être différents des anciens, ainsi que nous venons de dire, mais aussi plus clairs et plus violents ; si cependant ils n’étaient pas assez considérables pour donner lieu à une nouvelle question, ils pourraient du moins suffire pour intimider le prisonnier en le menaçant, et en le faisant conduire à la chambre de la question, l’expérience ayant fait voir, que la crainte de la subir de nouveau a porté souvent les Criminels à confesser la vérité. Il n’en est pas de même, si après la première question on trouve des témoins qui sans rien dire de nouveau confirment seulement ce que les autres ont déjà déposé ; ce témoignage ne fait pas un nouvel indice, et ne peut point donner lieu à une seconde question.

IV°. Mais si dans la troisième comparution devant le Ban de la Justice le prisonnier révoquait de nouveau la confession extorquée par les trois questions précédentes, alors les Jurisconsultes disent unanimement, que la question n’a plus lieu, et qu’on ne peut même ordonner qu’une punition arbitraire, à moins que l’on ne découvrit des nouveaux indices ; une confession ainsi révoquée jusqu’à trois fois, étant censée avoir été arrachée plutôt par l’excès des douleurs que faite par les remords de conscience du Criminel. Cette formalité au reste que les lois prescrivent comme tellement nécessaire, que sans elle le Criminel ne peut point être condamné, ne doit point être regardée comme trop embarrassante, et capable de prolonger le cours de la Justice ; ce serait une réflexion pernicieuse, puisque l’on ne saurait aller trop lentement, ni user de trop de circonspection, lorsqu’il s’agit de la vie d’un homme.

V°. Les Jurisconsultes invectivent fortement contre certains Juges, qui sans garder aucunes mesures, se piquent de vaincre un prisonnier par la violence et la longueur des tourments, jusqu’à croire même que ce serait souvent une bonne action de le faire mourir dans la question : ces maximes tiennent de la cruauté, elles sont injustes devant Dieu et devant les hommes, et très opposées à celles que prescrit Justinien : la question que l’on fait souffrir même à un esclave, dit cet Empereur, doit être donnée de manière qu’il puisse vivre s’il est innocent, ou être en état de subir le supplice, s’il est trouvé coupable.

ARTICLE 58.
De la mesure qui doit être observée dans la question.

La prudence du Juge doit mesurer la question, tant pour la durée et la réitération, que pour la rigueur ou l’adoucissement sur la qualité et le poids des indices, et sur l’état de la personne, et ce que le prisonnier dira durant la question, ne sera point reçu, ni mis par écrit, mais cela ne se fera que lorsqu’il aura été délivré de la question.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 58.

1°. Quoique l’Empereur remette à la prudence des Juges la mesure qu’ils doivent garder dans la question, il ne leur est cependant jamais permis de s’écarter des règles générales, dont la principale est de ne point employer cette procédure sans qu’il y ait un indice suffisant, qui soit prouvé et établi de la manière qu’il a été expliqué ci-dessus dans les articles 8, 18, 20, 22 et 23. Une seconde règle, qui est la suite naturelle de celle-ci, est que la question ne peut point être réitérée sur un même indice, parce que suivant les Lois, l’indice sur lequel elle a été donnée, se trouve par là purgé, à moins qu’il ne survienne un autre indice également prouvé, auquel cas la question aura lieu une seconde fois ; en quoi il faut bien observer que le nouvel indice, qui survient, doit être différent du premier par lui-même, et aussi plus fort, ainsi que nous l’avons expliqué dans la troisième observation dans l’article précédent.

2° Cette règle générale souffre néanmoins deux exceptions, dans lesquelles la question peut être réitérée, sans qu’il survienne un nouvel indice ; la première, lorsque la question a été légère dans l’espérance qu’avaient les Juges, qu’elle suffirait pour tirer de l’accusé l’aveu de son crime ; la seconde, lorsque le crime est atroce, les premiers indices violents, et l’accusé d’une complexion robuste, les Juges peuvent réitérer la question jusqu’à deux ou trois fois, de manière cependant que cette question ainsi répétée soit censée ne faire qu’un même acte divisé en plusieurs degrés, ou pour mieux dire, une extension et prolongation d’une même question. C’est sur ces circonstances, que la prudence des Juges doit peser mûrement la qualité du délit, la force des indices et l’état du prisonnier, et ils doivent surtout observer que dans le doute, si une seconde ou troisième question a lieu, il est plus sûr et plus conforme à la Loi de ne point se déterminer à la grande rigueur.

3°. Dans le cas, où les nouveaux indices ne seraient pas assez forts pour procéder à une seconde question, on peut néanmoins en menacer le prisonnier dans le lieu qui y est destiné pour voir si la crainte des tourments réitérés fera quelque effet. Il est encore à observer que l’on ne doit jamais donner deux questions un même jour, mais laisser quelque relâche au prisonnier, à cause du danger que sa santé et sa vie même y pourrait courir. Au reste la procédure de la question ne doit jamais être faite les jours de Dimanche ou de Fête, à moins que ce ne fût pour crime de lèse-Majesté, ou lorsqu’il y aurait du danger de laisser échapper les complices, auquel cas même on ne le doit faire ces jours-là que dans une nécessité indispensable, parce que ce serait, disent les Jurisconsultes, un spectacle digne de compassion, et en même temps manquer à ce que nous devons à Dieu, si les jours consacrés particulièrement à son culte, servaient à tourmenter l’homme, qui est créé à son image. Lorsque la question sera de nature à pouvoir faire quelque révolution dans le corps, elle doit être donnée à jeun, de peur que le prisonnier ne soit excité à quelque vomissement dangereux.

4°. Lorsqu’il y aura plusieurs complices accusés d’un même crime, celui contre lequel se trouvera le plus ou de plus forts indices, doit être mis le premier à la question : mais s’ils sont tous également chargés, on doit commencer par celui qui paraît le plus timide et le moins robuste à soutenir les tourments, parce qu’il est à présumer qu’il avouera plutôt que les autres, et que sa confession ne peut guère manquer d’ébranler ses complices.

