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DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL

- Professeur Jean-Paul DOUCET -

Lettre  E
(Treizième partie)

EUGÉNISME

Cf. Bioéthique*, Clonage*.

- Notion. On appelle eugénisme l’emploi de méthodes visant à améliorer le patrimoine génétique d’une population, soit en freinant la reproduction de personnes tenues pour anormales, soit en favorisant celle de personnes tenues pour saines.

Signe Doctrine Bachelard-Jobard (L’eugénisme, la science et le droit) : Le terme eugénisme provient étymologiquement de l’association de deux mots grecs : « eu », préfixe signifiant « bon », et « genos », signifiant « genre » ou « race ». Il s’agit donc là d’une « science » ayant pour but de découvrir les secrets d’une bonne naissance. Le terme est inventé par Francis Galton, en 1883, qui le définit alors comme « la science de l’amélioration de la race » … La loi prohibe l’eugénisme social, étatique … Mais il semble bien que l’eugénisme individuel devienne progressivement un droit subjectif que les parents peuvent faire valoir devant les tribunaux.

Signe Doctrine M.Morange (Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, v° Eugénisme) : La volonté de contrôler la reproduction humaine est sans doute aussi ancienne que l'espèce humaine. Dans "La République", Platon décrit déjà les mesures eugéniques qu'une société idéale devrait prendre. C'est cependant à la fin du XVIIIe  et au début du XIXe siècles, sous les plumes de Condorcet et de Cabanis, qu'apparaissent, même si le mot n'est pas encore utilisé, les premiers appels à des mesures eugéniques rationnellement fondées.

- Règle morale. L'eugénisme appelle de vives réserves au regard de la morale, d'autant que le critère d'être « normal » est inévitablement choisi de manière arbitraire.

Signe Philosophie Catéchisme de l’Église catholique. § 2268 : Des préoccupations d’eugénisme ou d’hygiène publique ne peuvent justifier aucun meurtre, fût-il commandé par les pouvoirs publics.

Signe Philosophie Bruguès (Dictionnaire de morale catholique) : Les L'Église catholique a toujours sollicité la vigilance des pouvoirs publics sur ce point : la situation démographique d'un pays ne saurait jamais être invoquée comme motif d'une campagne de stérilisation.

Signe Philosophie Jolivet (Traité de philosophie - Morale) : Les mutilations opérées par eugénisme constituent une violence injuste contre l'intégrité d'une personne humaine.

Signe Philosophie Leclercq (Leçons de droit naturel - T.III, La famille) : Les partisans de la stérilisation ne tiennent aucun compte de l'interdiction de mutiler un être humain. Ils se rattachent  à tout un mouvement d'idées qui ne reconnaît à l'homme aucun droit et aucun pouvoir absolu, qui n'admet pas de conditions naturelles s'imposant de façon absolue. En pratique, le mouvement en faveur de la stérilisation est lié à celui qui prône le droit à l'avortement et le droit de pratiquer l'euthanasie.

Signe Philosophie Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (v° Eugénisme par M.Morange) : Il est difficile de nier que certains concepts biologiques forgés à la fin du XIXe siècle étaient potentiellement dangereux dès qu'ils étaient transposés à l'homme.

- Droit positif français. Les art. 214-1 et s. C.pén. répriment l’eugénisme en tant que crime contre l'espèce humaine. Ce délit de droit public semble difficilement transposable sur le terrain du droit privé. La pratique semble d’ailleurs s'orienter vers un eugénisme parental, dans la mesure où l’on parle de plus en plus souvent du « droit à avoir un enfant normal ».

- Toutefois à titre préventif des maladies résultant de la consanguinité (et en outre pour des considérations morales), le législateur interdit les mariages entre proches parents. P.ex. l’art. 163 C.civ. prohibe le mariage entre l’oncle et la nièce, ou entre la tante et le neveu.

Signe Jurisprudence Rouen (1e Ch.) 23 février 1982 (Gaz.Pal. 1982 I somm. 179) : Motivé par les considérations morales et eugéniques, l’art. 163 C. civ. ne distingue pas selon que l’oncle et la nièce sont issus d’un seul ou de deux auteurs communs. La prohibition que ce texte édicte s’applique dès lors au mariage d’un homme avec la fille de sa sœur consanguine.

