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L’HOMICIDE DANS « LES LOIS » DE PLATON

Sur la base de la traduction Chambry (édition Garnier)
Le texte intégral peut être consulté librement sur le site :
http://remacle.org/

LIVRE IX (extraits)

L’ATHÉNIEN : On pourrait éprouver quelque honte à légiférer sur les questions dont nous allons nous occuper dans un État qui, selon nous, sera parfaitement gouverné et organisé pour la pratique de la vertu. En effet, admettre que dans un tel État, il puisse naître quelqu’un d’aussi méchant que le sont les plus grands criminels dans les autres États, au point qu’il soit nécessaire que le législateur prévienne et menace ceux qui pourraient devenir tels, et qu’il fasse des lois pour les détourner de ces crimes et les punir, s’ils s’en rendent coupables, comme s’ils devaient effectivement se commettre, c’est, comme je l’ai dit, une supposition injurieuse à certains égards.

Mais, comme nous ne sommes pas dans le cas des anciens législateurs, qui faisaient des lois pour les enfants des dieux … que nous ne sommes que des hommes et que nous donnons des lois aux enfants des hommes, on ne peut nous reprocher de craindre qu’il ne naisse parmi nos concitoyens des hommes indomptables, naturellement si durs qu’on ne saurait pas plus les amollir que ces semences qui résistent au feu, des hommes réfractaires aux lois les plus fortes...

[Le philosophe examine successivement les crimes contre les Dieux puis les attentats contre la sûreté de l’État, puis il en vient aux homicides]

L’ATHÉNIEN : … Nous trouvons en présence de cinq espèces de fautes, pour lesquelles il faut édicter des lois différentes, en les réduisant à deux genres.

CLINIAS : Lesquels?

L’ATHÉNIEN : L’un est celui des crimes qui s’exécutent par des voies violentes et ouvertes ; l’autre, celui des crimes commis dans l’ombre par des voies secrètes et frauduleuses, et quelquefois même par cette double voie, et c’est alors que les lois, pour être justes, doivent être les plus rigoureuses.

CLINIAS : C’est naturel en effet.

L’ATHÉNIEN : … Parlons d’abord des homicides violents et involontaires.

[l’homicide justifié] Si quelqu’un, dans un concours ou dans les jeux publics, a tué un ami sans le vouloir, que cet ami soit mort sur-le-champ ou plus tard des coups qu’il a reçus ; de même s’il l’a tué à la guerre ou dans les exercices militaires ordonnés par les magistrats pour s’y entraîner, sans armes ou avec des armes, et imiter la pratique de la guerre, il sera déclaré innocent, après qu’il aura été purifié selon la loi apportée de Delphes.

Il en ira de même pour les médecins : si l’un d’eux, soignant un malade, le laisse mourir sans le vouloir, qu’il soit pur selon la loi.

[l’homicide involontaire] Quiconque aura tué un homme de sa main, mais involontairement, soit qu’il n’ait employé pour cela que ses membres, soit qu’il se soit servi d’un instrument ou d’un projectile, ou qu’il lui ait donné un breuvage ou un aliment, ou qu’il l’ait fait périr par le feu ou le froid, ou qu’il lui ait ôté la respiration lui-même avec son propre corps ou au moyen de corps étrangers, il sera tenu pour un véritable homicide et payera les peines suivantes.

S’il a tué un esclave, croyant que c’était l’un des siens, il dédommagera par une indemnité le maître du mort ; sinon, il sera condamné en justice à payer le double du prix de l’esclave, selon l’évaluation qu’en feront les juges. Quant aux purifications, il en fera plus et de plus grandes que ceux qui auront tué dans les jeux ; les exégètes désignés par le Dieu seront maîtres d’en décider. Si c’est son propre esclave qu’il a tué, il sera absous du meurtre après avoir été purifié.

Celui qui a tué un homme libre sans le vouloir devra subir les mêmes purifications que celui qui a tué un esclave. De plus, qu’il ne néglige pas une antique tradition : selon elle, celui qui a péri de mort violente, après avoir vécu avec la fierté d’un homme libre, conserve, quelque temps après sa mort, du ressentiment contre son meurtrier ; empli de peur et de terreur en raison de la violence qu’il a subie, et voyant celui qui l’a tué aller et venir dans les lieux qu’il avait l’habitude de fréquenter, il l’épouvante à son tour et fait tous ses efforts pour jeter en lui et dans ses actes le trouble dont il est lui-même agité, appelant ainsi à son secours la conscience du coupable. C’est pourquoi le meurtrier doit céder la place à sa victime pendant une année entière et quitter tous les endroits de sa patrie qu’il fréquentait. S’il a tué un étranger, qu’il soit banni durant le même temps du pays de cet étranger.

