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Tableaux des incriminations assurant la protection
des principaux intérêts protégés par la loi pénale

 

Cette rubrique comporte
deux parties :

  Incriminations selon la science criminelle

  Incriminations en droit positif français

INTRODUCTION et TABLEAUX GÉNÉRAUX

Les premiers codes pénaux dont nous ayons conservé la trace, notamment le Code d’Hammourabi, ne sont au fond qu’un recueil des décisions notables rendues par le Souverain et collationnées dans un ordre très approximatif.

Des codes plus évolués, comme le Code brahmanique autrefois appliqué aux Indes, les Codes des Ming puis des Ts’ing en vigueur en Chine impériale, ou encore le Code criminel de Charles Quint régissant le Saint-empire romain germanique, sont parvenus à une ébauche de classement en distinguant selon des agissements criminels très typés : faux-témoignage, incendie, injures, meurtre, rébellion, violences, vol … Cependant leurs dispositions ne forment pas un tout parfaitement ordonné, de sorte que, en 1771 encore, un auteur aussi talentueux que Jousse se borne à présenter les infractions majeures dans leur ordre alphabétique.

Il a fallu attendre les Codes modernes pour voir s’imposer une classification fondée sur les différents intérêts protégés par la loi pénale : La société (Nation et État), la famille (mariage et relations familiales), et l’individu (intégrité physique, intégrité morale, liberté physique et morale, patrimoine). Cependant, à ce stade, les titres de rubriques doivent-ils plus à la philosophie du droit qu’aux techniques juridiques.

Le droit pénal des incriminations (dit droit pénal spécial) nourrit le droit pénal traitant des principes fondamentaux (dit droit pénal général), mais il ne s’y ressource pas. Le courant nourricier ne passe que dans un sens.

Pour faire un pas de plus vers une structure rationnelle des codes, il faut procéder à un échange d’informations entre le droit pénal général et le droit pénal spécial. Il faut que les règles générales induites du droit pénal spécial, lui fassent retour et contribuent à l’organiser. C’est cette interaction qui permet l’enrichissement des techniques d’incrimination.

Or, que nous enseigne le droit pénal général ? Pour répondre à cette question il faut se placer successivement, d’abord sur le terrain des incriminations, ensuite sur le terrain de l’imputation (du point de vue qui nous intéresse ici le niveau des sanctions peut être négligé, quoique sur un plan plus général le législateur doive veiller à assurer la cohérence entre les différents systèmes protecteurs : la vie doit être protégée plus énergiquement que les biens).

I – Sur la structure des incriminations

La structure des diverses incriminations rationnelles dégagées au fil des siècles varie selon qu’elles relèvent, soit de la responsabilité objective, soit de la responsabilité subjective.

Une incrimination objective sanctionne une atteinte effective à un intérêt protégé, tel que la vie ou la propriété, dès lors qu’elle résulte d’un acte, sinon imprudent, du moins volontaire. Une telle disposition n’entretient nulle relation avec aucun autre crime ou délit ; elle se juxtapose simplement aux autres incriminations existantes. En sorte qu’une étude de l’ensemble de ces textes peut laisser apparaître des lacunes dans la répression. C’est en examinant une législation de cette nature que certains auteurs ont comparé les lois pénales à un filet aux trous béants, qui laisse passer de dangereux délinquants et dans les brèches duquel savent s’infiltrer les malfaiteurs habiles.

La doctrine subjective, en revanche, met en lumière la notion d’intention criminelle, laquelle est formée par une personne et vise à léser tel ou tel intérêt légitime. Le législateur peut alors s’appuyer sur la notion de cheminement criminel, ou iter criminis. Ces expressions visent les différentes étapes du processus que suit un malfaiteur : 1° idée de commettre une infraction (qui relève du for interne), 2° résolution de la perpétrer (qui peut se manifester par les agissements révélateurs), 3° réalisation d’actes préparatoires (qui traduisent matériellement une activité criminelle), 4° accomplissement de l’acte dommageable (qui peut être puni en lui-même), 5° atteinte du but recherché (qui résulte d’une atteinte effective à l’intérêt protégé).

S’il suit ce schéma, le législateur a la possibilité d’incriminer successivement, en fonction de l’importance de l’intérêt protégé en cause : la résolution criminelle (complot, association de malfaiteurs), les actes préparatoires (port d’arme, fabrication de fausse clef), le commencement d’exécution (délit formel : insurrection, incendie, attentat à la pudeur), le délit achevé (délit de résultat : meurtre, vol, destruction de biens).