- Depuis une loi du 6 août 2004, l'art. 511-1-2 C.pén. punit de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 € d'amende le fait, par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir, de provoquer autrui à se prêter à un prélèvement de cellules ou de gamètes, dans le but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée. Est punie des mêmes peines la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de l'eugénisme ou du clonage reproductif.

EUROJUST

Cf. Blanchiment d'argent*, Criminalité*, Trafic de choses*, Traite des êtres humains*.

Les États membres de l'Union européenne ont créé un organisme intitulé "EUROJUST" afin de faire obstacle à toutes les formes de la criminalité organisée (blanchiment d'argent, trafic d'armes ou de drogue, traite d'êtres humains, contrefaçons, criminalité informatique, criminalité au détriment de l'environnement). Cette cellule de coopération judiciaire, qui a la personnalité juridique, est composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police des États membres de l'Union européenne. Son siège est à La Haye (Pays-Bas).
Le fonctionnement de cet organisme en France est déterminé par les art. 695-4 et s. du Code de procédure pénale.

Signe Législation Traité de Lisbonne. Art. 85 : Eurojust a pour mission d'appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur la base des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol.

Signe Droit comparé Code d'instruction criminelle de Belgique. Son Art. 593  vise : Les magistrats du ministère public (y compris le membre belge d'Eurojust), les juges d'instruction, les agents de niveau 1 des autorités administratives chargées de l'exécution des décisions rendues en matière pénale et des mesures de défense sociale nommément désignés par écrit...

EUTHANASIE

Cf. Amour*, Meurtre* (sauf Faits justificatifs*), Non-assistance à personne en péril*, Suicide*, Vie*.

Signe Renvoi livres Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° I-131 et s. p.91

Signe Renvoi article Voir : Tableau des incriminations protégeant la vie  (selon la science criminelle)

Signe Renvoi rubrique Voir : Vitu, Le meutre simple

- Notion. L’euthanasie consiste dans le fait de procurer une mort douce à une personne en fin de vie qui subit de trop pénibles souffrances.

Signe Dictionnaire Dictionnaire Petit Robert. Euthanasie : Usage de procédés qui permettent d'anticiper ou de provoquer la mort, pour abréger l'agonie d'un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes.

- Règle morale. Le principe même de l'euthanasie est condamnable : donner la mort est un meurtre, quelque soit le mobile qui pousse l'agent à commettre cet acte. Mais certaines situations de fait sont telles que la charité peut imposer d'aider un malade, en phase terminale douloureuse, à finir ses jours dans la dignité ; cet état de nécessité morale fait obstacle à l'existence même d'une faute.

Signe Philosophie Catéchisme de l’Église catholique, § 2276 : Ceux dont la vie est diminuée ou affaiblie réclament un respect spécial. Les personnes malades ou handicapées doivent être soutenues pour mener une vie aussi normale que possible.
Quels qu’en soient les motifs et les moyens, l’euthanasie directe consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes. Elle est moralement irrecevable… sauf le refus de l’acharnement thérapeutique.

Signe Philosophie Bruguès (Dictionnaire de morale catholique) : On retiendra que l'Église désapprouve l'acharnement thérapeutique, car elle ne fait pas un absolu du respect de la vie. On n'est pas tenu d'employer tous les moyens dont on dispose pour prolonger la vie d'une personne condamnée. On peut administrer des calmants à celui qui souffre de manière atroce, même si ceux-ci peuvent affecter, en l'abrégeant, le cours d'une vie dont l'issue est devenue inéluctable.

- Science criminelle. Le problème qu’elle pose peut se présenter sous deux aspects (mais il ne faut jamais perdre de vue qu'il s'agit le plus souvent d'une question de faits qui relève de la seule compétence des tribunaux judiciaires).

Premièrement, le législateur peut-il autoriser certaines personnes à pratiquer l’euthanasie ? Du point de vue des techniques juridiques, la réponse est indubitablement négative. En effet, le droit criminel fonctionne selon un rapport principe / exceptions : d’un côté, il appartient au législateur de poser des règles générales, abstraites et impersonnelles ; de l'autre côté, il incombe aux juges d’adapter ces règles aux cas d’espèce, concrets et individuels. Comme il serait extrêmement dangereux de poser un principe général et abstrait légalisant une forme de meurtre (pensez à l'euthanasie intéressée, dite aussi successorale), l’examen des cas concrets doit nécessairement  être confié a posteriori à des magistrats judiciaires, conseillés par des représentants du corps médical.

