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L’HISTOIRE DU COFFRE-FORT

par SUTHERLAND ET CRESSEY (Principes de criminologie, éd. Cujas 1966)

La lutte pour le perfectionnement des techniques criminelles
et le perfectionnement des moyens de protection contre le crime.

Les criminels, tout comme la police, s’approprient les inventions de la technique moderne dans la mesure où elles peuvent les servir. Autrefois ils se déplaçaient à pied ou à cheval, plus tard à bicyclette, aujourd’hui ils roulent en voiture, et parfois volent en avion. Autrefois, ils étaient armés de gourdins, maintenant ils sont armés de pistolets, de mitraillettes ; certains malfaiteurs, appartenant à certains groupes raciaux ou nationaux, conservent la tradition du couteau ; criminels et policiers ont tous deux des gilets pare-balle et des voitures blindées. Les uns et les autres ont parfois recours aux gaz lacrymogènes et sont équipés de masques à gaz. Les kidnappeurs se servaient de sparadrap, encore pratiquement inconnu même des médecins il y a une cinquantaine d’années, pour aveugler, bâillonner et ligoter leurs victimes.

Lorsque la police imagine un moyen d’identifier ou de découvrir les criminels, ceux-ci inventent un moyen de se protéger. Quand la police commença à relever les empreintes digitales, les criminels se mirent à porter des gants et à essuyer les surfaces qu’ils avaient touchées. La police se sert de la radio pour indiquer aux voitures de police le lieu où un crime est en train de se commettre et les lancer à la poursuite des criminels. Les cambrioleurs bien équipés transportent leur propre récepteur à ondes courtes qu’ils règlent sur la bonne longueur d’onde pendant qu’ils sont à l’ouvrage et sont ainsi alertés aussi vite que la police. La police essaie de perfectionner des moyens sélectifs d’appels radiopho­niques de façon que ceux-ci ne soient entendus que des voitures de police, mais il faut s’attendre à ce que les criminels trouvent un moyen de parer à cette difficulté supplémentaire si cette invention voit le jour.

L’histoire du coffre-fort fournit l’un des meilleurs exemples de cette alternance du perfectionnement des techniques criminelles et des techni­ques de protection contre le crime. Les coffres-forts, il y a soixante-dix ans, étaient fermés par une clé. Les voleurs de coffre-fort professionnels apprirent à forcer les serrures; on inventa alors les serrures à combinai­son. Les criminels fabriquèrent un levier leur permettant d’arracher le fuseau de la combinaison. Lorsque des perfectionnements furent appor­tés de façon à les en empêcher, les cambrioleurs percèrent des trous dans le coffre-fort pour y introduire de la poudre ou de la dynamite. Les fabricants firent alors des coffres-forts capables de résister aux forets, mais les cambrioleurs se munirent de forets d’une puissance supérieure. Les fabricants utilisèrent des métaux plus résistants dans la fabrication des coffres-forts ; les cambrioleurs eurent recours à la nitroglycérine, que l’on peut introduire dans des fentes minuscules sur le pourtour de la porte, là où il est impossible d’introduire de la dynamite ou de la pou­dre. Les fabricants inventèrent alors des coffres dont la fermeture était si parfaite qu’une simple feuille de papier suffisait à en empêcher le fonctionnement, ce qui rendit impossible d’introduire de la nitroglycé­rine dans les fentes. Les cambrioleurs adoptèrent alors la technique de la torche oxy-acétylénique qu’ils dirigeaient contre le coffre-fort, et les fabricants inventèrent un alliage à l’épreuve de la torche. A un moment donné, les cambrioleurs se mirent à kidnapper les banquiers et à les obli­ger à ouvrir leur coffre, considérant que c’était plus facile que d’em­ployer des moyens mécaniques. Pour y parer, on inventa un système de serrure réglée de telle façon que les hommes d’affaires eux-mêmes ne pouvaient ouvrir leur coffre avant une heure déterminée. De même lors­que les fabricants rendirent les coffres-forts trop difficiles à ouvrir, les cambrioleurs se mirent à les déménager. Les fabricants construisirent des coffres-forts très lourds pour que l’on ne puisse les déplacer, et les banques créèrent des dépôts de nuit qui évitaient aux hommes d’affaires de garder de l’argent dans leurs propres coffres-forts moins imposants. Les fabricants firent aussi l’essai de coffres-forts dont s’échappaient des gaz ou d’épais nuages de fumée lorsqu’on les perçait. Les cambrioleurs s’équipèrent alors de masques à gaz. Récemment, on inventa une serrure électronique, mais l’inventeur déclara qu’il y aurait certainement quelqu’un pour trouver bientôt le moyen de la forcer (14). Cette évolution des techniques a donné alternativement l’avantage à l’un et l’autre camp. Lorsque les techniques de protection étaient en avance, certains perceurs de coffres-forts se tournaient vers d’autres opérations. A mesure que la technique criminelle se perfectionnait, elle faisait des adeptes et le nombre des perceurs de coffres-forts augmentait.

La tendance de ces trente dernières années a été de substituer le vol à main armée (robbery) au cambriolage (burglary). En effet, un gang de criminels peut atteindre une banque en voiture, s’y précipiter armé jusqu’aux dents, rafler en quelques minutes tout ce qui s’y trouve et fuir précipitamment. On cherche actuellement des moyens de parer à cette forme de crime. Des boutons secrets sur lesquels on appuie pour appe­ler des gardiens, ou pour libérer des gaz ont été utilisés. On tente de photographier automatiquement la scène de façon à identifier les ban­dits. En général, dans les grandes banques, les dispositifs de protection tant contre les hold-up que contre les cambriolages sont si perfectionnés que les criminels préfèrent s’attaquer aux banques de moindre importance qui ne peuvent s’offrir un équipement aussi coûteux bien que le butin escompté y soit moins important que dans les autres banques qui sont de véritables forteresses. Au cas où les petites banques amélioreraient leurs dispositifs de protection, les criminels se retourneraient contre les autres entreprises industrielles ou commerciales dépourvues d’une protection suffisante. De même que les dispositifs de protection dictent le choix et l’évolution des techniques criminelles et le choix des types d’infraction, les méthodes utilisées par les criminels influent sur le développement, des techniques de protection.

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