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PROCÈS FAITS JADIS AUX ANIMAUX

par Émile Agnel
(Curiosités judiciaires et historiques du Moyen-âge, Paris 1858)

Parlons d’abord des procès poursuivis contre les animaux devant la justice criminelle ordinaire.

Comme on le voit encore de nos jours dans certaines localités, les porcs et les truies, au moyen âge, couraient en liberté dans les rues des villages, et il arrivait souvent qu’ils dévorassent des enfants; alors on procédait directement contre ces animaux par voie criminelle. Voici quelle était la marche que suivait la procédure.

On incarcérait l’animal, c’est-à-dire le délinquant, dans la prison du siège de la justice criminelle où devait être instruit le procès. Le procureur ou promoteur des causes d’office, c’est-à-dire l’officier qui exerçait les fonctions du ministère public auprès de la justice seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable. Après l’audition des témoins et vu leurs dépositions affirmatives concernant le fait imputé à l’accusé, le promoteur faisait ses réquisitions, sur lesquelles le juge du lieu rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays.

Du treizième au seizième siècle, les fastes de la jurisprudence et de l’histoire fournissent de nombreux exemples sur l’usage de cette procédure suivie contre des pourceaux et des truies qui avaient dévoré des enfants, et qui, pour ce fait, étaient condamnés à être pendus. Nous mentionnerons à ce sujet les sentences et exécutions suivantes :

- Année 1266. — Pourceau brûlé à Fontenay-au:-Roses, près Paris, pour avoir dévoré un enfant.
- Septembre 1394. — Porc pendu à Mortaing, pour avoir tué un enfant de la paroisse de Roumaigne.
- Année 1404. — Trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour avoir tué un enfant dans son berceau.
- 17 juillet 1408. — Porc pendu à Vaudreuil pour un fait de même nature, conformément à la sentence du bailly de Rouen et des consuls, prononcée aux assises de Pont de-l’Arche tenues le 13 du même mois.
- 24 décembre 1414. — Petit pourceau traîné et pendu par les jambes de derrière, pour meurtre d’un enfant, suivant sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.
- 14 février 1418. — Autre pourceau coupable du même fait et pendu de la même manière, en vertu d’une sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.
……….

Les jugements et arrêts en cette matière étaient mûrement délibérés et gravement prononcés; voyez ce passage d’une sentence rendue par le juge de Savigny, le 10 janvier 1457; il s’agit d’une truie :

... C’est assavoir que, pour la partie demanderesse, avons cité, requis instamment en cette cause, en présence dudit défendeur présent et non contredisant, pourquoi nous, juge, avons dit, faisons savoir à tous que nous avons instruit et donné notre sentence définitive en la manière qui suit; c’est assavoir que le cas est tel qu’il a été proposé par la partie demanderesse, et duquel appert à suffisance, tant par témoins que autrement. Aussi conseil tenu avec sages et praticiens, et aussi étant considéré en ce cas l’usage et coutume du pays de Bourgogne, ayant Dieu devant les yeux, nous disons et prononçons pour notre sentence définitive et à droit et à icelle notre dite sentence ; déclarons la truie de Jean Bailli, alias (autrement dit) Valot pour raison du meurtre et homicide par icelle truie commis... devoir être pendue par les pieds du derrière à un arbre, etc.

L’exécution était publique et solennelle; quelquefois l’animal paraissait habillé en homme. En 1386 une sentence du juge de Falaise condamna une truie à être mutilée à la jambe et à la tête, et successivement pendue pour avoir déchiré au visage et au bras et tué un enfant. On voulut infliger à l’animal la peine du talion. Cette truie fut exécutée sur la place de la ville, en habit d’homme ; l’exécution coûta dix sous et dix deniers tournois, plus un gant neuf à l’exécuteur des hautes oeuvres. L’auteur de «  l’Histoire du duché de Valois », qui rapporte le même fait, ajoute que ce gant est porté sur la note des frais et dépens pour une somme de six sous tournois, et que, dans la quittance donnée au comte de Falaise par le bourreau, ce dernier y déclare qu’il s’y tient pour content et qu’il en tient quitte le roi notre sire et ledit vicomte. Voilà une truie condamnée bien juridiquement ! (1)

Nous trouvons aussi dans un compte du 15 mars 1403 les détails suivants sur la dépense faite à l’occasion du supplice d’une truie, qui fut condamnée à être pendue à Meulan pour avoir dévoré un enfant :

Pour dépense faite pour elle dedans la geôle, six sols parisis ;
Item, au maître des hautes oeuvres, qui vint de Paris à Meulan faire ladite exécution par le commandement et ordonnance de nôtre dit maître le bailli et du procureur du roi, cinquante-quatre sols parisis;
Item, pour voiture qui la mena à la justice, six sols parisis;
Item, pour cordes servant à la lier et hâler, deux sols huit deniers parisis ;
Item, pour gants, deux deniers parisis.

