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CODE CRIMINEL DE L’EMPEREUR CHARLES V
( DIT « LA CAROLINE » )

( Première partie )

 

Nous Charles Cinquième, par la Grâce de Dieu, Empereur des Romains toujours Auguste, Roi de Germanie, de Castille, d’Arragon, de Leon, etc. savoir faisons :

Que les Électeurs, Princes et autres États du Saint-Empire, Nous ayant représenté, que la plupart des Juridictions Criminelles établies dans l’Empire Romain de la Nation Allemande, se trouvaient depuis une succession de temps considérable, composées de personnes peu intelligentes et non versées dans les Lois Impériales ;

Que par là il arrivait, que dans plusieurs endroits on agissait souvent contre toutes les règles de l’équité et de la raison, soit en tourmentant et condamnant les innocents, ou en relâchant et sauvant les coupables, par des pratiques irrégulières et dangereuses, au préjudice des accusateurs et au grand détriment du bien public ;

Et que tant que les Provinces d’Allemagne resteraient dans cet abus, que la durée du temps avait fortifié, on ne pouvait point espérer de voir les Tribunaux Criminels dans plusieurs endroits pourvus de personnes instruites et expérimentées dans les Lois.

Nous avons conjointement avec les Électeurs, Princes et États, ordonné de notre gracieuse volonté à quelques hommes distingués par leur savoir et leur expérience, de dresser des Articles en forme de Règlement, suivant lesquels on puisse de la manière la plus convenable, procéder dans les affaires Criminelles pour satisfaire aux devoirs de la justice et de l’équité ;

Avons voulu que ledit Règlement fut rendu public, afin que tous et chacun de nos Sujets et de l’Empire fussent en état de se conformer à l’avenir dans les procédures criminelles aux Lois de la justice, de l’équité et des louables usages établis par le présent Règlement ; ne doutant point, que tous ceux, qui sont commis à l’administration de la Justice, ne s’y portent d’eux-mêmes, et qu’ils n’en espèrent la récompense du Tout-puissant.

Nous n’entendons cependant point donner par ces Présentes aucune atteinte aux droits des Électeurs, Princes et États par rapport à leurs anciens usages, conformes à la justice et à l’équité.

OBSERVATION SUR CET ÉDIT.

1°. On doit observer en premier lieu, que les Lois renfermées dans cet Édit, ne regardent proprement que les Jugements, qui sont suivis de peines corporelles et afflictives ; et non pas de moindres punitions, telles que sont la confiscation des biens, le bannissement et la privation de l’honneur, quoiqu’il en soit fait mention dans quelques articles : c’est ce que l’Empereur indique par les termes d’Ordonnance Criminelle : « Die peinliche Halss-Gerichts-Ordnung ».

2°. Cette Ordonnance devient obligatoire pour tous les États, qui reconnaissent les Lois Impériales ; parce qu’elle a été rendue non seulement sur la réquisition des Électeurs, Princes et États de l’Empire, mais même en vertu de leurs délibérations et conjointement avec l’Empereur, comme chef de l’Empire ; ce qui forme une décision unanime et authentique ayant force de Loi comme toute autre constitution Impériale. On ne peut pas douter, que les États de l’Empire, qui ont concouru à dresser ce Règlement, ne l’aient fait avec voix délibérative et décisive, puisque l’Empereur en fait mention expresse, et que cet acte important a été dressé et confirmé en pleine Diète ; ce qui détruit l’objection peu fondée de ceux, qui ont prétendu que les États de l’Empire ne pouvaient y avoir apporté que la voix consultative ; ce sentiment tombe de lui-même par le seul intitulé de cet Édit, qui est nommé : Ordonnance ou Code Criminel de l’Empereur Charles V et du Saint-Empire Romain.

A l’égard de la voix consultative, elle a précédé l’établissement de cette Ordonnance, en ce que l’Empereur nous marque, qu’il a eu soin de consulter des personnes savantes et versées dans les Lois, en les chargeant de compiler les Articles, qui concernent la Juridiction Criminelle. D’où il faut conclure, que ne pouvant point y avoir réitération de voix consultatives pour parvenir à une décision authentique, celle que les Princes et États ont fournie dans cette occasion, n’a pu être que pleinement délibérative et décisive, puisqu’elle a été précédée de la consultation des Jurisconsultes sur laquelle la décision a été portée.

C’est sur ces principes, que les Lois Impériales servent de règle à la Nation Suisse pour ses Juridictions Criminelles. Quoique lors de l’établissement de cet Édit elle se fût déjà soustraite à la domination de l’Empire, elle ne laisse pas de conserver avant et depuis les usages et privilèges, qui tirent leur origine de l’autorité des Empereurs d’Allemagne, parce qu’elle en avait fait partie anciennement. C’est dans cet esprit que lorsqu’il s’agit de prononcer en matière criminelle, les Juges prêtent serment de suivre les Lois de l’Empire, et que dans l’exécution des Jugements, on y voit un Officier de Justice préposé sous la qualité de Prévôt Impérial.

3°. Dans l’obligation de se conformer à cet Édit sont compris même les Juridictions, qui ne sont point immédiates de l’Empereur et de l’Empire, et qui dépendent d’un État ou d’un Souverain particulier : la raison en est, parce que l’Empereur vient de marquer expressément, que tous et chacun des Sujets de l’Empire sans distinction, seront tenus de s’y conformer ; il est dit d’ailleurs dans le serment que prêtent les Juges Criminels, comme on le verra dans l’article trois, qu’ils se règleront sur l’Ordonnance de l’Empereur Charles V et du Saint Empire, ce qui exclut toute exception tant pour les États médiats que pour les immédiats, sauve toutefois, comme il y est dit, les anciens usages de chaque État, auxquels l’Empereur ne prétend point donner atteinte, en ce qu’ils ne seront point opposés à l’essentiel de la Justice, qui est le seul sens que l’on puisse donner à la réserve que fait ici l’Empereur Charles V.

4°. Les abus, qui ont engagé les États de l’Empire à demander une réforme dans l’administration de la Justice Criminelle, peuvent se réduire sous cette idée générale, que les Juges ne doivent jamais perdre de vue ; c’est lorsque par des considérations humaines ils s’oublient jusqu’à faire tort à l’innocent en son corps, en sa vie, en son honneur, ou en ses biens, ou qu’ils épargnent le coupable contre la sévérité des Lois ; l’un et l’autre devenant également abusif : en quoi néanmoins, il faut observer que l’excès dans la sévérité injuste ou mal entendue sera toujours moins excusable ; aussi a-t-il toujours été regardé comme un abus, contre lequel les Juges ne sauraient être trop en garde dans les cas particuliers, tel qu’est d’abord l’emprisonnement d’un Citoyen, qui ne doit avoir lieu que sur des accusations régulièrement formées et sur des soupçons bien fondés, parce qu’il en reste toujours quelque impression peu favorable dans l’esprit du public, quoique par la suite il soit trouvé innocent. Il n’en est pas de même des vagabonds et des gens sans aveu accusés ou soupçonnés : on risque peu de blesser leur réputation par l’emprisonnement, leur état étant décrié par lui-même.

Mais que ne doit-on pas dire d’un autre abus ou excès par rapport à la sévérité, que la Loi rejette avec tant d’horreur ? C’est la facilité avec laquelle les Juges se portent à procéder aux tourments de la question, sans être munis d’indices suffisants contre l’accusé. La source de cette facilité n’est autre chose que l’ignorance coupable de la Loi, l’humeur et faux préjugés, dans lesquels ils sont élevés, et quelquefois même des ressentiments personnels et des intérêts particuliers ; on a vu de ces Juges porter leur rigueur peu éclairée jusqu’à ordonner la question pour des délits, qui ne pouvaient jamais mériter une peine plus rigoureuse, que la question même : les Lois ne balancent pas de rendre les Juges responsables de tous les évènements, lorsqu’ils s’abandonnent à ces abus et à ces excès, que la raison, l’humanité et les règles de la justice ont réprouvé dans tous les temps, et chez toutes les Nations policées.

C’est contre de pareils excès, que les Officiers, qui administrent la Justice Criminelle dans les Troupes des Cantons, doivent être plus particulièrement en garde ; si les Souverains en leur confiant le dépôt de leur autorité sur la vie et la mort de leurs Sujets, les ont rendus leurs Justiciables, ils leurs ont enjoints en même temps d’observer toute la régularité et la précision des Lois, qu’ils doivent regarder comme saintes et inviolables, et dont ils sont obligés de connaître toute l’étendue, pour être à couvert des reproches, que méritent les abus et les contraventions.

ARTICLE PREMIER.
Des Juges, Assesseurs, et Officiers de Justice.

