Page d'accueil > Table des rubriques > Dictionnaires de droit criminel > Petites histoires et illustrations > L’affaire Gaufridy et l’affaire Magdeleine de la Palud : deux procès en sorcellerie en Provence au XVII° siècle

L’AFFAIRE GAUFRIDY
ET L’AFFAIRE MAGDELEINE DE LA PALUD :

DEUX PROCÈS EN SORCELLERIE
EN PROVENCE AU XVII° SIÈCLE

par Jean-Louis CHARVET, magistrat

L’AFFAIRE GAUFRIDY

Louis Gaufridy naquit vers 1580 à Beauvezer, dans l’actuel département des Alpes de Haute Provence, canton d’Entrevaux ; fils d’un berger, il avait pour oncle Christophe Gaufridy, curé de Pourrières ; ses bonnes dispositions pour les études décidèrent sa famille à en faire un prêtre ; il fut nommé curé des Accoules à Marseille vers 1605.

C’était un bon vivant, aimant les plaisirs de la table et ceux de l’amour.

Au cours du procès qui sera exposé plus loin, il raconta qu’un jour, cherchant les Épîtres de Cicéron pour en faire don à un écolier auquel il était attaché, il retrouva un grimoire que son oncle lui avait donné ; c’était un ensemble de six feuillets, sur chacun desquels étaient inscrits quarante caractères ou chiffres et deux vers français ; ayant lu ces vers, le diable lui apparut, sans épée, sous une figure humaine, douce, noble et agréable; l’apparition, déclarant s’appeler Lucifer, lui dit : Tu m’as évoqué, que me veux-tu ? Je suis prêt à remplir tous tes désirs, mais que me donneras-tu ? Après discussion, il fut convenu ce qui suit : Gaufridy rapporterait au diable toutes ses bonnes œuvres ; en échange, d’une part il jouirait dans le monde d’une grande réputation de sagesse, d’autre part il satisferait aisément sa passion pour les femmes et les jeunes filles ; il signa ce pacte de son sang. D’après l’auteur anonyme du livre « De la vocation des magiciens et magiciennes, etc. » (Paris, Ollivier de Varennes, 1623, in-12) , la promesse du prêtre était ainsi rédigée :

Je, Loys prestre, renonce a tous et a chascun des biens spirituels et corporels, qui me pourroient estre donnez et m’arriver de la part de Dieu, de la Vierge, et de tous les saincts et sainctes ; et principalement de la part de Jean Baptiste mon patron, et des saincts apotres Pierre et Paul et de sainct Francois. Et a toy, Lucifer, que te voy, et scay estre devant moi, je me donne moy-mesme, avec toutes les bonnes œuvres que je ferai, excepte la valeur et le fruit des sacrements, au respect de ceux à qui je les administreray, et en cette maniere j’ay signe ces choses et les atteste.

Lucifer prit à l’égard de Louis Gaufridy l’engagement suivant :

Je Lucifer, promets sous mon seing, a toy seigneur Loys Gaufridy prestre, de te donner vertu et puissance, d’ensorceler par le soufflement de bouche toutes et chacunes les femmes et les filles que tu desireras : en foy de quoy j’ay signe Lucifer.

À partir de cette époque, le prêtre donna cours à sa lubricité. Sa bonne réputation lui avait donné accès à la maison du sieur Mandols de la Palud, gentilhomme de Marseille, père de trois filles, également belles ; l’une d’entre elles, Magdeleine, qui avait à peine quitté l’enfance, captiva son cœur ; il devint son confesseur, et, en dépit de ce lien sacré qui les unissait, ne tarda pas à se permettre de grandes privautés sur sa personne ; la jeune fille souffrit alors d’une mélancolie extraordinaire dont les médecins ne purent découvrir la cause ; comme toute médecine, ils lui ordonnèrent de prendre l’air ; on l’envoya alors dans une bastide ou métairie voisine de la ville où Gaufridy continua de lui rendre visite.

Sa mélancolie persistant, Magdeleine fut envoyée chez les Ursulines d’Aix ; pendant trois ans, elle y vécut tranquillement, délivrée de son mal.

Gaufridy, qui pensait que les années avaient encore ajouté à la beauté de la jeune fille, reprit ses visites, lui déclara sa passion, fut écouté, et entretint dès lors avec elle une correspondance en langage chiffré ; puis il persuada sa famille de la faire sortir du couvent.