De plus, au stade des délits formels et des délits de résultat, il est loisible au législateur de tenir compte d’éventuelles circonstances aggravantes (atteinte à la pudeur d’un mineur, vol avec violence) ou d’éventuelles excuses atténuantes (grappillage par rapport au vol, provocation dans le cas de coups et blessures).

Enfin la loi peut admettre que certains actes accomplis après la consommation de l’infraction atténuent, voire effacent, le trouble social. Il en est ainsi du repentir actif en matière de faux-témoignage (dès lors que son auteur rétablit la vérité avant la fin des débats).

Ce sont ces différents points qui figurent dans la première colonne des tableaux subjectifs ci-dessous (voir notre article consacré aux familles d’infractions).

Il faut encore observer que toutes les incriminations objectives n’ont pas disparu. Certains subsistent : incriminations de police sociale, tel le délit d’omission de porter secours à personne en péril ; incriminations de police disciplinaires, tel le délit de violation du secret professionnel ; incriminations de police préventive, telle la contravention de défaut de ramonage de cheminée. Mais le législateur ne saurait plus sanctionner de semblables dispositions que de peines contraventionnelles ou délictuelles ; jamais de peines criminelles. Elles figurent dans notre seconde série de tableaux.

II – Sur l’imputation des infractions

En principe, une infraction est imputée, à titre principal à l’auteur de l’acte matériel qui caractérise l’infraction envisagée, et à titre accessoire au simple complice.

Cependant, les règles qui régissent la complicité font parfois obstacle à ce qu’un individu soit puni, alors qu’il a manifestement commis un acte tout à la fois contraire à la morale et dangereux pour la société.

En premier lieu, un reproche de complicité suppose qu’une infraction ait été effectivement commise. En sorte que celui qui a incité ou provoqué autrui à commettre un crime ou un délit ne peut être poursuivi comme complice si ce crime ou délit n’a été ni perpétré ni même tenté.

Pour combler cette lacune le législateur doit spécialement incriminer cet acte accessoire : ce seront les délits accessoires d’instigation et de provocation, applicables lorsque le fait principal n’a pas été commis. Il en va éventuellement de même pour la fourniture de renseignements ou de logement, de fausse clef ou d’armes.

En second lieu, si l’on rattache directement l’acte accessoire à l’acte principal, du jour où celui-ci est prescrit celui-là ne peut plus être poursuivi. Il suffit alors à celui qui apporte une aide postérieur au fait principal d’attendre que ce dernier soit couvert par la prescription pour pouvoir se manifester. Ainsi, sous ce régime, un receleur, qui aura eu la patience d’attendre trois ans après un délit de vol, pourra écouler en toute tranquillité le butin qui lui a été remis.

La catégorie des délits qui sont spécialement incriminés pour faire échec à ce calcul (dits délits de conséquence) apparaît particulièrement fournie. On y observe notamment les délits d’apologie, de recel de malfaiteur, de recel de biens et de blanchiment d’argent.

Ces délits accessoires trouvent leur place dans la seconde colonne de nos tableaux

II – Intérêt et limites de cette mise en forme

Ces considérations pourraient paraître bien théoriques si l’on n’observait qu’elles permettent une organisation méthodique de la matière, donc un allègement et une clarification de la loi et, par voie de conséquence, une simplification de la pratique judiciaire. Une matière ordonnée l’emporte sur le chaos ; en particulier dans le domaine juridique, qui tend essentiellement vers le rationnel (voir notre article : Supplique pour la science criminelle).

Au vu des tableaux que nous avons établis à partir des codes pénaux contemporains, le lecteur constatera que la plupart des législateurs s’inspirent au moins intuitivement de ces outils pour assurer la protection des principaux intérêts qu’ils entendent garantir. Il est même tout à fait remarquable qu’ils soit possible de présenter, selon un schéma unique, les principales incriminations retenues à travers le monde par des personnes aux cultures fort différentes.

Quoique, à la réflexion, on ne saurait en être surpris. Les modes de délinquance ne varient guère à travers le temps et l’espace ; aussi les réactions sociales qu’ils suscitent ne sauraient guère varier elles non plus, du moins sur le terrain des incriminations. Tout progrès technique réalisé par un législateur donné enrichit la science juridique dans son ensemble et profite à tous.

Il convient toutefois d’observer que l’ensemble des possibilités offertes par la science criminelle pour assurer la protection de tel ou tel intérêt n’est pas nécessairement utilisé par chaque législateur.

D’une part certains intérêts doivent être protégés dès la première menace, dès lors que le tout premier acte d’exécution constitue déjà un trouble insupportable pour l’ordre public. Il en est ainsi des agissements dirigées contre la Nation ou contre l’État : la simple conspiration, la simple conjuration doivent être réprimés avec vigueur.

