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LE MEURTRE SIMPLE

Extrait du « Traité de droit pénal spécial »
du Professeur André VITU  ( Paris 1982, T. II p.1358 )

« Tu ne tueras pas »
est un principe fondamental
posé par toutes les grandes civilisations.

Les éléments constitutifs du crime de meurtre,
au sens propre de ce mot, sont les suivants :
commission d’un acte de nature à causer la mort,
perpétré dans le but de causer la mort,
et ayant effectivement causé la mort d’autrui.

N.B. Le texte reproduit ci-dessous date de l’ancien Code pénal ;
il n’en demeure pas moins valable dans ses lignes essentielles.

§ 1 - LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU MEURTRE SIMPLE

L’article 295 du Code pénal [ancien] définit très simplement le meurtre comme « l’homicide commis volontairement». De ces trois mots, résulte l’existence de trois éléments constitutifs, dont la réunion est indispensable pour qu’on puisse parler de meurtre : une vie humaine protégée, un acte matériel tendant à supprimer cette vie, et l’intention qui a animé le coupable.

A -La vie humaine protégée

1696. L’intangibilité de la vie humaine. — Si, à certaines époques et dans certaines civilisations, il a été admis que l’être humain pouvait être l’objet de sacrifices religieux ou de meurtres rituels et si, d’autre part, certains peuples ont donné aux chefs de famille un droit de vie et de mort sur les membres de leurs clans ou leurs esclaves, il en va autrement dans le monde moderne qui affirme l’intangibilité de la vie humaine. La protection de la vie humaine est le but suprême ou, du moins, l’un des objectifs majeurs du droit : la mort infligée à l’homme, l’homicide (hominiscaedes), constitue un acte nécessairement très grave, surtout s’il résulte d’agissements volontaires. Dans une perspective religieuse, on ajoute, pour justifier cette intangibilité absolue, que Dieu seul est l’auteur de la vie et qu’il n’appartient qu’à lui d’y mettre un terme.

De ce principe résulte que l’infraction de meurtre est juridiquement constituée, quels que soient la plus ou moins grande valeur sociale, l’utilité ou l’inutilité, l’âge, le sexe ou la race de l’être humain détruit... Il faut également en déduire que la protection pénale s’étend aux êtres difformes ou monstrueux : les accidents tératologiques sont sans influence sur la portée de la loi pénale.

1697. La préexistence de la vie humaine. — Le meurtre suppose d’autre part que le coupable a porté atteinte à un être humain qui préexistait aux coups portés et qui vivait d’une vie autonome. Il est alors important de dire quand commence la vie autonome de l’être humain et quand elle finit : les atteintes qui précèdent la naissance constituent une infraction différente, l’avortement ; celles qui suivent la mort échappent à la répression, sauf à se demander s’il faut punir ici l’infraction impossible.

Ordinairement la distinction entre l’avortement et le meurtre ou l’infanticide n’offre aucune difficulté, car le premier a lieu, le plus souvent, dans les premières semaines ou les premiers mois de la grossesse. On regardera comme infanticide tout agissement homicide commis, non seulement quand l’enfant a quitté le sein maternel, mais même pendant l’accouchement et à partir du moment où ont commencé les premières contractions utérines ; accomplis avant cet instant, les actes mortels constitueraient des manoeuvres abortives.

La fixation du moment exact de la mort est difficile : de la mort apparente à la mort clinique ou « coma dépassé », et de celle-ci à la mort absolue, des erreurs sont possibles et la question a trouvé un regain d’actualité dans la technique récente des transplantations cardiaques (1). Mais le problème qui a spécialement préoccupé les criminalistes est celui du « meurtre d’une personne déjà morte » : peut-on punir celui qui a frappé, dans l’intention de la tuer, une personne qu’il croyait encore vivante, alors que la mort avait déjà fait son œuvre ? Écartant la thèse de la répression systématique et suivant Garraud sur ce point, des auteurs modernes décident qu’il y a ici une impossibilité du droit empêchant toute poursuite, parce que l’un des éléments du crime, la préexistence d’une vie humaine, fait défaut : la loi ne protège que la personne vivante et ce serait lui donner une portée exagérée que de l’étendre à ce qui n’est qu’une infraction putative. Mais la solution répressive paraît plus sûre et plus conforme à la tendance jurisprudentielle moderne à rejeter toute distinction en matière d’infraction impossible : l’accusation de meurtre doit être retenue si le coupable a frappé, dans une intention homicide, une victime qu’il pouvait raisonnablement croire encore vivante (2).

1698. Le problème du suicide. — À l’exigence d’une vie humaine préexistante, il faut ajouter qu’il doit s’agir de la vie d’autrui : le droit pénal français ignore la répression du meurtre de soi-même ou suicide (sui caedes) et il en déduit l’impunité du complice d’un suicide. Mais, au-delà de ces solutions très simples, il faut envisager dans toute leur ampleur les problèmes qui se posent, à cette occasion, en droit criminel.

Le suicide est un phénomène ancien et toujours actuel, qui a attiré l’attention des théologiens, des philosophes, des sociologues et des psychiatres. On en a étudié les diverses formes, les causes, les corrélations avec l’homicide ; ainsi la fameuse loi de Ferri, selon laquelle il y a un rapport inverse entre ces deux formes de l’agressivité : là où l’homicide se fait fréquent, les suicides deviennent rares, et inversement

Quelles attitudes les législations ont-elles adoptées à cet égard ? Si les civilisations antiques ont témoigné tantôt de la sévérité (droit grec), tantôt quelque indulgence, sous l’influence des philosophes (droit romain), l’influence du droit canon a conduit à une répression rigoureuse, allant jusqu’à l’organisation d’un procès au cadavre du suicidé qu’on privait de toute sépulture religieuse. La situation s’est considérablement modifiée depuis deux siècles, mais les attitudes varient selon qu’on envisage l’acte du suicidant, pour lequel le droit criminel consacre en général une attitude indulgente et même indifférente, et les agissements des tiers, dont le comportement est au contraire vu, assez fréquemment, avec défaveur.

1699. La situation du suicidant. — Peut-on ou doit-on punir l’acte suicidaire ? Ne vaut-il pas mieux, de toute façon, tenter une action préventive de tels actes ?

