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PROCÈS DE MADAME ROLAND
devant le tribunal révolutionnaire
18 brumaire an II – 8 novembre 1793

Document extrait de l’ouvrage de Wallon,
« Histoire du tribunal révolutionnaire »

I - Arrestation et interrogatoire

Il y avait une victime que l’on devait attendre au tribunal après les Girondins; c’était Mme Roland.

Mme Roland était vraiment l’âme du parti girondin et les montagnards ne s’y trompaient pas. Elle avait été arrêtée au milieu même des événements du 31 mai, dès le 1er juin, avant le décret rendu contre principaux membres de la Gironde. J’ai parlé ailleurs de ses prisons. La dernière fut la Conciergerie. Elle y fut. transférée le 10 brumaire (31 octobre), le jour même de l’exécution des Girondins.

Le lendemain, 11 brumaire, elle était interrogée par le juge David, en présence de Lescot-Fleuriot, substitut de l’accusateur public. La minute en existe dans son dossier ; et elle-même en a fait dans ses Mémoires un récit qui rend la vie, et son vrai caractère en même temps, à la scène reproduite en résumé par le greffier :

On me fait d’abord, .dit-elle, de longues questions sur ce qu’était Roland avant le 14 juillet 1789; qui était maire à Lyon lorsque Roland fut municipal ? etc. - Je satisfais à ces questions par l’exact exposé des faits ; mais je remarquai dès là même qu’en me demandant beaucoup de choses, on n’aimait pas que je répondisse avec détails. Après quoi, sans transition, l’on me demanda si, dans le temps de la Convention, je ne voyais pas souvent tels députés, et l’on dénomma les proscrits et les condamnés; si je n’ai pas entendu, dans leurs conférences, traiter de la force départementale et des moyens de l’obtenir. J’avais à expliquer que je voyais quelquefois quelques-uns de ces députés comme des amis avec lesquels Roland et moi nous étions liés du temps de l’Assemblée constituante ; quelques autres par occasion, comme connaissances et amenés par leurs collègues, et que je n’avais jamais vu plusieurs d’entre eux; que d’ailleurs il n’y avait jamais eu chez Roland de comités, ni de conférences, mais qu’on y parlait seulement, en conversations publiques, de ce dont s’occupait l’Assemblée, et de ce qui intéressait tout le monde. La discussion fut longue et difficile, avant que je pusse faire inscrire mes réponses; on voulait que je les fisse par oui et par non; on m’accusa de bavardage; on dit que nous n’étions pas là au ministère de l’intérieur pour y faire de l’esprit; l’accusateur public et le juge, le premier surtout, se comportèrent avec la prévention et l’aigreur de gens persuadés qu’ils tiennent un grand coupable, et impatients de le convaincre. Lorsque le juge avait fait une question et que l’accusateur public ne la trouvait pas de son goût, il la posait d’une autre manière, l’étendait et la rendait complexe ou captieuse, interrompait mes réponses, exigeait qu’elle fussent abrégées c’était une vexation réelle. J’ai été retenue environ trois heures, ou un peu plus, après lesquelles on a suspendu l’interrogatoire, pour le reprendre le soir, disait-on.

A la fin de ce premier interrogatoire, le juge lui présenta différentes pièces qu’elle reconnut et signa, et plusieurs pouvaient fournir à l’accusation des armes redoutables : par exemple, la lettre qu’elle écrivait à Lauze-Duperret en lui faisant passer son interrogatoire de l’Abbaye, lettre où elle exprimait une si vive sollicitude pour les Girondins proscrits, notamment pour Buzot :

Si toute communication n’est point encore interdite avec nos amis détenus, dites-leur que l’injustice qu’ils éprouvent est la seule qui m’occupe. Quoi! ce peuple aveuglé laissera donc périr ses meilleurs défenseurs ?

Ce pauvre Buzot décrété d’accusation ! Est-il vrai qu’il soit arrivé ? Mais que me sert de faire des questions ? Vous ne pouvez me répondre, et vous ferez bien de brûler ce billet d’une main prétendue suspecte.

Une autre au même, sans date, où elle disait

Mes amis et ma patrie sauvés, que m’importe le reste ? Dès que les premiers sont en sûreté et que la majorité des députés, jugeant l’état des choses, se dispose à l’améliorer, je n’ai plus d’inquiétudes ni de regrets, etc.