Nous ordonnons en premier lieu et voulons, que tous les Tribunaux Criminels soient remplis des Juges, Assesseurs et Greffiers, dont la probité, les mœurs et l’expérience soient reconnus et des plus recommandables par leur vertu dans le lieu de la Juridiction ; que l’on y admette aussi les personnes nobles et versées dans les Lois, parce que les Supérieurs doivent apporter leur plus grand soin à former de leur mieux le Tribunal Criminel, dans la vue d’empêcher qu’il ne soit fait tort à personne, étant institué pour connaître des affaires les plus importantes, telles que sont l’honneur, la vie et la fortune des hommes.

Ainsi personne ne pourra excuser légitimement à cet égard sa négligence ou ses contraventions ; mais au contraire méritera d’en être puni : c’est de quoi Nous voulons, que tous ceux, qui ont droit de Juridiction Criminelle, soient sérieusement avertis par ces présentes.

Et comme il arrive que depuis quelque temps en certains endroits les Nobles et autres, qui en vertu de leurs charges ou autrement doivent assister en personne à ce Tribunal, se sont fait un déshonneur d’y prendre séance à cause de leur condition, ce qui a fait que le crime a été souvent impuni ; Nous déclarons que leur assistance personnelle ne pouvant porter aucun préjudice à leur honneur ou à leur état, et servant au contraire au maintien de la Justice, à la juste punition des coupables, et à faire honneur à leur noblesse et à leurs emplois ; ils doivent assister en personne au Tribunal Criminel en qualité des Juges et Assesseurs, toutes et quantes fois que les circonstances des affaires l’exigeront, et s’y comporter suivant notre présente Ordonnance. Voulons au surplus que les Nobles ou autres, qui en vertu d’une ancienne possession ont assisté jusqu’à présent à ce Tribunal en personne, y continuent sans aucune opposition, et que cet usage se maintienne dans toute sa force et vigueur.

OBSERVATION SUR LE PREMIER ARTICLE.

1°. Il s’ensuit de ce premier article, que tout Juge établi pour connaître des affaires criminelles, devient inexcusable, lorsqu’il s’éloigne des règles prescrites, ou qu’il les outre dans la procédure aussi bien que dans le jugement ; qu’il est même punissable selon la qualité de l’accusé, les circonstances de l’objet, et le degré d’ignorance ou de partialité, qui se trouvent dans sa conduite ; les Lois ne déterminent point la peine que méritent ces contraventions, c’est au Juge supérieur à en décider. Les plus célèbres Jurisconsultes conviennent de trois cas principaux, où le Juge contrevenant est tenu de réparer le dommage ; savoir, l’emprisonnement injuste qui a causé un préjudice considérable au particulier ; la question donnée sans indices suffisants et tels que la Loi les prescrit ; le refus d’élargir le prisonnier pour dettes, qui offre bonne et suffisante caution, et dont la détention ne peut manquer de lui être préjudiciable. Le Juge dans ces cas est obligé de dédommager la partie lésée. Ce qui ne sera jamais une excuse pour les Juges, de dire qu’ils n’ont pas eu la volonté et l’intention de faire tort, et que les fautes qu’ils peuvent commettre ne procèdent que de l’ignorance ; parce que dès lors qu’ils ont agi contre la Loi par l’emprisonnement injuste, par les tourments injustes de la torture non autorisée, et par une détention inique, ils sont censés avoir délibéré suffisamment et avec une connaissance pleine et entière pour exercer un acte d’injure, qui ne peut être réparé que par leur propre fait.

2°. L’obligation de réparer les dommages retombe par la même raison sur ceux, qui ont commis et installé ces Juges ; c’est de quoi l’Empereur a soin d’avertir dans cet article, ceux qui ont droit de juridiction et sous l’autorité desquels s’exerce la Justice Criminelle. La raison en est, parce qu’ils deviennent comptables envers le public de la nomination sage et éclairée qu’ils doivent faire des personnes vertueuses et intelligentes, pour remplir des charges où rien ne doit être indifférent par rapport à l’importance de l’objet.

3°. C’est avec raison que l’Empereur blâme ici la fausse délicatesse de ceux qui, sous prétexte de leur rang ou de leur qualité, voudraient se dispenser du devoir, qui leur est imposé d’assister en personne aux procédures et aux jugements criminels ; il leur fait voir que cette fonction les honore, en ce qu’elle les met à portée de veiller par eux-mêmes au maintien de la Justice et à la sûreté publique. En effet, en rappelant les choses à leur principe, l’on sait que les Princes souverains eux-mêmes ont assisté et présidé autrefois aux Jugements Criminels, qui se rendaient contre leurs sujets, et que cet usage n’a cessé, que parce qu’occupés et partagés par la multitude des affaires importantes de leur gouvernement, ils ont été obligés de transmettre à des Tribunaux subordonnés un droit, qui représente le plus l’autorité Souveraine.

Cet usage a continué en quelque façon dans les plus grands États, du moins dans les délits des personnes élevées aux plus hautes dignités : alors c’est le Tribunal le plus considérable composé des premiers Seigneurs, qui a droit d’en connaître ; si c’est une distinction que l’on accorde à la qualité des personnes, elle nous fait voir en même temps, que l’objet par sa nature n’étant pas différent puisqu’il renferme toujours une matière Criminelle, la condition personnelle des Juges quelque relevée qu’elle soit, ne doit jamais leur servir de prétexte pour ne point prendre séance dans les Tribunaux et Juridictions Criminelles.

Les Républiques et en particulier les Cantons, n’ont point mis d’interruption dans l’exercice de cette fonction de Souverain. Lorsqu’il s’agit de juger un sujet Criminel, c’est du corps des premiers Sénateurs, en qui réside la Souveraineté, que l’on tire le nombre des Commissaires et des Juges, devant lesquels le Criminel est présenté, interrogé, condamné ou absous ; et c’est en conformité que se rendent les Jugements Criminels dans les Troupes de cette nation, sous l’autorité des Chefs dépositaires du pouvoir Souverain.

ARTICLE 2.
De ceux qui ont droit de Juridiction par rapport à leur Territoire.

Les personnes, qui par rapport à leur Territoire sont obligées de tenir le Tribunal Criminel, et qui à cause de la faiblesse ou infirmité de leur corps, de leur raison, bas âge, caducité ou autres empêchements, ne sont point en état de s’en acquitter, doivent toutes les fois que le cas arrivera, établir et nommer en leur place des hommes capables à administrer la Justice Criminelle, sous le bon plaisir et l’approbation du Magistrat supérieur.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 2.

1°. L’Empereur ne s’expliquant pas en détail sur le droit de déléguer la Justice Criminelle à un autre, il est nécessaire de faire voir en quoi consiste la validité de cette délégation. L’approbation du Magistrat supérieur y est requise, parce que son devoir est de connaître la capacité de ceux qui sont nommés pour s’acquitter de cette fonction, et qu’il est le premier dépositaire de l’autorité Souveraine, pour veiller à la conservation de la tranquillité publique ; c’est donc à lui à munir par son approbation les Tribunaux Criminels de sujets, qui aient les qualités requises pour un emploi aussi important. Ces qualités sont d’être de bonne renommée, consciencieux, prudent, instruit des Lois, non suspect aux Criminels par aucune inimitié personnelle, ni au public par les liens de parenté ; à quoi l’on doit ajouter l’âge requis par les Lois, qui est celui de vingt ans, à moins que le Souverain n’en ait accordé la dispense, à l’égard de cette dernière qualité.

Il ne faut pas mettre en doute que tous les Officiers qui assistent en qualité de Commissaires à l’instruction des procès criminels et qui ont séance au Conseil de Guerre en qualité de Juges, n’aient l’âge requis et compétant pour faire ces fonctions, quoiqu’ils n’aient pas effectivement atteint l’âge de vingt ans, parce que dès lors qu’ils parviennent au grade Militaire, qui leur attribue l’autorité du commandement sur les Troupes, ils sont censés en même temps être pourvus de la dispense d’âge de la part du Souverain, pour connaître des délits de ceux qui leur sont subordonnés.

2°. Le droit et la nécessité de déléguer se trouve dans le cas d’une absence légitime ou indispensable de la part de celui, qui par sa charge devrait lui-même présider au Tribunal, parce que l’administration de la Justice Criminelle est incompatible avec les délais, que cette absence pourrait causer, et qu’il convient que le public soit vengé par l’authenticité des punitions exemplaires, le plus promptement qu’il se peut.

Telle est la délégation permanente dans la personne du Commandant des Régiments en l’absence du Colonel ; c’est en son nom et comme délégué de droit qu’il ordonne l’emprisonnement de l’accusé, l’instruction du procès, l’assemblée des Capitaines, pour statuer, si l’instruction demande un Conseil de Guerre.

