DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre N
(Troisième et dernière partie)
NUISANCES
Cf. Bruit*, Délinquance*, Écologie*, Incivilités*, Ordures*, Tapage nocturne*, Troubles de voisinage* .
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-253 3° a, p.551
On nomme nuisances les suites des activités sociales, industrielles ou commerciales
qui, soit troublent la vie des personnes, soit constituent un danger
pour leur santé ou pour l'environnement.
Pour lutter contre les pollutions et les risques pour
l'environnement, certaines installations industrielles font
l'objet d'un classement et sont soumises à un régime strict.
Vitu (Traité de droit pénal spécial) : Le droit pénal des nuisances a pris en peu de temps une ampleur et une importance que nul ne peut contester. La lutte contre tout ce qui peut porter atteinte aux éléments qui entourent l'homme, et au cadre de vie dans lequel il évolue, est devenu un problème d'actualité ... et sans doute "le problème" de notre siècle.
Code criminel des Indiens Ute. § 13-4-119 : Est coupable de nuisance publique celui qui ... sans raison valable trouble ou met en danger le repos, la santé ou la sécurité de trois personnes au moins ; ou bien offense la décence publique ; ou bien rend dangereux ou obstrue le passage d'un lac, d'une rivière, d'un bassin, d'un parc public, d'une route ou d'une avenue ; ou bien sans raison valable, rend peu sûre pour trois personnes ou plus la vie ou l'usage de leur maison...
Dostoïevski (Crime et châtiment) : Ah, ces cigarettes ! commença Porphyre Pètrovitch qui avait enfin allumé la sienne et rejeté une bouffée de fumée. C’est une vraie nuisance !
Lorsqu'elles sont commises en violation d'une disposition de police préventive (voir la législation sur les installations classées), les nuisances exposent à une sanction pénale ; en toute hypothèse elles légitiment l'octroi de dommages-intérêts.
Code criminel du Canada. Art. 180 (1) : Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque commet une nuisance publique, et par là, selon le cas :a) met en danger la vie, la sécurité ou la santé du public ; b) cause une lésion physique à quelqu'un.
Cons. d'État 8 juillet 1992 (Gaz.Pal. 1993 Panor.adm. 58) : Un maire, saisi d’une demande tendant à ce qu’il fasse usage de ses pouvoirs pour remédier aux nuisances sonores nées des activités d’un club de tir a rejeté à tort cette demande, alors que l’activité de ce club portait à la tranquillité publique une atteinte d’une gravité telle qu’il ne pouvait s’abstenir d’y porter remède sans méconnaître ses obligations en matière de police .
Versailles 13 novembre 1985 (Rev.Loy. 1986 180), arrêt rendu dans une espèce où le bruit émanant d’une discothèque couvrait le son du film projeté dans le cinéma voisin : De telles nuisances sonores se trouvent excéder la mesure des inconvénients normaux de voisinage et sont en elles-mêmes génératrices d’une responsabilité objective découlant de la seule réalisation du dommage.
Cass.crim. 15 juin 1994 (Gaz.Pal. 1994 II Chr.crim. 681) : Pour faire droit partiellement à la demande des plaignants la cour d'appel retient, à bon droit, qu'en édifiant sans autorisation un bâtiment à usage industriel entraînant des nuisances sonores considérables, le prévenu a causé un préjudice important aux parties civiles, qui, domiciliées près de cette construction, ont souffert, le premier de troubles cardiaques, et son épouse de troubles auditifs.
Cass.crim. 7 mars 2006 (Bull.crim. n°64 p.249) : L'obligation d'équiper et d'exploiter une installation classée dans des conditions propres à éviter toute nuisance olfactive au voisinage constitue une prescription technique au sens ... du Code de l'environnement.
NUIT
La notion de nuit diffère selon que l’on se place, soit du point de vue du fond du droit (gravité des faits matériels et responsabilité morale de leur auteur), soit du point de vue de la procédure pénale (arrestation ou perquisition au domicile d'un justiciable).
- 1° L’infraction commise de nuit. La circonstance de nuit rend les activités criminelle particulièrement redoutables, du fait que le malfaiteur profite du couvert de l’obscurité pour agir. C’est pourquoi en doit entendre ici par « nuit » la période où le soleil est couché ; selon la belle formule de notre Ancien droit : la nuit est l’espace de temps « entre deux soleils ».