Et d’autre part les lettres des Girondins fugitifs, qui témoignaient tant d’intérêt pour elle. Dans une lettre où Barbaroux traçait à Lauze-Duperret la conduite à suivre par les députés restés à Paris pour rallier les départements dans la résistance à la révolution du 31 mai, il lui recommandait de tâcher de voir Mme Roland et de lui porter des consolations dans sa prison (Evreux, 13 juin)

Dans une autre (Caen, 15 juin), il lui disait encore :

Oh! fais tes efforts pour la voir et lui dire que les vingt-deux proscrits, que tous les hommes de bien partagent ses maux.

Enfin il y avait des lettres de Duperret à elle-même, qui l’associaient aux Girondins dans l’espoir d’une prochaine revanche :

Dormez et rêvez que vos ennemis sont sous la roche Tarpéienne… Les trois quarts au moins des départements se sont déjà prononcés de la manière la plus forte pour renverser le thronne de l’anarchie. Les plus grandes mesures se prennent entre eux pour opérer cette heureuse révolution qui, j’espère, va être la dernière.

Ajoutez plusieurs lettres des Girondins, de Barbaroux ou de Gorsas, et d’autres pièces touchant la prise d’armes de Caen, de Bordeaux et de Marseille, pièces qu’on avait négligé de produire dans le procès des Girondins, et qu’on réunissait ici, quoiqu’elle n’y fût nommée en aucune sorte, pour l’en accabler.

L’interrogatoire ne fut repris que deux jours après. Le grand grief, c’étaient ses liaisons avec les Girondins, et notamment avec Lauze-Duperret. On insistait sur la contradiction qu’il y avait entre le peu de relations qu’elle disait avoir eues avec lui, et les lettres qu’elle lui avait écrites ou en avait reçues. Elle en dit l’occasion, et signala ce fait qu’à l’époque où avait commencé cette petite correspondance, il n’y avait point de ce qu’on appelait révolte ou rébellion ; et continuant elle-même dans ses Mémoires son interrogatoire sous la forme officielle :

Demande. Quels étaient avec lui nos amis communs.

Réponse. Particulièrement Barbaroux.

D. Si je n’avais pas connaissance que Roland, avant son ministère, eût été du comité de correspondance des Jacobins.

R. Oui.

D. Si ce n’était pas moi qui me chargeais de la rédaction des lettres qu’il avait à faire pour le comité ?

R: Que je n’avais jamais .prêté mes pensées à mon mari, mais qu’il pouvait avoir quelquefois employé ma main.

D. Si je ne connaissais pas le bureau de formation d’esprit public, établi par Roland pour corrompre les départements, appeler une force départementale, déchirer la République suivant les projets d’une faction liberticide, etc., et si ce n’était pas moi qui dirigeais ce bureau ?

R. Que Roland n’avait point établi de bureau sous cette dénomination et que je n’en dirigeais aucun; qu’après le décret de la fin d’août, qui lui ordonnait de répandre des écrits utiles, il avait affecté à quelques commis le soin de les expédier, qu’il mettait du zèle à l’exécution d’une loi dont l’observation devait répandre .la connaissance et l’amour de la Révolution; qu’il appelait cela la correspondance patriotique, que ses propres écrits, loin d’exciter à la division, respiraient tous le désir de concourir au maintien de l’ordre et de la paix.

D. Observé que je déguiserais en vain la vérité, comme il paraissait évidemment, par toutes mes réponses, que je voulais faire ; que sur la porte de ce bureau même, il y avait une ridicule dénomination, et que je n’étais pas assez étrangère aux opérations de mon mari pour l’avoir ignorée; qu’inutilement je voudrais justifier Roland, et qu’une fatale expérience n’avait que trop appris le mal qu’avait fait ce perfide ministre, en répandant des calomnies contre les plus fidèles mandataires du peuple, et soulevant les départements contre Paris.

R. Que loin de déguiser la vérité, je m’honorais de lui rendre hommage même au péril de ma vie; que je n’avais jamais vu l’inscription dont on me parlait; que j’avais remarqué, au contraire, dans le temps, que cette dénomination se répandait dans le public, qu’elle n’était pas employée dans les états imprimés des bureaux du département de l’intérieur. Quant aux attributions injurieuses faites à Roland, je n’opposais que deux faits : le premier, ses écrits, qui tous renfermaient les meilleurs principes de la morale et de la politique; le deuxième, l’envoi qu’il faisait de tous ceux imprimés par ordre de la Convention nationale, et son exactitude à faire expédier ceux des membres de cette Assemblée qui passaient pour être le plus en opposition.

