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LES CARACTÈRES DE LA LOI MORALE :
« L’honnête homme »

par J. Steeg,
(Cours de morale théorique et pratique à l’usage des instituteurs, 5ème éd., p.77)

Mon agrément, mon plaisir, mes aises, mes penchants, tout m’invite à les suivre et à écarter la résistance des remords.

Et pourtant, au dedans de moi, une force puissante m’agite, me secoue, me fait lever, me fait sortir, m’oblige à quitter mon repos, à compromettre ma fortune, à sacrifier mes loisirs, à aller au secours de mes parents, de mon frère, de mon ami, à me mettre en peine de tous ces étrangers qui souffrent, à me priver pour eux de ce qui faisait le charme et la tranquillité de ma vie, à donner à la patrie ce que j’aurais voulu réserver pour moi-même.

Je pouvais m’abstenir, j’en étais libre ; je n’avais qu’à laisser glisser le temps et qu’à m’envelopper dans mon inertie, dans mon égoïsme. Moralement, je n’en étais pas libre, je ne le pouvais pas Une voix intérieure me le défendait ; elle ne m’a pas laissé de repos aussi longtemps que je lui ai désobéi.

Je violais la, loi de mon être, je me dérobais à mes obligations, je méconnaissais mon devoir.

J’ai bien essayé de parlementer, de transiger ; je ne l’ai pas pu. Le devoir s’impose à moi par oui ou par non. Ce n’est pas une moitié d’obligation, un devoir complaisant, c’est un ordre. La loi morale n’admet pas plus de tempérament, de déviation, d’accommodement que les lois physiques. Elle est ce qu’elle est, elle est à prendre ou à laisser. La suivre, c’est se conformer à la nature ; la conscience qui est en règle avec le devoir est contente d’elle-même, éprouve un sentiment de profonde satisfaction, quelles que soient les conséquences matérielles de l’obéissance à la loi morale. Violer cette loi, la tourner, ruser avec elle, c’est se mettre en contradiction avec la nature, et la suite constante, c’est la tristesse, la douleur, le remords.

LE CARACTÈRE IMPÉRATIF DE LA LOI MORALE

Le premier caractère de la loi morale, c’est qu’elle est impérative. Elle commande, l’homme doit obéir. Son nom, c’est le devoir. Ce qu’elle impose, c’est une obligation qui lie réellement la conscience, à laquelle il n’est pas permis de se soustraire. Sans doute, il ne faut pas confondre obligation avec nécessité.

Il y a nécessité que tous les corps obéissent à la loi de la pesanteur, à la loi de l’attraction ; il y a nécessité que les astres tournent dans leur orbite et que les chenilles passent par l’état de chrysalides avant de devenir papillons. C’est une loi inéluctable : de gré ou de force, tout la subit.

La loi morale est obligatoire, mais on peut s’y soustraire ; si elle s’imposait de force, si elle contraignait la volonté, elle cesserait d’être morale. Quelle que soit l’énergie de ses comman­dements, elle respecte la liberté ; elle veut être librement obéie.

LE CARACTÈRE D’ÉVIDENCE DE LA LOI MORALE

Un autre caractère de la loi morale, c’est qu’elle est évidente. Les petits et les ignorants ne peuvent la méconnaître. L’homme le plus simple, qui voit son semblable en danger, sait qu’il faut lui porter secours. L’enfant sait qu’il doit aimer ses parents et leur obéir. Il est vrai qu’il y a des obscurités et des doutes sur certains points délicats du devoir ; on peut se tromper sur les applications particulières de la loi morale ; les peuples et les individus ignorants peuvent commettre de graves manquements sans en avoir conscience. Mais, dans ses lignes générales, quant aux principaux devoirs de la vie, la loi morale est d’une entière clarté.

Nul ne se plaint jamais qu’elle l’ait laissé dans les ténèbres, qu’il n’ait pas su, par exemple, qu’il faut respecter le bien et la vie d’autrui. Un homme peut tuer, voler, mentir, manquer à sa parole, blesser, frapper un plus faible que lui, rendre le mal pour le bien, corrompre un innocent ; il ne peut pas dire qu’il ne savait pas que ce fût mal et que son devoir lui défendit de le faire. Il n’y a là-dessus pour lui, ni pour personne, ni pour les victimes de ses actes, ni pour les témoins, ni pour ceux à qui on les raconte, aucune obscurité, aucun doute possible. La loi morale interdisait ces actes, c’est l’évidence même.