Cf. Circonstance aggravante réelle*, Couvre-feu*, Non-droit*, Tapage nocturne*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-238 2°, p.249
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la personne humaine » (4e éd.), n° IV-321, p.610
La nuit au sens naturel du terme s'étend du coucher au lever du soleil. C'est une période particulièrement dangereuse pour les personnes, car la mise en veille des pouvoirs publics facilite l'action des malfaiteurs.
Pierre Riché (La vie quotidienne dans l'Empire carolingien) : Dès la tombée de la nuit, les hommes se terrent. La nuit, c'est le temps consacré au repos des hommes, dit Raban Maur, mais aussi le moment favorable aux exploits des voleurs et des bandits.
Donnedieu de Vabres (Traité de droit criminel) : Que faut-il entendre par nuit ? La jurisprudence déclare qu’il y a là une question de fait, qui doit être résolue par les juges du fait. On désigne ainsi, en général, l’intervalle de temps qui s’écoule entre le coucher et le lever du soleil.
Code pénal du Porto Rico. Art. 7 (20) : "La nuit" signifie la période qui s'écoule entre le coucher le lever du soleil.
C'est pourquoi la science criminelle invite le législateur à aggraver les sanctions encourues par ceux qui commettent de nuit un crime ou un délit, et à étendre le champ de la légitime défense.
Digeste de Justinien 47, XVII, 1. Ulpien : Les voleurs qui
ont agi de nuit doivent être jugés à l'extraordinaire, et punis selon les faits, pourvu qu'on ne les punisse pas plus sévèrement que par la peine des
travaux publics.
Digeste de Justinien 47, XVII, 2. Marcien : Mais s'ils ont commis un vol alors qu’il faisait jour, il faut les renvoyer au droit ordinaire.
Code pénal belge. Art. 478. Le vol commis pendant la nuit est le vol commis plus d’une heure avant le lever et plus d’une heure après le coucher du soleil.
Il en est ainsi en principe en droit positif français.
Cass.crim. 12 février 1813 (S. 1813 I 246), relatif à un vol de nuit : La loi a entendu par nuit, d’après la signification vulgaire et naturelle de ce mot, tout l’intervalle de temps entre le coucher et le lever du soleil.
Cass.crim. 5 juin 1984 (Gaz.Pal. 1985 I 60 note Doucet) : Un cambrioleur qui s'était introduit de nuit et par effraction dans une maison d'habitation ayant frappé à la tête avec un pistolet d'alarme le propriétaire qui, descendu du premier étage avec une carabine, lui avait intimé l'ordre de ne pas bouger, la Cour d'appel, pour admettre l'existence du fait justificatif de légitime défense au bénéfice de ce propriétaire, qui avait alors fait feu à trois reprises sur son agresseur, a souverainement apprécié que la riposte n'était nullement disproportionnée à l'attaque, le prévenu ayant de sérieuses raisons de croire qu'il était menacé dans sa vie et dans ses biens.
- 2° Les actes de procédure accomplis de nuit. D'un point de vue procédural, la nuit est une période où la vie individuelle et familiale doit en principe être préservée des intrusions du pouvoir social. Sa durée est alors déterminée par les textes légaux.
Cf. Nullités de procédure*, Perquisitions* .
Les États démocratiques, sauf flagrant délit ou situation d'urgence, n'autorisent les arrestation et les perquisitions que pendant les périodes légales. Ces actes de procédure ne sauraient en principe être accomplis de nuit, à un moment où la personne qui en fait l’objet se trouverait en peine d'exercer les droits de la défense.
Code de procédure pénale allemand, §.104 relatif aux perquisitions : La période de nuit est comprise entre neuf heures du soir et quatre heures du matin, du 1er avril au 30 septembre, et entre neuf heures du soir et six heures du matin, du 1er octobre au 31 mars.
Code de procédure pénale du Togo. Art. 48 : Sauf réclamations faites de l’intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 20 heures.
Le droit positif français se prononce en ce sens. Ainsi l’art. 59 de notre Code de procédure pénale énonce que les Perquisitions* domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures (dans cette hypothèse, le législateur assure également l’inviolabilité de la sphère d’intimité dans le temps consacré au sommeil)
Instruction générale : La perquisition ne doit pas commencer après 21 heures, mais ayant débuté avant 21 heures elle peut se prolonger après le commencement du temps de la nuit.