Revenue chez ses parents, Magdeleine succomba aux avances du prêtre ; sa mère avait une telle confiance en ce dernier qu’elle l’autorisait à passer de longs moments chez lui.

Cependant, cette liaison ne comblait pas les appétits de Gaufridy qui eut, au cours de cette période, au moins deux autres maîtresses, Blanchette et Pintade. D’autres femmes recherchaient ses faveurs.

La passion que lui inspirait son confesseur fit commettre des imprudences à Magdeleine ; son entourage s’interrogea, s’inquiéta, découvrit enfin le pot aux roses.

Magdeleine ne nia point ses relations coupables avec Gaufridy ; pour les expliquer, elle l’accusa de sorcellerie. Elle raconta qu’alors qu’elle était encore dans l’enfance, il lui avait fait don d’un agnus dei (médaille de cire bénite sur laquelle est représenté un agneau, ou image pieuse), et que cet objet était enchanté ; il l’avait persuadée du fait que les confesseurs pouvaient disposer à leur guise de leurs filles spirituelles ; lorsqu’elle était au couvent, il ne lui écrivait qu’en caractères diaboliques ; l’une de ces lettres était ainsi rédigée : je vous prie de croire que l’amour que je vous porte est si grand que je désire que mon cœur soit entrelacé et anéanti dans le vôtre ; en dessous de ces mots étaient dessinés deux cœurs entrelacés, percés de deux flèches qui se croisaient ; il y était encore écrit : ma très-chère amie, voilà comme je désire que votre cœur soit avec le mien.

Gaufridy lui aurait donné en outre deux charmes : une pêche, qu’il mangea avec elle, et une noix, très dure, qu’elle mit au feu, dans lequel elle disparut tout à coup. Elle avait ensuite signé, de son sang, sept ou huit pactes avec le démon. Gaufridy, continua-t-elle, lui avait donné un serviteur infernal ; cet écuyer la transporta un jour dans les airs ; ils arrivèrent sur une montagne, près de Marseille, où se tenait un sabbat ; Gaufridy y fut révéré comme prince des magiciens ; elle assista à toutes sortes d’impiétés et d’actes abominables, puis jura de devenir bonne et fidèle servante du diable ; pour témoignage de ce serment, elle fut marquée en divers endroits, notamment à la tête et près du cœur.

Averti de ces déclarations, le père Michaëlis, jacobin et inquisiteur à Avignon, vint la voir à la Sainte Baume où elle se trouvait alors ; il fit, entre autres, les constatations suivantes :

- alors qu’elle n’avait pas appris le latin, elle répondait aux questions qu’il lui posait en cette langue ;

- lorsqu’il l’exorcisait, lui administrait la communion ou l’absolution, elle tremblait d’une manière extraordinaire ; quand, dans ces moments, on lui mettait la main sur la tête, on sentait au dedans des mouvements comme d’une infinité d’insectes ;

- quand on l’exhortait à renoncer au diable, ce dernier la prenait par le dedans du gosier; elle tournait les yeux, demeurait comme morte, puis reprenait ses esprits, comme si rien ne s’était passé;

- elle savait ce qui se passait dans des lieux où elle n’était pas ;

- quand il lui disait des paroles qui ne figurent pas dans le rituel de l’exorcisme, elle le corrigeait ;

- elle connaissait parfaitement les catégories et pouvoirs des démons ;

- il entendit deux fois, les 9 et 24 janvier 1610, les démons faire le charivari au dessus de la Sainte-Baume.

Cette étonnante affaire parvint à la connaissance de M. Rabasse, procureur-général près le Parlement d’Aix ; il requit l’ouverture d’une information ; deux magistrats, MM. Léguiran et Thoron furent désignés à cet effet ; les 19 et 20 février 1611, ils entendirent plusieurs témoins ; Gaufridy se rendit volontairement en prison. Plusieurs ecclésiastiques témoignèrent de ses bonnes lectures ; on ne trouva chez lui aucun livre ni document à charge.

Au cours de ses interrogatoires, Magdeleine de la Palud eut deux attitudes contradictoires : lorsqu’elle semblait possédée d’Asmodée, faisant des efforts pour s’élever en l’air, prise de mouvements convulsifs, et adoptant les postures les plus indécentes, elle proclamait l’innocence de Gaufridy ; mais lorsqu’elle était calme, elle accablait le prêtre de charges considérables.