D. Si je savais à quelle époque Roland avait quitté Paris, et où il pouvait être ?

R. Que je le sache ou non, je ne dois ni ne veux le dire.

D. Observé que cette obstination à déguiser toujours la vérité montrait que je croyais Roland coupable; que je me mettais en rébellion ouverte contre la loi; que j’oubliais les devoirs d’accusée, qui doit toujours sur tout la vérité à justice, etc.

L’accusateur public, qui posait cette question, continue-t-elle, eut soin de la charger, comme toutes celles qu’il se mêlait de faire, d’épithètes outrageantes, et d’expressions qui sentaient la colère. Je voulus répondre; il requiert de m’interdire les détails; et lui et le juge, cherchant à se prévaloir de l’espèce d’autorité que leur donnaient leurs fonctions, employèrent tous les moyens pour me réduire au silence ou me faire parler à leur gré. Je m’indignai; je dis que je me plaindrais en plein tribunal de cette manière vexatoire et inouïe d’interroger; que je ne m’en laisserais point imposer par l’autorité ; que je reconnaissais, avant tout ce que les hommes avaient institué, la raison et la nature; et me tournant du côté du greffier :

Prenez la plume, lui dis-je, et écrivez :

Un accusé ne doit compte que de ses faits et non pas de ceux d’autrui. Si, durant plus de quatre mois, on n’eût pas refusé à Roland la justice qu’il sollicitait si vivement en demandant l’apurement de ses comptes, il n’aurait pas été dans le cas de s’absenter, et je ne serais pas dans le cas de taire sa résidence, en supposant qu’elle me fût connue. Que je ne connaissais point de loi au nom de laquelle on pût engager à trahir les sentiments les plus chers de la nature.

Ici l’accusateur public, furieux, s’écria qu’avec une telle bavarde on n’en finirait jamais, et il fit clore l’interrogatoire.

Que je vous plains! lui dis-je avec sérénité. Je vous pardonne même ce que vous me dites de désobligeant; vous croyez tenir un grand coupable, vous êtes impatient de le convaincre; mais qu’on est malheureux avec de telles préventions! Vous pouvez m’envoyer à l’échafaud; vous ne sauriez m’ôter la joie que donne une bonne conscience, et la persuasion que la postérité vengera Roland et moi, en vouant à l’infamie ses persécuteurs.

On me dit de choisir un défenseur; j’indiquai Chauveau, et je me retirai, en leur disant d’un air riant : Je vous souhaite, pour le mal que vous me voulez, une paix égale à celle que je conserve, quel que soit le prix qui puisse y être attaché.

Cet interrogatoire s’est fait dans une salle dite du Conseil, on était une table autour de laquelle étaient rangées plusieurs personnes qui paraissaient être là pour écrire, et qui ne faisaient que m’écouter. Il y eut beaucoup d’allants et de venants, et rien ne fut moins secret que cet interrogatoire.

II - Procès

Elle ne devait plus tarder à paraître devant le tribunal. Depuis longtemps elle y était appelée, comme complice des Girondins, par le Père Duchesne; et plusieurs des articles de ce journal pouvaient être considérés comme autant de violents réquisitoires qui concluaient à sa mort. La sentence qui frappait les Girondins l’atteignait d’ailleurs directement. Aussi l’acte d’accusation que rédigea contre elle Fouquier-Tinville était-il d’une brièveté dédaigneuse. Il rappelait que le glaive de la loi venait de frapper les principaux chefs de la conspiration.... Que d’autres « avaient su jusqu’à présent, par une lâche fuite, se soustraire à la punition de leurs forfaits; que de ce nombre était Roland; mais que la conspiration se continuait, et que Roland en fuite avait laissé sa femme à Paris, laquelle, quoique mise en état d’arrestation dans une maison d’arrêt, correspondait avec les conspirateurs retirés à Caen; et pour preuve il citait des fragments de lettres de Barbaroux à Duperret, de Duperret à Mme Roland et de Mme Roland à Duperret, dont on a vu plus haut quelques passages.

Un rapport fait au comité révolutionnaire de la section du Panthéon, le 1er juin (le jour où Mme Roland fut arrêtée pour la première fois), avait dénoncé des faits et désigné des témoins dont l’accusateur public devait tirer parti pour le procès.

