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DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
Dictionnaire des noms propres

- Professeur Jean-Paul DOUCET -

Sur l’importance du rôle social des auteurs évoqués ci-dessous, voir notre étude :
La doctrine est-elle une source du droit ?

Lettre  E

ÉGÉRIE

Cf. Atlas*, Hammourabi*, Minos*.

Selon la légende la nymphe Égérie, le soir, près d’une source, conseillait le roi Numa Pompilius lorsqu’il préparait la rédaction d’une loi. Les premiers rois de Rome suivaient ainsi l’antique tradition voulant que les lois ne soient pas dictées par un simple mortel aux autres hommes, mais soient inspirées par une puissance surnaturelle connaissant les ressorts des lois de la nature.

Signe Doctrine Von Jhering (L’esprit du droit romain) : Numa fut appelé sur le trône sur la réputation de sa piété et de son esprit de justice… Il a pour but de fonder à nouveau, par le règne des lois et de la morale, la ville qui s’était élevée par la violence et par les armes. Il y parvient en donnant, même à ses institutions temporelles, une consécration divine qui résultait de ce qu’il présentait ses textes comme des inspirations de la nymphe Égérie.

Signe Doctrine Cicéron (Traité des lois), quoique sceptique,  souligne la différence entre l'histoire et la poésie : Je ne doute pas que ces mêmes individus ne soient convaincus que Numa s'entretenait avec Égérie.

ÉRINYES

Cf. Némésis*, Thémis*, Vengeance*.

Les Érinyes étaient les trois divinités grecques de la Vengeance*, chargées du punir les criminels (elles correspondaient aux « Furies » des romains). Nées de gouttes du sang, elles poussaient les coupables à la folie. Ce sont elles qui s’acharnèrent sur Oreste et qui en firent le meurtrier de sa mère et de son amant Égisthe. Par antiphrase, de peur de s’attirer leur malédiction, on les appelait aussi les « bienveillantes » (les « Euménides »). La première, Mégère, était surnommée « la Malveillante », la deuxième, Alecto, « l'Implacable », et la troisième Tisiphone, « la Vengeresse » (qui punit le meurtre). Le nom de la première est passé dans le langage commun pour désigner une femme acariâtre, emportée et méchante.

Signe Dictionnaire Dictionnaire Larousse de la mythologie : La mission des Érinyes est de punir les mortels qui ont enfreint les lois de la société (vol, assassinat, parjure…), qui se sont notamment rendus coupables de crimes contre les familles (parricide, matricide…). Persécutrices impitoyables, acharnées, infatigables, elles frappent le plus souvent leur victime de folie.

Signe Exemple concret Eschyle (Les Euménides), Le Chœur : Adresse et ténacité, mémoire fidèle des crimes, cœur insensible aux pleurs des humains, tout cela a été donné aux « Redoutables » pour leur permettre d’accomplir leur mission
Les Euménides : Nous nous estimons droites justicières : quand un homme étale des mains pures, jamais notre courroux ne s’adresse à lui, il traverse la vie sans souffrance ; mais quand un criminel cache ses mains ensanglantées, nous venons au secours des morts et, devant lui, pour qu’il paie sa dette de sang, implacables, nous surgissons.

Signe Exemple concret Vidocq (Mémoires) : On présume bien que la vieille Mégère ne manqua pas d'invoquer notre juste vengeance pour faire cesser ce tintamarre.

ESMEIN Jean Hippolyte ( dit Adhémar ESMEIN )

Cf. Jousse*, Mommsen*, Muyart de Vouglans*.

Juriste français (1848-1913), réputé comme un spécialiste du Droit constitutionnel et de l'Histoire du droit, il connaissait en réalité de manière approfondie l'ensemble des sciences juridiques. Il fut successivement professeur à la Faculté de droit de Douai puis à la Faculté de droit de Paris. C'est principalement en raison de ses travaux sur l'histoire du droit français qu'il retient l'attention des pénalistes contemporains ; on observera qu'il a principalement centré ces travaux sur le développement de la notion d'État, ce qui correspond à une synthèse de ses deux matières de prédilection. Nul mieux que lui n'a montré que l'on ne saurait faire de bonnes lois, si l'on ne possède pas une connaissance approfondie de l'élaboration puis de l'application des lois anciennes.

Signe Doctrine A.Esmein (Histoire du droit français, 2e éd., préface de la 1e éd.) : Le but principal de l'enseignement de l'histoire du droit me paraît être de dégager, par la méthode historique, la notion de l'État et ses attributs essentiels... En histoire du droit on ne peut arriver à la vérité complète (en tant qu'elle est accessible) qu'en se restreignant dans l'espace et dans le temps, et en descendant aux détails... Mon exposition ressemble nécessairement à ces cartes géographiques qui, sous un petit format, représentent un continent tout entier : forcément elles donnent aux pays des contours qui, dans le détail, ne correspondent pas à l'exacte réalité. Tout ce qu'on demande, c'est qu'elles soient exactes dans leurs grandes lignes, et qu'elles présentent fidèlement la physionomie générale.