Deuxièmement, une personne peut-elle exiger de faire l’objet d’une euthanasie ? Sur le plan des principes, la réponse est là encore négative : des malades, qui avaient sollicité qu’on mette fin à leurs souffrances, n’ont été que trop heureux qu’on ne les ait pas écoutés lorsqu’ils ont recouvré la santé. Par exception, le vœu d’un patient, atteint d’une maladie douloureuse incurable et proche de la mort, peut conforter un collège de juristes et de médecins à décider de lui permettre de quitter la vie dans la dignité.

Signe Dictionnaire Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Euthanasie, par B.Beignier: Le mot euthanasie est source de confusion. Si l'on admet que toute euthanasie, au sens moderne, est un acte provoquant la mort d'autrui, alors une telle décision est, par nature, illégitime... Une loi sur l'euthanasie est certainement superflue parce que la question de l'euthanasie ne peut trouver une solution unique et juridique.

Signe Doctrine Vitu (Droit pénal spécial) : Une seule hypothèse peut vraiment être appliquée à l’euthanasie (eu-thanatos : bonne mort) : on suppose ici, soit un moribond, déjà inconscient, à qui on veut éviter une agonie dramatique, soit surtout un être parfaitement lucide, mais souffrant atrocement d’une maladie incurable et qui réclame qu’on abrège sa vie

 Signe Jurisprudence Cour EDH 27 juin 2017, requête n° 39793/17 (n°16-17) : La Cour rappelle qu’il n’existe pas de consensus au sein des États parties à la Convention quant au retrait du maintien artificiel de la vie, mais qu’il existe un consensus quant à l’importance primordiale de la prise en compte des souhaits du patient dans le processus de décision, quelle que soit la manière dont ces souhaits sont exprimés (consensus traduit en France par la Loi Léonetti, dans l’art. 1111-4 du Code de la Santé Publique, et réaffirmé dans l’affaire précitée Lambert c. France, §147). Ceci rejoint d’ailleurs l’avis exprimé plus haut selon lequel, si Charlie avait été un adulte inconscient ayant exprimé des vues favorables sur le maintien artificiel en vie, celui-ci ne lui aurait sans doute pas été retiré : si le patient est conscient, ou inconscient mais qu’il a exprimé certains souhaits, sa volonté doit être totalement impliquée dans la décision médicale d’arrêt des traitements.
En l’absence d’une telle volonté, la Cour rappelle donc que les États disposent d’une marge d’appréciation, pour permettre ou refuser la continuation des soins de maintien artificiel de la vie, mais aussi dans la « recherche de l’équilibre entre la protection du droit à la vie des patients et la protection de leur droit au respect de la vie privée et de leur autonomie. » (§ 84). Les tribunaux britanniques étaient donc compétents en l’occurrence et ne violaient pas la Convention en refusant le traitement expérimental et en autorisant un arrêt des soins. Cependant, ils avaient la possibilité d’autoriser un tel traitement. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait, alors que celui-ci était disponible, et que procurer celui-ci à Charlie n’aurait pas empiété sur les ressources médicales britanniques, puisqu’une levée de fonds privés avait été réalisée ?

- Droit positif français. Textes. S’il est prémédité, cet acte constitue un assassinat (art. 221-3 C.pén.) ; dans le cas contraire, un simple meurtre (art. 211-1 C.pén.). Au regard du droit médical, il constitue un délit disciplinaire.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 16 novembre 1827 (S. 1828 I 135) : Les lois qui protègent les hommes sont d’ordre public, et les crimes et délits contre les personnes ne blessent pas moins l’intérêt général de la société que la sûreté individuelle des citoyens ; aucune volonté particulière ne saurait absoudre et rendre licite le fait que les lois ont déclaré punissable.