Au dire du dénonciateur, et sur ce premier point ou le pouvait croire, Mme Roland avait été complice de l’évasion de son mari ; et il signalait le domestique de Roland comme pouvant révéler les conspirations tramées à sa table. On y divisait la France en 24 gouvernements, qui étaient distribués entre les convives : Brissot, Barbaroux, Vergniaud, Gensonné, Buzot, Guadet, etc. Roland devait avoir la qualité de roi. Pour tout arranger, on devait céder la Bretagne aux Anglais, l’Artois et la Lorraine à l’Empereur. «Après quoi tout irait bien, et le sans-culotisme finirait par se taire».

Un des principaux témoins que le comité révolutionnaire de la section du Panthéon recommandait d’interroger, et que le juge Dobsent interrogea, était une demoiselle Mignot, âgée de cinquante-cinq ans, maîtresse de clavecin. Elle avait donné des leçons à la fille de Mme Roland; elle était restée en qualité d’institutrice auprès d’elle, et Mme Roland avait eu un instant la pensée de la lui confier pour l’élever à la campagne, tandis qu’elle-même et Roland resteraient à Paris au milieu des troubles qu’on pouvait prévoir (25 décembre 1792). On trouve dans sa déposition, non point cet intérêt que le bon serviteur ressent pour ses maîtres exposés au péril, mais le fiel de l’institutrice envieuse qui saisit l’occasion d’un revers de fortune pour s’élever contre ceux qu’elle se sent humiliée d’avoir servis. Elle reconnaît :

Que Roland et sa femme lui témoignaient peu de confiance relativement aux affaires publiques... Ajoute la déclarante que les craintes et les frayeurs continuelles que marquaient Roland et sa femme jusqu’à prendre souvent la précaution de découcher lui ayant paru suspectes, elle forma et leur témoigna le désir de se retirer.

Ce qu’elle fit aux environs du 20 mai

Parce qu’à cette époque elle remarquait en eux plus de tranquillité aux approches d’une guerre civile qu’ils semblaient désirer et sur laquelle ils avaient, en leur conversation, cherché à pressentir les sentiments de la déclarante.

Et elle cite quelques traits de ces conversations :

Qu’un jour étant avec Roland et sa femme, celui-ci lui dit : « Si nous allions être guillotinés tous les trois qu’en diriez vous ? » Qu’elle, déclarante, répondit qu’elle ne pouvait pas craindre ce sort, attendu que sa conscience était pure et qu’elle ne lui reprochait rien; que Roland répliqua : « Mais enfin, si cela arrivait ? » Alors elle répondit que ce serait la loi du plus fort; mais que dans ce cas-là même elle désirerait que son sang fût comme une rosée féconde qui fût versée pour le bonheur de la patrie. Que la femme Roland dit en regardant son mari et lui adressant la parole. « Quand je te le disais ! » A quoi Roland répondit: « Je ne l’aurais pas cru.» Que cette conversation donna lieu [à penser] à la déclarante qu’on cherchait à sonder ses sentiments ou à l’effrayer.

La demoiselle Mignot et plusieurs autres comparurent devant le tribunal; et le Bulletin, résumant leurs déclarations, dit qu’

ils ont déposé avoir vu, à la table de l’accusée, Brissot et consorts ridiculiser les opinions des membres les plus éclairés de la Montagne ; qu’elle entretenait sur le pavé de Paris des affidés qui rendaient compte à Roland de ce qui se passait dans les groupes et autres lieux; qu’elle entretenait des correspondances et intelligences avec les principaux chefs des conjurés, dont elle était l’âme.

On la rendait responsable de toute la correspondance des Girondins; l’accusateur public en cita des fragments :

L’accusée, continue le Bulletin, a dit, pour se défendre, qu’elle n’avait jamais entretenu de correspondances avec Buzot, Pétion, Gorsas; qu’elle avait, à la vérité, écrit à Duperret, le 26 juin dernier; qu’au reste, elle avait toujours estimé Brissot et ses dignes amis, parce qu’elle connaissait en eux des talents et de la bonne foi; elle a de plus fait lecture d’un aperçu sommaire de sa conduite politique depuis le commencement de la Révolution : comme cet écrit respirait le fédéralisme d’un bout à l’autre, le président en a interrompu la lecture, en observant à l’accusée qu’elle ne pouvait abuser de la parole pour faire l’éloge du crime, c’est-à-dire de Brissot et consorts.