L’examen des droits positifs modernes enseigne que, presque partout, l’on a abandonné l’attitude ancienne de répression de l’acte suicidaire. L’Angleterre, elle-même, depuis le Suicide Act de 1962, ne fait plus du suicide un cas de murder. Aux arguments autrefois proposés au soutien d’une incrimination de l’homicide de soi-même (arguments religieux : « Tu ne tueras point » ; — arguments sociaux : on prive l’État d’un de ses citoyens, le suicidé est dangereux car il ne respecterait pas mieux la vie d’autrui que sa vie propre, la tentative de suicide est souvent un moyen de chantage sur l’entourage), on oppose que la répression est inefficace : la menace d’un emprisonnement ou d’une peine pécuniaire n’arrête pas celui qui veut en finir avec la vie : l’opinion publique actuelle, d’ailleurs, plaint celui qui se donne la mort plutôt qu’elle ne le blâme, et elle regarderait comme une barbarie de frapper un être humain déjà harcelé par les difficultés de la vie. Y a-t-il au surplus tellement de suicides librement décidés, et l’acte suicidaire n’a-t-il pas la traduction de troubles psychopathiques qui appellent des soins, plutôt qu’une répression ? Conclure que l’acte suicidaire doit échapper aux poursuites n’infirme pas le principe que la vie humaine demeure intangible : simplement, le droit pénal arrête ici son action parce qu’elle serait inutile.

Pourtant, même en droit français où la répression directe de l’acte suicidaire n’est pas possible, on parvient à en assurer parfois, indirectement, la sanction dans le cas bien connu du suicide à deux. À supposer que l’un des désespérés échappe à la mort, il pourra être poursuivi pour meurtre (ou assassinat) s’il a lui-même donné la mort à l’autre (3). Certains droits étrangers qui punissent la provocation ou l’aide au suicide (cf n° suivant) permettent également de poursuivre le survivant, s’il s’est borné à encourager l’autre à mourir ou l’y a aidé (4).

La prévention des actes suicidaires demeure lacunaire. Les restrictions apportées à la vente des armes ou des stupéfiants peuvent empêcher certains suicides ; de son côté, redoutant la contagion de l’exemple, l’article 39 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (mod. L. 28 nov. 1955) interdit toute publicité qui serait donné aux suicides des mineurs de dix-huit ans. On peut citer aussi l’action préventive spéciale qui s’exerce sur les intoxiqués (L. 31 déc. 1970, devenu art. L. 628-1, C. Santé publ.), les alcooliques dangereux pour autrui (L. 15 avril 1954, art. L. 355-2 et s., C. Santé Publ.), ou, à la limite, les mineurs en danger moral (art. 375 et s. C.C.). La prévention la plus efficace est celle qu’exercent certaines œuvres privées.

1700. Le suicide et les tiers. — Le droit pénal peut-il rester indifférent devant l’attitude de certains tiers qui aident au suicide d’autrui, ou dont le comportement négatif ou imprudent a entraîné ce suicide ?

On peut concevoir deux degrés dans la répression de la participation active des tiers. Beaucoup de législations ont décidé d’incriminer à titre spécial la provocation ou l’aide au suicide : c’est là un exemple de complicité - délit distinct, qui permet d’éviter l’impunité à laquelle conduit, en France, le système de la complicité -criminalité d’emprunt : peu importe que le provoqué n’ait finalement pas agi, ni tenté de se donner la mort. Le droit français ignore malheureusement une telle incrimination.

Mais on peut aller plus loin. Il est des cas où la victime a été quasiment contrainte de se suicider, sans que pourtant le tiers l’y ait ouvertement provoquée. Il s’agissait par exemple d’un enfant ou d’un débile, sur lequel le tiers exerçait une forte emprise psychologique : ou bien le suicidant a été l’objet de violences morales répétées et graves, ou a été trompé volontairement sur des faits importants (à un malade, on annonce qu’il est inguérissable). Ne faut- il pas dire, ici, qu’il y a plus qu’une simple incitation au suicide, mais un véritable meurtre ? On peut hésiter à aller jusque-là, de même qu’en droit français on refuse de retenir comme meurtre « l’homicide moral » (cf. infra n° 1703) (5).

Dans la pratique jurisprudentielle française, l’attitude négative ou imprudente des tiers, par rapport au comportement suicidaire d’un désespéré, a parfois donné lieu à des poursuites. Ainsi on a vu parfois retenir l’omission de porter secours contre celui qui n’avait pas empêché le suicide ou n’en avait pas arrêté à temps l’accomplissement (6), - ou un homicide par imprudence à la charge de celui dont la faute initiale avait entraîné le suicide de la victime (7).

1701. Le consentement de la victime : le duel. — De l’intangibilité de la vie humaine, il suit que nul ne peut déléguer à autrui, implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, un prétendu droit de disposer de sa propre vie. En conséquence, le duel comme l’euthanasie demeurent punissables. Mais ces questions méritent plus qu’une brève réponse de principe.

Interdit par des édits des XVIe et XVIIe siècles et réprimé avec la plus grande sévérité, le duel n’est plus incriminé depuis la Révolution. Du silence des textes intermédiaires et du Code pénal de 1810, la Cour de cassation avait d’abord conclu à l’impunité des combattants, en des arrêts solennels. Mais elle se déjugea quelques années plus tard, par une série encore plus importante de décisions des Chambres réunies ; la Chambre criminelle s’est immédiatement alignée sur la solution nouvelle (8).

Depuis le milieu du XIXe siècle, la solution est certaine : s’il provoque ou tend à provoquer la mort d’un des duellistes, le duel constitue un assassinat ou sa tentative ; s’il a pour but un simple échange de coups et doit s’arrêter dès que l’un des adversaires est blessé, on est en présence d’une infraction de coups et blessures volontaires, qualifié délit ou crime selon la gravité des résultats. En vain avait-on invoqué, contre cette solution rigoureuse, le consentement de la victime : il est sans valeur, car on ne peut disposer de sa propre vie ; — ou l’absence d’intention chez les duellistes : elle existe bien puisqu’ils accomplissent sciemment un acte interdit par la loi ; — ou une prétendue légitime défense, qui est exclue par le fait que les agressions réciproques sont simultanées, alors qu’une défense légitime consiste en une riposte à un acte antérieur.