S’il se soumet à cette loi de son plein gré, que le plus proche parent du mort, chargé de veiller à ce que cette règle soit respectée, lui pardonne et fasse sa paix avec lui ; sa modération méritera une entière approbation. Mais si le meurtrier désobéit à la loi et qu’avant d’être purifié il ose pénétrer dans les temples et offrir des sacrifices, si de plus il ne veut pas remplir le temps prescrit pour son exil, que le plus proche parent du mort le poursuive pour homicide et que, s’il est condamné, on double toutes les pénalités. Si ce proche parent ne poursuit pas le meurtrier, la souillure retombera sur lui, et le mort retournera sur lui son ressentiment ; le premier venu pourra alors le poursuivre en justice et le contraindre à s’absenter de sa patrie pendant cinq ans, conformément à la loi.

Si un étranger fait périr sans le vouloir un autre étranger établi dans l’État (un métèque), le premier venu pourra le poursuivre en vertu des mêmes lois, et, s’il est domicilié, il sera banni pour un an ; s’il est complètement étranger, quelle que soit la victime, étranger, métèque ou citoyen, outre la purification, il sera chassé pour toute sa vie du pays où ces lois sont en vigueur. S’il revient malgré la loi, les gardiens des lois le puniront de mort, et, s’il a du bien, ils le donneront au plus proche parent du mort. S’il revient contre sa volonté, si la mer le rejette dans le pays, il dressera une tente sur le rivage, de façon qu’il trempe ses pieds dans la mer, et il épiera ainsi l’occasion de se rembarquer. S’il est ramené par terre de vive force, le premier magistrat de l’État qui le rencontrera le mettra en liberté et le renverra sur la terre étrangère sans lui rien prendre.

[l’homicide commis sous le coup de la colère] Si quelqu’un tue de sa main une personne libre et que le meurtre ait été commis sous l’effet de la colère, il faut distinguer deux cas.

On agit par colère, lorsque, brusquement et sans dessein prémédité de tuer, on fait périr quelqu’un en le frappant ou par quelque violence semblable, sous le coup d’une colère subite, et qu’on se repent tout de suite de ce qu’on a fait.

On agit aussi par colère, lorsque, insulté par quelqu’un, par paroles ou actes outrageants, on en poursuit la vengeance, et qu’on le tue délibérément sans se repentir ensuite de son action.

Il faut donc, semble-t-il, reconnaître deux espèces de meurtres, qui ont l’un et l’autre la colère pour principe et qu’on peut dire avec juste raison tenir le milieu entre le volontaire et l’involontaire, dont l’une et l’autre est un reflet. Celui qui garde son ressentiment et ne se venge pas brusquement et sur-le-champ, mais plus tard et de dessein formé, ressemble au meurtrier volontaire, tandis que celui qui, au lieu de couver sa colère, s’y abandonne sur-le-champ sans préméditation ressemble au meurtrier involontaire, quoique son acte ne soit pas tout à fait involontaire, mais soit l’image d’un acte involontaire.

C’est pourquoi il est difficile de dire si les meurtres produits par la colère sont volontaires, ou s’il faut en classer quelques-uns dans la loi comme involontaires. Le mieux et le plus vrai c’est d’admettre que les deux en sont un aspect et d’en reconnaître deux espèces distinctes, selon qu’ils sont prémédités ou non, et d’infliger à ceux qui ont agi tout à la fois avec préméditation et colère les châtiments les plus rigoureux, et des châtiments plus doux à ceux qui ont agi sans préméditation par un mouvement soudain ; car ce qui apparaît comme un mal plus grand doit être puni plus rigoureusement, et ce qui apparaît comme un mal plus petit, plus légèrement. C’est ainsi que nous devons procéder dans nos lois.

CLINIAS : C’est tout à fait mon avis.

L’ATHÉNIEN : Retournons en arrière, et reprenons ce que nous avons précédemment.

[l’homicide par colère sans préméditation] Si quelqu’un a tué de sa main un homme libre, sous le coup de la colère et sans préméditation, il sera condamné aux peines qui sont applicables à celui qui a tué sans colère ; mais il devra nécessairement passer deux ans en exil, pour se punir de sa colère. S’il a tué par colère, mais avec préméditation, il souffrira les mêmes peines que le précédent, mais sera condamné à trois ans d’exil, alors que l’autre l’a été à deux, la durée de son châtiment étant proportionnée à la grandeur de sa colère.