Signe Doctrine Malaurie (Anthologie de la pensée juridique) : C'est un juriste universel, surtout connu comme historien du droit... Sa méthode est typiquement française. D'abord, mettre en lumière les principes des institutions, c'est-à-dire les idées générales dont elle sont l'expression ; si ces institutions ont duré longtemps, il montre comment "les idées qui sont leur âme" ont varié. Puis, il expose la technique juridique, c'est-à-dire la réglementation et les procédés par lesquels la loi et la jurisprudence ont, à diverses époques, réalisé ces idées. Ce qui donne à chacune de ses œuvres un ordonnancement rigoureux : le détail de la réglementation n'est décrit qu'après qu'ont été exposés les principes généraux.

ÊTRE SUPRÊME

Cf. Contrat social*, Culte*, Égérie*, Hamourabi (stèle)*, Liberté - libertés spirituelles*, Manou*, Moïse*, Morale*, Religion*, Thot*, Zoroastre*.

Signe Renvoi rubrique Voir : Préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité régissant le droit public français contemporain, a été placé « sous les auspices de l'Être suprême ». C'est principalement Robespierre qui a développé l'idée d'un Être suprême ; d'un Être suprême qui relève moins de la foi que de la raison, donc moins du théisme que du déisme. Ne rendait-on pas à l'époque un culte à la déesse Raison, qui fut même statufiée ?
Comment concilier, d'une part, l'idée que pour bénéficier d'une autorité morale indiscutable une loi doit émaner d'une puissance supérieure à l'homme, et, d'autre part, l'idée qu'il appartient à de simples hommes d'édicter une loi définissant cette puissance supérieure ?

Signe Exemple concret Saint-Just (Fragments sur les institutions républicaines) : Le peuple français reconnaît l'Être suprême et l'immortalité de l'âme. Les premiers jours de tous les mois sont consacrés à l'Éternel.

Signe Exemple concret Robespierre (Discours du 18 floréal an II, 7 mai 1794) : Ces derniers temps on vit les ennemis de la patrie [Danton, Hébert...] développer l'affreux système ... de corrompre la morale publique. Pour mieux y réussir, ils s'en étaient eux-mêmes établis les professeurs ; ils allaient tout flétrir... par la corruptions des cœurs...
L'idée de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme est un rappel continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine. La nature a mis dans l'homme le sentiment du plaisir et de la douleur qui le force à fuir les objets physiques qui lui sont nuisibles, et à chercher ceux qui lui conviennent. Le chef d'œuvre de la société serait de créer en lui, pour les choses morales, un instinct rapide qui, sans le secours tardif du raisonnement, le portât à faire le bien et à éviter le mal, car la raison particulière de chaque homme égaré par ses passions, n'est souvent qu'un sophiste qui plaide leur cause, et l'autorité de l'homme peut toujours être attaquée par l'amour propre de l'homme. Or, ce qui produit ou remplace cet instinct précieux, ce qui supplée à l'insuffisance de l'autorité humaine, c'est le sentiment religieux qu'imprime dans les âmes l'idée d'une sanction donnée aux préceptes de la morale par une puissance supérieure à l'homme. Aussi je ne sache pas qu'aucun législateur se soit jamais avisé de nationaliser l'athéisme ? Je sais que les plus sages même d'entre eux se sont permis de mêler à la vérité quelques fictions, soit pour frapper l'imagination des peuples ignorants, soit pour les attacher plus fortement à leurs institutions. Lycurgue et Solon eurent recours à l'autorité des oracles et Socrate lui-même, pour accréditer la vérité parmi ses concitoyens, se crut obligé de leur persuader qu'elle lui était inspirée par un génie familier...
Fanatiques, n'espérez rien de nous ! Rappeler les hommes au culte pur de l'Être suprême, c'est porter un coup mortel au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la Vérité, et toutes les folies tombent devant la Raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d'elles-mêmes dans la religion universelle de la nature
.

Le peuple français reconnaît l'Être suprême et l'immortalité de l'âme

Signe Législation Décret du 18 floréal an II (7 mai 1794) .

I -  Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme.

II -  Il reconnaît que le culte digne de l’Être suprême est la pratique des devoirs de l’homme.

III - Il met au premier rang de ces devoirs de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien que l’on peut et de n’être injuste envers personne.

IV - Il sera institué des fêtes pour rappeler l’homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être.

V - Elles emprunteront leurs noms des événements glorieux de notre Révolution, des vertus les plus chères et les plus utiles à l’homme, des plus grands bienfaits de la nature.

VI - La République française célébrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.