5°. Par la même raison lorsqu’un homme et une femme également chargés du même crime, doivent être appliqués à la question, on doit la commencer par la femme, parce qu’étant plus faible et moins capable de soutenir les tourments, elle sera plus aisée à vaincre pour la faire confesser son crime. Il en est de même d’un père et d’un fils qui sont complices d’un crime : c’est le fils qui doit être questionné devant le père, et en sa présence, parce qu’étant d’un âge plus tendre, et d’un esprit plus léger, il est censé qu’il y aura moins de résistance de sa part à découvrir la vérité, et que d’ailleurs la nature faisant sentir au père les tourments du fils, il sera assez touché pour ne pas le voir plus longtemps exposé à souffrir, dans les cas où les complices seront également chargés ou soupçonnés, et qu’ils paraîtront d’égale forte complexion, il sera indifférent de commencer la question par celui que l’on voudra.

6°. Le Greffier de la Justice, dont la présence est nécessaire, doit non seulement rédiger par écrit tout ce que le questionné aura répondu, dit, déclaré ou nié, mais encore la manière dont toute cette procédure se sera passée ; savoir, de quelle sorte de question on s’est servi, quelle en a été la durée et la mesure, quelle impression elle a faite sur le prisonnier, et à quel point il a paru y être sensible ; tout ce détail étant nécessaire pour faire voir aux Juges Supérieurs si la question a été assez forte, ou bien si elle n’a pas été excessive.

7°. L’examen ou l’interrogatoire du prisonnier ne doit point se faire pendant qu’il est actuellement à la question, tout ce qu’il dit et confesse alors ne doit point être écrit ; la raison est que dans cette situation il n’est occupé que de sa douleur, et nullement en état de déclarer pertinemment la vérité qu’on lui demande : le Juge peut néanmoins, et doit même, pendant la question, l’exhorter en général à confesser la vérité. Les points sur lesquels le Juge l’interrogera, après qu’il aura été relâché de la question, doivent être clairs, courts et précis, on ne doit point l’interroger sur plusieurs faits à la fois pour ne point embarrasser sa mémoire, ni sur des choses superflues et inutiles à la vérité, que l’on veut découvrir : il n’est point permis non plus au Juge de vouloir arracher la confession du prisonnier par des discours captieux et contre la vérité, comme serait de lui dire : la chose est suffisamment prouvée, les complices ont tout avoué, il est inutile de nier, ou autres discours semblables, parce que quoiqu’ils servent quelque fois à tirer la vérité d’un coupable, il peut arriver qu’ils troublent et intimident assez l’innocent pour lui faire avouer un crime qu’il n’a point commis ; ces façons de parler renferment d’ailleurs un mensonge toujours défendu, et indigne de celui qui représente la personne de Dieu.

ARTICLE 59.
De la question à donner à celui qui a quelque blessure dangereuse.

Si le Prisonnier se trouvait avoir sur son corps des blessures dangereuses ou quelque autre infirmité, on doit employer la question contre lui de la manière qui pourra le moins nuire aux dites blessures.

ARTICLE 60.
Dans quel temps on doit ajouter foi à la confession qui est faite ensuite de la question.

Lorsque sur les preuves des indices suffisants d’un crime on aura ordonné la question, et que sur la confession du questionné, ainsi que nous l’avons expliqué clairement dans les articles précédents, on aura eu soin de faire la recherche et l’enquête nécessaire, pour découvrir la vérité du délit, tel qu’il ne pourrait point être déclaré de cette manière par une personne innocente ; alors on doit, sans aucun doute, et constamment ajouter foi à ladite confession, et procéder au jugement de condamnation, suivant la nature du délit, comme nous le dirons ci-après dans l’article 104 et dans quelques autres.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 59 ET 60.

L’instruction que cet article nous donne défend la légèreté, avec laquelle on pourrait procéder à la condamnation de celui qui aura confessé son crime ensuite de la question. Il ne suffit pas que le Criminel ait confessé le délit, et qu’il l’ait ratifié, même devant le Ban de la Justice, il faut encore après cette ratification que l’on fasse toute la recherche possible, pour vérifier le corps du délit, c’est-à-dire, il faut savoir, si l’action Criminelle a été réellement commise, et si les circonstances essentielles qu’il a déclarées, sont véritablement telles et existent par la recherche que l’on en fait, en sorte que les Juges soient persuadés qu’elles ne peuvent être connues que de la personne même qui a commis le crime, alors le corps du délit étant constaté, il donne lieu à la condamnation ; et c’est ce que nous appelons dans nos Conseils de Guerre Gicht und That.

ARTICLE 61.
Du prisonnier qui ayant été mis à la question sur des indices suffisants,
ne sera pas trouvé coupable, ou n’aura point succombé.

Lorsque l’accusé, sur les suspicions et indices suffisants dont nous avons parlé, aura été mis à la question, et que néanmoins il n’aura point succombé à l’accusation criminelle par sa propre confession, ou par des preuves, les Juges, non plus que les accusateurs, ne seront point tenu à aucune peine pour raison de ladite question qui aura été régulière et permise par les Lois, parce que les indices criminels ont autorisé la procédure de la question, chacun étant obligé suivant les Lois, d’éviter non seulement le crime, mais même les apparences du crime, qui lui donnent un mauvais renom, ou qui forment des indices contre lui ; de sorte que celui qui ne sera pas ainsi sur ses gardes, ne pourra s’en prendre qu’à lui-même de la sévérité qu’il se sera attirée ; et en ces cas l’accusateur après qu’il aura déduit les preuves de sa suspicion, de même que l’accusé, seront tenus chacun pour leurs frais, et à l’égard des autres frais comme ceux de l’Exécuteur, et autres servants [de] la Justice, ou dans les prisons, ils seront sur le compte seul du Magistrat Supérieur ; mais dans les cas où la question aura été donnée contre la forme prescrite dams la présente Ordonnance Impériale, les Juges, comme auteurs de cette procédure injuste deviendront eux-mêmes punissables suivant la force et la nature de leur contravention, à quoi les Tribunaux Supérieurs dont ils dépendent, seront tenu de veiller ainsi que de raison.

ARTICLE 62.
De la preuve du délit.

Si l’accusé se ne voulait rien avouer, et que l’accusateur s’offrit de produire des preuves du délit, il sera admis à prouver, comme de droit.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 61 ET 62.