De la position de principe admise par la jurisprudence, il suit que les témoins actifs du duel (ceux qui ont fourni les armes, organisé la rencontre, arbitré le combat) doivent être traités en complices des duellistes et punis des mêmes peines qu’eux. La victime du duel (ou sa famille en cas de décès) peut réclamer des dommages-intérêts à son adversaire et la pratique montre des exemples d’actions intentées à cet effet et couronnées de succès.

La sévérité théorique du droit français contraste avec l’indulgence dont les jurés d’assises ont souvent fait preuve envers les duellistes et leurs témoins accusés d’assassinat et de complicité : les acquittements souvent prononcés sur des poursuites criminelles sont choquants, comparés aux condamnations qui frappent en correctionnelle les combattants auteurs de simples coups et blessures. Le scandale, il est vrai, est devenu moins apparent, car les « duels à mort » ont presque disparu et les rencontres dont parlent parfois les journaux se traduisent d’ordinaire par des conséquences corporelles sans gravité.

C’est pourquoi il apparaît moins urgent, actuellement d’établir une législation spéciale de duel, qui imiterait celles de nombreux codes étrangers. Une réglementation sur ce sujet conduirait d’ailleurs à se demander s’il faut en faire une infraction contre la vie ou l’intégrité personnelle (c’est une solution fréquemment retenue par les droits étrangers), ou un délit de mise en danger de la personne (en ce sens, le droit allemand, d’après les auteurs d’Outre-Rhin), ou une infraction contre l’administration de la justice, ainsi que l’a décidé le Code pénal italien, ou enfin un délit contre la tranquillité ou l’ordre public, en raison du trouble social qu’il cause : la définition du duel et ses éléments constitutifs dépendraient du principe posé. Il faudrait également distinguer le duel « loyal » qui relèverait des dispositions spéciales à cette matière, et le duel conduit avec perfidie et déloyauté, qu’on devrait continuer à regarder comme un véritable assassinat. Peut-être enfin conviendrait-il d’incriminer la provocation au duel et l’acceptation du défi ? Il est vraisemblable qu’une intervention législative poserait plus de questions qu’elle n’en résoudrait.

1702. Le consentement de la victime : l’euthanasie. — Pas plus que le duel, l’euthanasie n’est admissible : le consentement de l’intéressé ne peut légitimer l’acte par lequel un tiers va lui procurer la mort. Mais le mot recouvre des situations diverses, qu’on ne peut apprécier toutes de la même façon.

Il est évident qu’on ne saurait accepter, sous aucun prétexte, ce qu’on appelle l’euthanasie eugénique ou politique. La protection d’une prétendue pureté de la race ne justifie pas l’élimination, même indolore, d’êtres appartenant à d’autres ethnies ; et l’on peut encore moins admettre que des motifs politiques puissent autoriser la disparition, systématiquement recherchée, d’adversaires d’un régime. De tels actes sont des assassinats, quels que soient les arguments qui ont pu être parfois développés pour les expliquer. Les exterminations massives pratiquées dans les camps nazis, pendant les années 1935 à 1945, montrent jusqu’à quelles aberrations monstrueuses peut conduire la déification de l’État et le mépris pour l’être humain (9).

La question se pose en des termes voisins pour l’euthanasie dite économique ou sociale, appliquée à des êtres qui, la plupart du temps, ne souffrent pas physiquement, mais dont la vie n’a aucun sens, et ne peut être qu’une charge pour eux, pour leur famille et pour la société (ainsi pour les anormaux mentaux, les monstres, les déficients). Là encore, la valeur suprême qu’est la vie humaine n’autorise personne à décider qu’une telle vie doit être arrêtée. Si, parfois, des verdicts d’acquittement ont clos les procès menés contre les auteurs de tels gestes, ils sont particulièrement regrettables, mais n’infirment nullement le principe. Admettre une solution différente conduirait à légitimer les pires abus, comme ceux qu’a commis, encore une fois, l’Allemagne nazie où, sur un ordre secret de Hitler, furent détruits plusieurs dizaines de milliers de malades mentaux entre 1939 et 1942.

Reste alors une hypothèse différente, à laquelle seule peut être vraiment appliquée l’appellation d’euthanasie (eu-thanatos : bonne mort)(10), et qu’on désigne parfois encore de l’expression « euthanasie par compassion ». On suppose ici, soit un être moribond, déjà inconscient, à qui l’on veut éviter une agonie dramatique, soit surtout un être parfaitement lucide, mais souffrant atrocement d’une maladie incurable et qui réclame qu’on abrège sa vie. Peut-on encore parler ici d’assassinat, quand un parent, un médecin, cédant aux prières du malade, lui donne la mort ? (11)

Un important courant de pensée, particulièrement dans les pays anglo-saxons, plaide en faveur de la licéité de cette forme d’intervention : la vie doit être sauvée, certes, et l’on doit faire l’impossible pour y parvenir ; mais si la vie est plus tragique que la mort, la lutte est inutile et le mourant peut revendiquer le « droit de mourir avec dignité ». Mais ce point de vue ne saurait être admis. Encore une fois, le médecin a pour fonction de chercher la guérison, de soigner autant qu’il est possible, et non de mettre fin à la vie ; si cet impératif n’avait pas constamment guidé le corps médical, la science aurait-elle autant progressé ? De plus, ne risquerait-on pas de transformer le médecin en un personnage suspect, aux yeux de ses malades, de vouloir leur apporter la mort, et non les soins qu’ils réclament ? À  quoi il faut ajouter, dans une perspective spiritualiste, que Dieu seul dispose de la vie, et que, d’autre part, la souffrance a une valeur surnaturelle que l’on méconnaît trop aisément dans le monde moderne matérialisé (12).