Mme Roland protesta avec force contre ce procédé du tribunal (ce que le Bulletin veut rendre en disant qu’elle s’est emportée en invectives), et se tournant vers l’auditoire elle dit: Je vous demande acte de la violence que l’on me fait.

A quoi le peuple répondit: Vive la République ! A bas les traîtres !

Le président Dumas, en posant les questions au jury, affirmait l’une avec une énergie qui ne comportait guère la négation pour l’autre :

1°Il a existé une conspiration horrible contre l’unité, l’indivisibilité de la République, la liberté et la sûreté du peuple français.

2° Marie-Jeanne Phelippon, femme de Jean-Marie Roland, est-elle auteur ou complice de cette conspiration ?

Signé : DUMAS

Il avait signé en blanc le verdict qui fut écrit de la main du greffier :

La déclaration du jury est affirmative sur les questions ci-dessus.

Le 18 brumaire, l’an 2ème de la République française.

Signé : Dumas - WOLFF, commis greffier.

Le tribunal prononça la peine de mort. Les juges étaient, avec Dumas, vice-président, faisant les fonctions de président, Deliége, Denizot et Subleyras. Fouquier-Tinville était remplacé par Lescot-Fleuriot.

L’accusateur public ne perdit pas un moment pour la faire conduire à l’échafaud. Voici l’ordre qu’il donna à Hanriot :

L’accusateur public ... requiert ... la force publique nécessaire à l’exécution du jugement rendu ce jourd’hui contre la femme Roland et Lamarche, et qui les condamne à la peine de mort laquelle exécution aura lieu ce jourd’hui à trois heures et demie précises de relevée sur la place publique de la Révolution de cette ville. Le citoyen commandant général est requis d’envoyer la force publique cour du Palais ledit jour à l’instant, lui observant que c’est la femme de l’ex-ministre et que l’intérêt public exige que l’exécution ait lieu aujourd’hui.

Fait à Paris le 18 brumaire de l’an 2.

A.Q. FOUQUIER

Très-pressé.

III - Derniers moments de Mme Roland

Riouffe et Beugnot, qui ont vu Mme Roland à la Conciergerie, et l’ont jugée dans une disposition d’esprit fort différente, ont gardé une impression également vive et forte de ses adieux à la prison. « Elle attendait à la grille, dit Beugnot, qu’on vînt l’appeler. Elle était vêtue avec une sorte de recherche; elle avait une anglaise de mousseline blanche, garnie de blonde et rattachée avec une ceinture de velours noir. Sa coiffure était soignée; elle portait un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules. Sa figure me parut plus animée qu’à l’ordinaire, ses couleurs étaient ravissantes, et elle avait le sourire sur les lèvres. D’une main, elle soutenait la queue de sa robe, et elle avait abandonné l’autre à une foule de femmes qui se pressaient pour la baiser. Celles qui étaient mieux instruites du sort qui l’attendait sanglotaient autour d’elle et la recommandaient en tout cas à la Providence. Rien ne peut rendre ce tableau; il faut l’avoir vu. Mme Roland répondait à toutes avec une affectueuse bonté; elle ne leur promettait pas son retour, elle ne leur disait pas qu’elle allait à la mort, mais les dernières paroles qu’elle leur adressait étaient autant de recommandations touchantes. Elle les invitait à la paix, au courage, à l’espérance, à l’exercice des vertus qui conviennent au malheur. Un vieux geôlier, nommé Fontenay, dont le bon cœur avait résisté à trente ans d’exercice de son cruel métier, vint lui ouvrir la grille en pleurant. Je m’acquittai au passage de la commission de Glavière; elle me répondit en peu de mots et d’un ton ferme. Elle commençait une phrase, lorsque deux guichetiers de l’intérieur l’appelèrent pour le tribunal. A ce cri, terrible pour tout autre que pour elle, elle s’arrête et me dit en me serrant la main : «  Adieu, monsieur, faisons la paix, il en est temps. » En levant les yeux sur moi, elle s’aperçut que je repoussais mes larmes, et que j’étais violemment ému; elle y parut sensible, mais n’ajouta que ces deux mots : Du courage !