Le sentiment des Jurisconsultes est que l’accusateur ne peut être admis à faire preuve qu’avant la question de l’accusé, et qu’après l’avoir subie, les témoins ne peuvent plus déposer sur [les] mêmes indices, qui ont donné lieu à ladite question, par la raison que la déposition des témoins pourrait être d’une assez grande force, pour opérer une conviction pleine et entière, qu’en ce cas on n’aurait plus besoin de la question ni de la confession du Criminel, pour procéder au jugement de condamnation. Cette maxime est fondée sur l’Article 69 où il est parlé de la conviction.

Cette maxime souffre cependant une exception, c’est lorsque les preuves sont très difficiles à avoir, et que les indices d’ailleurs ont été assez violents pour pouvoir, sans risque, procéder à la question ; en ce cas le Juge peut d’office recevoir les preuves par la déposition des témoins, après que la question a été donnée, parce qu’indépendamment de ces preuves il y a été suffisamment autorisé ; par exemple, lorsque l’accusé a été pris en flagrant délit, ou que dans son interrogatoire il aura déclaré des circonstances de lui-même, qui ont fait un indice suffisant pour la question. Il n’en est pas de même de la défense que peut fournir l’accusé ; elle lui en ouverte dans tous les cas, soit que la procédure se fasse sur l’accusation ou sur la poursuite du Juge, avant ou après les preuves fournies par les témoins ; la raison de cette disparité est que la Loi est toujours plus favorable pour la défense que pour les charges, et qu’il est du droit naturel de fournir à l’accusé tous le[s] moyens qui peuvent servir à sa justification pour n’être point opprimé injustement.

ARTICLE 63.
Des Témoins inconnus.

On ne doit point admettre des témoins inconnus que la partie récuse, à moins que celui qui produit ces témoins, ne fasse voir suffisamment, qu’ils sont bons et sans reproche.

ARTICLE 64.
Des Témoins gagés.

Les Témoins gagés non seulement sont rejetés, et ne peuvent être admis, mais même doivent être punis.

ARTICLE 65.
De la manière dont les Témoins doivent déposer.

Les Témoins doivent dire ce qu’ils savent par eux-mêmes, en faisant voir que ce qu’ils savent est fondé en raison ; mais lorsqu’ils déposeront sur le rapport d’un autre, leur déposition ne sera pas reçue pour suffisante.

ARTICLE 66.
Des Témoins suffisants.

Ceux-là sont des Témoins suffisants qui sont sans reproche, et que l’on ne peut point rejeter d’ailleurs par aucune raison légitime.

ARTICLE 67.
De la preuve suffisante.

Lorsqu’un délit sera prouvé au moins par le témoignage de deux ou trois témoins croyables, qui déposent sur leur véritable connaissance, la procédure criminelle aura son cours, et l’on prononcera jugement suivant la nature du fait.

ARTICLE 68.
Des faux Témoins.

Les Témoins que l’on trouvera ou convaincra avoir entrepris par malice et faux témoignage de faire mettre innocemment quelqu’un à la question, auront mérité le châtiment, auquel ils ont voulu par leur déposition exposer l’innocent.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 63, 64, 65, 66, 67 ET 68.

Après avoir traité fort en détail cette matière qui regarde les témoins dans l’article 23, auquel on doit avoir recours, il nous reste deux réflexions essentielles à y faire.

La première, que lorsqu’il s’agit d’aller à la preuve d’un délit, et qu’il y a des présomptions raisonnables, qu’il n a point été commis, on ne doit pas se fonder sur la seule déposition de deux témoins, mais qu’il est nécessaire d’avoir encore d’autres preuves, et un plus grand nombre des témoins.

La seconde, que la déposition n’est point recevable, et ne suffit point pour condamner une personne soupçonnée, lorsque les témoins ont déposé et ont été examinés avant l’emprisonnement de la personne, et avant qu’elle ait répondu à l’interrogatoire.

ARTICLE 69.
De l’Accusé qui ne veut point confesser son crime après en être convaincu.

Si l’accusé après des preuves suffisantes de son crime ne voulait point le confesser, on doit lui remontrer qu’il en est convaincu, quoique pour cela on ne puisse point tirer de lui sa confession : si après cette remontrance il persistait encore à ne point avouer, quoiqu’il en fût suffisamment convaincu, comme il vient d’être dit, on doit néanmoins sans l’appliquer à aucune question le juger suivant le mérite du crime dont il est convaincu.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 69.

Cet Article établit une maxime certaine, contre laquelle on a vu quelquefois des préventions très préjudiciables au cours de la Justice. Pour bien entendre cette maxime, il faut distinguer ce qui est demi-preuve, d’avec ce qui est preuve suffisante ou conviction. Lorsque les preuves ne sont point complètes, soit que le nombre des témoins requis y manque, soit que ces témoins ne déposent pas sur le fait même, mais seulement sur quelques circonstances du délit, soit qu’il n’y ait que des indices contre l’accusé, comme serait même celui d’être pris en flagrant délit, ou tout autre indice suffisant pour la question, tels qu’ils sont expliqués dans l’article 27 et les suivants ; alors il est nécessaire que le prisonnier confesse son crime pour pouvoir procéder au jugement de condamnation.

Il n’en est pas de même lorsqu’il y a des preuves suffisantes, et que par ces preuves il est suffisamment convaincu du crime, comme lorsque deux témoins irréprochables ont déposé du fait, ce qui opère une conviction pleine et entière ; en ce cas on n’est pas obligé d’avoir la confession du criminel pour le condamner, mais on doit seulement par surabondance de droit lui remontrer qu’il est convaincu de son crime, et lui faire voir le tort qu’il a, et l’inutilité de ne le point avouer, puisque nonobstant son opiniâtreté à dénier son crime, il sera condamné selon qu’il le mérite.

ARTICLE 70.
De la manière de produire et faire entendre les Témoins.