Il se trouve des cas qui exigent une délégation spéciale, ainsi qu’il est arrivé l’année 1723 pour le quart de Compagnie en garnison au Fort de Barreaux, au sujet d’un soldat déserteur ; le Brigadier de Reynold, Capitaine de cette Troupe, dont l’absence était autorisée par rapport à la Garde du Roi, donna un acte de délégation en forme au Capitaine Mickely du Régiment de Dhemel actuellement en semestre dans la Ville de Genève, par lequel il lui transmit tout son pouvoir ad hoc, pour en son nom se transporter à ladite garnison, y indiquer le jour du Conseil de Guerre, et représenter le Tribunal supérieur pour y statuer sur la Sentence, que les Juges y auraient prononcée.

3°. La délégation pour administrer la Justice Criminelle devient encore de droit et de nécessité par rapport aux Ecclésiastiques, qui possèdent des Domaines et des Seigneuries avec titre de Juridiction, parce que l’Église ne pouvant étendre son autorité que sur les objets spirituels, on ne peut pas dire qu’elle jouisse d’une Juridiction pleine et entière proprement dite, d’où il s’ensuit que, dès qu’il s’agit d’exercer le droit du glaive, les Seigneurs Ecclésiastiques de quelque dignité qu’ils soient, sont obligés d’en remettre l’administration aux Juges laïques ; ce qui ne préjudicie en rien à leur droit de supériorité, ni même à celui du glaive, qui reste toujours radicalement attaché aux hauts Fiefs dont ils sont investis, et dont ils ne transmettent que l’exercice actuel et l’administration incompatible avec leur état. C’est par une raison également forte, que les personnes de l’autre sexe, auxquelles seraient échus des Domaines renfermant Juridiction pleine et entière, sont dans l’obligation de déléguer leur droit, parce qu’elles ne peuvent par leur état en faire l’exercice et l’administration personnelle.

ARTICLE 3.
Le Serment du Juge, pour prononcer sur la Mort.

Je, N…. , jure de rendre justice et de prononcer jugement en affaire criminelle également pour le pauvre et pour le riche, sans avoir égard à l’amour ni à la haine, à la récompense, aux présents, ni à aucune autre considération ; de suivre fidèlement l’Ordonnance Criminelle de l’Empereur Charles V et du Saint-Empire, de l’observer et la maintenir selon tout mon pouvoir, le tout fidèlement et sans fraude. Ainsi Dieu me soit en aide et son Saint Évangile.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 3.

1°. Dans les pays, où il se trouve des statuts et usages particuliers établis pour la Justice Criminelle avant la publication de l’Édit de Charles V et dont l’observation ne peut point porter de préjudice, les Juges ajoutent à leur serment, qu’ils les observeraient dans les jugements qu’ils doivent rendre : C’est ce qui se pratique dans le serment que font les Officiers qui composent le Conseil de Guerre dans les Troupes Suisses, lorsque avant que de prendre séance, ils jurent de se conformer aux Lois Impériales suivant l’usage, les privilèges et les droits de Juridiction de leurs louables ancêtres, et du Régiment de la Nation.

2°. Il n’y a aucun usage, en vertu duquel les Juges puissent être dispensés de ce serment, parce que cette dispense donnerait lieu au relâchement et à la prévarication ; tous les peuples en ont reconnu la nécessité. Dès le temps des Athéniens les Juges étaient obligés de jurer qu’ils observeraient les Lois dans leurs jugements, et qu’ils ne recevraient aucun présent pour y procéder. Ils ont été imités en cela par les Romains, puisque avant les temps de Jules César et pendant que l’élection des Juges subsistait, ils étaient tenus de prêter serment pour chaque jugement qu’ils rendaient. Cette obligation s’est perpétuée dans la continuation de l’Empire Romain et s’est étendue jusqu’à la personne du chef même, l’Empereur étant obligé à son élection de promettre sous serment, qu’il administrera la Justice et qu’il jugera selon l’équité des Lois ; de sorte que ce devoir imposé aux Juges devient une partie essentielle du droit commun.

3°. La Caroline nous indique ici, de quelle manière les Juges peuvent prévariquer contre leur serment ; premièrement, par la partialité de l’amour ou de la haine ; comme il n’y a point de preuves pour l’ordinaire de ces mouvements qui se passent dans leur cœur, il restent uniquement à la charge de leur conscience, sans que le supérieur les en puisse rechercher ; secondement, par les présents, quoiqu’en les recevant ils soient dans la disposition et qu’ils promettent de juger selon l’équité, parce que celui qui en vue d’une récompense présente ou à venir peut faire le bien, est censé pouvoir dans la même vue faire le mal : « Qui mercede bonus est, is quoque mercede fieri potest malus ».

La sainteté de la Justice est telle, qu’elle réprouve comme un objet honteux et punissable la disposition des Juges à recevoir récompense, surtout dans les procédures criminelles. Quoique la peine, que mérite cette contravention soit arbitraire et plus ou moins grande suivant les circonstances, les Jurisconsultes conviennent qu’une pareille lâcheté doit être punie de la privation de l’emploi, de l’exil ou du bannissement de l’Empire avec la perte du droit de Citoyen.

Il y a des cas, où cette prévarication emporte peine de mort contre les Juges ; c’est lorsqu’ils se laissent corrompre par les présents pour condamner quelqu’un injustement au dernier supplice ; ce qui a encore lieu, lorsqu’on peut prouver, que les Juges en procédant à la condamnation à mort, ont agi par des motifs de haine, de ressentiment ou autres passions.

L’amende pécuniaire est aussi mise quelquefois en usage, et dans ce cas le Juge contrevenant est tenu à la restitution du quadruple, applicable en entier au Fisc, suivant le sentiment de plusieurs ; d’autres y mettent cette distinction : savoir, que la moitié de cette restitution devient dévolue au Fisc, et l’autre moitié à la partie lésée, lorsque toutefois de son côté elle n’a pas également travaillé à corrompre le Juge par des présents.

4°. Les Lois établissent une sorte de réciprocité de peine contre ceux, qui portent les Juges à la corruption ; je dis, une sorte de réciprocité, parce que quelque criminel que soit le corrupteur, qui se propose une fin injuste, l’iniquité des Juges, dont la vertu doit être inviolable, sera toujours infiniment plus criminelle, lorsqu’ils se prêtent aux injustes sollicitations, appuyées sur le motif infâme de l’intérêt. Le corrupteur en punition doit perdre tout l’avantage de son action intentée : il peut être accusé pour délit public, et dans le cas de conviction, il doit être condamné à la peine du quadruple. Lorsqu’il accuse lui-même le Juge d’avoir été corrompu par lui sans pouvoir le prouver, et que le Juge se purge de cette accusation par son serment, l’accusateur en matière Criminelle doit être puni par la confiscation de ses biens, sans préjudice au fond de la procédure, dont il est question.

ARTICLE 4.
Le Serment des Juges et Assesseurs.

Je, N…. jure de rendre justice et de prononcer jugement en affaire criminelle également pour le pauvre et pour le riche, sans avoir égard à l’amour ni à la haine, à la récompense, aux présents, ni à aucune autre considération ; de suivre fidèlement l’Ordonnance Criminelle de l’Empereur Charles V et du Saint Empire, de l’observer et la maintenir selon tout mon pouvoir, le tout fidèlement et sans fraude. Ainsi Dieu me soit en aide et son Saint Évangile.

ARTICLE 5.
Le Serment du Greffier.

Je, N…. , jure d’apporter une attention et un soin particulier dans les affaires, qui regardent la Justice Criminelle, de mettre par écrit fidèlement et en dépôt les charges et réponses du prisonnier, les indices, soupçons, preuves et confession, et tout ce qui s’y passera ; d’en faire la lecture lorsqu’il en sera nécessaire, et de n’y chercher ni employer aucun détour. Je jure particulièrement de maintenir et observer autant qu’il dépendra de moi, l’Ordonnance Criminelle de Empereur Charles V et du Saint Empire. Ainsi Dieu me soit en aide et son Saint Évangile.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 5.

1°. La fonction du Greffier Criminel ne doit point être regardée comme un objet indifférent dans l’instruction du procès, puisque l’Ordonnance, veut qu’il y soit tenu par son serment ; de là il s’ensuit premièrement, qu’il est obligé au même secret que les Commissaires sur tout ce qui se passe dans la procédure, et à la même fidélité ; un seul mot ajouté, retranché ou altéré étant souvent capable de donner un autre sens à la charge ou à la décharge de l’accusé. C’est au Grand Juge comme au Directeur de la commission à l’avoir sous ses yeux et à veiller à sa ponctualité ; les Commissaires qui l’assistent, y ont le même intérêt et la même obligation.

2°. Qu’il ne faut pas employer à cette fonction indifféremment toutes sortes de personnes, mais un homme constitué pour cela spécialement ; et lorsque à son défaut on est obligé de se servir d’un autre, on doit en ce cas lui faire prêter serment.

3°. Qu’il ne serait point régulier ni conforme à la Caroline, qu’un des Commissaires ordonnés, s’acquitta de cette fonction lui-même, si ce n’est qu’il y eût une nécessité indispensable d’y avoir recours.