Le droit pénal français, pas plus que le droit anglais ou belge, ne légitime le meurtre euthanasique. Mais, dans les quelques procès qui ont conduit les auteurs de tels meurtres aux assises, les jurés se sont généralement montrés très indulgents et, souvent, ont prononcé des acquittements comme pour le cas précédemment examiné de l’euthanasie « sociale ». Plutôt que de maintenir la solution classique du meurtre ou de l’assassinat, avec le danger d’acquittements, divers législateurs étrangers ont préféré adopter un système moins rigide, consistant à incriminer l’euthanasie comme un fait à part, un meurtre atténué par l’excuse de pitié. En général, le délit d’euthanasie n’est retenu que si la victime a réclamé la mort, mais l’incrimination de meurtre reprend son empire si le coupable a agi sans avoir été sollicité, donc sans que la victime ait consenti (car des enfants difformes, anormaux)  ; plus rares sont les législations qui maintiennent l’incrimination modé-rée d’euthanasie quand la victime n’a pas consenti à sa propre mort.

B. — L’élément matériel

1703. La nécessité d’un acte positif de violence. — Selon la doctrine ordinairement soutenue, il n’y a de meurtre que si la mort de la victime peut être imputée à un acte positif accompli par le coupable. N’importe quel acte de violence suffit : emploi d’armes, de tous instruments quelconques, coups portés avec les mains ou les pieds, usage d’une force de la nature (par ex. déclencher une avalanche), etc. Pourtant le Code pénal a incriminé, comme des infractions spéciales, l’emploi du poison (crime d’empoisonnement, art. 301) ou d’actes de barbarie ou de tortures (assimilation à l’assassinat, art. 303). Peu importe que l’acte mortel ait été unique, ou que la mort ait été la conséquence d’actes successifs et répétés (13).

De l’affirmation qui précède, il résulte que seuls peuvent constituer l’élément matériel du meurtre des actes de violence physique. La violence purement morale (les « tortures morales ») ne peut être retenue, car il serait extrêmement difficile, voire impossible, de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre cette violence et la mort de la victime. Cette même difficulté a toujours conduit la doctrine française à affirmer qu’on ne saurait retenir et punir le meurtre commis par omission.

Certains droits étrangers sont sur ce point plus rigoureux : le droit anglais, par exemple, qualifie de murder l’omission entraînant la mort de la victime lorsque l’intéressé était tenu d’une obligation légale d’agir (protection d’enfants en bas âge ou d’incapables, obligation professionnelle de sécurité) ou s’était volontairement engagé à assumer certaines fonctions (ex. nourrir un paralysé). Sous l’influence de la doctrine allemande du XIXe siècle, quelques auteurs ont tenté de soutenir, notamment en matière de meurtre, la théorie de l’infraction de « commission par omission ». Leur effort n’a pas eu de succès. On peut même dire qu’il a été rendu vain par la création, en 1941, de l’incrimination de délits correctionnels spéciaux d’omission : l’abstention de porter secours, ou de dénoncer, ou d’empêcher la commission d’une infraction (art. 62 et 63 C.pén.), — et par les dispositions actuelles de l’article 312 du Code pénal qui, pour assurer plus efficacement la protection des mineurs de quinze ans, assimile aux coups et violences la privation de soins ou d’aliments.

L’exigence d’un acte positif de violence, dont on vient de détailler les conséquences, risque cependant de conduire à des impasses, spécialement en ce qui concerne l’aspect collectif du meurtre connu sous le nom de génocide. Lorsque le génocide résulte, non d’un ensemble d’actes positifs de mise à mort, accomplis sur une population donnée, mais de l’emploi de formes négatives, par exemple en affamant les victimes qu’on a parquées dans un camp ou sur un territoire dont elles ne peuvent s’échapper, ou en laissant des épidémies se développer, la répression ne va-t-elle pas se trouver désarmée ? Le meurtre résultant d’une omission volontaire ou de l’organisation systématique de conditions tendant à retirer à la victime, ou aux victimes, les conditions normales de vie ne devrait-il pas être assimilé au meurtre accompli par des actes positifs ? La question mérite d’être posée.

1704. — Le résultat de l’acte de violence. — L’incrimination de meurtre suppose, évidemment, que la victime est morte. Sans doute n’est-il pas nécessaire que le cadavre ait été retrouvé : une poursuite et une condamnation sont cependant possibles, mais la prudence la plus extrême s’impose alors, pour éviter une erreur judiciaire (14). Il n’est pas nécessaire non plus que la victime ait pu être exactement identifiée (Cass.crim. 15 mai 1946, Gaz.Pal. 1946 I 237).

Si le coupable n’a pas réussi à provoquer le décès de sa victime, la tentative de meurtre sera retenue contre lui. Encore faut-il que l’activité répréhensible ait dépassé le stade des actes préparatoires pour entrer dans la phase d’exécution. Et si l’intéressé n’a manqué son but que parce qu’il a employé des moyens inadéquats (arme déchargée à son insu par exemple), la tentative punissable sera juridiquement constituée, conformément au mouvement jurisprudentiel qui tend à écarter toute distinction dans la répression du délit impossible (Agen 8 décembre 1849, S. 1853 II 66, arme fortuitement déchargée) ; dans la pratique, cependant, on ne poursuit pas celui qui, par des incantations ou des sortilèges, croit pouvoir à distance tuer ses victimes : les jurés aimeraient mieux passer pour des esprits forts que pour des êtres crédules et acquitteraient l’accusés.

1705. Le lien de causalité. — Entre le décès de la victime et la violence homicide imputable au délinquant doit exister un rapport de causalité. Certains pays étrangers accordent une attention extrême à cette exigence : c’est le cas du droit criminel anglais qui, on le sait, se rattache, en matière de causalité, au système de l’équivalence des conditions (ou conditiosine qua non), entendu d’une façon très rigoureuse : les juges britanniques retiennent le murder lorsque, par exemple, la victime de coups volontaires est morte des suites de ses blessures, alors qu’elle avait refusé de se faire soigner et aurait, peut-être, été sauvée. Mais, pour éviter qu’on ne cherche à découvrir un meurtre dans les conséquences les plus lointaines des violences initiales, le droit anglais exige que le décès se soit produit, au plus tard, dans le délai d’un an et un jour après ces violences.

Les criminalistes français et, avec eux, la pratique jurisprudentielle, s’intéressent médiocrement à cette question, d’autant plus que l’assimilation de la tentative au meurtre consommé, comme c’est la règle en matière criminelle (art. 2 C.pén.) lui enlève une bonne part de son intérêt.