Le 3 mars 1611, elle fut examinée par Jacques Fontaine et Louis Grassi, médecins, ainsi que par Pierre Bontems et Antoine de Mérindol, chirurgiens; ils constatèrent notamment des marques sur son corps ; lui ayant enfoncé une aiguille, ils reconnurent qu’elle était parfaitement insensible à certains endroits, ce qui, d’après les croyances de l’époque, était une marque de possession ; ils notèrent qu’elle n’était plus vierge, ayant eu plusieurs rapports sexuels.

Gaufridy, quant à lui, commença par nier tout ce dont on l’accusait ; puis il admit avoir pratiqué sur elle divers attouchements; enfin, il avoua tout.

Il fut également examiné par des médecins qui trouvèrent plusieurs marques insensibles aux piqûres, pourtant profondes de trois travers de doigt ; ils écrivirent dans leur rapport que ces marques insensibles ne rendant point d’humidité étant piquées ne pouvaient arriver par une maladie du cuir précédente.

Il fut interrogé plusieurs fois, alternant aveux et dénégations.

Enfin, le 18 avril 1611, Rabusse, le procureur-général conclut à la condamnation de Gaufridy, et requit qu’il fût brûlé vif, après avoir été dégradé des ordres sacrés par l’évêque de Marseille.

Le 28 avril, devant le Parlement, Gaufridy nia puis avoua ses crimes; le 30 fut rendu l’arrêt dont le dispositif suit :

Dit a été que la Cour a déclaré ledit Louis Gaufridy atteint et convaincu desdits cas et crimes (rapt, séduction, impiété, magie, sorcellerie et autres abominations) à lui imposés ; pour réparation desquels l’a condamné et le condamne d’être livré entre les mains de l’exécuteur de la haute-justice, mené et conduit par tous les lieux et carrefours de cette ville d’Aix accoutumés, et au devant de la grande porte de l’église métropolitaine de Saint Sauveur dudit Aix faire amende honorable, tête nue, et pieds nus, la hart au col, tenant un flambeau ardent en ses mains, et là à genoux demander pardon à Dieu, au Roi et à la justice, et ce fait, être mené en la place des Prêcheurs de ladite ville, et y être ars et brûlé tout vif sur un bûcher qui, à ces fins, y sera dressé, jusqu’à ce que son corps et ossements soient consumés et réduits en cendres, et icelles après jetées au vent; et tous et chacuns ses biens acquis et confisqués au Roi; et avant être exécuté, sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir de sa bouche la vérité de ses complices; et néanmoins avant que de procéder à ladite exécution, sera mis préalablement entre les mains de l’évêque de Marseille son diocésain ou, à son défaut, d’autre prélat de la qualité requise, pour être dégradé à la manière accoutumée.

Fait au parlement de Provence séant à Aix et publié à la barre et audit Gaufridy en la conciergerie, le trente avril 1611.

Signé Maliverny.

Avant de lui appliquer la question, on lui demanda qui avait participé avec lui à des sabbats ; il ne consentit à donner que le nom de Magdeleine, ajoutant que s’y trouvaient quelques religieux, sans autres précisions ; la question, pourtant appliquée très rigoureusement, ne lui arracha aucun autre aveu.

Enfin, il fut conduit au supplice, assisté de deux capucins ; il donna plutôt des marques de frayeur que de repentir.

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L’AFFAIRE MAGDELEINE DE LA PALUD

Près de 42 ans plus tard, le 6 février 1653, le sieur Beausset, lieutenant-général de la sénéchaussée de Marseille, se transportait chez le sieur Jean Hodoul, pour y recevoir la plainte de sa fille Magdeleine ; celle-ci lui raconta qu’au mois d’octobre 1652, elle avait rencontré une femme qui cueillait des olives, tout en tenant des propos indistincts ; étant ensuite entrée dans la chapelle de Notre Dame de Grâce, dépendant de la bastide de Magdeleine de Mandols de la Palud, elle sentit une main invisible qui la repoussa, alors qu’elle voulait prendre de l’eau bénite pour se signer ; elle éprouva en même temps une extrême lassitude, comme si elle avait reçu une multitude de coups ; sortant de la chapelle, elle vit la femme qu’elle avait rencontrée plus tôt, occupée à filer la quenouille.