En octroyant des gants au bourreau; on voulait sans doute, d’après les mœurs du temps, que ses mains sortissent pures de l’exécution d’une bête brute.

Un compte de 1479, de la municipalité d’Abbeville, nous apprend qu’un pourceau également condamné pour meurtre d’un enfant fut conduit au supplice dans une charrette; que les sergents à masse l’escortèrent jusqu’à la potence, et que le bourreau reçut soixante sous pour sa peine.

Pour une semblable exécution faite en 1485 à Tronchères, village de Bourgogne, le carnassier (le bourreau) reçut également une somme de soixante sous.

Les formalités étaient si bien observées dans ces sortes de procédures, que l’on trouve au dossier de l’affaire du 18 avril 1499, ci-dessus mentionnée, jusqu’au procès-verbal de la signification faite au pourceau dans la prison où l’on déposait les condamnés avant d’être conduits au lieu d’exécution.

On procédait aussi par les mêmes voies judiciaires contre les taureaux coupables de meurtres. Dans la poursuite on observait des formalités identiques avec celles que nous venons d’indiquer. Écoutons l’auteur de «  l’Histoire du duché de Valois », qui rapporte le fait suivant :

Un fermier de village de Moisy laissa échapper un taureau indompté. Ce taureau ayant rencontré un homme, le perça de ses cornes; l’homme ne survécut que quelques heures à ses blessures. Charles, comte de Valois, ayant appris cet accident au château de Crépy, donna ordre d’appréhender le taureau et de lui faire son procès. On se saisit de la bête meurtrière. Les officiers du comte de Valois se transportèrent sur les lieux pour faire les informations requises; et sur la déposition des témoins ils constatèrent la vérité et la nature du délit. Le taureau fut condamné à être pendu. L’exécution de ce jugement se fit aux fourches patibulaires de Moisy-le-Temple. La mort d’une bête expia ainsi celle d’un homme.

Ce supplice ne termina pas la scène. Il y eut appel de la sentence des officiers du comte, tenus pour juges incompétents, au parlement de la Chandeleur de 1314. Cet appel fut dressé au nom du procureur de l’hôpital de la ville de Moisy. Le procureur général de l’ordre intervint. Le Parlement reçut la plainte du procureur de l’hôpital, pour cas de saisine et de nouvelleté, contre les entreprises des officiers du comte de Valois. Le jugement du taureau, condamné à mort, fut trouvé fort équitable ; mais il fut décidé que le comte de Valois n’avait aucun droit de justice sur le territoire de Moisy, et que ses officiers n’auraient pas dû y instrumenter.

Cette condamnation n’est pas la seule de cette espèce. En 1499 un jugement du bailliage de l’abbaye de Beaupré, ordre de Citeaux, près de Beauvais, rendu sur requête et information, condamna à la potence jusqu’à mort inclusivement un taureau pour avoir par furiosité occis un jeune fils de quatorze à quinze ans, dans la seigneurie du Cauroy, qui dépendait de cette abbaye.

Les chevaux étaient aussi poursuivis criminellement à raison des homicides qu’ils avaient commis. Les registres de Dijon constatent qu’en 1389 un cheval, sur l’information faite par les échevins de Montbar, fut condamné à mort pour avoir occis un homme.

Dès le treizième siècle Philippe de Beaumanoir, dans ses Coutumes du Beauvoisis, n’avait pas craint de signaler en termes énergiques l’absurdité de ces procédures dirigées contre les animaux à raison des homicides qu’ils avaient commis. Ceux, disait-il, qui ont droit de justice sur leurs terres font poursuivre devant les tribunaux les animaux qui commettent des meurtres; par exemple lorsqu’une truie tue un enfant, on la pend et on la traîne; il en est de même à l’égard des autres animaux. Mais ce n’est pas ainsi que l’on doit agir, car les bêtes brutes n’ont la connaissance ni du bien ni du mal; et sur ce point c’est justice perdue : car la justice doit être établie pour la vengeance du crime et pour que celui qui l’a commis sache et comprenne quelle peine il a méritée. Or le discernement est une faculté qui manque aux bêtes brutes. Aussi est-il dans l’erreur celui qui, en matière judiciaire, condamne à la peine de mort une bête brute pour le méfait dont elle s’est rendue coupable; mais que ceci indique au juge quelle est, en pareille circonstance, l’étendue de ses droits et de ses devoirs.

Cependant les critiques du célèbre jurisconsulte ne furent point écoutées, et ce mode de poursuites continua à être suivi dans tous les procès de cette espèce, qui devinrent si nombreux du quatorzième au seizième siècle.

