PROCÈS FAIT JADIS à UNE « SORCIÈRE »
par B. Warée
(Curiosités judiciaires, Paris 1859)
Jean Chenu, jurisconsulte, né à Bourges en 1559 et mort en 1627, bailly de la sénéchaussée de Brécy en Berry, a inséré dans la deuxième centurie de ses Questions notables, une pièce d’un grand intérêt historique, intitulée Sortilège, Procès fait en 1616 à des sorciers, en la châtellenie de Brécy.
En sa qualité de bailli, Chenu dirigea la procédure, et fit imprimer lesinterrogatoires des accusés, au nombre de dix-huit. Nous en extrairons celui subi par la Silvine de la Plaine, femme Mainguet. Cette procédure incroyable commence par cet exorde :
La mécroyance de certains juges a rendu jusqu’à ce temps le crime de sortilège comme impuni, et cette impunité a fait que le nombre des sorciers a merveilleusement multiplié, et a donné une telle licence au diable, que, par le moyen de ses suppôts, il a infecté une grande partie de la chrétienté, et tanquam serpensirrepens, s’est glissé jusque dans les meilleures villes; et,au lieu que les sorciers se tenaient séparés dans les montagnes désertes et retirées, ils ont pris place partout, et habitent les lieux les plus peuplés (1).
Interrogatoire de la femme Mainguet,
après lui avoir demandé ses noms et profession, etc.
Demande. - Si elle a été au sabbat avec son mari, combien de temps y a-t-il qu’elle y a été ?
Réponse. - Qu’elle ne sait ce que c'est, et n’y entra jamais.
D. - Si son mari ne lui a pas menée ?
R. - Après avoir été longuement pensive, qu’elle n’y a été qu’une seule fois, et ne sait comme elle y fut transportée, et qu’étant dans son lit avec son mari, furent transportés à un carrefour au-dessous de Billeron, sur le chemin allant aux Aiz.
D. - En quelle forme était le Diable audit lieu du sabbat ?
R. - Qu’il était comme un grand homme noir monté sur un grand cheval noir, descendit de son cheval, lorsqu’ils furent assemblés, et tenait son cheval par sa bride, lequel rongeait son frein fort haut.
D. - Ce qu’elle fit étant audit lieu du sabbat ?
R. - Que les autres l’allaient adorer tenant une chandelle en leurs mains, et qu’il lui en fut donné une par quelqu’un dont elle ne se ressouvient, et fut à l’adoration comme les autres, et baisa le Diable au cul, ainsi que les autres faisaient, puis dansèrent tous. Le Diable menait le branle et tenait la femme Perrin de la Grange par la main, puis le Diable connut charnellement toutes les femmes qui y étaient, et elle aussi ; qu’il commença par la veuve Chassignat (la plus hideuse qui put être au sabbat, annote Chenu), puis la femme dudit Perrin, et successivement toutes les autres après ; la marqua en deux endroits, l’un droit sur le coronal de la tête, joignant l’os pital; ainsi qu’il nous est apparu, l’ayant fait décoiffer en notre présence, et encore en présence d’Estienne Robinet, maître barbier et chirurgien, que nous avons mandé exprès.
D. - Si depuis le Diable l’a connue charnellement ?
R. - Qu’il l’a connue une autre fois, qui fut le premier dimanche des présents mois et an, et que jamais depuis ni auparavant il ne l’a connue, et qu’il a le membre fait comme un cheval; en entrant est froid comme glace, jette la semence fort, froide; et en sortant la brûle comme si c’était du feu ; qu’elle y reçut tout mécontentement, que lorsqu’il eut habité avec elle au sabbat, un autre homme qu’elle ne connaît, fit le semblable en présence de tous.
D. - En quel temps elle fut transportée au sabbat ?
R. - Que ça été depuis la Saint-Michel dernière et vers Noël.
D. - Si c’est son mari qui l’a menée ?
R. - Qu’il lui en parla le premier, et qu’elle ne songeait pas à y aller lorsqu’elle fut transportée ; ne peut dire comment fut fait ledit transport.
D. - Si son mari s'aperçut quant le Diable eut affaire avec elle, le premier dimanche des présents an et mois ?
R. - Que oui, et que le Diable se vint coucher auprès d’elle fort froid, lui mit la main sur le bas-ventre, dont elle, effrayée, en ayant averti son mari, il lui dit ces mots : Taise-toi, folle, taise-toi.
D. Si son dit mari vit bien quand le Diable eut affaire à elle au sabbat, ensemble quand un autre la connut charnellement ?
R. - Que oui, -et que quand ils sont audit lieu, ils se mêlent les uns les autres en présence de tous, et habitent pêle-mêle, sans prendre garde si c’est du mari à la femme.
D. - Qui sont ceux qu’elle a vus audit sabbat ?
R. - Qu’elle n’y a jamais été qu’une fois, et a vu François Perrin de la Grange, sa femme, Denis Forges, Silvain Boirot, Pierre Lochet, François Loches et sa femme, Gilbert Roy, et plusieurs autres dont elle ne peut dire le nom à présent.
D. - Si audit lieu du sabbat il se fait quelque festin ?
R. - Que oui, et qu’il semble que ce soit des noces, l’on y sert de plusieurs viandes, que, de sa part, elle n’en mangea point, sinon une poire que sa maîtresse la Perrine de la Grange lui donna, lui disant : Tiens, ma chambrière, mange cela, et de fait en mangea, mais que cela ne lui sembla rien auprès des poires ordinaires qu’elle a coutume de manger en sa maison.