D’un autre côté, quelques intérêts n’appellent pas un cadre répressif trop sévère, car ils se trouvent en concurrence avec d’autres intérêts dignes d’attention. Tel est le cas de la protection de la réputation des personnes, où la loi doit composer avec la liberté d’expression.

Par ailleurs la protection de quelques intérêts, où la victime est l’auteur matériel de son propre malheur, reposent moins sur la répression des actes principaux que celle des actes accessoires. Il en est ainsi dans le cas du suicide ou dans celui de la consommation de drogue.

On notera qu’un simple coup d’œil à la répartition des incriminations, dans les tableaux ci-dessous, permet de voir sur quel plan se situe l’essentiel de l’intervention du législateur.

D’un point de vue pratique, enfin, on peut observer que ces tableaux offrent une grille de correspondances dont l’emploi faciliterait grandement les rapports internationaux, en particulier sur le terrain de l’extradition et du mandat d’arrêt européen.

III – Tableaux modèles des incriminations permettant de protéger tout intérêt juridique

INCRIMINATIONS rationnelles permettant d’assurer
LA PROTECTION DE tout intérêt juridique

(selon la science criminelle)

1° - les Incriminations de structure pénale
(
reposant sur la notion d’intention criminelle)

ACTES

PRINCIPAUX

ACCESSOIRES

A

N

T

É

R

I

E

U

R

S

Délits d’intention (résolution criminelle)

constitués par un acte révélant la résolution de porter atteinte à tel intérêt juridique.

Offre de commettre telle infraction

Ex. : Offrir ses services pour un tueur à gages

Complot, conjuration ou conspiration

Ex. : Fomenter un complot contre la Constitution

Association de malfaiteurs

Ex. : Association d’individus tendant à commettre des vols

*

Délits obstacles (actes préparatoires)

Complot suivi d’actes préparatoires

Ex. : Complot contre la sûreté de l’État suivi de formation d’une bande armée

Acquisition de moyens

Ex. : Achat de produits explosifs ou incendiaires

Détention de matériel permettant de commettre une infraction

Ex. : Détention de matériel d’espionnage

Port d’arme

Ex. : Port d’un revolver sans permis de port d’arme

*

antérieurs ou concomitants
au délit principal

Délits d’intention

Instigation

Dons, promesses, menaces… visant à inciter une personne précise à commettre le délit principal.

Ex. : subornation de témoin

Provocation

Discours publics ou écrits rendus publics visant à pousser quiconque à commettre le délit principal.

Ex. : provocation au meurtre

Propagande ou publicité illicite

Discours publics ou écrits rendus publics visant à influencer en mal l’opinion publique

Ex. : Propagande anti-constitutionnelle

*

Délits obstacles

Enseignement d’une activité criminelle

Ex. : Cours de vol

Fabrication d’instrument dangereux

Ex. : Fabrication de fausse clef

Fourniture de matériel

Ex. : Fourniture de papier filigrané

Fourniture de moyens

Ex. : Fourniture de produits abortifs

Fourniture de renseignements

Ex. : Indications de modes de suicide

Fourniture de fonds

Ex. : Financement d’un trafic de stupéfiants

Fourniture de logement

Ex. : Délit de logement de rebelles

Diffusion de fausse nouvelle

Ex. : Diffusion de fausses nouvelles propres à semer l’alarme dans la population

Non-dénonciation de crime

Ex. : Non-dénonciation d’un meurtre à venir

Non-dénonciation de criminel

Ex. : Non-dénonciation d’un saboteur

Aide et assistance.

Ex. : Aide à l’évasion

Prise d’intérêt.

Ex. : Délit de proxénétisme

*

A défaut de délit accessoire spécial,
on applique les règles générales de la complicité

Dans les droits subjectifs,  instigateurs, provocateurs, promoteurs, ou organisateurs sont considérés comme auteurs principaux.

 

D

O

M

M

A

G

E

A

B

L

E

S

Délit de base

Soit Délit formel

Il est constitué :

tantôt dès le commencement d’exécution. Ex. : attentat à la pudeur

tantôt par l’enclenchement d’un mécanisme implacable. Ex. : incendie

soit Délit de résultat

Il est constitué par un acte commis avec l’intention de porter atteinte à l’intérêt protégé et ayant effectivement causé ce résultat. Ex. : meurtre, vol

Délits dérivés par aggravation

- gravité de l’acte. Ex. : empoisonnement

- de l’atteinte. Ex. parricide

- de l’intention. Ex. : assassinat

Simples circonstances aggravantes

- gravité de l’acte. Ex. infraction commise en réunion

- de l’atteinte. Ex. : attentat à la pudeur sur un mineur

- de l’intention. Ex. : meurtre avec guet-apens

Délits dérivés par atténuation

- gravité de l’acte. Ex. : contravention de simple voie de fait

- de l’atteinte. Ex. : vol de fruits sur un arbre (grappillage)