Signe Jurisprudence Conseil d’État 29 décembre 2000 (Gaz.Pal. 2001 II 2052/2053), statuant sur le plan disciplinaire : Après avoir mentionné l’ensemble des graves pathologies dont était atteinte une patiente et les traitements qui lui avaient été prodigués, y compris les soins palliatifs à base de morphine pour une personne en «fin de vie programmée», la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a retenu à l’encontre d’un médecin le fait, d’ailleurs non contesté, d’avoir pratiqué sur la malade l’injection d’une dose de chlorure de potassium destinée à provoquer immédiatement la mort par arrêt cardiaque. Elle a estimé que cet acte n’entrait pas au nombre de ceux prescrits aux médecins par les art. 37 et 38 du Code de déontologie, mais constituait un acte d’euthanasie active, destiné à provoquer délibérément la mort de sa patiente. Elle a enfin relevé que cet acte était interdit par l’art. 38 de ce Code.

Pratique judiciaire. Souvent, cette sorte d’homicide est commis par une personne prise de pitié devant les souffrances d’un mourant ; lorsqu’il est indubitablement établi, un tel Mobile* autorise le juge à fixer la sanction pénale à son niveau le plus bas. On a même connu des cas où les souffrances du malade avaient bouleversé son meurtrier au point qu’il avait perdu son libre arbitre, et qu’il avait accompli son acte criminel sous l’effet d’une force s’imposant à lui : il y a alors lieu de considérer qu’il bénéficie d’une Cause de non-imputabilité*.

Signe Renvoi livres Voir : J-P. Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-III-II-8 p.303 (la compassion apparaît comme un motif d'individualisation de la sanction).

Signe Doctrine Lambert (Droit pénal spécial) : Le crime de meurtre est parfaitement constitué dès lors qu’il est établi que l’agent a volontairement donné la mort, et peu importent les mobiles, si nobles soient-ils en l’espèce, qui inspirèrent sa décision. Tuer un être cher pour l’arracher à ses souffrances et pour ne faire qu’abréger une affreuse agonie… peut certes se présenter à la conscience morale du meurtrier comme une action héroïque… N’empêche qu’il y a meurtre… Il est vrai que les juges et les jurés pourront admettre des circonstances atténuantes, et même, s’il y a lieu, pourront acquitter purement et simplement s’ils estiment que le meurtrier a agi sous d’effet d’une contrainte morale à laquelle il ne pouvait résister.

Signe Exemple concret Exemple (Ouest-France 11 novembre 2016) : J.M. avait aidé sa femme à mourir : relaxe... Il avait déposé des médicaments dans la main de son épouse, et les avait décapsulé pour elle, Puis lui avait donné un verre d'eau. [les juges ne pouvaient à l'évidence retenir la qualification de meurtre, qui suppose un acte positif d'homicide ; ils ne pouvaient même pas se tourner vers le délit d'omission de porter assistance à personne en péril, la victime étant en fait déjà à l'article de la mort] .

ÉVASION

Cf. Cavale*, Chaîne*, Connivence*, Menottes*, Prison*.

Signe Renvoi livres Voir : Jean-Paul  Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-225, p.62 / n° I-I-I-318, p.82

Signe Renvoi livres Voir : Jean-Paul  Doucet, « La protection de la Société », n° II-I-129 et s., p.371 et s.

- Notion. Une personne s’évade quand elle se soustrait à la garde à laquelle elle était soumise sur ordre de l’autorité judiciaire. Peu importe que ce soit par ruse ou par violence ; en toute hypothèse, un tel fait constitue un délit disciplinaire.

Signe Dictionnaire Littré (Dictionnaire) : S’évader, c’est s’échapper furtivement d’un lieu où l’on était retenu.

Signe Exemple concret Exemple d'une évasion sans violence (La Meuse 25 mai 1976) : Évasion en brouette - Un détenu de la maison d'arrêt de Bar-le-Duc s'est évadé avec une brouette, au nez et à la barbe de ses gardiens... Il avait été chargé d'effectuer quelques travaux de restauration dans l'établissement. Muni d'une brouette pleine de gravats, il a simplement emprunté la porte de la prison en poussant l'engin devant lui. Quelques heures après, il était repris.