Suivant qu’il sera nécessaire que la déposition des témoins pour opérer un jugement de condamnation, soit extrêmement claire et exacte, Nous voulons que lorsque le délit de l’accusé serait caché, et qu’il ne voulût point avouer ce qui aurait été déposé contre lui, comme il vient d’être dit, que néanmoins l’accusateur s’offrit de prouver le délit dont il a porté l’accusation, qu’il y fut admis ; que dans ce cas ledit accusateur fasse mettre exactement par écrit ses articles, dont il veut faire preuve, lesquels il remettra au Juge en y faisant mention du nom et de la demeure des témoins, afin qu’ensuite quelques uns des Juges ou autres Commissaires nommés, soient en état de prendre les dépositions nécessaires, et d’une manière convenable, ainsi qu’il en sera parlé ci-après dans différents endroits.

ARTICLE 71.
Des Témoins entendus en Justice.

Lorsqu’une Juridiction Criminelle sera composée de Sujets habiles, et capables d’entendre ces témoins dans la forme requise, le Juge assisté de deux Assesseurs intelligents avec le Greffier, suivant les règles de la Justice, entendra soigneusement lesdits témoins, et fera une attention particulière, si le témoin ne variera point, ou marquera de l’inconstance dans sa déposition ; lesquelles circonstances, de même que la contenance extérieure du témoin, seront écrites dans la procédure.

ARTICLE 72.
Des Témoins entendus hors la Justice.

Mais lorsqu’une Juridiction Criminelle, ainsi qu’il se rencontre dans plusieurs endroits de l’Empire, ne sera point composée des Sujets intelligents et capables, quoique suivant le droit commun les affaires Criminelles ne doivent point être instruites par d’autres Examinateurs ou Commissaires ; cependant comme il importe extrêmement d’avoir des Commissaires éclairés pour empêcher les torts que causerait ce défaut des lumières, Nous ordonnons et voulons qu’au dit défaut on fournisse à ladite Juridiction, outre le Juge, quatre Assesseurs pour procéder à l’instruction des preuves susdites, sans que les parties en supportent les frais ; que pour cet effet les Commissaires intelligents qui seront donnés d’une autre Juridiction, sur la demande de celui qui veut produire les témoins, et lorsque la nécessité le requerra, seront munis des Lettres de Compulsoire, et de Pareatis, en vertu desquelles les témoins pourront être contraints. Ladite Juridiction y apportera tous les soins qui dépendront d’elle, et dans les difficultés qui se rencontreront, elle cherchera conseil auprès des gens de Loi, afin de rendre la procédure régulière, et sans que les frais en retombent sur les parties.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 70, 71 ET 72.

Cet Article regarde les Princes et États, lorsqu’il arrive un délit dans un territoire où les Juges ne seraient point assez éclairés pour faire l’instruction du procès ; dans ce cas il est du devoir des Supérieurs de déléguer sous leur autorité des Sujets capables de faire cette fonction dans la régularité des Lois, et de les munir des pouvoirs suffisants dressés dans leurs Chancelleries pour consommer la procédure : et à l’égard des frais que cette délégation occasionnera, ils seront uniquement à la charge du Magistrat Supérieur, par la raison qu’étant en obligation d’avoir des Sujets capables dans les Juridictions Criminelles qui sont de leur dépendance, il doit suppléer à ce défaut par lui-même dans les occasions qui se présentent.

ARTICLE 73.
De la manière de manifester et communiquer les dépositions.

Après que les dépositions auront été prises, on les manifestera en la manière suivante ; savoir, si elles ont été prises par quelques membres d’une Juridiction Criminelle, qui soient versés dans ces affaires, le Juge fixera un jour auquel on en fera l’ouverture, et où il sera permis de fournir les contredits et les défenses par écrit dans la forme qui est marquée ci-après.

Mais s’il arrivait que, faute des personnes éclairées, les dépositions eussent été prises par des Commissaires étrangers à la Juridiction, comme il a été dit ci-dessus, ou que les Assesseurs de cette Juridiction n’eussent pas siégé ensemble, en sorte qu’il y eut eu occasion à des nouveaux frais pour les rassembler, n’étant point utile ni nécessaire que leur assemblée se tienne pour chaque procédure en particulier, et afin que l’on remédie en cela aux frais et aux longueurs de la Justice, Nous ordonnons et voulons qu’en pareil cas les Commissaires, et ceux qui font l’instruction du procès se comportent ainsi qu’il suit.

Les Commissaires et Examinateurs commenceront par assigner un jour aux Parties pour leur communiquer les dépositions, et au jour marqué ils leur délivreront de part et d’autre copie de la procédure pour un temps convenable, et tel qu’ils trouveront être nécessaire, eu égard à la nature de l’affaire, afin que la procédure soit connue à ceux qui y ont intérêt, et surtout au prisonnier, auquel le secours d’Avocats ne pourra point être interdit : alors ce que chacune des Parties voudra dire sur ces dépositions, sera remis aux susdits Commissaires par un écrit double au jour qu’ils auront marqué à cet effet ; l’un de ces deux écrits demeurera entre les mains des Commissaires, et l’autre sera délivré à la partie adverse pour la mettre en état d’y répondre si elle veut.

Et au cas que les Parties voulussent produire d’autres écritures sur ce sujet, elles le feront toujours par un écrit double et dans le délai qui leur sera prescrit par les Commissaires, en sorte néanmoins qu’elles ne pourront fournir que deux fois leurs écrits, dans lesquels elles renfermeront tout ce qui sera nécessaire à leur défense, à moins que l’affaire ne fut de telle nature que les Commissaires par des raisons très fortes et pressantes ne pussent pas se dispenser d’accorder encore aux deux parties la faculté d’écrire une troisième fois, mais sans plus, et cela dans un délai préfix. Lors donc que les dépositions auront été ainsi prises et communiquées, et que les parties auront fourni et clos leur dire et défense, le Commissaire envoiera le tout en sûreté au Magistrat Supérieur dont il a reçu le pouvoir de procéder, lequel aura soin d’informer de son résultat le Juge où le procès est pendant, et lui prescrire le jugement qu’il y doit porter.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 73.

Quoique l’Empereur dans cet article restreigne les charges et les défenses à la troisième production que les Parties doivent fournir par écrit, parce qu’il suppose que tout ce qu’elles ont à alléguer, y doit être renfermé, cependant les Jurisconsultes soutiennent qu’il peut y avoir des cas assez difficiles pour que l’on permette une défense plus étendue, et veulent que la prudence des Commissaires y mettent telles bornes qu’ils jugeront à propos, eu égard à la nature de l’affaire et aux circonstances qui l’accompagnent. Toutes ces dispositions au reste ne regardent que la procédure qui s’instruit sur les charges d’un accusateur, celle qui est faite d’office, comme le sont la plupart, n’exigeant point ces formalités.