De retour chez son père, elle se mit au lit ; jusqu’au jour où sa plainte fut reçue, elle ne pouvait s’alimenter normalement, vomissant les bouillons qu’on lui donnait ; elle perdit l’usage de la parole aux fêtes de Noël ; elle imitait les cris de l’ours, du chien, du chat, avait des visions et des convulsions ; on la crut à l’agonie, on lui donna l’extrême-onction ; enfin, on fut persuadé qu’elle était victime d’un maléfice.

On ne ménagea point ses efforts pour la délivrer de ce mal : des religieux la visitèrent, on lui apporta des reliques.

Un jour, alors qu’elle avait demandé puis pris de l’eau, se sentant une grande envie de vomir, elle rejeta par la bouche des pelotes de la grosseur d’une noix, composés de poils, d’étoupe, laine, plumes, épingles, cire blanche, cigales, pieds d’oie, ailes d’oiseaux, plumes à écrire, etc. Ce fait extraordinaire se produisit une quinzaine de fois ; alors qu’elle commandait au démon de la laisser en paix, il lui fut répondu : pas si tôt ; elle vomit aussi un rouleau de papier sur lequel était écrit le mot Arabie, et on sentit alors une épouvantable odeur de souffre.

Messire Puget, évêque de Marseille, exorcisa la malheureuse ; il dit au démon : Je te commande, de la part de la Très Sainte Trinité, et du caractère que j’exerce, de me dire ton nom ; il eut comme réponse : je suis Belzebuth ; interrogé sur la Légion dont il était, l’esprit répondit : de la deuxième ; l’évêque apprit ensuite que le démon avait été introduit dans le corps de Magdeleine Hodoul par Magdeleine de la Palud, qu’il disait être sa femme ; il obtint de lui qu’il se réfugiât dans le pied gauche de son hôtesse.

Devant le juge, Magdeleine fut agitée de convulsions, fit des mouvements extraordinaires, vomit encore toutes sortes de matières étranges.

Deux médecins commis par le magistrat, Gazanery et Beau, l’examinèrent et attestèrent la réalité de ces faits étranges, qu’ils avaient personnellement constatés ; voici leur rapport, qui intéressera sans doute médecins et psychologues :

Nous, docteurs en médecine soussignés, et ensuite de l’ordonnance rendue par M. le Lieutenant du Sénéchal Civil et Criminel de Marseille du 6 février 1653, mise au bas du Procès verbal fait à la Requête de M. le Procureur du Roi, le même jour et mois, portant à Nous Commission de voir et visiter Magdeleine Hodoul, et faire rapport de l’état et qualité de la maladie d’icelle, et si les matières qu’elle a vomi peuvent être avalées et dégorgées naturellement ; en satisfaisant à ladite Ordonnance,

Nous nous sommes transportés au domicile de ladite Magdeleine Hodoul, laquelle avons trouvée alitée, où après l’avoir visitée et interrogée de quoi elle se plaignait,

Nous a répondu qu’elle avait grande douleur sur le côté gauche, tirant à la région de l’estomac, avec des vomissements fort fréquents et violents, et qu’elle avait encore depuis quelques jours la plante du pied du même côté renversée du dedans au dehors, lequel ayant voulu nous forcer de remettre, il fut à Nous impossible, lui causant des douleurs insupportables, et pendant le même tems elle se releva du lit avec des efforts extraordinaires, et mouvements convulsifs de tout son corps, avec la force et violence desquels elle poussa et vomit un peloton de laine de la grosseur d’un petit œuf rempli des épingles, et pailles longues et menues; et peu de tems après elle fit un crachat tout enveloppé de poil assez menu ;et à la présence dudit Sieur Lieutenant, il Nous fut apporté un plat dans lequel il y avait un grand nombre de semblables pelotons de matières toutefois différentes, savoir des étoupes, laines et bourres mélangées, des épingles droites et courbées, des tuyaux de paille avec sa racine, des plumes de la longueur du doigt, y ayant encore du poil assez long, et quantité de petites plumes; comme aussi il Nous fut présenté par ordre dudit Sieur Lieutenant un grand bassin apporté du Palais, avec grande quantité de pareilles matières rejetées les jours précédents; le tout ayant été mis au feu par les Prêtres à ce députés, et de plus faisant réflexion à ce que l’un de Nous ayant été appelé il y a environ trois mois, et au commencement de la Maladie, par le Père de la susdite Hodoul pour tâcher de lui ordonner des remèdes convenables, laquelle pour lors se trouvait atteinte d’un vomissement continuel des aliments, sans qu’elle pût retenir aucune chose de quelque nature que ce fut, se plaignant d’une douleur d’estomac, avec apparente élévation de ladite partie, et rétention totale des excréments, ayant opinion que ce fût une iliaque passion, ou miserere ; il apporta tous les remèdes propres à semblable maladie, et entr’autres plusieurs lavements sans qu’elle en rendit aucune portion, et que son ventre en fut pour cela plus grossi, ni qu’elle en sentit aucun détriment ni soulagement, comme aussi plusieurs fomentations et demi-bains, lesquels elle ne pouvait souffrir en aucune façon, disant qu’elle aimait mieux mourir que d’y rentrer, vu les grandes douleurs qui la tourmentaient.

