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UN « CRIMINEL-NÉ »,
PARRICIDE,MATRICIDE ET EMPOISONNEUR :
LEROI DE VALINES

Extrait du T.XI des « Causes célèbres, curieuses et intéressantes » Paris 1774
De Nicolas-Toussaint Le Moyne des Essarts

« Criminel-né », l’expression est de Lombroso.
Mais les anciens criminalistes avaient déjà observé
que des individus naissent dépourvus de sens moral,
et versent dans la délinquance sans que l’on puisse déceler,
ni l’influence du milieu familial ou social,
ni tout simplement les mauvaises fréquentations.

LES FAITS

Nous avons dit en parlant de l’assassinat faussement imputé aux dame et demoiselle de Fornel, qu’il n’est point de scélérat qui ait débuté dans la carrière du vice par une action atroce, méditée et commise de sang-froid ; que ce n’est que par degrés et en contractant l’habitude du crime, que ces monstres dont les noms déshonorent l’humanité, sont parvenus à ne plus connaître de frein , et à pouvoir se livrer à ces attentats dont l’idée seule nous fait frémir.

Nous parlions alors d’après la marche ordinaire de la nature, d’après les sentiments qu’elle a coutume de graver dans tous les cœurs. Mais l’affaire que nous avons à discuter est la preuve que la nature oublie quelquefois les règles qu’elle s’est prescrites, et laisse échapper des monstres de ses mains.

Charles-François-Joseph Leroi de Valines n’avait pas encore seize ans, lorsqu’au commencement d’octobre 1762, il commet un vol avec effraction intérieure dans la maison d’un Chanoine de la ville d’Aire en Artois.

Il demeurait avec ses père et mère au château de Valines. Le 30 juin de la même année, après-midi, son père, qui n’avait mangé que très peu à déjeuner et à dîner, est successivement attaqué de tranchées, de maux de tête, de maux d’estomac, de vomissements et de cours de ventre. Vers minuit son mal redouble ; il est forcé d’aller à la selle, environ quarante fois. Il meurt le 2 juillet sur les six heures du matin. Son fils l’exhorte à la mort : il lui présente un Crucifix, et l’invite à soulager ses douleurs par le souvenir de celles qu’a souffertes volontairement le Dieu qui est mort pour nous. La garde, et ceux qui restent après le décès, remarquent qu’il sort un sang fétide de la tête du cadavre.

Le 25 du même mois, la dame de Valines éprouve les mêmes symptômes que son mari : tranchées violentes, maux de tête, maux d’estomac, vomissements, cours de ventre. Le Médecin arrive ; mais la dame de Valines venait d’expirer : il ne put juger, par les symptômes, du principe de la maladie. Elle fut inhumée sans aucune précaution, comme son mari l’avait été, et leur fils se mit en possession de leurs successions.

Le 13 septembre suivant, le sieur Demay de Vieulaine, oncle maternel de Leroi de Valines, invite à dîner chez lui le sieur de Riencourt, gentilhomme du voisinage, sa femme et son fils, qui était alors Page de la Reine. Il avait en même temps invité la demoiselle Demay de Bonnelles sa sœur, le Curé de la Paroisse, et la demoiselle de Lucet ; en sorte que les convives, y compris le maître et la maîtresse du logis, devaient se trouver au nombre de neuf, Leroi de Valines étant du nombre des conviés. Il se rend chez son oncle ; mais il annonce qu’il n’y dînera pas, parce qu’il veut aller à Longpré.

On fait des efforts pour le déterminer à rester ; on lui représente qu’il quitte toute sa famille et ses amis réunis, pour aller dîner dans un lieu où il n’était point attendu. Il persiste dans son refus, sous prétexte d’une affaire. Il déjeune avec le jeune de Riencourt, qui fut obligé de partir avant dîner pour Versailles, où son service l’appelait.

Leroi de Valines entre dans la cuisine, et ordonne plusieurs fois à la cuisinière d’aller dans un jardin assez éloigné lui chercher de l’oseille pour nettoyer ses boucles de deuil. Elle y va enfin ; il reste seul dans cette cuisine, pendant que la fille faisait sa commission. Elle lui apporte ce qu’il avait demandé ; il frotte ses boucles comme par manière d’acquit, et part pour Longpré.