ARTICLE 74.
Des Témoins que l’accusé produit pour sa défense.

Lorsque l’accusé voudra produire des témoins et des preuves pour se disculper du délit dont il est accusé, et que le Juge estimera que ses preuves offertes pourront lui être utiles, cette procédure sera conduite de la même manière qu’il a été dit ci-dessus, et l’on se conformera encore en cela à ce qui est marqué ci-après dans l’article 151 où il parle de la décharge de l’accusé, et qui commence par ces mots : Si quelqu’un confesse un délit : de même que dans quelques autres articles qui suivent.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 74.

La défense de l’accusé étant de droit naturel, on ne peut pas douter qu’elle ne doive lui être accordée, pour travailler à sa justification ; mais on doit observer la clause qui est renfermée dans cet Article, et qui regarde l’utilité des preuves ou témoignages que l’accusé offre de produire pour se justifier : car s’il proposait de fournir des preuves qui fussent frivoles, non pertinentes, et ne pouvant rien opérer pour sa défense, en ce cas elles ne doivent point lui être accordées en vertu de la disposition de cette Loi. Autre chose serait, si le Juge avait lieu de douter de l’utilité desdites preuves ; alors il doit prendre le parti le plus sûr, et accorder à l’accusé la faculté de produire les preuves qu’il offre de donner, parce qu’il est de son devoir de se déterminer à la plus grande sécurité, et d’admettre plutôt ce qui est superflu, que de rebuter dans le doute ce qui pourrait devenir nécessaire. Cette maxime ayant lieu dans les causes Civiles, elle doit à plus forte raison avoir lieu dans les affaires Criminelles, où il s’agit de l’honneur et de la vie des hommes.

ARTICLE 75.
Des frais concernant les Témoins.

Celui qui produit des témoins en affaire Criminelle, sera tenu de payer à chacun des témoins pour chaque jour qu’il l’emploiera huit Creuzer, ou la même valeur, proportionnée à la monnaie du pays, si ce sont des personnes du commun, et qui voyagent à pied : à l’égard des autres, le salaire sera réglé suivant la prudence et l’estimation des Commissaires.

ARTICLE 76.
Du sauf-conduit pour les Témoins.

On n’accordera point de sauf-conduit à aucune partie ni au témoin, pour se présenter devant les Juges ou devant les Commissaires avant la procédure Criminelle ; mais il sera accordé tant aux parties qu’aux témoins pour les garantir de la violence en s’y présentant.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 75 ET 76.

Le sauf-conduit, dont il est parlé ici, est une assurance que le Magistrat donne par écrit à quelqu’un pour la sûreté de sa personne pour aller et revenir en liberté : ces sauf-conduits ne se donnent qu’avec grande connaissance de cause, et pour des justes raisons aux délinquants pour agir en leurs affaires : par exemple. lorsque pour un délit il s’est tenu caché, et qu’il demande à se présenter, le sauf-conduit doit lui être accordé pour le garantir de la violence et de l’insulte qui pourrait lui être faite : cet usage est de règle, soit que la procédure s’instruise d’office, ou sur une accusation formée.

Tout ce qui regarde cette matière, sur laquelle les Jurisconsultes font différentes dissertations par rapport aux Juridictions de l’Empire ne peut guère avoir lieu dans les Justices Militaires, où l’on n’a pas besoin d’avoir recours à ces formalités ; les délits pour l’ordinaire n’y sont point mêlés d’intérêts civils qui donnent occasion à ces sauf-conduits, et les procédures y deviennent plus simples dans toutes leurs circonstances.

ARTICLE 77.
De la prompte expédition de la Justice.

Pour éviter les frais, Nous statuons et ordonnons que dans toutes les affaires Criminelles, on expédie promptement la Justice, et que l’on empêche tout délai préjudiciable.

ARTICLE 78.
De la destination d’un jour pour rendre Jugement définitif.

Lorsque l’accusateur, sur la confession de l’accusé, ou sur les dépositions complètes et concluantes des témoins, demandera un jugement définitif, il lui sera accordé sans délai ; et au cas que l’accusateur ne voulût pas demander un jour pour un jugement définitif, il sera accordé à la demande qu’en fera l’accusé lui-même.

ARTICLE 79.
De l’indication qui doit être faite à l’accusé du jour marqué pour le juger.

Celui qui sur la demande de l’accusateur doit être puni par un jugement définitif, en sera averti trois jours avant, pour qu’il ait le temps de reconnaître son péché, de s’en repentir, et de s’en confesser, et on ne pourra point lui refuser de recevoir le Saint Sacrement, au cas qu’il le demandât. On fournira à l’accusé pour cette confession dans la prison, des personnes qui lui puissent inspirer des sentiments de piété et convenables à son salut ; on aura de même attention, soit en le conduisant au supplice ou ailleurs que la boisson qu’on lui donnera, n’affaiblisse point sa raison.

ARTICLE 80.
De la publication du jour du Jugement.

On annoncera et publiera le Jugement à tenir suivant qu’il se pratique dans chaque pays par un louable usage.

ARTICLE 81.
Que les Juges doivent conférer ensemble avant que de siéger pour rendre Jugement.

Les Juges, avant le jour de la séance, se feront représenter la procédure et la liront, afin que tout se trouve en état d’être produit devant le Tribunal, ainsi qu’il sera indiqué dans l’article 181 par la lecture que les Juges en feront, ils conviendront ensemble du Jugement qu’ils auront à prononcer, et au cas qu’il leur vienne quelque doute, ils s’en éclairciront auprès des Gens de Loi, pour y former leur décision, et feront le tout bien protocoller, afin qu’il leur serve dans le jugement qu’ils rendront ensuite public, conformément à l’article 190 ci-après.

ARTICLE 82.
Du signal à donner pour assembler le Tribunal Criminel.