Pradel (Procédure pénale) : Les perquisitions ne sont autorisées que de jour … Cette règle est dictée dans l’intérêt de la protection des libertés individuelles et plus spécialement de l’inviolabilité des domiciles.
NULLITÉS DE PROCÉDURE
Cf. Actes juridiques*, Cancellation*, Garde à vue*, Instruction pénale*, Moyens dilatoires*.
- Notion. La violation des règles posées par le législateur pour mener une enquête de police, une instruction préparatoire, ou une instruction à l’audience, peut être sanctionnée, soit par une peine disciplinaire à l’encontre du magistrat en faute, soit par l’annulation de l’acte irrégulier au profit du prévenu.
Denisart (Collection de jurisprudence, 1768) : Au Barreau, le mot « Forme » s’entend des règles établies par les ordonnances pour la régularité et la validité des actes. Le défaut d’observation des formes prescrites peut déterminer à rejeter une demande. En ce sens on dit proverbialement : « La forme emporte le fond ».
Jhering (L’esprit du droit romain) : Il est de l’essence même de la notion de forme que la moindre déviation de celle-ci engendre un vice de forme, et par suite une nullité.
Responsabilité du magistrat (Berville, Introduction aux Œuvres complètes de Pothier) : Pothier fur un magistrat intègre autant qu'éclairé. Ayant négligé, dans le rapport d'une affaire, une pièce décisive, dont l'omission entraîna, pour la partie qui l'avait produite, la perte du procès, il répara noblement cette faute involontaire, en indemnisant, sur sa propre fortune, la victime de son erreur.
- Science criminelle. La technique des nullités s'observe dans tous les systèmes répressifs. Mais en pratique on distingue divers niveaux de nullité.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Nullité, par D. Pouyaud : Le premier sens que donne Littré au mot nullité est : « terme de jurisprudence. Défaut qui rend un acte nul ». Plus qu'un état de l'acte, la nullité est maintenant analysée comme une sanction. Elle anéantit l'acte, et cet effet semble parfois excessif [notamment en matière pénale où elle opère au détriment de l'ordre et de la sécurité publique].
Merle et Vitu (Traité de droit criminel T.II) : Pour sanctionner de manière satisfaisante les irrégularités commises au cours de l’instruction, il convient de tenir compte de deux intérêts opposés : assurer la protection des droits de la défense, en exigeant que soient effectivement appliquées à peine de nullité les règles établies en vue de cette protection, - et d’autre part ne pas entraver la marche des procès répressifs, en évitant que le régime sanctionnateur ne soit prétexte à moyens dilatoires et source de constantes contestations.
Rolland (Les garanties de la liberté individuelle au cours du procès pénal) : Nous pouvons constater que les nullités sont plus efficaces que les sanctions (contre les magistrats), les poursuites n’étant pas toujours déclenchées et n’aboutissant pas toujours à des condamnations intimidantes.
Code de droit canon. Can. 1598 : Lorsque les preuves ont été constituées, le juge doit, par décret et sous peine de nullité, permettre aux parties et à leurs avocats de prendre connaissance à la chancellerie du tribunal des actes qui ne leur sont pas encore connus.
Code de procédure pénale de Bolivie. Art. 46 - (Incompétence). L'incompétence matérielle sera prononcée d'office, en tout état de la procédure. Quand elle sera déclarée, le dossier sera remis au juge ou au tribunal compétent ... L'inobservation des règles de compétence matérielle emportera nullité des actes accomplis.
Code de procédure pénale de Madagascar. Art. 53 L'officier de police judiciaire, lors de la première audition de toute personne soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit, doit l'avertir de son droit de choisir un défenseur parmi les avocats inscrits au barreau de Madagascar ... Mention de l'accomplissement de cette formalité doit être faite au procès-verbal d'audition à peine de nullité de la procédure.