Sur le retour de ces deux meurtriers, voici ce qu’il convient de décider. En vérité, il est difficile d’édicter ici des lois très précises, car il y a des cas où celui des deux que la loi classe comme le plus cruel se trouve être le plus doux, et celui qu’elle classe comme le plus doux est le plus cruel et a commis son homicide avec plus de sauvagerie, tandis que l’autre y a mis plus de douceur.

Cependant les choses se passent généralement comme nous venons de le dire. C’est aux gardiens des lois à connaître tout cela. Quand le temps de l’exil sera fini pour l’un et pour l’autre, ils enverront aux frontières du pays douze juges choisis parmi eux, qui, après s’être enquis exactement des actions de l’exilé pendant ce temps, se prononceront sur le remords que le coupable ressent de sa faute et sur son retour ; l’intéressé devra s’en tenir à l’arrêt de ces magistrats. Si, après leur retour, l’un ou l’autre, cédant à la colère, commet le même crime, il sera banni à perpétuité ; s’il revient à nouveau, il sera traité comme l’est en pareil cas l’étranger.

Quiconque, par emportement aura tué un sien esclave n’aura qu’à se purifier. Mais si, dans un mouvement de colère, il a tué l’esclave d’un autre, il paiera au propriétaire le double du dommage.

Si un meurtrier, quel qu’il soit, n’obéit pas à la loi, et, avant d’être purifié, souille de sa présence la place publique, les jeux et les lieux sacrés, le premier venu pourra le citer en justice, ainsi que le parent du mort qui l’aura laissé faire, et les contraindre à payer le double de l’amende et à s’acquitter des autres réparations ; il recevra le montant de l’amende conformément à la loi.

Si un esclave, sous le coup de la colère, tue son maître, que les parents du mort en usent avec lui comme ils voudront, mais ne lui laissent en aucun cas la vie : à cette condition ils seront regardés comme exempts de toute souillure.

Si l’esclave d’une autre personne, emporté par la colère, tue un homme libre, son maître livrera le meurtrier aux parents du mort, qui devront le mettre à mort de la manière qu’il leur plaira.

S’il arrive, ce qui peut en effet se produire, qu’un père ou une mère, dans un mouvement de colère, tue son fils ou sa fille, soit en le frappant soit de toute autre manière violente, il sera astreint aux mêmes purifications que les autres meurtriers, et de plus à un exil de trois ans. Quand le meurtrier rentrera d’exil, la femme devra se séparer de son mari, ou le mari de sa femme ; ils ne s’uniront jamais plus pour avoir des enfants et ne partageront plus le foyer de ceux qu’ils auront privés d’un fils ou d’un frère et ne prendront plus part aux mêmes sacrifices. Quiconque, foulant aux pieds la piété, désobéira à ces prescriptions pourra être accusé d’impiété par le premier venu.

[l’uxoricide] Si un mari, égaré par la colère, tue sa femme légitime ou si une femme agit de même envers son mari, ils procéderont aux purifications ordinaires et s’exileront pour trois années consécutives. A son retour, le coupable ne prendra point part aux sacrifices avec ses enfants et ne s’assiéra jamais à leur table. Si le père et l’enfant ne suivent point cette loi, le premier venu pourra les citer en justice pour impiété.

[le fratricide et le sororicide] Si, dans un mouvement de colère, un frère tue son frère ou sa sœur, ou si une sœur tue son frère ou sa sœur ils devront se soumettre aux mêmes purifications et au même exil que les parents meurtriers de leurs enfants ; ils n’habiteront jamais sous le même toit et n’assisteront point aux sacrifices avec ceux qu’ils ont privé d’un père ou d’un fils. S’ils n’obéissent pas à ces prescriptions, rien ne sera plus juste que de les traduire en justice pour impiété, conformément à la loi que nous avons édictée en ces matières.