Le jour marqué pour tenir le Tribunal Criminel étant arrivé, on l’annoncera au public à l’heure ordinaire par le son des cloches ; alors les Juges et Assesseurs se rendront au lieu, où, selon l’usage, ils doivent s’assembler : le Juge fera prendre séance aux Assesseurs, et tenant le bâton ou l’épée nue, suivant la coutume de chaque Pays, il prendra lui-même séance avec eux, jusqu’à la définition pleine et entière du jugement.

ARTICLE 83.

Les Juges et Assesseurs dans tous les jugements Criminels auront devant eux Notre présente Ordonnance et Loi Impériale, et s’y conformeront ; ils les communiqueront aussi aux Parties toutes les fois qu’il sera nécessaire, et qu’elles le demanderont, afin que leur ignorance ne les expose point à être lésées, et à cet effet on leur délivrera sur leur demande Copie des Articles de Notre présente Ordonnance, qui leur seront nécessaires.

ARTICLE 84.
De la demande que doit faire le Juge, si le Tribunal est composé dans les formes.

Lorsque le Tribunal sera ainsi composé, le Juge fera à chacun des Assesseurs la demande suivante : N. je vous demande si le Tribunal Criminel est composé suivant les Lois ? Si alors il se trouve le nombre de sept ou huit Assesseurs, chacun d’entre eux répondra ainsi qu’il suit : M. le Juge, le Tribunal Criminel est compétemment formé suivant l’Ordonnance de l’Empereur Charles V et du Saint Empire.

ARTICLE 85.
De l’exposition de l’accusé aux yeux du public.

Lorsqu’on sera déterminé de prononcer un jugement Criminel contre l’accusé, on doit avant ou après, suivant l’usage de chaque Pays, exposer pendant quelque temps, le malfaiteur au Carcan, ou au Poteau dans le Marché, ou dans la Place publique.

ARTICLE 86.
De la conduite de l’accusé devant le Tribunal.

Après quoi le Juge ordonnera que l’accusé soit conduit sous bonne garde devant le Tribunal, par l’Exécuteur.

ARTICLE 87.
De la publication de l’accusé.

A l’égard de la publication des malfaiteurs, on s’y conformera à l’usage louable de chaque Juridiction, sur la demande qu’en fera l’accusateur présent. Mais lorsque l’accusé sera trouvé innocent, en sorte que l’accusateur ne se mettra pas en état de poursuivre la procédure, et que l’accusé néanmoins demandât jugement, en ce cas la publication ne sera point nécessaire.

ARTICLE 88.
Des Avocats à donner.

On permettra aux deux parties, tant à l’accusateur qu’à l’accusé, de prendre pour Avocat un membre du Tribunal, lequel sera tenu par son serment de travailler pour la justice et la vérité, en se conformant aux règles de Notre présente Ordonnance, et sans y donner aucune atteinte sciemment et volontairement ; cette obligation sous serment lui sera enjointe par le Juge, à la charge que l’Assesseur qui aura été l’Avocat de l’accusateur s’abstiendra de se trouver à la conclusion du jugement, et que les autres Juges et Assesseurs y procéderont sans lui ; il dépendra néanmoins de l’accusateur, aussi bien que de l’accusé, de prendre un Avocat parmi les Assesseurs ou ailleurs, ou d’en faire eux-mêmes la fonction : celui qui sera pris pour Avocat ailleurs que dans le Tribunal, prêtera avant toutes choses serment au Siège de ne rien avancer dans son discours, qui soit contraire à ce qui a été marqué ci-dessus au sujet des Assesseurs, qui feraient l’office d’Avocats ; sur quoi l’on doit particulièrement faire attention, que de même que l’Avocat est obligé de nommer le nom de l’accusateur, de l’accusé, et celui du délit, comme par exemple un meurtre, un vol, un incendie ou autre ; de même aussi lorsque l’accusation Criminelle se fait d’office, il doit non seulement faire mention de l’accusateur, mais aussi il doit y ajouter que l’accusation est formée d’office, et au nom du Magistrat.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 77, 78, 79, 80, 81, 82,
83, 84, 85, 86, 87 ET 88.

Les fonctions de l’Avocat, que l’on accorde à l’Accusé ou au Criminel, ne s’étendent point à toutes les parties de sa défense, de sorte qu’il ne peut pas à la place de l’accusé répondre aux différents chefs d’accusation, et aux articles de l’interrogatoire, que le Juge lui propose au sujet du délit ; l’accusé y doit répondre personnellement, parce que de cette procédure personnelle on tire des éclaircissements pour découvrir la vérité, qui ne se trouveraient point dans les réponses que fournirait son Avocat ; tels que sont le changement de contenance et de visage, l’inconstance, les variations et contradictions dans le discours et autres indices que l’on ne peut trouver que dans la personne même : ainsi toutes les fonctions de l’Avocat se réduisent à mettre en forme par écrit les réponses faites par l’accusé, à opposer les exceptions qui se trouvent dans la Loi pour sa défense, à rapporter les articles de cette Loi, qui peuvent lui être favorables, et à l’aider par son conseil.

La Justice accorde encore des Avocats ou défenseurs dans les causes Criminelles, où l’accusé est fondé en raison pour faire différer son jugement, ce que l’on appelle des exceptions déclinatoires ; par exemple, lorsqu’il y a des moyens de récusation contre le Juge, qu’il demande un sauf-conduit, ou qu’il avance des nullités faites dans la procédure. Le droit naturel permet au Père d’être l’Avocat et le défenseur de son fils absent et accusé d’un délit, et au cas que le Père vient à mourir avant d’être parvenu à prouver l’innocence du fils, le frère de l’absent succède au même droit.

Celui qui sera pris dans le nombre des Assesseurs pour être l’Avocat de l’accusé, n’est point tenu à prêter de nouveau serment pour s’acquitter de cette fonction, sans intéresser la vérité et la justice, le Juge doit se contenter de le faire ressouvenir du serment de sa charge, qui lui impose déjà cette obligation. C’est une erreur à ceux qui sont commis pour défendre un Criminel, de croire qu’il leur soit permis d’alléguer des choses même contraires à la vérité pour lui sauver la vie ; c’est avilir leur ministère, et vouloir faire illusion à la Justice, qui ne doit attendre d’eux autre chose qu’une défense fondée sur le vrai de leur exposé, et sur les motifs de clémence et de l’humanité.