Signe Exemple concret Exemple d'une évasion avec violence (Cass.crim. 26 mai 1999) : Pour déclarer  à bon droit F... et A... coupables, notamment, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, l'arrêt attaqué énonce que l'entente nouée entre les participants a bien consisté, dans la préparation du délit d'évasion de F..., par hélicoptère et avec usage d'armes, du centre pénitentiaire de Luynes où il était détenu.
Les juges retiennent que les auteurs envisageaient d'user réellement des armes, en l'occurrence deux pistolets automatiques de calibre 9 mm, approvisionnés, avec cartouche dans la chambre de tir et munitions supplémentaires, au regard de la nécessité, pour les assaillants, de répondre, pendant le cisaillement des filins de protection, à la défense du personnel pénitentiaire des miradors.

Signe Exemple concret Exemple d'une complicité d'évasion  (La Meuse 31 janvier 1974) : Un belge avait promis 140.000 Fr. à son gardien de prison si celui-ci lui permettait de s'évader. Le gardien lui avait procuré une scie, un horaire des rondes et la clef de l'abri à vélos à côté de la prison. Dans la nuit du 8 au 9  juin, le gardien avait fait de son mieux pour couvrir le bruit de la scie : il chantait, sifflait, remuait de la vaisselle et tirait la chasse des toilettes. L'évasion a réussi ; mais l'évadé a été repris et le procureur général a demandé une peine de deux ans de prison pour le gardien.

- Science criminelle.

- Un législateur libéral considère que l’attrait de la liberté est tel qu’un détenu ne peut se voir reprocher (sur le plan pénal) d’avoir profité d’une occasion de s’enfuir, à condition qu’il n’ait pas usé de violence. Cet appel constitue, en quelque sorte, une Cause de non-imputabilité* au profit de celui s’est enfui sans commettre d’acte de brutalité.
Le plus souvent, l'évasion s'analyse en un délité instantané.

Signe Renvoi rubrique Voir : Loi du 4 vendémiaire an VI (25 septembre 1797), relative aux préposés à la garde des détenus

Signe Histoire Jeanne d’Arc (lors de son procès) : Il est vrai que j’ai voulu m’évader et le voudrais encore, ainsi qu’il est licite à tout détenu ou prisonnier de s’évader.

Signe Histoire Jousse (Traité de la justice criminelle, 1771) : La simple fuite ou évasion de la part d’un prisonnier, ou d’une personne qu’on veut arrêter, n’est jamais punie, ni même la résistance, lorsqu’elle est modique, sans arme ni violence publique. En effet, il est naturel à une personne qu’on veut arrêter de chercher à se sauver des mains de la Justice, pour éviter la peine qu’il mérite ; et à plus forte raison s’il est innocent.

Signe Doctrine Blackstone (Commentaires sur les lois anglaises) : L’amour de la liberté est une excuse pour celui qui s’échappe.

Signe Doctrine Séguier (Travaux préparatoires de l’Ordonnance de 1670) : Par le droit naturel, l’évasion d’un prisonnier n’est pas un crime… Dans le Parlement de Paris, la simple évasion n’est pas punie ; mais seulement le bris de prison, et même d’une peine fort légère.

Signe Doctrine Garraud (Traité de droit pénal, 1913) : L’instinct de la conservation, qui porte un détenu à se soustraire au châtiment par la fuite, est trop naturel et trop humain pour que la loi ait pu songer à ériger en crime spécial le fait de n’y pas résister.

Signe Doctrine Vitu (Traité de droit pénal spécial) : Une idée-force considère que l'individu détenu dans un établissement pénitentiaire fermé ne saurait être puni s'il s'évade en profitant d'une négligence de ses gardiens ou de circonstances favorables, sans commettre ni voies de fait sur les personnes, ni destruction... On estime en effet que l'évasion simple n'est pas plus infractionnelle que le mensonge de l'inculpé au cours d'un interrogatoire, ou sa fuite devant les policiers qui cherchent à l'arrêter : un supplément de peine paraît inutile contre celui qui n'a fait qu'obéir au désir de liberté inné en tout homme.

Signe Doctrine Rigaux et Trouse (Les crimes et délits du Code pénal belge, 1968) : L’évasion est, chez le détenu, la manifestation naturelle de l'instinct de conservation de la liberté.