[le parricide et le matricide] Supposons maintenant qu’une personne soit si peu maîtresse de sa colère, à l’égard de ses père et mère, qu’elle aille, emportée par la fureur, jusqu’à tuer l’un d’entre eux. Si celui-ci, avant de mourir, l’absout volontairement du meurtre, quand elle se sera purifiée comme ceux qui ont commis un homicide involontaire et qu’elle aura accompli les mêmes pratiques, elle sera déclarée pure. Mais si sa victime ne lui pardonne pas le crime qu’elle a commis, elle sera asservi à de nombreuses lois : elle sera exposée aux peines les plus sévères dont on punit les voies de fait, l’impiété et le sacrilège qui lui a fait ôter la vie à qui la lui a donnée, en sorte que s’il était possible de faire mourir plusieurs fois le même homme, celui qui a tué son père ou sa mère mériterait fort justement de subir plusieurs fois la mort ; car de quelle autre manière la loi pourrait-elle infliger le châtiment qu’il mérite au seul homme à qui elle ne permet pas, même pour défendre sa vie menacée par ses parents, de tuer le père ou la mère qui lui ont donné le jour, et qui doit tout souffrir avant que d’en venir à cette extrémité ? En conséquence, nous décidons que celui qui aura tué son père ou sa mère dans un mouvement de colère sera puni de mort.

[l’homicide lors d’une sédition] Si, dans un combat occasionné par une sédition ou dans quelque autre rencontre semblable, un frère tue son frère pour se défendre contre son attaque, il sera regardé comme pur, tout comme s’il avait tué un ennemi ; et il en sera de même, si un citoyen tue un citoyen, ou un étranger un étranger. Si un citoyen tue un étranger ou un étranger un citoyen, il sera de même déclaré innocent, et il en sera de même, si un esclave tue un esclave. Mais si un esclave tue un homme libre pour se défendre, il sera soumis aux mêmes lois que celui qui a tué son père. Et ce que nous avons dit du cas où le père pardonne le meurtre, s’appliquera également à tous les cas précédents, si la victime pardonne volontairement au meurtrier, quels qu’ils soient l’un et l’autre : le meurtre sera alors considéré comme involontaire, et celui qui l’a commis s’en purifiera et s’exilera pour un an, selon la loi. J’en ai assez dit sur les homicides qui sont à la fois violents, involontaires et dus à un mouvement de colère. Il me faut parler à présent de ceux qui sont volontaires, où le crime est sans excuse et prémédité, parce qu’on a cédé au plaisir, à la passion, à l’envie.

CLINIAS : Fort bien.

L’ATHÉNIEN : [l’homicide commis par passion et avec préméditation] Commençons par expliquer, de notre mieux, les causes qui provoquent les homicides intentionnels. La première et la plus importante est l’emportement qui s’empare d’une âme dominée par ses passions ; ce qui arrive surtout là où les désirs sont les plus nombreux et les plus forts, c’est-à-dire chez la plupart des hommes en qui l’attrait des richesses enfante mille désirs insatiables et sans bornes, soit à cause de leur caractère naturel, soit par suite d’une mauvaise éducation.

La première cause vient de cette mauvaise éducation découle de l’estime mal venue que les Grecs et les barbares professent pour la richesse : en lui donnant la préférence sur tous les biens, alors qu’elle ne vient qu’au troisième rang, ils gâtent l’esprit tant de leurs descendants que d’eux-mêmes. Rien ne serait plus beau et meilleur que de dire dans tous les États ce qui est vrai, que la richesse est faite pour le corps et le corps pour l’âme, et qu’elle, est au troisième rang après les qualités du corps et celles de l’âme. Ce discours apprendrait que, pour être heureux, il ne faut pas chercher simplement à s’enrichir, mais à s’enrichir par des voies justes et avec modération. Alors on ne verrait point dans les États de ces meurtres qui demandent à être purifiés par des homicides. Mais aujourd’hui cette convoitise est une cause, et la plus importante, des procès les plus graves à propos des meurtres volontaires.

La deuxième cause est l’état d’une âme ambitieuse qui engendre des jalousies, compagnes fâcheuses, en premier lieu pour l’envieux lui-même, en second lieu pour les meilleurs citoyens.

La troisième cause, ce sont les craintes lâches et injustes, qui produisent beaucoup de meurtres, quand on commet ou qu’on a commis des crimes dont on voudrait que personne ne fût ou n’eût été le témoin ; on supprime alors ceux qui pourraient les révéler en les tuant, quand on ne peut le faire autrement.

Ce que nous venons de dire sur ces mobiles n’est qu’un prélude. Il faut y joindre le discours que l’on tient dans la célébration des mystères et que beaucoup d’initiés qui s’intéressent à ces questions tiennent pour tout à fait véritable, à savoir que ces meurtres sont punis dans l’Hadès, et que, lorsqu’on revient sur cette terre, il faut nécessairement subir la peine de droit naturel, qui est d’éprouver ce qu’on a fait soi-même à autrui, c’est-à-dire de périr par la main d’autrui du même genre de mort.