ARTICLE 6.
De la Capture des Criminels dénoncés, que les Juges font arrêter d’office.

Lorsque quelqu’un aura été dénoté par la notoriété publique comme coupable d’un délit, ou que sur des indices croyables et des soupçons il aura été pour cet effet arrêté d’office par ordre de la justice, on ne doit pas néanmoins l’appliquer à la question, qu’il n’y ait eu préalablement des suspicions et indices bien fondés et suffisants, par lesquels on le puisse croire coupable du délit commis. Il est donc du devoir de chaque Juge dans une affaire aussi considérable, avant que de procéder à la question, de s’enquérir et rechercher soigneusement autant qu’il sera possible et que les circonstances de l’affaire le pourront permettre, si le délit, pour lequel le particulier dénoté et soupçonné est arrêté, a été en effet commis ou non, comme il sera expliqué ci-après plus au long dans la présente nôtre Ordonnance.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 6.

1°. L’emprisonnement ou la capture, pouvant donner atteinte à la réputation d’un particulier, la Loi établit sagement que le Juge doit avoir des soupçons raisonnables pour l’ordonner, tels que sont la notoriété publique, ou une accusation faite dans les formes ; cette maxime a même lieu pour le crime de lèse-Majesté, n’étant jamais permis d’exposer légèrement l’honneur d’une personne dans les cas les plus graves : quoique la Caroline ne paraisse comprendre spécialement dans cette défense que la question ; les Jurisconsultes l’appliquent également à l’emprisonnement téméraire, parce que l’un et l’autre font un tort égal au particulier dans l’estime du public ; ils conviennent tous, qu’en pareil cas, le Juge est tenu de l’injure faite, comme il a été dit ci-devant, parce qu’il ne s’éloigne pas moins de l’esprit de la Loi dans l’un que dans l’autre.

2°. L’obligation du Juge d’être fondé sur des soupçons raisonnables pour faire emprisonner, ne s’étend que sur ceux qui sont d’une condition honnête : car à l’égard des gens sans aveu ou de ceux qui sont décriés par eux-mêmes, une suspicion simple et commune lui doit suffire pour les faire arrêter. Entre les gens d’une condition honnête, il faut encore distinguer les Nobles et les Riches, d’avec les gens du commun et les pauvres : il faut qu’il y ait des soupçons plus forts contre les premiers, que contre les seconds pour être arrêtés ; non pas que la Justice fasse acception des personnes, mais parce qu’il est à présumer, que les Nobles et les Riches ayant plus à risquer que les autres, se détermineront aussi plus difficilement à se soustraire par la fuite.

3°. On doit encore faire une différence entre les délits mêmes, pour lesquels le Juge peut être fondé plus ou moins d’ordonner l’emprisonnement d’un particulier : dans ceux, qui de leur nature sont cachés, tel que pourrait être un vol secret, il faut des suspicions et indices moins forts pour arrêter quelqu’un, que dans les délits publics et connus, tel que serait le vol fait avec éclat et effraction.

4°. Les Juges doivent avoir pour maxime générale, que l’emprisonnement en matière Criminelle n’a lieu que pour les délits, qui de leur nature méritent la peine de mort, ou au moins punition corporelle, par la raison, que le moyen dont on se sert pour parvenir à la punition, ne doit jamais excéder la fin que se propose la Justice par la punition même. Cette précaution cependant ne doit point avoir lieu à l’égard des vagabonds et gens dépourvus de toute faculté ; quoique leur délit ne mérite pas par lui-même une plus grande punition que l’emprisonnement, ils doivent néanmoins être arrêtés, afin que leur action ne demeure point impunie par la fuite, faute de pouvoir réparer les torts qu’ils pourraient avoir faits.

5. Les plus célèbres Auteurs conviennent tous en général, que dans les délits atroces, lorsque les soupçons sont fondés, on doit arrêter indifféremment et sans distinction toute sorte de personnes ; la raison qu’ils en donnent, est que comme le Juge deviendrait coupable envers Dieu, et envers les hommes, s’il ne prononçait point la peine que méritent les délits, il le deviendrait également, en ne se servant pas du moyen, qui conduit à la punition prescrite par la Loi, qui est de s’assurer de la personne du Criminel, de quelque rang et qualité qu’ils puissent être ; toute la différence que l’on peut admettre dans l’emprisonnement par rapport à la condition des personnes, est celle qui se trouve entre le cachot et la prison ordinaire, en sorte néanmoins que la sûreté y soit égale.

6°. Une dénonciation vague, qui n’indique point d’indices ne fournit point au Juge un motif suffisant pour ordonner l’emprisonnement, quand même l’accusateur se déclarerait partie en Justice, et qu’il s’offrît de se constituer prisonnier avec l’accusé ; il faut que son accusation soit accompagnée d’indices et de soupçon raisonnable. Il en est de même du criminel arrêté : son accusation des complices ne suffit point pour ordonner leur emprisonnement, s’il n’y ajoute des indices, qui fondent le soupçon raisonnable du Juge, soit qu’il l’avance de lui-même, ou qu’il en soit interrogé.

Sur quoi il faut remarquer, que le Criminel ne doit jamais être interrogé spécialement si un tel ou un tel n’a point été complice de son crime, mais seulement en général, qui l’a aidé à commettre le délit, pour lequel il est arrêté ; toute demande spéciale, qui est proprement une suggestion de la part du Juge, est défendue par la Loi, ainsi qu’il est marqué dans la Caroline Article 31. Les Juges ne sauraient trop se munir contre cette irrégularité dangereuse, qui échappe à plusieurs, faute d’être instruits de l’exactitude des Lois, et de savoir les conséquences qu’il y a de suggérer quelque chose aux criminels.

7°. Quoique sur une accusation vague et sans indices le Juge ne soit point en droit de faire arrêter l’accusé, qui se trouvera être d’ailleurs d’un bon renom, il pourra néanmoins le faire venir devant lui, pour voir de quelle manière il répondra sur l’accusation faite contre lui ; si sur sa citation il ne comparaissait point, ou si, sur ce qui lui est exposé, on le voyait vaciller ou varier dans sa justification, ce qui doit être exactement mis par écrit, alors le soupçon étant fortifié par cet indice, il n’y a point de doute, que l’emprisonnement ne doive être ordonné.

8°. Quoique l’Empereur n’exprime ici que la défense de procéder à la question, avant que le corps du délit soit constaté, c’est-à-dire, avant que le Juge soit certain que le crime dont il s’agit, ait été réellement commis, on peut néanmoins appliquer cette défense au sujet de l’emprisonnement de l’accusé, du moins en certains cas, parce que l’existence du crime n’étant point avérée, le Juge serait exposé souvent à recevoir des accusations téméraires, quelque circonstanciées qu’elles fussent d’ailleurs d’indices et de soupçons ; mais il s’en faut bien que pour ordonner l’emprisonnement il faille la même certitude du corps du délit, qui est requise pour procéder à la question, y ayant des crimes, qui se commettent assez secrètement pour qu’il n’en reste aucun vestige, qui puisse avec certitude constater le corps du délit, de sorte que pour décréter et arrêter celui qui est accusé avec des indices qui fondent raisonnablement le soupçon du Juge, il suffit que le crime soit connu par la renommée, et qu’il passe pour constant dans le public.

ARTICLE 7.
Du doute où est le Juge, si le prisonnier doit être appliqué à la Question.

Lorsque les Juges susdits en prenant connaissance de l’affaire seront en doute, si les soupçons et indices allégués suffisent pour faire donner la question, ou non, ils demanderont conseil au Magistrat supérieur, d’où ils ressortissent pour la Juridiction Criminelle, ou ailleurs, comme il sera dit à la fin de notre présente Ordonnance, et en ce cas, ils envoieront par écrit audit Magistrat un détail exact des circonstances et de la situation des indices, qui sont venus à leur connaissance.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 7.

L’obligation de s’adresser au Magistrat Supérieur dans ces sortes de doutes, regarde particulièrement certaines Juridictions de l’Empire, qui ne peuvent point procéder à la question sans y être autorisées par le conseil du Prince ou de l’Électeur dont elles dépendent : il en est de même de plusieurs Justices inférieures en France, qui, quoiqu’elles instruisent le procès des criminels, sont tenues d’avoir un Arrêt du Parlement d’où elles ressortissent, pour être en droit de faire donner la question ; alors c’est un ordre et non pas un conseil. Mais on doit dire généralement parlant, que les Juges qui dans le cours d’une instruction criminelle sont en doute, s’ils peuvent procéder à la question, doivent consulter les gens de Loi les plus capables pour n’avoir rien à se reprocher ; c’est par des Jurisconsultes dans les Universités qu’ils doivent en pareil cas faire dresser leur consultation, sur l’extrait de la procédure qu’ils leur communiqueront par un écrit séparé, et non dans une simple lettre.