Plusieurs situations doivent être, en fait, distinguées. Il est évident, d’abord, qu’aucune incrimination de meurtre ne peut être retenue, si le coupable n’avait pas dirigé son activité illicite contre la personne décédée : si le témoin d’un hold-up meurt d’un arrêt cardiaque provoqué par l’émotion, le voleur ne sera pas regardé comme meurtrier (tout au plus songera-t-on à un homicide par imprudence). De même, on ne devra pas parler de meurtre, quand la victime des coups reçus est morte, non directement de ces violences, mais de complications nées de son mauvais état de santé ; mais ici, puisque les coups avaient été effectivement dirigés contre la victime, il sera possible de relever l’accusation de tentative de meurtre, s’il apparaît que le coupable était bien animé d’une intention meurtrière : peu importe que les blessures faites n’eussent pas été de nature à provoquer, à elles seules, la mort, dès lors qu’est prouvée cette intention.

En revanche, l’imputation d’une tentative de meurtre (et, a fortiori, d’un meurtre consommé) doit être écartée, si les coups volontairement portés n’étaient point, en eux-mêmes, susceptibles d’entraîner la mort et si rien, d’autre part, ne permet d’affirmer que le coupable eût été animé d’une intention meurtrière : en ce cas, on est en présence de l’incrimination de coups mortels (art. 311, C.pén.).

Le rapport de causalité ne peut donc être complètement apprécié que dans l’éclairage donné par l’élément intentionnel, dont il faut maintenant examiner le contenu.

C. — L’intention de donner la mort

Le meurtre suppose que le coupable est animé de la volonté de donner la mort à un être humain (animus necandi). L’intention meurtrière doit être précisée d’abord quant à son contenu, puis relativement à la preuve de son existence.

1706. Le contenu de l’intention. — L’intention de donner la mort est une caractéristique indispensable de l’infraction de meurtre. En son absence, il y aura peut-être homicide involontaire (art. 319 C.pén.), ou coups mortels (art. 311, C.pén.), ou même, à l’extrême limite, homicide casuel impunissable, si l’auteur du geste mortel n’avait pas conscience des conséquences dramatiques de l’acte qu’il accomplissait, ou s’il était le jouet de forces extérieures plutôt qu’un agent responsable.

Pour qu’on puisse parler de meurtre, il importe non seulement que le coupable ait voulu porter des coups ou faire des blessures à autrui, mais qu’en outre il ait su que, par là, il provoquerait la mort de sa victime. En d’autres termes, le résultat recherché s’est intégré à son intention. Pour exprimer cette situation, on dit que le meurtrier doit être animé d’une intention dolosive ou, mieux, que le meurtre suppose un dol spécial. Mais il ne faut pas confondre cette intention, tendue vers un certain résultat, avec la préméditation, qui est une intention réfléchie, mûrement élaborée dans le calme de l’âme, et dont la présence transforme le meurtre en assassinat (15).

On se heurte à d’épineuses difficultés quand on pousse plus loin l’analyse du contenu de l’intention. Dans la très grande majorité des cas, le meurtrier a voulu tuer, et a réussi à tuer, telle personne : il y a dol déterminé et le meurtre est juridiquement constitué. La même solution s’impose en cas de dol indéterminé, c’est-à-dire lorsque le coupable a voulu la mort d’un être humain quelconque, sans savoir à l’avance qui serait sa victime (ex. un individu tire sur une foule, ou dépose un engin explosif dans un lieu public) : l’indétermination du résultat ne fait pas disparaître la volonté de tuer, ni n’altère le lien de causalité. L’intention meurtrière consiste donc en la volonté consciente de donner la mort à un être humain, mais l’identité physique de la victime n’est pas une composante nécessaire de l’intention.

1707. Influence de la méprise ou de la maladresse sur l’intention. — La formule qui précède permet de résoudre aisément le problème de l’erreur sur la personne de la victime. Si le meurtrier tue A, croyant avoir affaire à B qu’il voulait faire disparaître, on ne retiendra pas une tentative de meurtre sur B et un homicide par imprudence sur la personne de A : on dira, plus simplement et plus exactement, qu’il y a meurtre consommé sur A, puisque le coupable a effectivement voulu la mort de l’être qui se trouvait devant lui et que l’identité de cet être est sans intérêt pour la consommation de l’infraction (16). D’où il suit que le complice qui a fourni les moyens de commettre le meurtre ou y a provoqué demeure punissable, malgré l’erreur commise par l’auteur principal.

La même solution doit prévaloir quand, par maladresse (aberratioictus, comme disent souvent les auteurs), le coupable a donné la mort à une personne autre que celle qu’il visait et voulait tuer : on retiendra contre lui le meurtre de la personne qu’il a effectivement homicidée(17). Mais, à la différence de ce qui a lieu en cas d’erreur sur la personne, il n’est pas discutable qu’on doive, ici, retenir en outre la tentative de meurtre sur celui que le coupable voulait tuer en effet si, dans sa maladresse, le meurtrier n’avait atteint personne, nul n’aurait douté qu’on pût retenir contre lui une tentative de meurtre : il serait choquant que cette tentative soit écartée dans le cas où il a, en outre, tué un tiers. Ce qui établit plus encore le bien fondé de cette solution; c’est le fait qu’on sera bien obligé de retenir la tentative dans le cas où, non content de tuer un tiers, le coupable aurait d’autre part blessé celui qu’il voulait tuer.

1708. Absence d’influence des mobiles sur l’intention. — Pas plus que dans la très grande majorité des autres infractions, le mobile n’a d’influence sur la criminalité du meurtre : le dessein de nuire, ou des mobiles plus spéciaux (la jalousie, l’amour, la haine, la vengeance, le désir de se débarrasser d’un témoin gênant) expliqueront peut-être la plus ou moins grande rigueur de la peine prononcée, mais sont indifférents pour la structure juridique de l’infraction.

À la différence des cas précédents, le meurtre politique a soulevé plus de difficultés, à la fois en droit interne et en droit international, en raison des tendances libérales qui, au XIXe siècle, ont marqué le régime des infractions politiques et dont les traces sont encore sensibles actuellement.