On se met à table au nombre de sept : le sieur de Vieulaine sert la soupe : le sieur de Riencourt est servi le premier ; il avait faim, et mange avec avidité ; les autres se récrient sur le goût âcre qu’ils trouvent à la soupe.

Ces circonstances effraient le sieur de Vieulaine qui, s’étant servi le dernier, s’abstient d’en manger ainsi que son épouse. Le sieur de Riencourt se plaint de douleurs d’entrailles ; on voit subitement paraître les mêmes symptômes qui avaient accompagné la mort des sieur et dame de Valines. Les autres convives sont plus ou moins atteints du même mal, suivant l’ordre où ils avaient été servis, et la quantité de potage qu’ils avaient mangée. On soupçonne le poison ; on court au remède ; plusieurs sont soulagés ; mais le sieur de Riencourt meurt presque sur le champ dans les douleurs les plus aiguës.

Un événement si funeste ne peut manquer d’éclater promptement.

L’INSTRUCTION

Le Procureur du Roi d’Abbeville rend plainte, et requiert, sur le champ, le transport du Juge à Vieulaine. On y dresse des procès-verbaux de l’état du cadavre du sieur Riencourt, et des accidents extérieurs que l’on observe aux malades. Le corps de délit est constaté, il est reconnu que le poison est la cause de ces funestes effets.

On informe ; une multitude d’indices dénoncent le coupable. On découvre que Leroi de Valines a acheté du poison en différents temps voisins de la mort de ses père et mère, et dernièrement le 24 août, cinq semaines à peu près avant le délit qui donnait lieu à l’instruction : on constate tous les détails de la conduite qu’il avait tenue le matin de cette fatale journée, tels que nous venons de les rapporter. Il est décrété de prise de corps.

L’examen de la procédure donne lieu à d’autres soupçons. On se rappelle le genre de mort des sieur et dame de Valines ; et l’on approfondit la conduite du fils : un goût décidé pour la dépense, réalise dans tous les esprits le désir qu’il avait de jouir promptement des biens qui devaient lui revenir par voie de succession. On est frappé des achats multipliés de poison ; on est instruit qu’il y en avait au château de Valines avant, et lors du décès des père et mère ; les symptômes de leur maladie, joints à ces circonstances, tout pouvait le désigner comme coupable de leur mort.

Le Procureur du Roi rend plainte de ce fait par addition. Le bruit public charge l’accusé de différents vols ; et ces vols sont encore dénoncés dans la plainte.

On exhume les cadavres des sieur et dame de Valines : les Médecins et Chirurgiens, chargés d’en faire l’examen, aperçoivent dans l’intérieur des taches livides, des épanchements de sang ; mais ces accidents peuvent appartenir également au poison et à la putridité ; et, dirent- ils, comme il y a trop longtemps que les cadavres sont inhumés, que d’ailleurs ils ignorent les symptômes des maladies qui ont précédé leur mort, ils ne peuvent savoir si le poison en en la cause.

Mais il est certain que, si le corps de délit n’a pas été constaté par un procès-verbal, il pouvait l’être par les charges. On a donc continué l’instruction sur ce chef d’accusation, et l’on a acquis la preuve des circonstances que nous avons rapportées plus haut. Il a été prouvé en outre que les père et mère sont morts d’une maladie qui, à la juger par les signes extérieurs était la même dans les deux sujets. Pendant qu’ils étaient dans les douleurs qui ont causé leur mort, le Chirurgien du lieu écrivit au sieur Hecquet, Médecin et lui détailla les accidents. Ce Médecin ne les vit pas de ses yeux, puisque la mort de la dame de Valines avait précédé son arrivée ; mais, entendu en témoignage, il représenta la lettre du Chirurgien, et déclara que les symptômes qui y étaient décrits pouvaient provenir de poison corrosif.