2°. Les frais de cette consultation faite par une Juridiction inférieure, suivant le sentiment commun, doivent être pris sur la partie et non aux dépens des Juges, parce que d’ordinaire leurs appointements étant modiques, ils seraient hors d’état de suffire à ces sortes de dépenses. D’ailleurs, si eux-mêmes étaient obligés d’y fournir, il pourrait arriver que pour ne pas se constituer en frais, ils négligeraient souvent d’avoir recours à ces consultations et s’exposeraient à commettre des fautes considérables, soit par l’excès de la rigueur en tourmentant et condamnant même les innocents, soit par une indulgence hors de saison, en relâchant les criminels au préjudice du bien public. Au cas que le prisonnier ou la partie fût hors d’état de fournir à ces frais, on cherchera les moyens d’y suppléer, de manière cependant que le Magistrat ne s’en trouve point chargé.

ARTICLES 8, 9 ET 10.
Du pouvoir de procéder à la question, lorsque le Juge agit d’office et par voie d’enquête.

Lorsque le délit méritant peine de mort, sera constaté, ou qu’il se trouvera pour cela des indices raisonnables, comme il a été dit ci-dessus, on doit vérifier le délit sur la confession du délinquant par la question et recherche, servant à faire découvrir la vérité, ainsi qu’il sera marqué clairement et ordonné ci-après, au sujet de ceux qui sont chargés par des accusateurs.

Et si un tel prisonnier refusait, soit par la question, soit sans la question, de confesser le délit dont il est soupçonné, quoique l’on soit en état de le convaincre, on doit procéder pour parvenir à cette conviction, lorsqu’il y a lieu à la peine de mort, de même que contre ceux qui sont chargés par des accusateurs, comme il est ordonné clairement ci-après.

Mais si les Juges agissant d’office sur un délit qui fût prouvé suffisamment, indubitablement et avec pleine conviction, punissaient enfin une personne en son corps ou en ses membres suivant la présente Ordonnance Impériale, en sorte néanmoins que la peine ne fût point à mort ou à une prison perpétuelle, ils procéderont de même à ladite peine et se conformeront à l’article 69.

OBSERVATION SUR LES ARTICLES 8, 9 ET 10.

L’Esprit de la Loi renfermé dans ces trois articles, ordonne l’égalité de rigueur de la procédure contre les criminels, dans les deux cas où le Juge peut se trouver ; c’est-à-dire, soit qu’il fasse d’office et comme de lui-même la perquisition du crime, soit qu’il instruise le procès sur l’accusation d’un autre, et sur les preuves que l’accusateur lui administre. En quoi il faut observer particulièrement ce qui est marqué dans les article 8 et 9, savoir que l’on doit procéder à la question, à la recherche de la vérité des circonstances, à la conviction et vérification entière du fait, soit que l’accusé convienne d’avoir commis le délit, ou qu’il n’en convienne pas.

ARTICLE 11.
De la constitution d’un prisonnier accusé, lorsque l’accusateur demande Justice.

Lorsque l’accusateur s’adresse au Juge pour constituer quelqu’un prisonnier en fait de crime, il sera tenu avant toutes choses d’exposer le délit avec les indices et soupçons raisonnables, qui y ont rapport, soit que l’accusateur s’offre de faire emprisonner l’accusé à sa propre charge, ou de se constituer lui-même prisonnier avec lui. Quand l’accusateur y satisfera, on constituera l’accusé en prison après avoir mis exactement par écrit la dénonciation et les charges de l’accusateur. Sur quoi l’on doit faire une attention particulière, que les prisons doivent être faites et établies pour la détention des prisonniers, et non pas pour leur servir de punition dangereuse. Et lorsqu’il y aura plus d’un prisonnier, on aura soin, autant que la situation du lieu le permettra, de les mettre séparément, pour qu’ils ne puissent pas convenir entre eux de la manière de cacher la vérité, et de pallier leur crime.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 11.

1°. On doit conclure premièrement de cet Article, que toutes démarches de l’accusateur ne suffisent point pour faire constituer quelqu’un prisonnier, s’il n’allègue en même temps des indices du délit, qui fondent dans l’esprit du Juge un soupçon assez raisonnable pour ordonner l’emprisonnement, afin de garantir la justice de toute entreprise téméraire, et empêcher que le Juge ne soit surpris.

2°. Quoique la Loi recommande l’humanité par rapport à la nature de la prison en général, on peut dire que lorsqu’il s’agit de crimes atroces et où la vengeance du public est absolument intéressée, les plus durs et les plus noirs cachots doivent être mis en usage pour renfermer les criminels, en sorte néanmoins que leur vie n’y courre point de risque : en quoi la prudence du Juge doit avoir égard à la qualité et la complexion de la personne du prisonnier, ainsi qu’il a été observé sur l’article 6.

3°. La séparation des prisonniers ne doit être ordonnée et entendue, que lorsque plusieurs criminels sont arrêtés pour le même fait, afin de les mettre hors d’état de concerter ensemble leurs réponses et de faire même entre eux, comme il est arrivé dans plus d’une occasion, un serment de ne rien avouer à la charge les uns des autres malgré les tourments de la question ; il est d’une conséquence infinie d’éviter cet inconvénient par l’embarras qu’il cause aux Juges dans l’instruction du procès.

Dans ces occasions les Officiers doivent avoir recours aux différentes prisons du lieu où se trouve la Troupe, pour séparer ceux qui sont arrêtés pour le même crime : ces prisons leur sont accordées de droit, parce qu’il est également de l’intérêt du Souverain que les Crimes qui se commettent dans ses États ou dans son service, soient punis suivant les Lois. Lorsqu’il y a un soldat arrêté pour crime dans les prisons du Régiment, il est d’usage et de l’ordre qu’il y ait une sentinelle devant la prison avec l’épée nue à la main pour veiller à la sûreté du prisonnier.

ARTICLE 12.
De l’emprisonnement de l’accusateur, jusqu’à ce qu’il ait donné caution.

Aussitôt que l’accusé aura été constitué prisonnier, on doit s’assurer de la personne de l’accusateur ou de son fondé de procuration, jusqu’à ce qu’il ait fourni un répondant ou caution, telle que le Juge avec quatre Assesseurs l’aura trouvé suffisante par rapport à la situation de l’affaire, et eu égard à la qualité des personnes. En sorte que l’accusateur puisse être recherché pour raison des frais causés et pour réparation de l’injure et dommage faits à l’accusé, au cas qu’il ne voulut pas poursuivre la procédure criminelle, ou qu’il fût hors d’état de soutenir son accusation par des indices et des soupçons suffisants dans le délai convenable que le Juge lui aura accordé, de telle manière que le Juge ou la plus grande partie des Assesseurs les auront trouvés suffisants, ou que d’ailleurs il eût succombé à sa procédure.

Et afin que le prisonnier accusé parvienne d’autant mieux à la réparation de ses frais, injures et dommages soufferts, il dépendra de sa volonté de poursuivre l’accusateur par devant le Juge et la Juridiction Criminelle, pour raison de ladite réparation, où la procédure a été formée, et où l’on procédera sommairement, jusqu’au jugement définitif et sans appel, sans que pour cela ladite Juridiction Criminelle hors de ces cas, acquière aucun droit de contrainte et exécution civile, au delà de ce qu’elle avait auparavant.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 12.

1°. L’usage introduit dans les Juridictions dépendantes de l’Empire y a été d’admettre de tout temps la caution que doit fournir l’accusateur, pour pouvoir du moins agir contre lui pour des intérêts civils, qui regardent le dédommagement de l’accusé, lorsque l’accusateur succombe à son accusation, afin d’empêcher les poursuites téméraires en matière Criminelle : la témérité de ces poursuites doit être mesurée par la prudence du Juge sur la force ou la faiblesse des indices et arguments avancés par l’accusateur, et sur l’égalité ou disproportion des personnes. On ne se relâche point sur cet usage de caution pour les accusations criminelles dans les provinces de l’Empire, à l’égard des personnes de la condition la plus relevée, en sorte que les Princes même en pareil cas sont obligés de fournir une caution qui soit égale à l’accusé par sa naissance ou par son état, et qui dans certaines occasions se constitue prisonnier avec l’accusé en leur lieu et place, à moins que l’accusé ne veuille bien se contenter d’un autre. Cette préoccupation a été établie depuis que la peine du Talion a été abrogée de même que dans la plupart des États Souverains, quoiqu’elle ait encore lieu dans quelques endroits contre les calomniateurs.

2°. La caution juratoire ou par serment ne suffit pas en pareil cas, puisque cet article de la Loi prescrit expressément, que l’accusateur se constitue prisonnier ou qu’il fournisse la caution, qui sera trouvée suffisante par le Juge. Les Jurisconsultes rejettent tout ce que l’on pourrait opposer à cet usage, et ils se fondent particulièrement sur ce que l’accusation faite en matière Criminelle regardant plutôt la vengeance publique, que celle du particulier, il est de l’intérêt du même public que la Justice prenne toutes ses sûretés pour qu’elle ait son effet, ou que la témérité de l’accusateur soit connue par la punition, au cas qu’il succombe.