- Un législateur répressif estime en revanche que le simple fait de s’évader, voire de tenter de s'évader, porte atteinte à l’ordre public et appelle une sanction pénale.

Signe Exemple concret Michelet (Histoire de la Révolution française) : Le 7 juillet 1794 on établit une nouvelle liste de trente détenus. Y avait-il entre eux quelque projet d’évasion, comme on le disait ? Cela est probable. La loi prononçait la mort contre ceux qui oseraient ouvrir les portes des prisons ; mais visait-elle le prisonnier qui voudrait fuir ? On leur appliqua cette loi.

Signe Histoire Digeste de Justinien, 48, 3, 13. Callistratrus : Ceux qui, enfermés dans une prison, ont conspiré pour rompre leurs liens, briser la prison et s'échapper, doivent être punis plus que ne le demanderait la cause pour laquelle ils ont été incarcérés. Et, quoiqu'ils soient trouvés innocents du crime pour lequel ils ont été mis dans les fers, cependant ils doivent être punis ; et ceux qui ont dénoncé leur conspiration doivent être relâchés.

Signe Histoire Digeste de Justininen, 47, XVIII 1. Ulpien : Ceux qui se sont échappés de la prison en la brisant doivent être punis du dernier supplice. Saturnin pense que ceux qui sont sortis avec violence de la prison, soit en brisant les portes, soit en conspirant avec les autres prisonniers, doivent aussi être punis de la peine capitale ; et que s'ils se sont évadés par la négligence des gardiens, ils doivent être punis moins durement.

Signe Droit comparé Code pénal soviétique de 1926. Art. 82 : La fuite d’une personne en état d’arrestation ou son évasion hors des lieux de privation de liberté entraîne la privation de liberté jusqu’à trois ans.

Signe Droit comparé Code pénal d'Algérie. Art. 188 : Est puni d’un emprisonnement de 2 mois à 3 ans, quiconque étant, en vertu d’un mandat ou d’une décision de justice légalement arrêté ou détenu s’évade ou tente de s’évader, soit des lieux affectés à la détention par l’autorité compétente soit du lieu du travail, soit au cours d’un transfèrement.
Le coupable est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans, si l’évasion de prison a lieu ou est tenté avec violence ou menaces contre les personnes, avec effraction ou bris de porte
.

Signe Droit comparé Code pénal du Japon. Art. 97 (Évasion) : Lorsqu'un condamné, ou un prévenu placé en détention sur ordre d'un juge, s'évade, un emprisonnement  d'un an au plus lui sera infligé.

Le droit japonais a même songé à incriminer le fait d'enlever un détenu.

Signe Droit comparé Code pénal du Japon. Art. 99 (Enlèvement de détenus) : Celui qui soustrait un détenu aux autorités... sera puni de 3 mois à 5 ans de prison.

- Droit positif français. Il faut ici distinguer l'ancien et le nouveau droit positif .

Signe Renvoi article Voir : Tableau des incriminations protégeant le système judiciaire quant aux personnes placées sous main de justice  (en droit positif français)

- Droit positif ancien. L’art. 434-27 C.pén. de 1993 (art. 245 ancien) n’incriminait, en principe, que le fait de s’évader par violence, effraction ou corruption.

Signe Exemple concret Vidocq ( Mémoires) donne un exemple d’évasion non punissable, chez nous : Un matin, le concierge vient chercher deux détenus de passage. Ils étaient dans la même chambre que moi. En sortant, il oublie de fermer la porte. Je m’en aperçois. Je profite du moment. Je descends l’escalier. J’arrive dans la cour… Personne ! Je cours à la porte. Le concierge est en train de vider un verre d’absinthe dans un cabaret voisin. Et de me sauver à toutes jambes !

Signe Jurisprudence Cass.crim. 5 mai 1998 (Gaz.Pal. 1998 II Chr.crim. p. 162) : Il résulte de la combinaison des art. 132-73 et 434-27 C.pén. que le délit d’évasion par effraction n’est constitué que lorsque le détenu, gardé dans un endroit clos, brise le dispositif de fermeture qui fait obstacle à sa fuite… une simple ruse est exclusive du délit poursuivi.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 11 juin 1975 (Gaz.Pal. 1995 II somm. 234) : Constitue un bris de prison, au sens de l’art. 245 C.pén., la destruction d’un barreau d’une cellule.