Sur le plan du droit interne, le caractère d’infractions de droit commun des meurtres perpétrés ou tentés soit sur des adversaires politiques, soit sur le chef de l’État, a toujours été affirmé par les juridictions françaises au cours des XIXe et XXe siècles(18). Ni le mobile proprement politique, ni non plus la connexité du meurtre avec des infractions elles-mêmes politiques (complot, insurrection), ni l’abrogation de la peine de mort en matière politique en 1848 n’ont infléchi la ligne suivie par la jurisprudence (19).

Son caractère d’infraction de droit commun fait que le meurtre politique est soumis aux règles procédurales ordinaires (compétence de la cour d’assises, application de la procédure de droit commun). Pourtant les troubles nés de la guerre d’Algérie avaient conduit à instaurer des règles spéciales de compétence et de procédure pour le jugement des infractions commises en relation avec ces troubles…

La règle très généralement admise par le droit international interdit l’extradition des infractions de nature politique. Mais elle souffre précisément dérogation en cas de meurtre politique.

Beaucoup de pays liés à la France par un traité d’extradition ont en effet souscrit la « clause belge » qui autorise la livraison de l’auteur d’un meurtre perpétré sur un souverain ou un chef d’État (même d’un État tiers) ou sur les membres de sa famille ; rares sont les traités qui l’ont limitée à la protection des seuls souverains ou chefs d’État, ou qui à l’inverse l’ont étendue aux membres du gouvernement. D’autres conventions vont beaucoup plus loin et permettent l’extradition, même si le meurtre politique est commis sur un citoyen quelconque.

Dans un domaine différent, celui de la guerre civile, la loi du 10 mars 1927 admet l’extradition pour tous les faits, donc pour les meurtres, qui constituent des « actes de barbarie odieuse », mais seulement quand la guerre civile a pris fin (art. 5-2°, al. 2) : on a voulu permettre plus aisément le châtiment de ce qu’on peut considérer comme de véritables crimes de guerre. Enfin ne sont pas non plus regardés comme politiques pour ce qui est de l’extradition le génocide et les actes de provocation, complicité ou tentative de génocide (art. 7 de la convention approuvée par l’O.N.U. le 9 décembre 1948 et publiée en France par le décret du 24 novembre 1950).

1709. La preuve de l’intention. — Il appartient à l’accusation d’établir contre l’individu poursuivi, l’intention homicide qui l’a animé. Mais la démonstration d’un processus psychologique est difficile et même impossible à établir directement, surtout si l’accusé soutient qu’il n’a commis qu’une imprudence ou une erreur en agissant comme il l’a fait. Il faut donc scruter les circonstances matérielles pour en conclure à l’existence ou à l’absence de l’intention.

On pourrait vouloir établir, en cette matière, des présomptions légales qui s’imposeraient aux juges. Le droit français a préféré, plus prudemment, laisser aux tribunaux le soin d’apprécier souverainement l’élément moral de meurtre. Dans la pratique, quand l’accusé soutient n’avoir pas agi dans le dessein de donner la mort, on recherchera l’intention dans les faits et les circonstances matérielles : emploi d’une arme meurtrière(20). ; acharnement du coupable, coups portés à des parties sensibles ou vitales du corps de la victime, attitude du coupable avant et après le drame. On admettra assez volontiers, en pareil cas, que le coupable avait dû, ou aurait dû prévoir les conséquences dramatiques de son geste et que leur prévisibilité « colore » sa psychologie. Mais il s’agit là de simples « présomptions d’intention homicide », que d’autres circonstances de fait peuvent neutraliser : ainsi, un coup de feu tiré dans la direction de la victime traduira peut-être la simple volonté d’effrayer, mais non de tuer (21).

Les affirmations de la Cour d’assises relativement à l’existence ou à l’absence de l’intention sont souveraines (22). En revanche le contrôle de la Cour de cassation s’exerce, soit sur les arrêts de renvoi aux assises rendus par les chambres d’accusation, soit sur les arrêts correctionnels statuant sur des poursuites pour coups et blessures volontaires. La Chambre criminelle annulerait la décision de mise en accusation qui affirmerait, en termes imprécis, l’existence d’une intention meurtrière sans l’étayer par des charges matérielles suffisantes, — ou l’arrêt correctionnel qui condamnerait pour coups volontaires un individu prévenu d’avoir, avec une arme à feu, blessé sa victime dans une partie vitale du corps, sans énoncer aucune circonstance matérielle de nature à faire échec à la présomption d’intention homicide découlant des faits constatés (Crim. 20 octobre 1955, B.C. n°415. Comp. Crim. 9 juillet 1897, précité).

§ 2 — LA RÉPRESSION DU MEURTRE SIMPLE

1710. Les sanctions pénales et civiles. — La peine principale du meurtre est, non la peine de mort, comme certains le pensent à tort, mais la réclusion criminelle à perpétuité (art. 304, al. 3, C.Pén.) [la réclusion criminelle de trente ans, art. 221-1 du Code de 1993]. Depuis l’ordonnance du 4 juin 1960, s’y ajoute, à titre de peine complémentaire obligatoire, la confiscation des armes, objets ou instruments qui ont servi à commettre le crime (art. 304, al. 4), applicable même si, par l’effet des circonstances atténuantes, la cour d’assises ne prononce contre le meurtrier qu’un emprisonnement correctionnel.

L’article 727 du Code civil frappe le meurtrier de l’indignité de succéder à celui à qui il a donné ou tenté de donner la mort : il serait profondément choquant que le meurtrier ou l’assassin puisse hériter de sa victime.

1711. Les causes de justification. — Les deux faits justificatifs que sont la légitime défense et, d’autre part, l’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime, trouvent en matière de meurtre et de coups et blessures volontaires leur terrain d’élection ; ils sont d’ailleurs mentionnés par le Code pénal [de 1810] dans les art. 327 à 329, à propos précisément des infractions contre l’intégrité corporelle et la vie humaine. Leur examen relève du droit pénal général ; quelques précisions particulières méritent seules d’être mentionnées ici.

L’usage des armes par les forces de police ou de gendarmerie, avec les risques de mort d’homme qu’il peut provoquer, n’est autorisé que dans quelques hypothèses énumérées par le décret du 22 juillet 1943 (mod. art. 174 du décret 20 mai 1903, portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie) : cas de violences, voies de fait ou de menaces par des individus armés ; défense nécessaire du terrain ou des postes occupés ; résistance impossible à vaincre autrement que par les armes ; fuite d’individus recherchés, malgré l’injonction « halte gendarmerie » et alors que l’emploi des armes est le seul moyen de les arrêter ; immobilisation de tous véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.