3°. Il n’en est pas de même de l’accusé ; suivant l’esprit de la Loi Impériale il n’est point reçu à pouvoir donner caution ; mais on doit s’assurer de sa personne par une détention réelle, quoiqu’il soit également incertain si l’accusateur réussira à prouver les charges, ou si l’accusé y succombera ; la raison en est, parce que le public est en droit de savoir, que tout homme accusé criminellement est de fait sous la garde de la Justice pour être condamné ou absous, suivant les Lois auxquelles il est soumis : l’accusé d’ailleurs étant obligé d’agir par lui-même personnellement dans ses défenses, il faut que sa personne soit en sûreté par rapport à la Justice, pour qu’il soit reconnu innocent avec connaissance de cause.

4°. Les délais convenables que le Juge accorde à l’accusateur pour prouver ses charges contre l’accusé, ne peuvent point être déterminés précisément ; ils dépendent de la situation de l’affaire, du degré d’éloignement ou de proximité des preuves, de la facilité ou difficulté de les avoir, et c’est à la prudence des Juges de proportionner ces délais aux différentes circonstances qui se trouvent dans les accusations. La Loi est censée exclure ici la précipitation et les trop grands retards, qui sont également préjudiciables à la Justice, en quoi elle ne prétend point donner atteinte à ce qui est prescrit par l’Empereur Justinien dans le Code « De Judiciis, Tit. Properandum ». Les affaires Criminelles qui se poursuivent d’office par les Juges, demandent plus de célérité.

5°. Le recours de l’accusé pour réparation des frais, dommages, et intérêts, n’a lieu que lorsqu’il est reconnu par les Juges dans la Sentence d’absolution, que l’accusation n’a point été fondée sur des raisons légitimes ; ainsi, quoique l’accusé se trouve absous, il suffit que l’accusateur n’ait point été téméraire dans ses charges, pour n’être pas tenu à aucune réparation : par exemple, un particulier sera accusé d’avoir volé des denrées pour sa subsistance, le fait sera prouvé et avéré, les circonstances de l’affaire par rapport à la nécessité et à la famine lui procureront un jugement d’absolution ; mais il n’aura point de recours contre l’accusateur pour raison de réparation des dommages, parce que le vol ayant été réellement fait, l’accusation s’est trouvée légitime et bien fondée.

6° L’action que l’accusé absous a droit de former contre l’accusateur téméraire ne devient point criminelle, mais seulement civile, quoique la nature de la chose puisse être telle par rapport à l’excès de témérité de l’accusateur et de l’importance de son accusation, que le Juge sera fondé de le condamner d’office à une punition exemplaire. Cette action pourra être poursuivie par-devant le Juge qui a connu de l’accusation criminelle, ce qui doit régulièrement s’entendre, lorsque les deux parties sont soumises à la même Juridiction : mais lorsque l’accusateur est d’une Juridiction différente, il devient plus naturel que l’accusé absous y poursuive l’accusateur pour les intérêts civils.

7°. Il est ordonné ici de faire décider cette action de l’accusé innocenté sommairement et sans appel, ce qui doit s’entendre avec la restriction pour le seul recours des dommages et intérêts, et non pour les appels en général dans les affaires Criminelles, qui se jugent dans les Juridictions inférieures de l’Empire : ils sont de droit naturel et y ont lieu, parce qu’ils servent de défense contre les Sentences iniques des Juges inférieurs, Remedium Innocentiae. On ne peut point objecter ici ce qui est rapporté dans le Recez de l’Empire formé en 1550, où l’Empereur déclare que les appellations en matière Criminelle ne seront plus reçues, et que l’on y procédera conformément à l’ancien usage de l’Empire : parce que ce Recez ne fait mention que des appellations portées à la Chambre Impériale ; par conséquent elles ne sont point défendues par rapport aux autres Juridictions supérieures dans l’Empire.

Ce droit est si conforme à la nature et à l’humanité, que quand le condamné lui-même ne formerait point d’appel de son jugement au Magistrat supérieur, le premier Citoyen qui se présenterait pourrait le faire pour lui, sans crainte qu’on lui pût reprocher de vouloir retarder la punition d’un criminel, quod de sanguine hominis nulla cunctatio longa. L’usage de l’appellation des jugements Criminels est si constant dans les Conseils de Guerre de la Nation, qu’aucune sentence, qui y a été rendue ne peut être exécutée qu’après avoir été confirmée par le Tribunal supérieur ; l’appel qui s’y forme se fait d’office par le Capitaine député : et ce Tribunal en prononçant en dernier ressort ne peut que confirmer, ou adoucir la Sentence, parce qu’il suppose que le Conseil de Guerre en jugeant, a épuisé toute la rigueur des Lois.

ARTICLE 13.
De la Caution de l’Accusateur, lorsque l’Accusé confessant son délit produit des défenses légitimes.

Lorsque le délinquant ne niant pas le fait proposera des défenses légitimes qui pourront l’exempter de la punition criminelle, au cas qu’il vienne à les prouver, et que l’accusateur cependant ne s’en tiendra point à ses raisons et défenses, on demandera caution de la part de l’accusateur, selon les circonstances des personnes et de l’affaire, et sur le prononcé du Juge avec quatre Assesseurs ; au cas que l’accusé poursuivît ses défenses de telle sorte qu’il ne méritât point punition criminelle pour le fait dont il est accusé, les deux parties ayant reconnu leur Juridiction, il y sera procédé civilement jusqu’au jugement définitif, tant sur l’emprisonnement, sur l’injure et dommage soufferts, que sur les frais de Justice. Cette caution étant ainsi fournie, la procédure au sujet de ces défenses, se fera conformément à l’article 151 ci-après. Voulons que la question ne puisse point avoir lieu avant cette procédure, et sans cette reconnaissance.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 13.

1°. La principale instruction que l’on doit tirer de cet Article est, qu’avant d’avoir recours à la question, il faut entendre l’accusé dans ses défenses qu’il veut proposer, pour excuser l’action qu’il avoue avoir faite : c’est à l’accusateur à réfuter ses défenses, et à les rendre non recevables. Quoique cet article ne parle en particulier que de la procédure qui s’instruit sur l’accusation, il doit avoir également lieu lorsque le procès se fait d’office et par enquête du Juge, auquel cas la question ne doit point non plus être mise en usage, que l’on n’ait permis préalablement au prisonnier de se justifier, cette faculté étant de droit naturel, et le Juge ne pouvant point encore savoir quelle est la nature du délit avant que d’avoir entendu les témoins et reçu les autres preuves.

2°. Dans les défenses que fournit l’accusé, il y a différents degrés à distinguer ; elles peuvent être plus ou moins fondées, fausses, ou non concluantes. Dans ces cas, qui donnent plus ou moins de perplexité aux Juges, il est de leur devoir de consulter des personnes prudentes et versées dans les Lois avant que de se déterminer à la question, pour savoir si l’action avouée par l’accusé est criminelle, faite avec malice, délibération et connaissance de cause.

ARTICLE 14.
De quelle manière on peut s’assurer de l’accusateur, qui n’est point en état de fournir caution.

Lorsque l’accusateur sera hors d’état de fournir la susdite caution, et qu’il voudra néanmoins poursuivre la procédure criminelle, il sera tenu de se constituer prisonnier avec l’accusé, ou d’être mis en sûreté selon la situation des personnes et les circonstances de l’affaire jusqu’à la décision, dont il vient d’être parlé ; on permettra tant à l’accusateur qu’à celui qui voudra fournir ses défenses, de communiquer avec les personnes qu’ils voudront employer, soit pour servir de caution, soit pour avoir des preuves, comme il a été dit. Si l’accusation vient de la part des Princes, des personnes Ecclésiastiques, Communautés ou d’autres en dignité, contre gens de bas état, il sera permis en ce cas à une autre personne, qui sera à peu près de la même condition que celui qui est accusé, de se mettre en prison à leur place avec l’accusé en lieu de sûreté ; et au cas que ladite personne constituée prisonnière voulût fournir caution, ainsi qu’il a été dit, elle sera remise en liberté.

OBSERVATIONS SUR L’ARTICLE 14.

Cet Article ne concerne que les dignités respectives de ceux qui ont droit de commettre en leur place des particuliers qui se constituent prisonniers, ou qui fournissent caution au sujet d’une accusation criminelle ; ce droit est attribué dans l’Empire à tous ceux qui y sont qualifiés d’Illustres, tels que sont les Princes, Comtes et autres personnes en dignité, soit que leurs terres relèvent médiatement ou immédiatement de l’Empire. Les Villes libres et Impériales doivent jouir sans contredit de la même prérogative, parce qu’elles sont investies par l’Empereur et par l’Empire des mêmes droits Régaliens et en plus grand nombre que les Comtes, qu’elles jouissent d’une pleine et entière Juridiction, du droit du Fisc, et de la supériorité au même degré qu’un Prince de l’Empire.