Or il était prouvé qu’au moment du décès du père, il y avait de l’arsenic au château de Valines, et que cet arsenic avait été à la disposition de l’accusé. D’ailleurs, les discours rapportés par les témoins et ses réponses aux interrogatoires combinés ensemble, contiennent de sa part l’aveu du crime. Il avait dit d’abord lui-même que sa mère était morte empoisonnée ; il avait dit ensuite que sa mère avait éprouvé le même genre de mort que son père : la conséquence nécessaire était que le poison les avait fait mourir l’un et l’autre. On l’interroge sur ces aveux. Il convient avoir dit que sa mère est morte empoisonnée ; mais il ajoute que c’est pour avoir pris du lait dans une casserole mal étamée. La fille de basse-cour lui est confrontée ; elle dénie le fait.

Deux autres traits le chargeaient de plus en plus. Un jour, depuis la mort du père, la dame de Valines ordonnait à son fils de s’aller coucher plus tôt qu’il ne le voulait ; il lui répondit brusquement : «  Cela ne durera pas toujours ; je serai bientôt mon maître ». Enfin sa mère expirante lui dit, dans les accès les plus violents de sa douleur : « Tu es un malheureux , tu es cause de ma mort ».

LE JUGEMENT

Le 27 mars 1764, par sentence du Lieutenant Criminel d’Abbeville, l’accusé fut déclaré atteint et convaincu : 1° d’avoir volé avec effraction chez un Chanoine de la ville d’Aire ; 2° d’avoir empoisonné, avec de l’arsenic jeté dans la soupe, au château de Vieulaine, le sieur de Riencourt, qui en est décédé le même jour ; et d’avoir attenté à la vie des sieur et dame de Vieulaine, de la demoiselle Demay de Bonnelle, ses oncle et tantes, du sieur Darras, Curé de Vieulaine, de la dame de Riencourt, de la demoiselle Lucet, de Catherine Routier, cuisinière des nommés Desmarets, cocher du sieur de Vieulaine, et Desvignes, serrurier ; 3° déclaré véhémentement soupçonné d’avoir pareillement procuré, avec de l’arsenic, la mort de la feue dame de Valines sa mère. En conséquence il est condamné à être rompu vif et jeté ensuite au feu ; ses biens confisqués au profit du Roi ou de qui il appartiendra ; et si la confiscation n’a pas lieu au profit de Sa Majesté, il sera prélevé une amende de 600 livres, et la somme de 300 pour prier Dieu pour le repos de l’âme du sieur de Riencourt.

Sur l’appel, M. le Procureur Général se rendit appelant a minima. Catherine Routier, cuisinière du sieur de Vieulaine, pendant l’instruction du procès, présenta une requête à la Cour, par laquelle elle demanda que l’accusé fût condamné envers elle en 6.000 livres, ou telle autre somme qu’il plairait à la Cour d’arbitrer, pour dommages et intérêts résultant de l’état fâcheux et de l’incapacité de servir où elle se trouve réduite par le fait de l’empoisonneur. Le fils du sieur Riencourt demanda 30.000 livres pour réparation de la perte qu’il avait faite au décès de son père, mort empoisonné. Le Curé de la paroisse de Vieulaine forma aussi sa demande en réparations civiles, pour raison des infirmités que le poison lui avait occasionnées.

Par un Arrêt rendu au Parlement de Paris le 22 août 1764, la Grand’Chambre assemblée, la Sentence d’Abbeville fut infirmée en certains chefs. M. le Procureur Général est reçu appelant a minima, et cet appel ne pouvait frapper que sur la disposition qui se bornait à déclarer Leroi de Valines véhémentement suspect d’avoir empoisonné sa mère, sans statuer sur l’accusation qui concernait celle du père. Car, relativement au vol avec effraction et à l’attentat commis à Vieulaine, l’Arrêt reprend les mêmes dispositions que celles qui sont contenues dans la Sentence ; mais la Cour a jugé que, dès qu’il y avait suspicion véhémente sur une accusation de matricide, il fallait nécessairement pousser les recherches plus loin.

Elle a pensé que ce jugement était encore irrégulier, par le silence absolu qu’il gardait sur l’empoisonnement du père.

Voilà sans doute les motifs qui ont déterminé l’appel a minima : aussi l’Arrêt, en réformant la Sentence, ordonne-t-il qu’avant l’exécution le coupable sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir, par sa bouche, la vérité de certains faits.