VII - Elle célébrera aux jours de décades les fêtes dont l’énumération suit :
– À l’Être suprême et à la Nature.
– Au Genre humain.
– Au Peuple français.
– Aux Bienfaiteurs de l’humanité.
– Aux Martyrs de la liberté.
– À la Liberté et à l’Égalité.
– À la République.
– À la Liberté du monde.
– À l’Amour de la patrie.
– À la Haine des tyrans et des traîtres.
– À la Vérité.
– À la Justice.
– À la Pudeur.
– À la Gloire et à l’Immortalité.
– À l’Amitié.
– À la Frugalité.
– Au Courage.
– À la Bonne Foi.
– À l’Héroïsme.
– Au Désintéressement.
– Au Stoïcisme.
– À l’amour.
– À l’Amour conjugal.
– À l’Amour paternel.
– À la Tendresse maternelle.
– À la Piété filiale.
– À l’Enfance.
– À la Jeunesse.
– À l’Âge viril.
– À la Vieillesse.
– Au Malheur.
– À l’Agriculture.
– À l’Industrie.
– À nos Aïeux.
– À la Postérité.
– Au Bonheur.

VIII - Les Comités de salut public et d’instruction publique sont chargés de présenter un plan d’organisation de ces fêtes.

IX - La Convention nationale appelle tous les talents dignes de servir la cause de l’humanité à l’honneur de concourir à leur établissement par des hymnes et par des chants civiques, et par tous les moyens qui peuvent contribuer à leur embellissement et à leur utilité.

X - Le Comité de salut public distinguera les ouvrages qui lui paraîtront les plus propres à remplir ces objets et récompensera leurs auteurs.

XI - La liberté des cultes est maintenue, conformément au décret du 18 frimaire.

XII - Tout rassemblement aristocratique et contraire à l’ordre public sera réprimé.

XIII - En cas de troubles dont un culte quelconque serait l’occasion ou le motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques ou par des insinuations contre-révolutionnaires, ceux qui les provoqueraient par des violences injustes et gratuites, seront également punis selon la rigueur des lois.

XIV - Il sera fait un rapport particulier sur les dispositions de détail relatives au présent décret.

XV - Il sera célébré, le 20 prairial prochain, une fête en l’honneur de l’Être suprême. David est chargé d’en présenter le plan à la Convention nationale.

Signe Doctrine Ahrens (Cours de droit naturel) : Quand Saint-Just fit mettre la vertu "à l'ordre du jour" et que Robespierre fit décréter "l'existence de l'Être suprême", ils ne tiraient que la dernière conséquence de la doctrine de Rousseau ; le philosophe de Genève avait lui-même déjà voulu soumettre les mœurs et la religion au pouvoir public et faire décréter par l'État les dogmes d'une religion civile (liv. II, chap. VIII)... C'est la raison qui unit éternellement les hommes entre eux et avec l'Être suprême pour tous les buts de la vie .

Signe Doctrine Henri Martin (Histoire de France - Depuis 1789) : Bien des esprits, chez nous, applaudirent aux grandes idées et aux vérités éternelles qu'avait rappelées Robespierre. Au dehors, les ennemis mêmes de la Révolution, les gouvernements étrangers, en furent frappés comme d'un retour de la France à des conceptions d'ordre et d'organisation. Mais, d'autre part, il s'éleva bien des appréhensions de voir une nouvelle religion d'État qui opprimerait un nom du déisme, comme on avait opprimé au nom du catholicisme. Robespierre avait beau, dans ses discours, réserver aux individus la liberté de croire ou de ne pas croire ; ses actes étaient en contradiction avec ses paroles.

Signe Doctrine Le Bon (Les Révolutions) : L’esprit mystique des chefs de la Révolution se trahissait dans les moindres détails de leur vie publique. Robespierre, convaincu de posséder l’appui du Très-Haut, assurait dans un discours que l’Être suprême avait “ dès le commencement des temps décrété la République ”. En sa qualité de grand pontife d’une religion d’État, il fit voter par la Convention un décret déclarant que : « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme ». À la fête de cet Être suprême, assis sur une sorte de trône, il prononça un long sermon.

Signe Doctrine Wallon (Le Tribunal révolutionnaire) : Étienne Pillot avait été renvoyé devant le Tribunal révolutionnaire pour avoir troublé le bon déroulement de la fête de l'Être suprême. Par chance son cas, au départ désespéré, ne fut appelé qu'après la chute de Robespierre et il bénéficia d'un non-lieu sur son aveu « qu'étant au temple de la Raison, il avait trouvé que c'était long, et qu'étant rappelé par les travaux de son état il avait témoigné quelque envie de voir finir le discours » (28 vendémiaire an III, 14 septembre 1794).

Les décrets précités ne semblent pas avoir été abrogés. Ils ont en effet été appliqués par la Commune de Paris, qui employait le calendrier révolutionnaire. Par ailleurs, le symbole de l'État est constitué depuis quelques années par une effigie de Marianne, qui n'est au fond qu'une évocation de la déesse Raison. Tout récemment un journaliste de la télévision d'État a souligné que le Panthéon est le Temple de la République (sans relever pour autant la confusion des fonctions temporelle et spirituelle).

Suite du dictionnaire des noms propres