De nos jours on assiste à une multiplication des règles de procédure, assorties de la nullité de l'instruction, qui conduisent à la remise en liberté de criminels ne jouissant plus de la présomption d'innocence que par une pure fiction. Cette évolution est sans doute profitable aux avocats, mais elle n'est pas sans danger pour l'ordre public ; d'autant que, avec le développement du crime organisé, toute association de malfaiteurs solidement structurée compte en son sein au moins un avocat à sa solde (outre un receleur). On peut se demander si la science criminelle ne pourrait pas trouver une réponse plus adaptée aux deux premiers impératifs de la procédure pénale, à savoir la défense de la société et la recherche de la vérité, en cas de violation mineure des droits de la défense.
Exemple (Ouest-France 5 décembre 2008) : L..., une figure du grand banditisme de paris, et trois de ses complices présumés, étaient écroués pour vols, blanchiment et escroquerie. Le pavillon de L... avait été placé sur écoutes. Ce dispositif était autorisé jusqu'au 20 juin 2007. Or, il a fonctionné jusqu'au 5 juillet . La Chambre criminelle de la cour de cassation a estimé qu'une telle situation était illégale. Les détenus ont été libérés le 25 novembre.
Exemple (Ouest-France 17 février 2012) : Le procès en appel de M., pour le viol de deux femmes s'ouvre aujourd'hui à Paris. Sa libération par erreur, en 2008, causée par une bavure d'écriture de la chambre de l'instruction, avait suscité la colère de Nicolas Sarkozy : "Je n'ai pas l'intention qu'on laisse libérer un violeur récidiviste simplement parce que quelqu'un a fait une erreur matérielle". [ on pourrait ajouter : surtout dans le cas d'un bogue informatique, pouvant d'ailleurs résulter d'une intervention extérieure ]
- Nullité et inexistence. La méconnaissance de certaines règles de forme présente une gravité telle que l’acte vicié en est dénaturé ; on dit alors qu’il est inexistant. Tel est le cas d’un réquisitoire qui ne comporte pas la signature d’un membre du Parquet.
Cass.crim. 21 novembre 1988 (Bull.crim. n° 394 p.1038), sommaire : Doit être considéré comme inexistant un acte du juge d’instruction figurant dans une procédure, mais qui n’est ni daté ni signé ; par suite, est entaché de nullité le procès-verbal qui s’y réfère.
- Nullité substantielle (ou virtuelle). L’art. 802 C.pr.pén. dispose qu’en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, l’annulation ne peut être prononcée que si l’irrégularité constatée au eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. La Cour de cassation apprécie cette condition tantôt dans l’abstrait, en raison de la nature de l’acte, tantôt dans le concret, en raison des particularités de l’espèce.
Cass.crim. 23 mars 1999 (Gaz.Pal. 1999 II Chr.crim. 113) : La nullité ne peut être prononcée, aux termes de l'art. 171 C.pr.pén., que si la méconnaissance d'une formalité substantielle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne quelle concerne.
- Nullité textuelle. Parfois, en posant une règle de forme, le législateur prend soin de préciser que la méconnaissance de cette formalité sera sanctionnée par la nullité. On parle alors de nullité textuelle. Ainsi, l’art. 59 C.pr.pén. dispose que les formalités relatives aux perquisitions sont prescrites à peine de nullité. Dans ce cas le rejet de la demande de nullité suppose établie l’absence de toute atteinte effectivement causée aux droits de l’intéressé.
Pradel (Procédure pénale). Système des nullités textuelles. Ici la loi qui prévoit une formalité indique qu’elle est requise à peine de nullité… Notre Code a institué des nullités textuelles, pour les perquisitions, les vérifications d’identité, les écoutes téléphoniques…
Décret du 1er brumaire an II (22 octobre 1793). Le tribunal de cassation ne pourra annuler aucun jugement ni aucun acte d'instruction en matière criminelle, pour violation ou omission de formes, que dans le cas où la peine de nullité est expressément prononcée par la loi.
- Droit positif. Le législateur français a opté pour le procédé de la nullité, plutôt que pour celui de la sanction disciplinaire. Ce choix présente l’inconvénient, surtout lorsque la nullité de l’acte en cause s’étend à l’ensemble de la procédure, de laisser en liberté un malfaiteur avéré. L’erreur d’un magistrat inattentif, un bogue informatique met alors la société en péril.
Cass.crim. 19 juin 2007 (Bull.crim. n° 168 p.710) : Selon l'art. 171 C.pr.pén., il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle de procédure a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.