- de l’intention. Ex. : délit de coups portés lors d’une rixe

Simples excuses atténuantes réelles

- gravité de l’acte. Ex. : vol d’usage avec restitution rapide

- de l’atteinte. Ex. : vol d’un bien de peu de valeur

- de l’intention. Ex. : Consentement de la victime (euthanasie)

*

Excuses atténuantes personnelles

- Excuse de désistement (cas des délits formels)

Ex. : Désistement au cours d’un attentat à la sûreté de l’État

- Excuse de soumission (cas des délits formels)

Ex. : Soumission à un ordre de dispersion lors d’une rébellion

Excuses absolutoires

- Excuse de vérité.

Ex. : Exception de vérité en matière de diffamation

- Excuse de dénonciation.

Ex. : Dénonciation d’un complot contre la sûreté de l’État

Immunités

Ex. : Immunité familiale faisant obstacle à des poursuites du chef de vol.

 

P

O

S

T

É

R

I

E

U

R

S

Ces actes constituent ordinairement une autre infraction
mais ils relèvent parfois de la théorie de la sanction

Excuse atténuante

- Excuse de repentir actif

Ex. : Excuse de rétractation en matière d’injure ou diffamation

- Excuse de dénonciation

Ex. : Dénonciation des auteurs d’un attentat contre le pouvoir législatif

Excuse absolutoire :

- Excuse de repentir actif

Ex. : Rétablissement de la vérité par un témoin infidèle, avant la clôture des débats

- Excuse de dénonciation

Ex. : Dénonciation des auteurs d’un attentat contre la Constitution

 

Délits de conséquence

Délit d’apologie

Ex. Apologie d’un meurtre ou du meurtrier

Délit de souscription

Ex. : Souscription visant à payer l’amende à laquelle un délinquant a été condamné

Recel de malfaiteur

Ex. : Recel d’une personne recherchée par la police comme suspecte ou coupable

Recel de cadavre

Ex. : Recel du cadavre d’une victime

Recel de chose

Ex. : Recel de chose détournée

Partage des produits d’un délit

Ex. : Partage des produits de la prostitution

Délit de blanchiment

Ex. : Blanchiment sur trafic de stupéfiants

 

2° - Les Incriminations de police à structure non pénale
(reposant sur la notion de dol général voire de simple faute civile)

P

O

L

I

C

E

 

G

E

N

E

R

A

L

E

Vestiges des incriminations pénales objectives

Délits d’imprudence emportant une atteinte grave

(constitués d’un dommage causé par une faute.

Ex. : Homicide par pure imprudence

Ex. : Incendie par imprudence

Ex. : Privation de liberté par une imprudence grave

Police morale

Délits contre la solidarité sociale

Ex. : Omission de porter secours à personne en danger

Ex. : Refus de participer aux secours en cas de catastrophe naturelle

Ex. : Mise en danger d’autrui

Police sociale

Délits d’agissements dangereux pour la société

Ex. : Usurpation de la qualité de fonctionnaire par un administré

Ex. : Vagabondage avec détention d’instruments dangereux

Ex. : Mendicité agressive

 

Théorie de la complicité non applicable,

sauf pour les infractions à dol général,

mais possibilité de faire jouer la coresponsabilité pour connivence

P

O

L

I

C

E

 

D

I

S

C

I

P

L

I

N

A

I

R

E

Délits d’immixtion dans une activité réglementée

Ex. : Immixtion d’un magistrat judiciaire dans le domaine du pouvoir exécutif

Ex. : Exercice illégal de la médecine

Ex. : Conduite d’une voiture sans permis de conduire

Délits de violation des règles d’une activité réglementée

Ex. : Abus de pouvoir par un fonctionnaire

Ex. : Violation du secret professionnel

Ex. : Conduite d’un véhicule par une personne en état d’ivresse

Théorie de la complicité non applicable,

sauf pour les infractions à dol général

P

O

L

I

C

E

 

P

R

E

V

E

N

T

I

V

E

Incriminations de police à caractère préventif

(de nature purement objective, elles sont centrées sur l’accomplissement d’un acte réputé dangereux)

Ex. : Interdiction de se promener en motocyclette sur un sentier piétonnier.

Ex. : Défaut de ramonage de cheminée

Ex. : Défaut d’éclairage d’un chantier sur la voie publique

 

Théorie de la complicité non applicable,

mais théorie de la coaction applicable

*