Ayant de plus aperçu diverses fois qu’elle était travaillée des mouvements convulsifs, approchant des épileptiques, sans perdre néanmoins le sentiment, qui la laissait à demi morte, et longtemps abattue, après lesquels symptômes elle revenait à soi, comme si elle n’eut rien souffert, ni enduré conservant ses forces sans aucune diminution, ce qui donna à connaître qu’il y avait de l’extraordinaire et surnaturel en cette Maladie, et obligea ses parents de recourir à l’Église, et pour lors elle commença de vomir les matières, et corps étrangers ci-dessus mentionnés ; ce qui a été vu et remarqué par l’un de Nous en diverses fois ;

À ces fins, le tout par Nous bien considéré, et mûrement examiné, certifions et arrêtons que la Maladie dont ladite Magdeleine Hodoul se trouve atteinte n’est point naturelle, ni formée par cause ordinaire ; et que les corps étrangers qu’elle a vomis ne peuvent être avalés, engendrés ni regorgés d’un corps naturellement, ainsi par voie de Charme, Sortilège et Maléfice; telle est la vérité selon Dieu et conscience, en Nous réservant 6 livres chacun pour nos Vacations.

Fait à Marseille ce 6 février 1653.

On retrouve dans cette histoire Magdeleine de la Palud qui, dans l’affaire Gaufridy, n’avait été ni inquiétée ni condamnée.

Il fut décidé de procéder à son arrestation ; s’étant enfuie de Marseille avec un prêtre italien, qu’elle logeait, elle avait trouvé refuge chez les religieux de la Trinité d’Aix, auxquels, pour les mettre dans ses intérêts, elle avait fait don de la chapelle de Notre Dame de Grâce.

Au cours de l’instruction, Magdeleine de la Palud fut examinée pour voir si elle n’avait point la « marque du Démon » ; voici le procès-verbal de cet examen :

Nous François Merindol et Jean-Pierre Martelly, Conseillers Médecins ordinaires du Roi, et ses professeurs en l’Université de cette ville d’Aix, Raimond Mulety et Antoine Chaix Maîtres Chirurgiens Jurés, et Anatomiste Royal en ladite Université, suivant la Commission à nous donnée par nos Seigneurs du Parlement, portant de visiter Demoiselle Magdeleine de la Palud, attestons nous être acheminés dans le Palais ce 17 May 1653 environ les deux heures après midi; où étant arrivés, avons prêté le serment en tel cas requis par devant M. André de Ballon, Sieur de Saint Julien, Scipion de Foresta, Sieur de Colongue, Conseiller du Roi audit Parlement, et Maître Christol de Fauris sieur de Saint Clément, Conseiller du Roi, et son Avocat Général, Commissaires en cette partie, députés, à quoi satisfaisant avons procédé en présence desdits Sieurs Commissaires au fait de notre Commission comme s’ensuit.