ARTICLE 89.
La réquisition que fait l’Avocat, qui agit d’office contre l’accusé.

M. le Juge, l’accusateur N. forme sa plainte contre l’accusé N. qui est ici présent devant le Tribunal au sujet du délit qu’il a commis avec N. ainsi que ladite plainte a déjà été portée devant Vous, et requiert que vous examiniez avec soin toutes les charges et procédures qui ont été dressées, ainsi que le tout a été ci-devant instruit suffisamment, suivant l’équitable Ordonnance Criminelle de Empereur Charles V et du Saint Empire, afin que suivant ladite Ordonnance, ainsi qu’il est de droit, l’accusé, sur la conviction de son crime, soit puni par un jugement définitif.

Si l’Avocat n’était point en état de faire sa plainte et réquisition de bouche, il la remettra par écrit devant le Tribunal, et dira : Je vous prie, M. le Juge, de faire lire publiquement par votre Greffier la présente plainte et réquisition contenue dans cet Écrit.

ARTICLE 90.
De la demande que fera l’accusé par son Avocat.

Lorsque l’accusé aura précédemment persisté dans la confession de son crime, ou qu’il en aura été suffisamment convaincu, ainsi qu’il a été dit ci-devant clairement au sujet de la conviction suffisante, et de la persévérance dans la confession, il ne pourra plus demander ni faire demander autre chose que la grâce. Mais s’il n’avait pas confessé son crime de cette manière, ou que l’ayant confessé il eût allégué de telles raisons, par lesquelles il aurait espéré de pouvoir éviter un jugement criminel, alors il lui sera permis de donner par son Avocat une supplique en la manière suivante.

M. le Juge, l’accusé N. pour répondre aux charges formées contre lui par N. son accusateur, au sujet du crime qu’il doit avoir commis avec N. se rapporte en tout à ce qu’il a déjà répondu ci-devant, et suffisamment avancé, et vous supplie d’examiner avec soin toute la procédure qui a été dressée sur ladite accusation et réponses, suivant l’équitable Ordonnance Criminelle de l’Empereur Charles V et du Saint Empire ; afin que son innocence étant reconnue, le jugement définitif le déclare absous en lui adjugeant la restitution des frais de justice et dommages, et que l’accusateur, en punition, conformément à l’Ordonnance Criminelle Impériale, soit tenu à tous les dépens de la procédure.

Au cas que l’Avocat ne fut pas en état de faire cette réponse et supplique de bouche, il la remettra par écrit devant le Juge, en lui adressant ces paroles : M. le Juge, je vous supplie d’ordonner au Greffier de faire lecture publique des défenses et de la supplique de l’accusé contenues dans cet Écrit ; et sur cette prière le Juge ordonnera au Greffier de lire ledit Écrit publiquement.

ARTICLE 91.
Du déni d’un crime qui a été confessé auparavant.

Si l’accusé au jour du jugement définitif niait le délit qu’il aurait confessé auparavant dans la forme requise, et que le Juge sur cette confession eût reconnu par toutes sortes des circonstances, que l’accusé ne se proposât qu’à empêcher le cours de la justice en niant ainsi son crime, comme il a été dit ci-dessus dans l’article 56 et quelques autres suivants jusqu’à l’Article 62 qui traitent de la persévérance dans la confession, le Juge demandera par serment aux deux Assesseurs qui l’ont assisté lorsque le délit a été avoué, s’ils n’ont point entendu la confession qui vient d’être lue ; et s’ils disent que oui, le Juge doit néanmoins prendre avis là-dessus des gens de Loi ou ailleurs, comme nous le marquerons dans la suite, après quoi ces deux Assesseurs ne pouvant point être regardés comme témoins, mais comme membres du Tribunal, ne se retireront pas pour cela de la séance, et rendront jugement avec les autres.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 89, 90 ET 91.

Pour entendre cette Loi, il faut se rappeler particulièrement l’Article 69 et ce qui y a été observé, par où l’on connaîtra que ce qui est dit ici ne peut avoir lieu que dans les cas où il n’y a point eu de conviction contre l’accusé, et dans lesquels il pourrait nier le crime qu’il a déjà avoué, soit parce que le corps du délit n’a point assez été constaté, soit parce qu’il n’y a point eu assez d’indices pour le mettre à la question, dans laquelle il a confessé le crime, soit enfin parce qu’on aurait excédé dans la question contre les règles, ce qui produirait nullité ou iniquité dans la procédure. Dans ces sortes de cas, suivant les sentiments des Jurisconsultes, la Loi ordonne de surseoir le jugement, pour s’instruire auprès des personnes habiles, quoique les Commissaires ou Assesseurs affirment que l’accusé a confessé son délit dans l’instruction du procès.

Il n’en est pas de même lorsqu’il y a eu conviction du crime dans la procédure, alors il devient inutile à l’accusé de le nier, étant présenté devant le Tribunal pour subir le jugement, parce que la procédure, ou les informations, ont consommé toute l’instruction nécessaire pour mettre le Tribunal en état de prononcer.

Les Criminels ont encore recours à d’autres voies pour éluder le jugement, et embarrasser les Juges, au moment qu’ils doivent être condamnés ; c’est lorsqu’ils conviennent à la vérité d’avoir fait l’action dont ils sont accusés, mais qu’ils nient d’avoir voulu commettre par là un crime ; par exemple, un déserteur avéré et convaincu, avouera devant les Députés du Conseil de Guerre qu’il a quitté son drapeau, qu’il a été arrêté à une distance considérable de son quartier, ainsi qu’il l’a confessé dans son interrogatoire ; mais il niera qu’il ait voulu déserter, et ne se sera jamais servi du nom de désertion en avouant son délit ; ou bien dans ce moment il contrefera l’insensé, en disant qu’il ne sait ce qu’il a fait, et qu’il ne se souvient de rien ; toutes ces différentes dispositions, ne doivent jamais embarrasser les Juges, auxquels il doit suffire d’avoir des preuves constantes du crime, pour procéder au jugement de condamnation.