ARTICLE 15.
D’une autre caution, lorsque l’accusateur a prouvé l’indice du délit, ou que le délit est d’ailleurs avoué.

Lorsque l’accusateur aura prouvé la suspicion et indice, ou que d’ailleurs le délit dénoncé ne saurait être nié, et que le délinquant ne pourra établir une défense et excuse suffisante, ainsi qu’il a été marqué ci-devant, l’accusateur sera tenu sous la même caution de continuer la procédure criminelle qu’il a formée contre l’accusé, selon la présente nôtre Ordonnance Impériale, sans qu’il puisse en ce cas être obligé à une nouvelle caution ; et tout ce qui se fera ainsi au sujet de l’accusé arrêté, par charges et réponses, caution, interrogatoire, enquête, preuves et autres, et ce qui aura été jugé en conséquence, sera exactement et séparément mis par écrit par le Greffier, de la manière qu’il sera marqué ci-après.

ARTICLE 16.
Des délits non douteux.

Les Juges doivent être particulièrement avertis lorsqu’un délit sera public et non douteux, en sorte que l’on ne puisse pas alléguer de raison légitime, qui exempte en Justice de la punition criminelle, comme lorsqu’il est avéré qu’un homme sans cause légitime et de propos délibéré est ennemi ou agresseur, ou que quelqu’un est réellement pris en flagrant délit : de même, lorsqu’un voleur a sur lui sciemment le butin ou le vol, et ne peut fournir aucune raison ni défense légitime pour s’excuser, ainsi qu’il est marqué ci-après dans l’énumération des peines criminelles. Dans ces sortes de délits avérés et indubitables, s’il arrivait que le délinquant voulût effrontément nier le fait, le Juge le fera mettre à la question pour lui faire confesser la vérité, afin de parvenir au jugement et à la punition de ces délits publics et non douteux avec le moins de frais qu’il se pourra.

OBSERVATIONS SUR LES ARTICLES 15 ET16.

Il est nécessaire de concilier cet Article avec l’article 69, dans lequel il est dit, que l’accusé qui ne voudra pas confesser le crime dont il est suffisamment convaincu, doit néanmoins et sans qu’on l’applique à aucune question, être condamné selon le mérite de son crime : les réflexions suivantes feront voir qu’il n’y a point de contradiction entre ces deux articles.

Car, premièrement, la Loi ne parle dans celui-ci que des crimes à la vérité avérés par la notoriété, telle qu’est le flagrant délit, mais non pas de ceux qui sont suffisamment prouvés par des témoins, ce qui nous marque la différence qu’il faut faire entre la notoriété et la preuve d’un crime ; de trouver un homme saisi d’un vol, ou en flagrant délit, rend le fait assez notoire pour lui donner la question, mais cela ne suffit point pour procéder à sa condamnation, s’il ne rend pas le fait certain par sa propre confession, parce que quoiqu’il soit trouvé saisi de la chose volée, il n’est point encore certain, qu’il soit le voleur, s’il ne l’avoue point lui-même, et c’est pour cela que la Loi ordonne alors la question pour le lui faire avouer. Il n’en est pas de même de la conviction faite par preuves, dont parle l’article 69, la conviction établissant la certitude qu’il faut aux Juges pour procéder à la condamnation, la Loi dans ce cas n’exige ni la question, ni la confession de l’accusé pour le juger selon le mérite de son délit.

Les plus célèbres Jurisconsultes qui ont travaillé sur la Caroline, ne sauraient assez recommander aux Juges la précision qu’ils doivent faire de cet article ; ils conviennent tous d’un principe incontestable, savoir, qu’un homme ne peut être condamné en fait de crime, tant qu’il lui reste une voie ouverte à sa légitime défense ; or ils font voir que cette voie n’est point fermée à celui, par exemple, qui est trouvé saisi d’un vol, parce qu’il peut arriver qu’un ennemi pour le perdre, ou le voleur lui-même en danger d’être arrêté, aura fait trouver sur lui la chose volée ; il en est de même du flagrant délit, et ils concluent de là, que cette notoriété suffit à la vérité pour admettre la question, mais que lorsqu’elle n’est point accompagnée de la confession de l’accusé, elle ne peut opérer aucun jugement de condamnation, parce que tout jugement doit être appuyé sur la certitude.

On doit encore tirer cette conséquence de cet article de la Caroline, que pour la condamnation d’un criminel il n’est point nécessaire que l’on ait ensemble sa conviction et sa confession, mais que l’un ou l’autre séparément suffit, lorsque le corps du délit est constaté, comme il est expressément marqué dans le même article 69, parce que ce serait agir contre toute raison que de vouloir extorquer par la force des tourments l’aveu d’un crime dont l’accusé est pleinement convaincu.

ARTICLE 17.
Du domicile certain que l’accusateur doit prendre, lorsque après l’emprisonnement de l’accusé il s’éloigne, pour qu’on lui adresse les citations juridiques.

L’accusateur, après avoir fait constituer prisonnier l’accusé, ne doit plus s’éloigner du Juge, qu’il ne lui ait auparavant indiqué son domicile dans une Ville ou lieu commode et sûr, où les Juges puissent lui faire signifier et adresser tous les actes judiciaires et procédures requises. L’accusateur sera tenu de payer le salaire à celui qui les portera, à proportion de la distance qu’il y aura du lieu de la Juridiction ; et suivant l’usage pratiqué dans chaque pays : le nom dudit domicile, que l’accusateur aura indiqué, sera inséré par le Greffier dans les actes de Justice.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 17.

L’éloignement de l’accusateur dont il est parlé ici, parait contredire les articles 12 et 14 où la loi veut qu’il se constitue prisonnier avec l’accusé, jusqu’à la définition de la procédure criminelle. Pour concilier ces différents textes, on doit dire que, lorsque l’Empereur accorde l’éloignement de l’accusateur, il suppose qu’il a satisfait à la condition prescrite, qui est de donner caution suffisante en Justice, auquel cas seulement il peut s’éloigner du Juge et hors du district de sa Juridiction, soit pour ses affaires particulières, soit pour des occupations qui regardent le public.

L’attention que doit avoir le Juge en consentant à cet éloignement, est de savoir, si l’accusateur possède des biens fonds, qui répondent des dommages et intérêts, que l’accusé, qui ne succombera pas à son accusation, pourra répéter contre lui, ou si la caution qu’il a fournie est suffisante, non seulement par rapport à ses biens, mais encore par rapport à la facilité de la poursuivre. C’est par cette raison que les gens connus pour être adonnés à la profession des armes, quoiqu’ils possèdent d’ailleurs assez de bien, ne doivent point être reçus pour caution : il en est de même des personnes d’une condition relevée, parce que les poursuites que l’on est en droit de former en pareil cas, deviennent difficiles et souvent sans effet.

ARTICLE 18.
Des choses d’où l’on peut tirer des indices raisonnables, au sujet d’un délit.

La procédure Criminelle que Nous et le Saint-Empire prescrivons dans notre présente Ordonnance, comme il a été dit et sera dit ci-après, est fondée suivant le droit commun sur les indices raisonnables, les marques, soupçons et suspicions que l’on a d’un délit, tant pour la capture et emprisonnement, que pour la question de ceux qui sont soupçonnés et accusés comme criminels, et qui n’avouent point leur délit.

Comme il ne serait pas possible de spécifier toutes les marques qui forment les indices, soupçons ou suspicions raisonnables, cependant afin que les Officiers de Justice, Juges et Assesseurs, qui ne seraient point d’ailleurs versés dans ces matières, puissent connaître d’autant mieux, d’où se tirent les indices et suspicions raisonnables d’un délit, on trouvera dans les comparaisons suivantes des exemples de ces indices, au moyen de quoi chacun pourra faire l’application de ce terme dans sa langue, aux cas particuliers qui se présenteront.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 18.

C’est ici que la Loi Impériale commence à entrer dans le détail des parties les plus difficiles de la procédure criminelle ; celle qui regarde la suffisance des indices pour autoriser les Juges de procéder à la question en est une des plus essentielles : la mesure qui est requise dans ces indices, qui deviennent plus ou moins forts selon la nature des circonstances, n’est point une opération arbitraire, et il ne dépend pas du caprice du Juge, ou de sa façon de comprendre les choses, d’ordonner la question sur des indices qu’il adopte indifféremment pour valables et suffisants ; il faut qu’ils le soient en eux-mêmes, et qu’il les compare aux règles, que la Loi lui prescrit pour en faire l’application aux espèces particulières.