« Après sa condamnation, ajoute Riouffe, elle repassa dans le guichet avec une vitesse qui tenait de la joie. Elle indiqua, par un signe démonstratif, qu’elle était condamnée à mort. Associée à un homme que le même sort attendait, mais dont le courage n’égalait pas le sien, elle parvint à lui en donner, avec une gaieté si douce et si vraie, qu’elle fit naître le sourire sur ses lèvres à plusieurs reprises. »

Riouffe n’avait pu rapporter que par ouï dire ce qui se passa quand elle eut franchi le seuil de la prison. Mais d’autres en parlent en témoins oculaires.

Une circonstance bien imprévue, dit Tissot dans son « Histoire de la Révolution », surtout bien indépendante de ma volonté, fit passer sous mes yeux cette femme extraordinaire près du Pont-Neuf, sur le chemin de l’échafaud. Debout et calme dans la charrette, elle était vêtue d’une étoffe blanche parsemée de bouquets de couleur rose. Aucune altération apparente en elle. Ses yeux lançaient de vifs éclairs, son teint brillait de fraîcheur et d’éclat; un sourire plein de charme errait sur ses lèvres ; cependant elle était sérieuse et ne jouait pas avec la mort. Près d’elle on voyait le malheureux Lamarche, tellement abattu par la terreur que sa tête semblait tomber à chaque cahot de la voiture. L’héroïne relevait, par son courage, la faiblesse de cet infortuné qui n’était plus un homme. Quelquefois elle poussait son pouvoir sur elle-même jusqu’à trouver des mots empreints d’une gaieté spirituelle et douce qui arrachaient un sourire à son trop faible compagnon. Je ne sais ce qui me fit illusion en ce moment, mais le cortège, le bourreau et ses valets disparurent à mes regards toute mon attention se concentra sur la victime, et, à la voir, je ne pouvais comprendre qu’elle allât à la mort.

Comme on la traînait au lieu du supplice, ajoute un autre auteur, la foule, émue de pitié ou saisie d’admiration, gardait un morne et profond silence. Cependant de loin en loin, quelques-uns de ces scélérats, gagés pour insulter au malheur, criaient : A la guillotine à la guillotine !

Avec sa douceur mêlée de fierté, la citoyenne Roland répondait : J’y vais. Elle devait être exécutée la première. Elle eut pitié de la faiblesse de son compagnon. Allez le premier, dit-elle, que je vous épargne au moins la douleur de voir couler mon sang ! Et comme le bourreau hésitait, ses instructions étant contraires : Pourriez-vous, lui dit-elle, refuser à une femme sa dernière requête ? Et l’exécuteur obéit.

C’est alors que de l’échafaud regardant cette statue en plâtre de la Liberté érigée, à l’occasion de la fête du 10 août, sur le piédestal de la royauté déchue, et demeurée là comme pour présider au supplice de ceux qui avaient cru la fonder elle-même, elle dit : 0 Liberté, que de crimes en ton nom !

*

L’ouvrage de Wallon s’appuie constamment sur les documents d’archives.

L’un d’entre eux nous transmet son signalement :

Sur le livre d’écrou de Sainte-Pélagie on lit :

Ordre du comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale,
Le 25 juin 1793, Marie-Jeanne Philipon (c’est Phlipon que son nom doit s’écrire ; c’est ainsi qu’elle l’écrit) femme Roland, ex-ministre, âgée de 39 ans, native de Paris, demeurant rue de la Harpe, °51, Taille de cinq pieds, cheveux et sourcils châtain foncé, yeux bruns, nez moyen, bouche ordinaire, visage ovale, menton rond, front large
Motif de l’écrou : Comme femme suspecte, aux termes de la loi
Renvoi page 88 : Le dit ordre motivé d’après la lettre trouvée chez l’ex-ministre Roland, la fuite se son mari, la suspicion de la complicité avec lui et la notoriété de ses liaisons avec des conspirateurs contre la liberté, et la clameur qui s’élève contre elle
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Toujours dans Wallon, on comprend d’où provient cette clameur :

Dans le numéro 248 du Père-Duchesne, rédigé par Hébert, on peut lire :

La grande visite du Père Duchesne à la citoyenne Roland dans la prison de l’Abbaye, pour lui tirer les vers du nez et connaître tous les projets des envieux de la République. Son entretien avec cette vieille édentée qui s’est déboutonnée au vis-à-vis de lui et qui lui a découvert le pot aux roses au sujet de la contre-révolution que les Brissotins, les Girondins, les Buzotins, les Pétionistes mitonnaient d’accord avec les brigands de la Vendée et surtout avec le quibus de l’Angleterre.

Signe de fin