Cette manière de prononcer mérite attention. Il est d’usage, quand on ordonne que le condamné sera appliqué à la question avant d’être conduit au supplice, de déclarer que c’est pour avoir « révélation de ses complices » ; ce motif est même ordinairement le seul qui donne lieu à faire subir cette peine au condamné. Ce n’est pas pour avoir l’aveu de son crime ; il en est tellement convaincu, qu’il est condamné à la mort. Il n’y avait, dans le procès de Leroi de Valines, aucune trace de complicité ; il était prouvé qu’il était seul coupable, et que personne n’avait eu part ni au projet ni à l’exécution.

Aussi la Cour ne dit-elle pas qu’elle cherche, en lui faisant donner la question, à trouver des complices ; elle veut seulement éclaircir « la vérité de certains faits » ; et quels peuvent être ces faits ? ce sont ceux dont sa religion n’est pas pleinement instruite. Elle soupçonne que ce montre a empoisonné son père et sa mère ; elle veut s’en convaincre, et l’événement a justifié sa prévoyance.

« Interrogé, au premier coin, s’il n’est pas vrai qu’il ait empoisonné son père… est convenu d’avoir fait périr son dit père par le poison arsenical, qu’il a pris sur la cheminée dans la chambre de son dit père ; lequel poison il a mis, de sa propre main, dans un bouillon qu’il a fait prendre à son dit père dans un gobelet d’argent ; que son père est mort le lendemain matin du jour qu’il lui avait fait prendre ledit bouillon ; qu’il l’a exhorté à la mort, en lui présentant le Crucifix, et qu’enfin il l’avait empoisonné pour jouir plus promptement de son bien ».

Il est également convenu « d’avoir empoisonné sa mère avec du poison arsenical, lequel poison aurait été mandé par sa mère au nommé Turle, pour empoisonner des rats ; qu’alors ayant déjà conçu le dessein abominable d’empoisonner sa mère, il se saisit d’un paquet d’arsenic qu’il fut chercher lui-même chez ledit Turle ; que muni de ce paquet d’arsenic, il en prit le quart qu’il enveloppa dans un papier séparé, pour l’usage auquel il le destinait ; après quoi il replia le reste du paquet, qu’il remit en mains de sa dite mère, qu’ensuite il employa la partie qu’il avait réservée, qu’il mit dans un bouillon qu’il présenta lui-même à sa dite mère ; convient aussi que sa dite mère, se trouvant incommodée des effets du poison, elle lui reprocha, dans ses douleurs, en présence de Fanchon Duchesne qu’il était l’auteur de sa mort ».

Relâché de la question, et interrogé de nouveau, il persiste dans sa déclaration.

Les aveux de ce monstre prouvent que l’unique objet de ses crimes était de se procurer promptement les successions que la loi lui destinait lorsque la nature aurait disposé des personnes dont il était désigné l’héritier. Nulle considération ne mettait obstacle à l’exécution de ses abominables projets ; et si la Justice n’eût arrêté, dès le principe, les effets de ce fléau, on l’eût vu exterminer tous ceux dont la proximité du sang aurait intercepté des successions dignes de sa cupidité, pour ensuite faire subir le même sort à ceux mêmes dont il se serait ainsi rendu l’héritier présomptif. On aurait vu même tomber sous ses coups tous ceux dont la mort lui aurait été inutile, mais que les circonstances ne lui auraient pas permis d’épargner.

Ainsi, pour avoir les successions de son oncle et de sa tante de Vieulaine, il ne fait pas difficulté d’envelopper dans l’arrêt de mort qu’il a prononcé contre eux, sept autres personnes desquelles il n’avait aucune succession à attendre...

Le même Arrêt accorde 3.000 livres de dommages et intérêts à la cuisinière, 30.000 livres au sieur de Riencourt et 1.000 livres au Curé.

[Quant à la dévolution des successions] intervint un arrêt sur délibéré au Parlement de Paris, le 12 février 1766, qui déclara Leroi de Valines indigne des successions paternelle et maternelle du moment même de la mort de ses père et mère, déclara qu’elles avaient passé immédiatement sur la tête des collatéraux les plus proche.

Signe de fin