Exemple (Télétexte TF1 12 mai 2010) : Un juge qui a instruit une affaires de violences volontaires, reprochée à un multirécidiviste, s'est contenté de recopier le travail du procureur de la République, ce qui constitue un vice de procédure. Annulation de la procédure et mise en liberté de l'intéressé.
Exemple (Ouest-France 7 février 2014) : Le principal suspect dans le meurtre d'un disc-jockey, en 2011 en Seine-Saint-Denis, a été libéré mercredi. Il avait fait appel de son maintien en détention. Mais le Parquet de Bobigny n'avait plus d'encre dans son fax, et un document n'est jamais parvenu à la Chambre de l'instruction dans les délais légaux.
Les nullités de procédure doivent être présentées au plus tôt, afin de ne pas prolonger inutilement la procédure.
Cass.crim.
6 juin 2012, n° 11-87180 : Vu les art. 385 et 522, dernier
alinéa, C.proc.pén. ;
Aux termes du premier de ces textes, les exceptions tirées de la nullité,
soit de la citation, soit de la procédure antérieure, doivent, à
peine de forclusion, être présentées avant toute défense au fond
; il s'ensuit que les juridictions ne sauraient les relever
d'office ;
Pour relaxer la prévenue, le jugement attaqué relève d'office
l'irrégularité du procès-verbal de contravention, motif pris de
l'incompétence de l'agent verbalisateur ; en statuant ainsi, la
juridiction de proximité a méconnu les textes susvisés et le
principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est
encourue.
Dans l’intérêt public, cette sanction procédurale doit être maniée avec grande prudence. Surtout de nos jours où, sortant de son domaine rationnel de compétence, le Parlement a inconsidérément multiplié les règles de forme. C’est pourquoi la jurisprudence pose en principe que la nullité d’un acte n’emporte pas nécessairement nullité de toute la procédure.
Cass.crim. 12 avril 2005 (Bull.crim. n° 125 p.434) : Lorsqu’une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, seules doivent être annulés les actes affectés par cette irrégularité et ceux dont il est le support nécessaire.
Peut en principe se prévaloir d'une nullité de l'instruction toute partie au procès qui y a intérêt. Mais il n'en va ainsi que si la nullité relevée concerne l'instruction préparatoire ou l'instruction à l'audience.
Cass.crim. 6 septembre 2006 n° 11-84694 (Gaz.Pal. 6 mars 2012) : La méconnaissance des formalités substantielles auxquelles est subordonnée la garde à vue ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation.
Cass.crim. 14 février 2012 (Gaz.Pal. 29 mars 2007) extrait : La méconnaissance des formalités substantielles auxquelles est subordonnée la garde à vue ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'acte ou de pièces de procédure que par la partie qu'elle concerne.
NULLUM CRIMEN NULLA POENA SINE LEGE - Voir : Légalité*.
NUL NE PEUT SE FAIRE JUSTICE À SOI-MÊME
Cf. Déni de justice*, Escadron de la mort*, Justice privée et justice sociale*, Légitime défense*, Vendetta*, Vengeance*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n°3, p.4
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-108, p.462
- Principe. Du moment où il a acquis assez d'autorité pour faire régner la paix sociale, l'État prend en charge l'institution de la justice ; alors nul n'est plus autorisé à se faire justice à soi-même, et encore moins à se venger.
Du Boys (Histoire du droit criminel) : Dans les temps où le pouvoir public se sentait impuissant à réprimer lui-même tous les excès, il encourageait les chefs de famille à se faire justice eux-mêmes, en leur offrant de les couvrir de son approbation solennelle après une enquête et un jugement sur la moralité du fait.
Bluntschli (Droit public général) : L'État moderne, par respect de la paix publique, défend de se faire justice à soi-même.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : On pèche contre la justice légale en s’arrogeant le droit de se faire justice soi-même, en négligeant la règle du droit.
Pufendorf (Le droit de la nature) : Il serait contre la nature et le but du Gouvernement civil de permettre aux sujets de se faire justice eux-mêmes.
- Application. Rendre la Justice est un Droit régalien, ou plus exactement un devoir de l'État. Les tribunaux établis par lui ont seul autorité pour restaurer le droit, réparer le dommage subi par les victimes et sanctionner les coupables. Ce qui est vrai en droit civil ou commercial, l'est plus encore en matière pénale. Encore faut-il que le juge saisi ne commette pas un Déni de justice*. Par ailleurs il importe d'observer que la Légitime défense* permet de suppléer la défaillance présente des services de police, mais n'autorise pas à se rendre justice.
