PROCÈS-VERBAL
DU CRIME DÉTESTABLE DE TROIS SORCIÈRES
surprises au Faubourg Saint Germain-des-Prés
Ensemble leur interrogatoire,
sentence du Bailly dudit lieu,
Arrêt du Parlement,
et exécution d’icelui,
le Mercredi quatorzième d’août M.DC.XIX.
L’Ennemi commun du genre humain est tellement subtil et adonné à tout ce qui regarde la ruine et la perte de l’homme, qu’il dresse de toutes parts des embûches et des pièges pour surprendre son âme, et l’introduire à toute sorte de mal ; il pousse l’un, instigue et porte l’autre à tout faire et entreprendre, usant de tout artifice pour détruire et ravir la félicité des mortels, et mettre un obstacle au salut des âmes.
De ce même Esprit fut portée une misérable femme nommée Claire Martin âgée de quarante-huit à cinquante ans, laquelle pour quelque malheureuse prétention, par une pensée purement diaboliques, s’avisa de commettre une action digne certes de punition ayant égard au respect du lieu où elle se fît, et sur le sujet quelle prit pour lui servir de matière.
Donc icelle pour faire quelque espèce de tort, prit avec elle deux autres vieilles femmes, l’une nommée Jeanne Guierne et l’autre Jeanne Cagnette, lesquelles, ayant acheté une fressure de mouton, allèrent au Cimetière de l’Église paroissiale de St Sulpice, dans les faubourgs de St Germain-des-Prez à deux heures après minuit, auquel temps se faisaient les prières solennelles en ladite Église, et lorsqu’elles voyaient que personne ne les pouvait découvrir.
En ce lieu Saint, où reposent les corps et cadavres des fidèles Chrétiens, ces trois femme, affublées de leurs tabliers ; icelle Claire Martin allant devant, et conduisant les deux autres, fit plusieurs et divers tours autour des murs de ladite Église St Sulpice, et d’un bâton qu’elle tenait en main, faisait plusieurs cercles et ronds sur la terre du Cimetière, et de là se promenant à l’entour des sépultures des trépassés, firent les mêmes tours et cérémonies.
Durant ceci le chien du fossoyeur, qui couche ordinairement à l’Église pour la garde d’icelle, aboyait fort extraordinairement, ce qui fut cause que son Maître se recueillit, et craignant que ce ne fussent quelques voleurs, se leva de son lit pour en être assuré, vu qu’il y avait à craindre, à raison de plusieurs riches pièces d’or et d’argent qui étaient en l’Église, à cause de la solennité des prières ; et comme il était sur le point de sortir de sa maison, il aperçoit ces trois bonnes dames affublées comme dessus, qui faisaient le circuit des murs de ladite Église, ce que voyant il se retire au dedans, pour voir quelle sorte de gens c’étaient, et croyant que ce fussent quelques pauvres ordinaires de l’Église, ne s’émut pas beaucoup pour le commencement jusque sur les trois heures sonnées, auquel temps icelles femmes, entendant quelques voix au logis dudit fossoyeur, s’enfuirent, non toutefois pour longtemps ; car aussitôt retournent, faisant les mêmes tours et cérémonies qu’auparavant, ce qui étonna fort ledit fossoyeur, qui ne se lassa point d’épier leurs actions, quoique la nuit fut fort sombre.
Enfin, après tout ces tours, elles s’en allèrent sur la fosse d’un charpentier enterré il n’y avait pas encore quinze jours ; sur laquelle toutes les trois se jetèrent contre terre, souillant la fosse et y faisant un trou, dans lequel elles mirent le cœur et la fressure de mouton qu’elles avaient apportés.
Alors le fossoyeur croyait que ces trois femmes enterraient quelque enfant mort-né, réveilla sa femme et lui dit ce qu’il en pensait. Sur ce il sort et court après ; mais toutes les trois s’enfuient promptement, qui çà qui là, chacune désirant se sauver ; ce qui fut cause que, lui étant seul, sans assistance, n’en put arrêté qu’une, laquelle, après lui avoir fait beaucoup de peine, jusque là même qu’elle cherchait son couteau pour le frapper, lui serrant les deux bras, la rapporta jusque dans le Cimetière, où étant, lui demanda ce qu’elles étaient venues faire en icelui, et à qu’elle intentions elles avaient fait lesdits tours et s’étaient couchées sur ladite fosse : répondit qu’elles y avaient prié Dieu ; et outre, demandant qui elles étaient, répondit quelles étaient trois pauvres femme échappées de l’hôpital des enfermées. Ce qui lui mit la volonté au cœur de laisser aller. Mais ne pouvant résoudre ce qu’elles avaient fait sur ladite fosse, soupçonnant quelque mystère, il délibéra de la retenir, et de fait l’enferma dans le petit bouge où il renferme les bières et les outils de son métier, jusque sur le jour, environ sur les quatre heures, auquel temps après le deuxième coup de matines sonné à St Sulpice, avertit son frère de ce qu’il avait vu, et le pria de l’assister pour visiter la susdite fosse, et voir ce que ces malheureuses y avaient enterré.