Premièrement, on aurait fait changer les habits et vêtements que ladite de la Palud avait sur elle, fait raser tout les poils de son corps, et laver aux endroits nécessaires, lui avons fait couvrir et bander les yeux, et visiter très-exactement toutes les parties externes et apparentes de son corps ; lequel avons trouvé assez entier selon son âge, et tacheté d’une grande quantité de marques : sur lequel nombre en avons remarqué trois plus grandes et plus considérables que toutes les autres; l’une est dessous l’aisselle droite, à côté du tetin, de la grandeur d’une grosse lentille de couleur roussâtre; l’autre au dessous du nombril, tirant au côté droit, de couleur aussi roussâtre, et de grandeur environ d’un petit denier, montrant être une vieille cicatrice un peu enfoncée; toutes lesquelles marques tant grandes que petites avons très-soigneusement piquées par diverses aiguilles, que nous avions préparées et disposées pour ce sujet, ayant parcouru toutes les parties qui peuvent être vues, jusques à celles qui doivent être cachées, et piqué tous les endroits que nous avons estimé être nécessaires ; faisant même semblant de la piquer à un endroit, pour nous parfaitement éclaircir de l’autre, réitérant par diverses fois lesdites piqures, mais à toutes généralement elle nous a donné témoignage de ressentiment, faisant plainte, et portant ses mains à l’endroit où nous avions piqué, et pour être ce que dessus véritable, avons fait et signé le présent rapport selon Dieu, et nos consciences.

Même s’il ne pouvait suffire à la disculper, cet examen était favorable à Magdeleine de la Palud : en effet, l’insensibilité aux piqûres d’aiguille était une marque de possession démoniaque.

M. Rabasse, Procureur Général, résuma ainsi qu’il suit les charges réunies contre elle :

Vu le Procès Criminel et Procédures faites de l’autorité de la Cour, à nôtre Requête, querellant en crime de sortilège et mauvaise vie contre Magdeleine de Mandols de La Palud, Querellée et Prisonnière détenue aux Prisons de ce Palais ;

Vu aussi les Réponses de Jeanne Julienne, Servante de Magdeleine de La Palud, comme aussi celles faites par Frère Thomas de la Magdeleine, Prêtre Italien, tous deux Prisonniers aussi aux Prisons de ce Palais; l’Aveu par la Déposition de plusieurs Témoins, reçu, nommés par celle de Jean Hodoul, confirmé par plusieurs autres : il résulte du sortilège commis en la personne de Magdeleine Hodoul sa fille, jusques à ce point, qu’ayant jugé qu’elle était possédée du malin esprit, par la force des exorcismes ayant ladite fille confessé que le Démon qui la possédait se nommait Belzébuth, époux de Magdeleine de la Palud, et que par son consentement il était entré dans le corps de Magdeleine Hodoul, ayant ladite fille vomi plusieurs pelotons de laine, d’étoupes de fil, de plumes, et d’épingles, qui sont les vrais effets des sortilèges ; et il paraît que dans le procès qui fut fait à feu Louis Gaufridy le même Démon qu’il donna par exprès à Magdeleine de la Palud se nommait Belzébuth. Et résulte aussi par la Déposition de plusieurs Témoins que la même de la Palud étant venu voir la Demoiselle Meynard, après plusieurs discours qu’elles eurent ensemble, ayant mis la main sous le menton de son fils qu’elle menait par la main, et lui ayant proféré certains mots, l’enfant perdit aussitôt la parole, et demeura en cet état fort longtemps, jusqu’à ce que par la ferveur des Prières que la mère et ses parents firent à Dieu et à la Sainte Vierge, il recouvra la parole ; mais la même Magdeleine de la Palud l’étant de nouveau venu visiter, et ayant tiré de son sein une Croix qu’elle portait, et l’ayant fait baiser audit enfant, il perdit de nouveau la parole; se plaignant ladite Meynard que la nuit elle voyait dans sa chambre des pourceaux, des crapauds et des chats; et représentant à ladite de la Palud le mal qu’elle avait causé à son fils, ladite de la Palud lui répondit qu’il valait mieux que le fils fût malade que le père, et que ce ne serait pas pour long-tems. Il résulte encore qu’elle a commis une grande profanation du Saint-Sacrement, ayant même confessé qu’elle l’a porté plusieurs années sur son corps, plié dans du linge, et que son Confesseur lui ayant défendu de communier si souvent, son bon Ange lui porta trois Hosties qu’elle reçut.