Lorsqu’un détenu bénéficiait d’un régime de faveur, en étant autorisé à sortir librement de l’établissement pénitentiaire pour quelques heures ou quelques jours, il avait le devoir de regagner cet établissement dans les conditions fixées. S’il méconnaissait cette obligation, il tombait sous le coup de l’art. 434-29 C.pén.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 22 juin 1994 (Gaz.Pal. 1994 II Chr.crim. 690) : Constitue une évasion, tant au sens de l’art. 245 que de l’art. 434-29 al. 3 C.pén., le fait pour un condamné bénéficiant d’une permission de sortie d’un établissement pénitentiaire, de ne pas rejoindre cet établissement à l’expiration de sa permission.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 4 mai 2000 (Gaz.Pal. 2000 II Chr.crim. 2516) : Le délit d'évasion, prévu par l'article 434-29-3° du Code pénal, est un délit instantané, entièrement consommé à la date même où le condamné n'a pas réintégré l'établissement pénitentiaire, à l'issue d'une permission de sortir.

- Droit positif nouveau. Depuis une loi du 9 mars 2004, le seul fait de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis constitue un délit pénal dont le détenu doit répondre (art. 434-27 nouveau).

Incriminations complémentaires. On notera surtout la connivence à l'évasion et la négligence des gardiens de prison.

Connivence à l’évasion. C'est le fait d’aider autrui à s’évader qui constitue le délit de connivence à l’évasion (art. 434-32 C.pén., art. 237 ancien et s.). Le niveau de la sanction varie selon le procédé employé, et selon que l’aide vient d’un tiers ou d’un gardien agissant intentionnellement. La tentative est punissable.

Signe Renvoi livres Voir, sur la connivence à l'évasion : J-P. Doucet, « La protection de la Société », n° II-I-130, p.374

Signe Jurisprudence Versailles 21 février 1984 (Gaz.Pal. 1984 I 249, note Doucet.) : La connivence est l’acte volontaire qui consiste à procurer ou à faciliter l’évasion d’un détenu et est punissable même si l’évasion n’a été ni réalisée, ni tentée et même si les préparatifs ont été menés à l’insu du prisonnier, dès lors que l’auteur, quels que soient ses mobiles, a agi avec connaissance, sachant que ses actes pouvaient permettre au détenu de s’enfuir du lieu de détention.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 3 septembre 1996 (Gaz.Pal. 1997 I Chr.crim. 30) : Il résulte des motifs de l’arrêt attaqué, que, d’une part, la recherche par les prévenus d’un pilote d’hélicoptère acceptant de poser son appareil dans la cour de la prison, constituait un commencement d’exécution caractérisant la tentative du délit poursuivi et que, d’autre part, c’est en raison du refus des pilotes contactés, et non d’un désistement volontaire des intéressés, que cette tentative a été suspendue ou a manqué son effet, la Cour d’appel a ainsi caractérisé en tous ses éléments constitutifs la tentative de connivence à évasion dont elle a déclaré les intéressés coupables.

Signe Exemple concret Évasion du maréchal Bazaine. Emprisonné dans le fort de l’île Sainte-Marguerite, il s’évada par le moyen d’une corde à nœuds grâce à laquelle il put atteindre le canot qui l’attendait. Le lieutenant-colonel Willette, qui avait maintenu la corde pendant la descente de l’évadé, fut, pour ce fait, condamné à six mois de prison.

Signe Droit comparé Code de Gia Long, art. 355 : Les gardiens qui auront volontairement favorisé les évasions seront punis de la même peine que l’était le condamné évadé.

Négligence des gardiens de prison. Le fait par un gardien de prison, ou par un policier d’escorte, de laisser un prisonnier s’échapper constitue un délit disciplinaire majeur. C’est pourquoi il est puni dans presque toutes les législations du simple fait d’une négligence ; il l’était par l’ancien Code pénal (art. 237 et s.) mais il ne l’est plus dans le nouveau Code.

Signe Doctrine Garçon (Code pénal annoté) : Les personnes chargées de la garde des détenus ont le devoir positif de les empêcher de s’enfuir. La loi sanctionne ce devoir en punissant leur simple négligence.