La justification des actes meurtriers accomplis en temps de guerre soulève de très graves problèmes, auxquels les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 et les coutumes de la guerre ont tenté d’apporter des réponses.

Pour le combattant qui, sur ordre ou de sa propre initiative, blesse ou tue des militaires ennemis au cours d’une action guerrière, la justification est évidente, et elle lui profite sans distinguer selon que la guerre est ou n’est pas juste, au sens que revêt cette expression en droit international ; mais l’acte meurtrier deviendrait pénalement répréhensible, s’il était accompli sur des soldats ennemis désarmés et qui se rendent, ou sur des prisonniers.

Quant aux populations civiles, elles sont placées sous la protection du droit de la guerre, à la condition qu’elles ne prennent pas part elles-mêmes aux combats. La question devient très délicate quand des civils se constituent en corps de partisans : la gamme est très variée de ces groupes qui vont des petites cellules pratiquant isolément des coups de main, sous le couvert de leur qualité de paisibles non-combattants, jusqu’aux groupements importants, militairement organisés et armés, et arborant des signes de reconnaissance qui leur tiennent lieu d’uniformes.

La prise d’otages, qui sont fusillés à titre de représailles, a toujours soulevé l’indignation de la conscience internationale. Le traité sur les prisonniers de guerre de 1929 interdisait déjà la prise d’otages parmi les combattants capturés. De son côté, la Convention de guerre de 1949 a, plus généralement, prohibé la pratique des otages que les Conventions de La Haye n’excluaient pas expressément.

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NOTES

(1) Il n’existe pas de critères médicaux et légaux de la mort qui soient absolument sûrs ; certains tissus meurent d’abord, d’autres plus tard : la mort ne serait pas un moment dans le temps, mais une période plus ou moins courte. On admet cependant que la mort clinique se caractérise par : la perte de toute vie de relation, l’absence totale de réflexes et l’atonie musculaire, l’arrêt de la respiration spontanée, l’effondrement de la pression artérielle et le tracé électro-encéphalographique totalement plat ; mais un de ces symptômes ne suffirait pas, à lui seul, pour affirmer la mort.

(2) En ce sens Paris, 9 avril 1946 (Rev.sc.crim. 1948.147, observ. Gulphe) : à quelques secondes d’intervalle, deux hommes avaient fait feu sur la même victime, mais, selon le médecin légiste, celle-ci était déjà morte quand le second coup de feu avait été tiré ; les apparences seules avaient fait croire au second meurtrier qu’elle avait échappé au premier coup. Pareillement, on dira meurtriers tous ceux qui, dans une même agression, se sont acharnés sur la victime, même s’il est établi que celle-ci a péri au premier coup assené.

(3) Cf. dans une poursuite pour omission de porter secours imputée à la survivante d’un pacte de suicide, et suivie d’un acquittement : Trib corr. Paris 27 juin 1968 (J.C.P. 1969.11.15278 note de Lestang, R.S.C., 1969.144 observ. Levasseur).

(4) En ce sens : Toulouse (Ch. acc.) 9 août 1973 (D. 1974.453).

(5) Le C. pén. de Russie soviétique de 1958 (art. 108) incrimine comme infraction spéciale le fait de conduire quelqu’un au suicide « en adoptant à son égard un comportement cruel ou en l’humiliant systématiquement dans sa dignité personnelle ».

(6) Trib. corr. Douai 20 décembre 1951 (Gaz.Pal. 1952.1.175) : condamnation ; Trib. corr. Paris 27 juin 1968, précité : acquittement. Comp. Crim. 23 avril 1971 (B.C. n° 116, Rev.sc.crim. 1972.114, observ. Levasseur).

(7) Crim. 24 nov. 1965 (D., 1966.104) : accident suivi, quelques semaines plus tard, du suicide de la victime, atteinte d’une dépression nerveuse; lien de causalité estimé suffisant ; Trib. corr. Lisieux 26 février 1937 (D.H., 1937.261) : revolver laissé à portée de la victime, lien de causalité trop vague. Adde Laplatte, Rec. dr. pén., 1964.277 et s.

(8) Malgré la résistance de certaines cours d’appel, la Cour de cassation affirma l’impunité du duel, notamment par trois arrêts des Chambres réunies : 4 déc. 1824 -deux arrêts- (B.C. n° 179 ; 8 août 1928 (B.C. n° 235). Ces décisions avaient été précédées d’au moins six arrêts conformes de la Chambre criminelle.

On ne compte pas moins de huit arrêts des Chambres réunies, témoignant du revirement : 2 février et 11 déc. 1839 (B.C. n° 35 et 375) ; 25 mars 1845 (B.C. n° 109, S. 1845.1.165) ; 22 août 1848 (S. 1848.1.630) ; 21 juillet 1849 (B.C. n° 172, S. 1849.1.529, D. 1849.1.181) ; 20 déc. 1850 -deux arrêts- (B.C. n° 427 et 430) ; 18 fév. 1854 (B.C. n° 43). On remarquera que les arrêts de la Cour de cassation, très nombreux jusqu’en 1856, cessent presque complè-tement après cette date : la longue résistance des cours d’appel était enfin brisée.

(9) Les médecins allemands auteurs de ces exterminations et poursuivis, en 1947 devant un tribunal américain siégeant à Nuremberg alléguèrent, pour leur défense, que le médecin doit, non seulement guérir, mais aussi chercher (d’où la licéité, affirmée par eux, des expérimentations qu’ils avaient pratiquées), et servir l’État et la race (ce qui expliquait qu’ils avaient obéi sans hésiter aux ordres reçus). Ces arguments traduisent une grave méconnaissance du rôle du médecin, qui est de respecter la vie et de lutter constamment pour la prolonger, et non d’y mettre un terme.

(10) Le terme a été inventé XVIe siècle par Bacon, pour qui le rôle du médecin consistait, non seulement à procurer l’adoucissement des douleurs en vue d’une guérison, mais également à conduire à une « mort calme et facile ».