C’est dans cette vue que l’Empereur étend sa Loi sur tout ce qui peut avoir rapport à la discussion des indices, qui autorisent la question ; cette manière en particulier lui a paru si intéressante, qu’il l’a portée jusqu’au quarante-quatrième article de son Ordonnance, pour instruire suffisamment les Juges, et les rendre inexcusables, si par passion, négligence, précipitation ou ignorance, ils venaient à s’éloigner de la règle dans un objet aussi grave. Illa indicia tantum légitima dicuntur, quae legibus probata sunt, nec mere ex arbitrio et opinione privata judicis dependeant. Pour cet effet il commence d’abord par donner la définition du mot d’Indice, comme on le verra dans l’article suivant.

ARTICLE 19.
De l’intelligence du mot d’Indice.

Toutes les fois que Nous parlerons dans la suite d’Indice suffisant, Nous entendrons aussi toujours par là un signe véritable, un soupçon, suspicion et présomption suffisante, et ainsi Nous retrancherons tout autre terme.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 19.

Ce que l’Empereur nous trace pour l’intelligence du mot d’Indice, a donné lieu aux Jurisconsultes d’en former cette définition : Indicium est signum sive adminiculum demonstrativum delicti vel alteritius facti de quo quaeritur. L’Indice est un signe qui indique le délit ou l’action d’un autre, dont on fait la recherche.

ARTICLE 20.
Personne ne doit être mis à la question, sans un Indice raisonnable.

Le prisonnier ne doit être interrogé, qu’il n’y ait préalablement un indice raisonnable et prouvé du délit, dont on voudra faire la recherche, et quand bien même on tirerait la confession du délit par les tourments de la question, on ne doit point y ajouter foi, ni pour cet effet condamner la personne.

Les Juges qui contreviendront à cet article, seront tenus à la réparation des dommages, injures, douleurs et intérêts de celui, qui contre la Loi serait appliqué à la question sans un indice prouvé. Nul Magistrat ne pourra être à couvert par aucune garantie, pour que le questionné dans ce cas n’exerce son recours en demande de réparation de dommages et intérêts, à l’exclusion néanmoins de toutes voies de fait.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 20.

1°. Cet Article qui défend aux Juges la question injuste, mérite une attention très particulière, parce qu’il n’arrive que trop souvent que les Juges par un zèle peu éclairé, procèdent trop légèrement à la question : l’Empereur dit expressément, qu’elle devient injuste et de nulle valeur, si elle n’est précédée d’un indice raisonnable et prouvé : en quoi il faut observer qu’il ne suffit pas que l’indice soit allégué et rapporté, mais que sur cette allégation il est nécessaire que les Juges aient une preuve de la vérité et de l’existence de l’indice, pour pouvoir procéder à la question ; sans cette preuve toute question est injuste, et toute confession faite dans la question est nulle, et ne peut opérer aucun jugement contre le questionné, quand même il ratifierait ensuite sa confession, parce que toute opération juridique faite contre la Loi est nulle d’elle-même : Quod contra leges fit, nullum est.

2°. La question ainsi donnée, avant que l’indice ait été prouvé, fournit au questionné un titre pour demander des dommages et intérêts contre le Juge, quand même il l’aurait garanti par écrit, qu’il ne se vengerait point contre cette procédure, parce que cette garantie ne doit s’entendre que par rapport aux voies de fait, que le questionné prétend par là s’interdire, mais non pas par rapport à l’injure reçue, qui doit toujours être vengée par les voies de la justice.

3°. Ce recours pour être dédommagé a non seulement lieu lorsque la question a été donnée sans que l’indice ait été prouvé, mais encore lorsque le Juge a excédé dans cette opération et a passé la mesure prescrite par la Loi. Il y a des cas où le Juge peut être poursuivi criminellement et même puni de mort, savoir, lorsque l’on prouvera que sans indice suffisant il a agi par malice en faisant donner la question, jusqu’à exposer l’accusé au danger d’y périr, ou que par le même motif il a passé la mesure convenable et prescrite.

ARTICLE 21.
De l’indice provenant de ceux, qui se mêlent de deviner par le secours de la Magie.

On ne pourra pas non plus arrêter ni mettre quelqu’un à la question, sur l’indice que donneront ceux, qui par le secours de la Magie ou d’un autre art, se mêlent de deviner, mais on punira pour ce fait ces devins et accusateurs.

Et au cas que le Juge eût passé outre sur l’accusation de ces devins, il sera tenu de dédommager le questionné pour ses frais, douleurs et injures, conformément à l’article précédent.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 21.

1°. Cet Article regarde les personnes, qui dans quelque accident qui leur est arrivé, ou au sujet de quelque vol qui leur a été fait, s’adressent aux devins ou à gens qui se mêlent de magie, pour découvrir ceux qui en sont coupables ; ces sortes de découvertes ne sont point reçues en Justice, et ne peuvent jamais faire un indice suffisant et tel que la Loi le demande, pour arrêter celui qui sera accusé par cette voie, bien moins pour le mettre à la question : en sorte que si un Juge était capable de fonder sur cette accusation un indice, soit pour informer, arrêter l’accusé, ou pour ordonner la question, il serait tenu à l’entière réparation des dommages et intérêts.

2°. Un accusé, contre lequel on aurait procédé sur l’indication des devins, tant par l’emprisonnement que par la question, ne pourrait jamais être condamné pour ce fait, quand même il aurait avoué ce dont il est accusé, parce que cette recherche, de même que sa confession qui a suivi, devient nulle par le défaut d’autres indices.

Il y a plus, c’est qu’un tel accusé ne pourra pas être condamné pour ce fait, quand bien même depuis son emprisonnement il surviendrait de nouveaux indices contre lui, parce que la procédure faite contre lui sur un indice réprouvé par la Loi, est vicieuse dans son principe ; par conséquent tout ce qui s’ensuit, devient nul, insuffisant, et ne peut plus donner aucune atteinte à sa réputation. C’est par la même raison que toute confession d’un tel accusé, extorquée par les tourments de la question sur des nouveaux indices survenus, ne peut point donner lieu à sa condamnation.

A l’égard de la punition indiquée dans cet article contre les devins eux-mêmes, aussi bien que contre ceux qui s’adresse à eux, les Jurisconsultes la rendent arbitraire sans rien déterminer ; elle dépend des circonstances et de l’usage des lieux.

ARTICLE 22.
De la seule question à employer sur l’indice d’un délit, à l’exclusion de tout autre jugement de punition criminelle.

Il est aussi à observer, que personne ne doit être condamné enfin à une punition criminelle sur aucun indice, soupçon, signe ou suspicion, mais que l’on doit seulement y employer la question, lorsque l’indice sur la recherche que l’on aura faite, sera trouvé suffisante ; la condamnation finale à la peine criminelle ne pourra avoir lieu que dans le cas de la confession ou de la conviction, ainsi qu’on le trouvera clairement expliqué dans d’autres endroits de cette Ordonnance, mais non pas dans le cas de la suspicion ou des indices.

OBSERVATION SUR L’ARTICLE 22.

On ne saurait trop faire ressouvenir les Juges de la différence qu’ils doivent faire entre indice et preuve ; les indices ne peuvent les autoriser à la question, que lorsqu’ils sont suffisants et prouvés, et ils ne suffisent jamais pour procéder à la condamnation finale, à moins qu’ils ne soient suivis de la confession de l’accusé, au lieu que les preuves opèrent une conviction contre l’accusé, et alors cette conviction indépendamment de la confession, suffit pour aller à la condamnation ; d’où il faut conclure, que pour parvenir à la condamnation de l’accusé, il faut avoir ou sa conviction, ou sa confession, que l’une ou l’autre séparément suffit, et qu’il n’est point nécessaire d’avoir les deux ensemble ; et c’est là dessus, que les Jurisconsultes taxent d’imprudence un Juge qui ferait appliquer à la question un criminel, pour lui faire avouer un délit dont il est déjà pleinement convaincu, à moins que le délit ne fût de nature à ne pouvoir avoir été commis sans complices, afin de parvenir en ce cas à les faire révéler par le criminel.

2°. La défense que fait ici l’Empereur de procéder à un jugement de punition criminelle sur des indices quoique suffisants et prouvés, regarde également les délits qui ont été commis en secret et ceux qui sont publics ; dans les uns et dans les autres, les Juges ne peuvent sur ces indices ordonner que la question, et il leur est défendu de procéder au jugement définitif. Les Jurisconsultes admettent ici une exception au sujet des crimes d’État et de lèse-Majesté, où ils prétendent que les présomptions à un certain degré, sans la confession de l’accusé, suffisent pour conclure au jugement de condamnation. In rebus, quae ad flatum spectant, vel supremum Principem, praesumptiones concludunt et damnant.

3°. A l’égard de la conviction, dont parle ici la Loi, et qui séparément suffit pour la condamnation de l’accusé, il faut qu’elle soit pleine et suffisante ; et elle devient telle par la déposition de deux témoins irréprochables, qui déposent du fait même et de l’action du crime, et dont les qualités seront expliquées plus en détail dans la suite de cette Ordonnance.

Suite de la "Caroline"