Signe Droit comparé Code de Gia Long, art. 355 : Les gardiens du lieu où les condamnés subissent leur peine, qui sans s’en apercevoir, auront perdu des condamnés, seront punis de soixante coups de truong.

ÉVIDENCE

Cf. Preuve*, Vérité*.

Le mot évidence désigne ce qui apparaît clairement comme étant la vérité. Un fait est évident lorsqu'il est établi de manière telle que l'on ne peut raisonnablement mettre en doute son existence.

Signe Philosophie Jolivet (Philosophie morale) : L'évidence se définit comme la pleine clarté avec laquelle le vrai d'impose à l'adhésion de l'intelligence.

Signe Philosophie Ahrens (Cours de droit naturel) : Cette statistique a contribué à mettre en évidence la vérité.

Le droit judiciaire use de l'expression  « mettre en évidence » pour indiquer que l'accusation doit apporter la preuve de l'acte reproché au prévenu, et plus généralement des éléments constitutifs de l'infraction qui lui est reprochée.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 7 octobre 1997 (Gaz.Pal. 1998 I Chr crim 27) : Des investigations sont toujours en cours pour mettre en évidence le rôle respectif des intéressés dans l'organisation de l'assassinat et dans l'association de malfaiteurs.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 21 février 1984 (Bull.crim. n° 66 p.168) : La cour d'appel  a mis en évidence le caractère volontaire des agissements du prévenu, ce qui suffit à établir l'élément intentionnel de l'infraction.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 6 décembre 1988 (Bull.crim. n° 411 p.1092) : Un motif qui ne met en évidence aucun acte personnel entrant dans les prévisions de l'art. 60 C.pén., accompli en connaissance de cause par le prévenu, ne justifie pas la condamnation prononcée contre lui pour complicité de diffamation publique.

En droit britannique, le mot "evidence" vise, au sens étroit un témoignage, au sens large une preuve déterminante.

Signe Droit comparé Projet de Code criminel pour l'Écosse.  Dans toute poursuite criminelle, c'est à l'accusation qu'il appartient de rapporter la preuve de la culpabilité, conformément aux règles sur l'  "evidence".

ÉVOCATION

Cf. Compétence*, Cour d'appel*.

Afin d’éviter l’allongement des procédures, l’art. 520 C.pr.pén. prescrit à la cour d’appel qui annule un jugement pour violation ou omission d’une règle de forme, à retenir l’affaire et à statuer sur le fond. C’est cet incident de procédure que l’on appelle évocation.

Signe Doctrine Merle et Vitu (Traité de droit criminel) : On désigne sous le nom d’évocation l’obligation faite à la cour d’appel de statuer sur le fond, chaque fois que « le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité » ; ce qui aboutit à restreindre la règle du double degré de juridiction.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 21 mars 1979 (Bull.crim. n° 115 p.326) : L'évocation est prohibée lorsque les premiers juges n'ont pas été régulièrement saisis de la prévention.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 14 mai 1990 (Bull.crim. n°191 p.486) sommaire : La cour d’appel, qui constate que la minute du jugement ne mentionne pas le nom des magistrats qui l’ont rendu, doit prononcer la nullité de ce jugement et, après évocation, statuer sur le fond.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 31 mars 2010 (Bull.crim. n° 59 p.103) : Si l’évocation prononcée par la cour d’appel, en vertu des dispositions de l’art. 520 C.pr.pén., permet aux juges du second degré de remplir directement la mission des premiers juges, elle ne saurait cependant, lorsque ces derniers ont déjà statué au fond, faire échec aux principes qui, découlant des art. 509 et 515 du même code, régissent l’effet dévolutif de l’appel.

Signe Jurisprudence Cass.crim. 2 mars 2011 (Gaz.Pal. 21 juin 2011 p.21 note Lasserre Capdeville) : Les dispositions de l'art. 520 C.pr.pén., obligeant les juges d'appel à évoquer lorsque le jugement est annulé pour violation ou omission non réparées des formes prescrites par la loi à peine de nullité, ne sont pas limitatives et s'étendent aux cas où il a été mal jugé sur un incident.

Suite de la lettre E