Il est fort indifférent que le Criminel donne à son action le nom de désertion, ou qu’il ne le lui donne point ; c’est aux Juges à qualifier l’action du Criminel, et il leur suffit que cette action en elle-même, et dans ses circonstances soit une véritable désertion pour qu’ils la nomment et qualifient telle dans leur jugement. Il en est de même de tous les autres crimes ; et cette ruse de nier et éluder, ne doit arrêter ni retarder la décision : si l’on s’en rapportait au nom et à la qualité que les Criminels donnent à leurs actions, rarement on en trouverait qui voulussent leur donner le nom du crime qu’elles renferment en elles-mêmes ; c’est assez que l’action soit constatée, et que l’accusé en soit convaincu, pour que le jugement puisse ensuite la qualifier telle qu’elle est nommée par la Loi.

ARTICLE 92.
De la manière dont les Juges et Assesseurs sur ce qui est produit de part et d’autre, doivent former leur jugement.

Après que les Juges auront formé leur résolution sur tout ce qui aura été produit par les deux parties, ils mettront devant eux toute la procédure et toute l’instruction juridique, ils l’examineront avec soin, et sur ce, ils feront dresser par écrit, le plus promptement et le plus convenablement la Sentence, telle qu’ils la croiront la plus conforme à Notre présente Ordonnance Criminelle ; et après qu’elle sera ainsi dressée, le Juge demandera au Tribunal si le tout est selon la justice.

ARTICLE 93.
De quelle manière les Assesseurs doivent répondre.

M. le Juge, mon sentiment est, que tout s’est passé légitimement sur l’instruction juridique et procédure, et que l’on s’est conformé à l’Ordonnance, après avoir suffisamment examiné tout ce qui a été proposé par écrit en Jugement.

ARTICLE 94.
De quelle manière le Juge doit rendre la Sentence publique.

La décision étant formée par les Assesseurs, le Juge fera lire la Sentence dressée par le Greffier juré du Tribunal en présence des deux parties ; et au cas qu’on y eût prononcé une peine afflictive, il y sera spécialement marqué, de quelle manière elle sera infligée, soit qu’il y ait punition corporelle ou peine de mort, ainsi qu’il sera indiqué ci-après dans l’Article 104 en traitant des punitions pour crime. De même que nous insèrerons dans l’Article 190 la manière dont le Greffier doit dresser, publier, et lire ladite Sentence.

ARTICLE 95.
De l’application à faire des différents termes.

Les discours ci-dessus rapportés qui se font devant la Justice, regardent un seul accusateur et un seul accusé : ainsi il est particulièrement à observer, que lorsqu’il s’y trouvera plus d’un accusateur et plus d’un accusé, il faudra employer les termes qui conviennent à plusieurs personnes.

ARTICLE 96.
Dans quel temps le Juge doit rompre sa baguette.

Après que l’accusé aura été finalement jugé, le Juge, suivant l’usage des lieux, rompra sa baguette, et abandonnera le Criminel entre les mains de l’Exécuteur, en lui ordonnant sous serment de mettre fidèlement à exécution le jugement rendu ; après quoi on lèvera la séance du Tribunal, et l’on veillera à ce que l’exécution de la Sentence se fasse avec la garde et la sûreté convenable.

ARTICLE 97.
De la sauvegarde de l’Exécuteur.

Après que le Juge, sur la Sentence finale, aura rompu sa baguette, et que le Criminel aura été conduit au lieu du supplice, il fera publier au nom du Magistrat une défense sous peine corporelle et pécuniaire de causer aucun empêchement à l’Exécuteur, ni de mettre la main sur lui au cas qu’il vient à manquer dans son exécution.

ARTICLE 98.
De ce qu’il y a à dire après l’exécution faite.

Sur ce que l’Exécuteur aura ensuite demandé, si son exécution a été faite suivant la justice, le Juge répondra à peu près dans ces termes : Je tiens pour fait ce que tu as exécuté, conformément a la Sentence que la Justice a prononcée.

ARTICLE 99.
Du jugement d’absolution prononcé en faveur de l’accusé.

Au cas que l’accusé fut reconnu absous par le jugement rendu de quelque manière que cela arrivât, on exécutera de même ledit Jugement comme il convient. Mais à l’égard des dommages et intérêts, que l’absous en qualité de plaignant demandera, les parties seront tenues de se présenter devant la Justice pour cette action civile, ainsi qu’il a été marqué ci-devant.

ARTICLE 100.
Des interrogatoires inutiles et dangereux.

Ayant été informés que dans quelques Juridictions Criminelles, on a mis en usage jusqu’à présent plusieurs questions superflues, qui ne servent en aucune manière à découvrir la vérité, et ne tendent au contraire qu’à prolonger et à empêcher la justice ; Nous avons voulu par ces Présentes supprimer et abolir tous ces abus et autres semblables, qui retardent sans nécessité les opérations de la justice, ou qui exposent à quelque danger. Il sera du devoir du Magistrat qui aura connaissance de ces contraventions, d’y remédier sérieusement, et de les punir toutes les fois qu’elles arriveront.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99 ET 100.

La Loi entend par les questions dangereuses qui se font dans les interrogatoires, celles qui se faisant contre la vérité peuvent surprendre le prisonnier au point de lui faire avouer un crime qu’il n’a jamais commis, comme serait par exemple de lui dire que son camarade ou complice l’a déjà déclaré, ou que les témoins l’ont déjà chargé d’avoir fait l’action pour laquelle il est arrêté, quoique ni l’un ni l’autre ne soit véritable.

Cette manière de découvrir la vérité ne doit jamais être permise dans la personne des Juges, parce que premièrement rien ne peut les autoriser d’avancer quelque chose dans la procédure qui soit contre la vérité, et que le mensonge dans aucun cas ne peut être admis ; En second lieu, le danger de troubler l’esprit du prisonnier devient évident, en ce que sur cet exposé du Juge il doit se dire naturellement à lui-même : Si je ne confesse point ce délit, on me fera subir les tourments de la question ; ainsi j’aime mieux avouer ce qui n’est point, que de soutenir des si grandes rigueurs, puisque aussi bien ma perte est inévitable. Telles sont les conséquences qui résultent d’une procédure qui n’est point fondée sur le vrai ; cette ruse, que des Juges peu instruits de leur devoir, ont quelquefois mis en usage, doit être proscrite comme indigne et pernicieuse.

Suite de la "Caroline"