En effet, aux époques dont nous parlons, la jurisprudence, se basant d’ailleurs sur l’autorité des livres saints, avait adopté l’usage d’infliger aux animaux des peines proportionnées aux délits dont ils étaient convaincus.

On pensait que le supplice du gibet appliqué à une bête coupable d’un meurtre imprimait toujours l’horreur du crime, et que le propriétaire de l’animal, ainsi condamné était suffisamment puni par la perte même qu’il faisait de cet animal. Telles étaient les idées de nos pères sur le point qui nous occupe; mais elles se modifièrent progressivement. En effet, à partir de la seconde moitié du seizième siècle, les annales de la jurisprudence ou les historiens ne nous offrent plus d’exemples de condamnations capitales prononcées contre des bœufs ou des pourceaux, à raison du meurtre d’un homme ou d’un enfant. C’est qu’à cette époque on avait presque renoncé à ce mode de procédure aussi absurde que ridicule contre les animaux, et que pour la poursuite des faits dont ils s’étaient rendus coupables, on était revenu aux seuls et vrais principes sur cette matière, en condamnant à une amende et à des dommages-intérêts le propriétaire de l’animal nuisible. On ne faisait plus le procès à la bête malfaisante, on ordonnait purement et simplement qu’elle fût assommée.

Au quinzième et au seizième siècle, dans certains procès où figurait un homme accusé d’avoir commis avec un animal un crime que nous ne pouvons désigner, l’homme convaincu de ce crime était toujours condamné à être brûlé avec l’animal qu’il avait eu pour complice, et même on livrait aux flammes les pièces du procès, afin d’ensevelir la mémoire du fait atroce qui y avait donné lieu Quelquefois l’animal était étranglé avant d’être mis sur le bûcher, faveur que n’obtenait pas le principal accusé.

Un jurisconsulte fort renommé, Damhoudère, qui fut conseiller de Charles-Quint aux Pays-Bas et qui publia vers le milieu du seizième siècle un traité sur le droit criminel, y soutenait encore que,, dans les circonstances dont il est question, l’animal, bien que dénué de raison et n’étant pas coupable, devait cependant être condamné à la peine du feu, parce qu’il avait été l’instrument du crime.

Il parait que cette pratique fut modifiée au dix-huitième siècle, car dans un arrêt rendu par le Parlement de Paris, le 12 octobre 1741, on remarque que le coupable seul fut condamné au feu. L’animal fut tué et jeté dans une fosse recouverte ensuite de terre.


NOTES :

(1) Les juges s’appuyaient, dans les procès dirigés contre des animaux, sur un texte de l’Ancien testament (Exode 21, 28) qui dispose : Si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on n’en mangera pas la viande.

(2) Dans une quittance délivrée le 10 octobre 1408 par un tabellion de la vicomté de Pont de l’Arche au geôlier des prisons de cette ville, les frais de nourriture journalière d’un pourceau, incarcéré pour cause de meurtre d’un enfant, sont portés au même taux que ceux indiqués dans le compte pour la nourriture individuelle de chaque homme alors détenu dans la même prison.

(3) Warée, dans ses « Curiosités judiciaires », évoque les cas suivants :

1120 – Mulots et chenilles excommuniés par l’Évêque de Laon.
1314 – Les juges du comté de Valois firent le procès à un taureau qui avait tué un homme à coups de cornes, et le condamnèrent, sur la déposition des témoins, à être pendu ; la sentence fut confirmée par arrêt du Parlement le 7 février 1314.
1394 – Porc pendu pour avoir meurtri et tué un enfant, en la province de Roumaigne, vicomté de Mortain.
1451 – Sangsues excommuniées par l’Évêque de Lausanne, parce qu’elles détruisaient les poissons.
1474 – Coq condamné à être brûlé, par sentence d’un magistrat de Bâle, pour avoir pondu un œuf.
1488 – Becmares (charançons) : les grands vicaires d’Autun mandent aux curés des paroisses environnantes de leur enjoindre, pendant les offices et processions, de cesser leurs ravages et de les excommunier.
1497 – Truie condamnée à être assommée pour avoir mangé le menton d’un enfant du village de Charonne. La sentence ordonna en outre que les chairs seraient coupées et jetées aux chiens, et que le propriétaire  et sa femme feraient un pèlerinage à Notre-Dame de Pontoise le jour de la Pentecôte.
1499 – Taureau condamné à la potence par jugement du bailliage de Beauprès (Beauvais) pour avoir, en fureur, occis un jeune homme.
1500 – Sentence de l’official contre les charançons et les sauterelles qui désolaient le territoire de Millieze.
1585 – Le grand vicaire de Valence fait citer les chenilles devant lui, leur donne un procureur pour les défendre, et finalement les condamne à quitter le diocèse.

Signe de fin