Neufbourg (La loi naturelle) : Il est interdit de se faire justice par soi-même et d'employer la force pour exercer ses droits.
Frank (La morale pour tous) : Disposer de la vie d'autrui, c'est exercer une vengeance ou se faire justice soi-même, ce qui n'est jamais permis.
De Curban (La science du gouvernement) : Dans les sociétés civiles, ce n'est qu'aux souverains et aux magistrats dépositaires de son autorité qu'il appartient de décerner des peines, soit afflictives, soit pécuniaires, contre ceux qui violent les lois.
Cass. 3e Ch.civ. 6 décembre 1995 (Revue des loyers 1996 p.392) : L'action possessoire en réintégration, fondée sur le principe selon lequel nul, fut-ce une personne publique, ne peut se faire justice à soi-même, est ouverte à tous ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement un immeuble et qui sont victimes d'une voie de fait affectant ou menaçant arbitrairement leur possession.
Trib.com. Salon de Provence 21 avril 1993 (Gaz.Pal. 1993 II 478) : Il est un principe constant que nul ne peut se faire justice lui-même... On ne peut permettre l'utilisation de procédés qui conduiraient immanquablement à un désordre préjudiciable à des rapports loyaux dans les affaires.
NUL NE PLAIDE PAR PROCUREUR
À l’origine la règle « En France, nul ne plaide par procureur » signifiait que toute personne figurant comme partie dans une procédure devait
comparaître en personne, « hormis le Roi ».
- Mais son sens a évolué : elle indique maintenant qu’un plaideur ne peut pas faire intervenir un prête-nom à sa place. C’est le nom du
demandeur lui-même qui doit figurer dans une citation directe ou dans une plainte avec constitution de partie civile.
Vincent et Guinchard (Procédure civile) : La maxime s’est maintenue avec un sens nouveau ; elle a interdit la pratique employée par certains seigneurs et consistant à plaider sous un prête-nom ; elle a déclaré impossible pour le dominus litis de faire disparaître sa personnalité derrière celle de son mandataire. Tel est actuellement la portée de cette règle.
Joly (Procédure civile) : Cet adage signifie que si un plaideur est représenté en justice, cela doit apparaître ouvertement dans la procédure afin que son adversaire en ait connaissance. Quiconque n’agit pas en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, doit révéler dans les actes du procès le ou les noms de celui ou de ceux qu’il représente. Il est aisé de justifier cette règle, plus pratique qu’on ne le penserait au premier abord. La liberté de la défense et la loyauté de la lutte judiciaire exigent que les parties combattent à visage découvert, et que chacun sache exactement contre qui il plaide réellement. Un défendeur ne saurait être contraint de soutenir un procès contre un adversaire inconnu, dissimulé derrière un figurant.
Cass.(2e civ ) 29 novembre 2001 (Gaz.Pal. 2002 somm. 213) : Il résulte du principe selon lequel nul ne plaide par procureur que le Fonds de Garantie Automobile n’est pas recevable à demander la condamnation des conducteurs de véhicules impliqués dans un accident aux lieu et place de la victime d’un accident de la circulation ou ses ayants droit.
NUL N'EST CENSÉ IGNORER LA LOI
Cf. Dol général*, Erreur de droit*, Ignorance*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (3e éd.), p.110 (note 3)
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-320, p.84/85
- Principe. Cette formule est la traduction de l'adage latin « Nemo legem ignorare censetur ». La protection de la société comme des personnes conduit à poser en principe que tout individu se trouvant sur le territoire national connaît les lois qui y sont applicables, particulièrement celles d'une importance telle que les autorités ont assorti leur violation d'une sanction pénale.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : Il y a des choses que l'on est tenu de savoir, celles sans la connaissance desquelles on ne peut faire correctement son devoir. Ainsi tout le monde est tenu de savoir en général... les préceptes universels du droit, et chacun en particulier est tenu de savoir ce qui regarde son état et sa fonction.