(11) Il ne s’agit pas, ici, du médecin qui, sans chercher à donner la mort, se borne à administrer au mourant un médicament propre à atténuer ses souffrances, même si, indirectement, en raison des doses employées et rendues nécessaires par l’acuité de la douleur, ce médicament abrège de quelques heures ou de quelques jours la vie du malheureux. Le but principal n’est pas délictueux et ni la morale ni le droit n’y retrouveront à redire.

(12) Il ne saurait être question d’accepter la souffrance pour la souffrance ; l’Église encourage au contraire vivement les recherches tendant à écarter du monde la douleur, autant que faire se peut. Mais quand des souffrances sont inéluctables et impossibles à juguler par les moyens humains, elle interdit de décider d’y mettre fin par une décision qui n’appartient pas à l’homme.

(13) La Cour de cassation en a conclu que ces actes pouvaient avoir été accomplis en des lieux différents : Crim. 13 mai 1965 (B.C. n° 139) ; 9 juin 1977 (B.C. n° 211, R.S.C., 1978.97, obs. Levasseur). Comp. Crim. 1er juill. 1869, B.C. n°164) ; 25 janv. 1894, (B.C. n° 22).

(14) Si l’on apprenait plus tard que la prétendue victime est encore vivante, ce fait constituerait l’un des cas de révision prévus par l’art. 622 C.pr.pén. (ancien art. 443 C.I.C.)

(15) En conséquence, il peut y avoir volonté de tuer sans préméditation (meurtre ordinaire) et préméditation sans intention de tuer (ex. coups et blessures prémédités) : une cour d’assises ne se contredirait pas en niant l’une et en affirmant l’autre (Garraud, Traité de droit pénal, T.V, n° 1854).

(16) Garçon (Code pénal annoté, art. 295, nos 51 et s.) ; Garraud (Traité de droit pénal) T.V n° 1855 ; Vouin et Mme Rassat (Droit pénal spécial) T.I n°143. Levasseur (observations Rev.sc.crim., 1977 p.818. Adde la jurisprudence : Crim. 31 janvier 1835 (S. 1835.1.564 ; 12 juin 1879 (S. 1881.1.185) ; 18 février 1922, (B.C. n° 82) ; 13 janvier 1960, (B.C. n°15) ; 4 janvier 1978, B.C. n° 5, Rev.sc.crim. 1978.859, observ. Levasseur) ; Montpellier, 12 février 1947, (Gaz.Pal. 1947.1.220).

Il apparaît de même impossible de prétendre relever, en même temps qu’un meurtre sur A, une tentative de meurtre sur B : les coups portés à A, n’étant pas dirigés contre B ni de nature à provoquer sa mort à défaut d’un désistement volontaire, ne peuvent constituer un commencement d’exécution de cette tentative (Garraud, loc.cit.) ; Crim. 12 juin 1879, précité).

(17) Garçon (Code pénal annoté, art. 295, n°57 à 59). Cf. pour un cas curieux, jugé par la Cour d’assises de la. Seine le 20 avril 1901, dans lequel se combinaient l’erreur sur la personne et la maladresse : Garçon, loc. cit., n° 60 et s., affaire Vera Gelo (croyant voir A qu’elle voulait tuer, mais ayant affaire à B, la meurtrière avait tiré mais, manquant son but, elle avait blessé mortellement C).

(18) Pour les événements de 1848 et 1851, cf. Crim. 9 mars 1849 (D. 1849.1.60, concl. Dupin) ; 10 avril 1852 (D. 1852.1.188, S. 1852.1.580). Pour la répression de la Commune, Crim., 12 oct. et 9 nov. 1871 (S. 1871.1.178 et 270). Pour les attentats anarchistes : Crim. 25 janv. 1894 (B.C. n° 22 et C. Ass. Seine, 10 janvier et 29 avril 1894 (cités par Garçon, art. 100, n° 203). Pour l’assassinat du président Carnot par Caserio : C. ass. Rhône, 3 août 1894 (Gaz Trib. 3-4 août 1894), et pour celui du président Doumer par Gorguloff : Crim. 20 août 1932 (D.P. 1932.1.121, concl. Matter, Gaz.Pal. 1932.2.431). Comp. la même solution pour des coups et blessures : Crim. 12 mars 1969 (B.C. n° 116).

(19) Ni non plus l’existence de l’art. 86 C.pén. qui regardait comme crime de lèse-majesté et punissait comme parricide l’attentat contre la vie de l’Empereur. Dans l’affaire Gorguloff où ce texte était expressément invoqué, la Cour de cassation a considéré que la disparition du régime monarchique, en 1870, en avait entraîné l’abrogation tacite; le D.L. 29 juillet 1939 l’a définitivement fait disparaître.

(20) Emploi d’une arme blanche : Crim. 27 mars 1902 (B.C. n°125) ; d’une arme à feu : Crim. 9 juillet 1897 (B.C. n°327) ; 20 oct. 1955 (B.C. n°41) ; 6 novembre 1956, (B.C. n° 708).

(21) Crim. 15 avril 1899 (B.C n°84). Comp. Crim. 1er mai 1897 (D. 1897.1.472) ; 23 déc. 1921 (D. 1922.1.62).

(22) La Cour de cassation exige seulement que, dans son verdict, la cour d’assises affirme à la fois l’intention homicide et la culpabilité de l’accusé : Crim. 18 juin 1830 (B.C. n°177 ; 26 décembre 1834 (B.C. n° 414) ; 29 mai 1879 (B.C. n°107, S. 1880.1.439, D. 1880.1.189) ; sans la première, il y aurait homicide par imprudence et non meurtre; l’omission de la seconde signifierait peut-être que l’intéressé s’est trouvé en état de légitime défense, ou de contrainte, ou de démence. Est régulière la question reproduisant les termes de l’art. 295 C.pén. (« N. est-il coupable d’avoir volontairement donné la mort à P.? »), mais la formule n’a rien de sacramentel et peut être remplacée par des expressions équivalentes (Crim. 14 mars 1861, S. 1861.1.660).

N.BN’ayant pas reproduit la riche bibliographie proposée par l’auteur, afin d’alléger le texte, nous invitons les chercheurs à consulter l’ouvrage original.

Signe de fin