Il résulte encore par la Déposition d’un seul Témoin qu’appréhendant que ladite de la Palud, qui était devenue enflée, ne fût grosse d’enfant, ayant couché avec elle diverses nuits, elle entendit et vit que ladite de la Palud faisait les mêmes gestes qu’une femme qui est prête d’accoucher, et quant après elle, elle ouï une voix d’un petit enfant nouvellement né, ce qui lui donna sujet de la quitter ; mais étant revenue et ayant visité les linceuls, elle les trouva secs; mais entre deux matelas elle trouva des caleçons teints de la même teinture que celle des femmes qui ont nouvellement fait des enfants. Il y a autre preuve par la Déposition des Témoins singuliers, qui est néanmoins reçue aux crimes de sorcellerie, que ladite de la Palud était en réputation d’être Sorcière, et qu’on entendait le cri de plusieurs chiens et chats à sa Bastide, et qu’un d’eux étant même commis pour la garde d’icelle, il entendit un grand bruit sur le toit, comme si l’on roulait des pierres. Il y a encore preuve par un Témoin singulier qu’une pauvre femme affligée d’une fluxion qui l’empêchait de parler, étant venue pour visiter le corps du Bienheureux Évêque de Marseille, et ayant été logée dans la maison de ladite de la Palud, elle fut tourmentée par des bruits effroyables que le Démon excitait, s’apparaissant à elle avec des cornes; et en ayant fait plainte à ladite de la Palud, elle se mit à rire; et que par la Déposition d’autres Témoins singuliers, il résulte qu’elle a commis plusieurs sorcelleries; et en dernier lieu, qu’ayant autrefois confessé d’être Sorcière, et d’avoir pactisé avec le Démon, ayant même, lors du Procès fait à Louis Gaufridy, été trouvée marquée de plusieurs marques, qui furent effacées par la force des exorcismes : toutes lesquelles preuves et considérations seront capables de la rendre certainement convaincue du crime de sorcellerie, et la faire punir avec la même rigueur que la Loi ordonne contre les prévenus de semblables crimes ; néanmoins nous pensons que par une prison perpétuelle, et une longue pénitence, elle pourra mériter de la miséricorde de Dieu pardon de ses crimes et péchés.

À cette cause, nous requérons que pour les causes résultantes du Procès, Magdeleine de la Palud soit condamnée d’être et demeurer enfermée entre quatre murailles, pour y passer le reste de ses jours ; et pour cet effet lui sera assigné telle chambre, ou tel lieu, ou un tel Monastère qu’il plaira à la Chambre arbitrer, pour y être enfermée durant toute sa vie, et confinée, avec défense d’en sortir, à peine de vie.

Requérons néanmoins que tous et chacun ses biens seront acquis au profit de Sa Majesté, déduit néanmoins sur iceux telle somme que ladite Chambre arbitrera, pour être employée à la nourriture et entretien de ladite de la Palud.

Et en ce qui concerne Frère Thomas de la Magdeleine, Prêtre Italien, et Jeanne Julienne, Servante de ladite de la Palud, attendu que dans le Procès il n’est aucune preuve ni même aucune conséquence pour les convaincre, n’empêchons les Prisons leur être ouvertes. Délibéré ce 17 Juillet 1653.

Magdeleine de la Palud nia tout ce qui lui était reproché; la Cour rendit néanmoins l’arrêt dont le dispositif suit :

La Cour, les Grand-Chambres et Tournelle assemblées pour les causes résultantes du Procès, a condamné et condamne ladite Magdeleine de la Palud être et demeurer fermée entre quatre murailles pour y passer le reste de ses jours ; et pour cet effet sera remise dans une chambre d’un Monastère ou Hôpital, à l’indication du Procureur Général du Roi, et, jusqu’à ce que le lieu soit en état et qu’elle soit remise dans ladite chambre, tiendra Prison; lui a fait et fait inhibitions et défenses de sortir de ladite chambre ou Prison, à peine de la vie ; la condamne néanmoins à cinquante livres envers le Roi, cinquante livres à œuvres pies, lesquelles cinquante livres à œuvres pies seront remises par devers le Greffe Criminel de la Cour. Ordonnons néanmoins que les fruits de ses biens seront employés pour la nourriture et entretien d’icelle, préférablement aux amendes ci-dessus adjugées. Et en ce qui est de Thomas de la Sainte Magdeleine et Jeanne Julienne, ordonne que les Prisons leur seront ouvertes, et l’Écroue barrée par le Greffier Criminel, ou son Commis.

Signé: Guerin, de Foresta.

Jean-Louis CHARVET, magistrat

Signe de fin