D. - Quelles autres cérémonies on leur fait faire audit lieu du sabbat ?
R. - Que le Diable les fait mettre à genoux, et leur présente à chacun un petit morceau de pain fort noir ; comme si c’était la communion, sinon qu’il ne leur met pas dans la bouche, mais dans la main ; et pour elle qu’elle ne le mangea point, mais le jeta par les chemins.
D. - Si, après le sabbat fait, le Diable la remporta dans sa maison ?
R. - Que sitôt que le coq eut chanté la première fois, le Diable s’évanouit, disparut, et elle se trouva dans son lit.
Nous lui avons montré une lampe qui n’a point de dessus, dans laquelle il y a quelques graisses de plusieurs couleurs, mêlées, comme blanc, jaune, rouge, vert, bleu et noir, et plusieurs autres couleurs.
D. - Interrogée si elle connaissait ladite lampe et graisse.
R. - Qu’elle la reconnaissait, et qu’elle était sur le manteau de la cheminée lorsqu’elle fut amenée prisonnière.
D. - A quoi sert ladite graisse ?
R. - Qu’elle s’en sert quand il faut aller au sabbat, s’en graisse le filet des reins, puis sort dehors, trouve le Diable monté sur un gros cheval, sur lequel il la met en trousse, la porte au sabbat, puis après le chant du coq le Diable la remet promptement en trousse, et la reporte promptement où il l’a prise : qu’elle ne sait si son mari s’aide de la même graisse, parce que ordinairement elle s’en va la première au sabbat, et qu’elle ne lui en a jamais parlé.
D. - Comme elle est avertie quand le sabbat doit se tenir ?
R. - Que c’est le Diable qui lui vient dire, étant en forme de chien noir fait comme un barbet, et parle à elle en cette forme.
D. - A quel sujet elle s’est faite sorcière ?
R. - Que c’était pour avoir de l’argent; et de fait que le Diable lui avait promis de l’en aider, quand elle en aurait affaire, et néanmoins ne lui en a jamais donné.
Ce fait nous avons mandé le procureur de Monsieur, qui, après avoir pris communication du présent interrogatoire, a dit que ci-devant sur son réquisitoire a été ordonné par notre lieutenant que ladite Mainguet serait rasée par tous les endroits de son corps, où il y aura poil, et visitée pour reconnaître si elle a aucune marque du Diable, super-naturelle ; pour exécuter ladite ordonnance, a fait venir Estienne Robinet, maître-barbier, chirurgien, pour procéder au rasement de la susdite, pour connaître si elle a aucune marque du Diable ; laquelle Mainguet s’est offerte, et a voulu par ledit être rasée ; à quoi ledit Robinet a fait refus, disant qu’il nous prie de l’excuser, parce qu’il avait autrefois recherché une de ses filles en mariage, ce que ouï par ladite Mainguet, elle a dit : Robinet, mon ami, tiens, je le veux, fais-moi ce plaisir, j’aime mieux que ce soit toi qu'un autre.
En suivant ce, et notre ordonnance, a ledit Robinet commencé à raser ladite Mainguet par le poil de la tête, et continué par les autres parties de son corps où il a poil, rogné les ongles jusque au vif des mains et pieds. Ce fait, nous avons pris et reçu le serment dudit Robinet ; lequel par serment nous a juré et affirmé n'y avoir reconnu autres marques que les suivantes … nous a aussi ledit Robinet, sur ce enquis, dit ne pouvoir dire d’où procèdent lesdites marques, et si sont marques du Diable ou autrement, sauf qu’il lui semble ne venir de nature, et néanmoins que celles qui sont à la tête sont semblables aux autres marques qu’il a reconnues en faisant le rasement et visitation sur le corps des six autres accusés.
Des faits résultants de cet interrogatoire, la femme Mainguet, son mari, et Antoinette Brenichon, furent condamnés par Chenu, et sa sentence confirmée au Parlement de Paris, à être pendus et étranglés, leurs corps morts brûlés et consumés en cendres, leurs biens confisqués. L’exécution eut lieu le 30 mai 1616. Le procès-verbal, dressé par Chenu, apprend que ces misérables, après avoir été confessés par des dominicains et capucins, à l’échelle et la corde au cou, ledit Chenu interpella longuement chacun d’eux de déclarer ses complices, et de quelles façons, si c’était avec graisse, poudres, qu’ils faisaient mourir les bestiaux …
NOTES :
(1) De temps immémorial, il s’exécutait une cérémonie superstitieuse la nuit du vendredi au samedi saint à la Sainte-Chapelle. A minuit, tous les possédés du diable qui voulaient en être guéris s’y rendaient ; le grand chantre les touchait avec du bois de la vraie croix; aussitôt leurs hurlements cessaient, les contorsions s’arrêtaient, et ces possédés rentraient dans leur calme. Les incrédules prétendaient que ces énergumènes n’étaient autres que des mendiants payés pour jouer un tel rôle, et qu’on exerçait de longue main, pour entretenir parmi les fidèles la croyance d’un miracle subsistant depuis tant de siècles, et propres à les affermir dans leur foi ébranlée par Voltaire, Diderot et autres sectaires de la philosophie moderne. Ce spectacle, dégoûtant par l’espèce d’individus qui s’y présentaient, attirait un grand concours de curieux ; il a été supprimé, non sans résistance et effusion de sang, le 13 avril 1781.