Page d'accueil > Table des rubriques > Dictionnaires de droit criminel > Petites histoires et illustrations > Une provençale relaxée par l’Inquisition en 1439

UNE PROVENÇALE RELAXÉE PAR L’INQUISITION
EN 1439

Texte proposé par M. Jean-Louis CHARVET,
vice-président du Tribunal de grande instance d'Avignon
Source : Roger Aubenas, professeur à la Faculté de Droit de l’Université d’Aix-Marseille :
La sorcière et l’inquisiteur. Épisode de l’Inquisition en Provence (1439).
Collection "Archives de Provence"
La pensée universitaire, 12 rue de Nazareth, Aix-en-Provence 1956

Le personnage central : Monnet Sinhon, du village de Figanières, à une dizaine de kilomètres de Draguignan, village qui fut également le lieu de naissance de Louis Michel, illuminé du XIX° siècle. Monnet avait déjà eu affaire à l’Inquisition, et avait été détenu dans les prisons archiépiscopales d’Aix pour « crime d’hérésie, d’idolâtrie et d’apostasie ». Il avait eu la vie sauve, ayant abjuré ses erreurs.

En 1439, il fut soupçonné d’avoir donné à Catherine David, dite Malavesse, femme de Jacques Blanc, de Draguignan, la recette d’un breuvage magique, pour obtenir du père de Catherine, Guilhem, l’exhérédation des trois sœurs de cette dernière. Guilhem, avait en effet institué comme seule héritière Catherine, au grand dépit de ses soeurs, Antoinette, Jeanne et Baude.

Qui porta ce fait à la connaissance du procureur fiscal qui saisit l’inquisiteur ? Une des sœurs, On ne le sait.

L’inquisiteur, Guilhem de Malavielle, de l’Ordre des Mineurs, interrogea Monnet, détenu pour autre cause ; il lui fit lire par le greffier les charges pesant sur lui.

Catherine lui aurait adressé la demande suivante :

Compère Monnet, je vous prie de me donner un conseil sur ce que je vous demanderai, puisque vous en donnez à d’autres personnes: que pourrai-je faire pour que mon seigneur père me veuille plus de bien qu’à mes sœurs ? Il serait d’ailleurs juste que j’obtienne le sien plutôt qu’elles, car je lui fais plus de bien.

Monnet lui aurait répondu :

Commère, je te répondrai sur ce sujet demain, mais il faudra que tu gardes le secret, et pour cause.

Le lendemain, Monnet lui aurait donné les conseils suivants :

Commère, à propos du conseil que tu m’as demandé hier, je te réponds que tu dois prendre du saint chrême et du sel bénit et qu’au cours d’un repas tu lui en donnes à boire tant que tu voudras, et tu auras son amour et tout le sien, plus que toutes tes autres soeurs.

Au cours de plusieurs interrogatoires, Monnet reconnut avoir donné ce conseil à Catherine. Trois témoins furent entendus :

Guilhem Sinhon, époux de Jeanne David, l’une des sœurs de Catherine : Monet lui avait fait des aveux, précisant qu’il avait invoqué le démon Barrabas ; il lui aurait également confié les paroles suivantes, qu’il aurait adressées à Catherine David :

Commère Catherine, sache que mon maître m’a dit que si tu veux hériter de ton père, il te faut, pour obtenir son amour, lui donner à boire les choses que je vais te dire et tu obtiendras de lui ce que tu voudras. Il s’agit de saint chrême, de sel bénit, d’encens de la racine d’une herbe que je te montrerai et qu’il te faut cueillir le jour de la Saint Jean Baptiste (sinon elle n’aurait pas de valeur) et de ton sang quand tu as tes époques, et de tout cela mélangé tu lui en composeras un breuvage.

Antoinette, soeur de Catherine.

Dona Jacoba Colrade, dite Raoleta, voisine de Catherine, détenue dans la prison royale de Draguignan.

Catherine David fut incarcérée, ou plutôt, pour employer une expression moderne, mise au arrêts dans la maison du juge Durand, sous la surveillance de l’épouse du magistrat. Interrogée le 25 septembre 1439, elle nia les faits qui lui étaient imputés. Conduite au couvent des frères Mineurs, elle y fut interrogée à nouveau le 28 septembre et persista dans ses dénégations.

L’inquisiteur la mit en liberté et lui donna dix jours pour préparer sa défense.

Elle fut entendue le 8 octobre, au couvent des frères Mineurs.

Le 15 octobre, une confrontation eut lieu entre Catherine et son accusateur, qui, surprise, avoua avoir menti, en rejetant la faute sur le démon Barrabas, qui lui apparaissait souvent sous la forme d’un chat noir ; Barrabas avait pour but de faire douter Catherine de la miséricorde de Dieu et de devenir la proie du démon.

L’inquisiteur se préparait sans doute à relaxer Catherine quand dom Martin Guilabert, vice-official de Fréjus et Isnard Faucon, vice clavaire de la cour royale de Draguignan, indiquèrent qu’ils se réservaient le droit de poursuivre l’enquête. Ils demandèrent que Monnet et Catherine soient soumis à la torture. Deux jours après, l’inquisiteur refusa de soumettre Catherine à la torture et la déclara innocente des faits qui lui étaient reprochés.

Que fut le sort réservé à Monnet Sinhon ? Roger Aubenas, professeur à la Faculté de droit d’Aix-Marseille, ne le précise pas dans l’intéressante plaquette qu’il consacra à cette affaire en 1956, sous le titre de La sorcière et l’inquisiteur, étude que je viens de résumer.

Signe de fin