Un point surtout est hors de conteste, même chez les sauvages les plus arriérés, même chez les hommes les plus endurcis au mal, c’est qu’il faut faire ce qu’on a reconnu comme un devoir. Il peut arriver qu’on hésite sur la nature d’un devoir ; on n’hésite pas sur l’obligation d’accomplir le devoir. Les brigands, qui ne craignent pas de commettre les crimes les plus odieux, se font scrupule de violer certains engagements pendant le cours même de leurs forfaits ; et il vient un moment où leur vie entière leur apparaît, à la lumière de la conscience, comme digne des plus sévères châtiments.

LE CARACTÈRE D’UNIVERSALITÉ DE LA LOI MORALE

La loi morale est universelle. Comme nous venons de le dire, nul n’y échappe. Elle parle, dès que la conscience peut l’entendre, dès que la raison s’éveille.

La distinction entre le bien et le mal est l’un des caractères distinctifs de notre race. Qui n’en serait pas doué ne serait pas un homme. Vous trouverez des hommes muets, sourds, aveugles, paralytiques; vous n’en trouverez pas qui soient dépourvus de sens moral, s’ils ne sont dépourvus d’intelligence et de raison. Quelque faible lueur que la raison projette dans une créature humaine, cela suffit à laisser voir la loi morale.

Partout elle est le critère de nos jugements sur les actions d’autrui. Nous ne partons jamais de l’idée que celui qui agit devant nous ou dont on nous parle ne la connaissait pas.

Tous les peuples s’entendent là-dessus ; c’est une langue internationale que celle du devoir. Les mers ne créent pas de séparation ni de limites. Les principes qu’elle pose sont partout les mêmes ; ce n’est que dans le détail et l’appréciation pratique que des différences peuvent apparaître selon la latitude, l’éducation, les préjugés.

LE CARACTÈRE D’IMMUTABILITÉ DE LA LOI MORALE

C’est qu’en effet la loi morale n’est pas arbitraire ; elle ne dépend pas des hommes ; elle n’est pas le produit des coutumes ni des législations ; elle en est au contraire la cause première et la source permanente. Si les hommes la façonnaient à leur gré, ils la façonneraient selon leurs passions et leurs intérêts ; bien au contraire, elle se pose devant eux comme un avertisseur sévère et gênant, comme un législateur intraitable.

Elle ne varie pas plus avec les temps qu’avec les lieux. On signale des changements dans la morale des siècles, comme dans la morale des peuples. Il y a des pratiques que nous jugeons immorales aujourd’hui, qui n’était pas tenues pour telles autrefois. On cite des peuplades où il était permis de tuer son vieux père. Chez les anciens, les `pères pouvaient exposer leurs enfants difformes à la mort. Certaines religions autorisaient ou exigeaient des actes que nous considérons comme monstrueux.

Que résulte-il de ces faits ? Examinons-les de plus près. Remarquons d’abord que les peuples qui les commettaient ne croyaient pas mal faire, qu’ils y voyaient soit un droit naturel, soit un devoir. La loi morale permet l’exercice des droits, ordonne l’accomplissement des devoirs.

Les uns croyaient exercer légitimement l’autorité paternelle, qui est en effet un droit naturel et moral ; ils se trompaient sur les limites de cette autorité ; ils manquaient de lumière ; ils se soumettaient a une tradition populaire qui troublait la clarté de la raison.

Les autres pensaient remplir un devoir filial en délivrant leurs pères d’une vie inutile, d’une vieillesse devenue un danger dans des lieux et des temps où il fallait se tenir sans cesse en défense ; ils se trompaient grossièrement sur la forme de leur devoir, et ils subissaient en ce point l’influence des tristes préjugés de leur race.

De même les sectateurs de cultes dont les pratiques sont condamnées par une saine morale. Par suite d’erreurs que l’histoire explique, où la superstition et le vice les avaient entraînés peu à peu, ils croyaient remplir un devoir sacré, et non violer les prescriptions de la morale.

A tous, ce qui manquait, c’est l’instruction, la lumière, une vue juste des choses. Ils se trompaient, non sur la nécessité de faire le devoir, mais sur les limites et le caractère des différents devoirs.

Nous ne savons pas cependant jusqu’à quel point la conscience protestait en eux sourdement contre ces actes ; à mesure qu’elle s’éclairait, elle les proscrivait.

La loi morale n’a jamais changé ; les hommes, à mesure qu’ils ont réfléchi, qu’ils se sont instruits les uns les autres, ont mieux discerné ses prescriptions, les ont appliquées plus justement, plus exactement. En elle-même, elle est immuable ; elle ne connaît pas plus de transactions et d’accommodements avec le devoir aujourd’hui qu’il y a trois mille ans.

Signe de fin