Ortolan (éléments de droit pénal) : Si on prenait
l'adage « Nul n'est censé ignorer la loi » comme exprimant une présomption, on aurait grand tort. Une présomption est une sorte de conséquence logique,
tirée, par voie d'induction, du général au particulier, de ce qui a lieu communément au cas spécial dont il est question. Or, le fait général est-il que
chacun connaisse toutes les lois ou la majeure partie des lois du pays où il vit ? Est-ce là ce qui a lieu communément, ou n'est-ce pas précisément
le contraire ? Que signifie donc notre adage ? Rien autre chose que ce fait, qu'une fois la loi publiée, et passé un certain délai
suffisant pour que chacun soit à même de la connaître ou de s'en faire instruire au besoin, qu'il la connût ou qu'il ne la connût point, on la lui
appliquera.
Or, comment justifier une pareille manière d'agir en ce qui concerne le droit pénal ? Là est la question. S'il s'agit de crimes ou de délits de droit
général, qui sont tels en tous les temps et par tous les pays, la raison qui est en chacun de nous suffit pour nous en faire connaître la criminalité et
pour en rendre le châtiment mérité ... S'il s'agit de ces faits qui n'ont qu'une criminalité locale, qui peuvent être prohibés dans un pays ou dans un
temps et non dans l'autre, parce qu'ils tiennent à des intérêts, à des situations ou à des usages particuliers, faits dont la criminalité, du reste,
n'est jamais fort élevée dans l'échelle pénale, et qui se rangent pour la plupart au nombre des délits non intentionnels, c'est à chacun à s'informer, à
se faire instruire de ce qui est permis ou de ce qui est défendu, lorsqu'il se trouve en quelqu'une des circonstances auxquelles ces lois particulières
sont applicables.
Merle et Vitu (Traité de droit criminel, T.I), rappellent le principe : La conscience de l'illégalité des actes est toujours présumée d'une manière irréfragable. Tous les citoyens, quel que soit leur degré d'instruction ou d'intelligence, sont censés connaître ou comprendre les lois ou les règlements, et personne ne peut se soustraire à l'application d'une règle pénale obligatoire en démontrant qu'il en ignorait l'existence ou qu'il s'est mépris sur sa signification.
- Limites. Se pose toutefois la question de savoir si cette présomption est absolue (irréfragable) ou relative (simple). On a longtemps considéré que cette présomption interdisait toujours à un prévenu de soutenir qu'il ignorait l'existence de la loi, et même qu'il s'était trompé sur son sens ou sa portée. Mais le corps des lois et règlements est devenu si volumineux qu'il a bien fallu autoriser le défendeur a établir qu'il a commis une Erreur de droit* invincible et n'est dès lors qu'il n'est pas coupable. Ce moyen de défense peut parfois prospérer quant aux infractions de police sociale, professionnelle ou préventive ; mais il semble inopérant quant aux incriminations de droit naturel.
Burlamaqui (Principes de droit naturel) : Les lois romaines n'ont envisagé l'erreur de droit que par rapport au droit positif. Elles n'admettent pas la présomption qu'on ait ignoré le droit naturel.
Desportes et Le Gunehec (Le nouveau droit pénal) : Une telle sévérité était par trop excessive, c'est pourquoi le nouveau Code pénal est venu reconnaître, dans des conditions restrictives, l'erreur sur le droit comme cause d'irresponsabilité ... L'irresponsabilité pénale ne peut résulter que d'une erreur sur le droit que la personne n'était pas en mesure d'éviter et en raison de laquelle elle a cru pouvoir légitimement accomplir l'acte.
Montpellier 8 février 1993 (D. 1993 J 306) : La publication est une condition nécessaire pour que la loi devienne obligatoire et que l'adage « Nul n'est censé ignorer la loi » repose sur une réalité et non une fiction.
Le législateur chinois impérial, relayé par ses voisins, eut l'idée ingénieuse d'inciter les justiciables à prendre connaissance des lois, en octroyant une dispense de peine à celui qui, les ayant étudiées, commettrait pour la première fois une infraction d'imprudence.
Code annamite de Gia Long. Art. 59 : Toutes les personnes qui pourront lire, expliquer et interpréter complètement les lois, qui en pénétreront le sens, si elles ont commis une faute par accident ou par mégarde, lorsqu'elles seront coupables pour la première fois, seront dispensés de leur peine. Commentaire officiel : Cela afin d'encourager au savoir.