Ce qu’il fit, et ayant foui quelque peu avec un os de côte d’un trépassé, ils trouvèrent un cœur de mouton plein de clous à lattes, lardé en forme de demi Croix, et force bouquets d’épingles y tenant ; chose horrible, auquel ils ne voulurent toucher de la main, mais le levèrent et posèrent sur une paille à feu.
Ayant vu cela, il emportèrent ce cœur pour le montrer à cette femme qui était enfermée, à laquelle ils reprochèrent d’être assurément quelque sorcière, elle et ses compagnes évadées, et d’avoir à dessein jeté quelque malheureux sort au préjudice de quelqu’un. Elle répondit et confessa ingénument que la vérité était que ladite Claire Martin lui avait fait faire cela contre et pour nuire à quelques parents de son défunt mari, lesquels lui détenaient son bien, et que pour elle, elle n’avait point fait de tort ; mais assisté de ladite Martin, à sa très grande requête, et confessa que n’eût été une vision qu’elle eut, il ne l’eût jamais pu prendre.
Sur cette déclaration, le fossoyeur donna avis de tout ceci à la justice de St Germain-des-Prez, qui vint enlever cette femme, et icelle constituer prisonnière dans les prisons de l’abbaye dudit lieu ; et, à l’instant, fut dressé procès-verbal de tout ce qui s’était passé en cette affaire.
Celle-ci étant prisonnière, une sienne fille qu’elle avait, fort attristée de la prison de sa mère, voyant la peine qu’elle avait pour l’amour des deux autres complices, cherche et recherche jusqu’à ce qu’elle les trouve au faubourg St Victor faisant leurs paquets, comme prêtes à partir ; auxquelles cette fille demandant où elles avaient laissé sa mère, lui dirent qu’elle était allée à une noce des champs, où elles l’allaient trouver. Cette fille sachant le contraire, dissimule la vérité et fait semblant de les croire ; les suit toutefois audit faubourg St Victor, au long duquel ayant rencontré un Officier de la justice dudit lieu, le supplie au nom de Dieu de se saisir de leurs personnes, comme sorcières, et cause que sa mère était détenue prisonnière dans les prisons de l’Abbaye de St Germain-des-Prez.
À sa requête, les voilà emprisonnées dans les prisons de St Victor. Où étant, le Bailly de St Germain fait instance pour qu’icelles soient amenées dans les prisons dudit St Germain, comme ayant commis le délit sur la terre seigneuriale de ladite Abbaye. On les délivre ; elles sont emprisonnées audit lieu avec la première.
Procès-verbal de leur action rédigé, interrogatoires, déposition et confrontation de témoins effectués, par sentence dudit sieur Bailly de St Germain ont été condamnées au fouet, et ladite Martin, devineresse et actrice de tout ce malheur, à avoir de plus la fleur de Lys et bannie.
Appel de ce à la Cour, laquelle, infirmant la sentence dudit sieur Bailly de St Germain, a condamné ladite Martin à être fustigée et battue de verges, sans autre punition que celle du ban, les deux autres ses complices assistant à l’exécution de l’arrêt.
Lequel arrêt a été exécuté le mercredi 14 du présent mois, et a été ladite Martin fouettée devant le Cimetière de St Sulpice, au pilori de l’Abbaye de St Germain, à la porte de St Germain et au bout du pont St Michel ; auquel lieu elle confessa avoir bien mérité ce qu’elle endurait pour avoir perpétré beaucoup de sortes de crimes et forfaits ; néanmoins dit à l’exécuteur de Justice que ceux qui étaient cause qu’on l’avait fouettée extraordinairement s’en repentiraient.
Depuis que ce cœur fut trouvé audit Cimetière, on y a vu grande quantité de crapauds croassant jusque au dedans de l’Église, en laquelle, levant une tombe, en fut trouvé un grand nombre au grand étonnement du peuple et des anciens qui jamais n’avaient ouï parler de crapauds naître aux-dits lieux, que depuis que ces trois y ont jeté leur sort.
FIN
En vente à PARIS,
Chez Sylvestre Moreau, au Palais ;
devant l’Escalier de la Chambre des Comptes.
M.DC.XIX