[l’homicide intentionnel commis de sa propre main] Pour qui obéit et craint vivement la peine qui le menace, il n’est nullement besoin d’édicter la loi qui s’y rapporte ; mais, pour ceux qui désobéiraient, nous mettrons par écrit la loi que voici.

Quiconque aura tué de sa main délibérément et injustement n’importe lequel de ses concitoyens, sera premièrement mis hors la loi et ne devra souiller de sa présence ni les temples, ni la place publique, ni les ports, ni aucune assemblée publique ; et ce qu’on lui en signifie ou non la défense, car la loi l’interdit, et c’est une chose manifeste qu’elle l’interdit et l’interdira toujours au nom de tout l’État.

Si les parents du mort, tant du côté maternel que du côté paternel jusqu’aux cousins inclusivement, ne poursuivent pas le meurtrier, comme ils le doivent, ou ne lui signifient pas son interdiction, d’abord ils contracteront eux-mêmes la souillure et la haine des dieux, que la loi, par ses imprécations, fait passer sur leur tête ; ensuite, ils pourront être cités en justice par quiconque voudra venger le mort. Celui qui consentira à se charger de cette vengeance accomplira les purifications auxquelles il faut veiller en cette matière et l’ensemble des autres cérémonies ordonnées par le Dieu ; il notifiera au meurtrier l’interdiction et le forcera à subir la peine imposée par la loi…

Si l’accusé est reconnu coupable, il sera puni de mort et ne sera pas enseveli dans le pays de sa victime, vu son impudence et son impiété. S’il prend la fuite et refuse de s’exposer au jugement, il sera banni à perpétuité. S’il met le pied dans le pays de celui qu’il a tué, le premier des parents du mort ou des citoyens qui le rencontrera pourra le tuer impunément ; ou bien, après l’avoir garrotté, il le remettra entre les mains de ceux qui ont jugé le procès pour qu’ils le fassent mourir.

L’accusateur exigera en même temps caution de celui qu’il accusera. Celui-ci lui fournira des cautions jugées dignes de foi par les magistrats chargés de le juger; ces cautions, au nombre de trois, s’engageront à le faire comparaître au procès. S’il ne veut pas ou ne peut pas fournir de caution, les magistrats s’assureront de sa personne, le feront garder en prison, et le feront comparaître pour le jugement de son procès.

[l’homicide intentionnel commis par machination] Si un homme, sans avoir tué de sa main, a décidé d’en faire périr un autre, et si, par sa volonté et ses embûches préméditées, il est cause de sa mort et reste dans la cité sans avoir l’âme pure, il sera jugé comme le précédent, sauf qu’il n’aura pas de caution à fournir; il aura droit à une sépulture dans sa patrie ; mais, pour reste, il sera traité comme celui dont j’ai parlé précédemment.

Il en sera de même pour le meurtre qu’un homme commet de sa propre main ou en tendant une embûche, qu’il s’agisse d’un étranger qui tue un étranger, de citoyens et d’étrangers qui se tuent les uns les autres, ou encore d’esclaves qui tuent des esclaves, exception faite pour la caution. Ils la fourniront, comme nous l’avons dit de ceux qui ont tué de leur main, et celui qui dénoncera le meurtre exigera en même temps d’eux des cautions.

Si un esclave tue volontairement un homme libre, ou bien de sa main, ou bien en complotant contre lui, et qu’il soit convaincu de ce meurtre en justice, le bourreau de la cité le conduira à un endroit où ou aura vue sur le tombeau du mort. Il recevra autant de coups de fouet que son accusateur le commandera, et, s’il survit à la flagellation, le bourreau le mettra à mort.

Si quelqu’un tue un esclave qui ne lui faisait aucun tort dans la crainte qu’il ne dénonce des actions honteuses et mauvaises, ou pour quelque autre motif semblable, il sera puni pour le meurtre de cet esclave comme il l’eût été pour avoir tué un citoyen. Il devra subir cette même mort qu’il a infligée à cet esclave.

[le parricide] Il existe des crimes sur lesquels il est triste et déplorable d’avoir à légiférer, quoiqu’on ne puisse s’en dispenser ; il s’agit des meurtres volontaires, entièrement criminels, meurtres que l’on commet de sa propre main ou par guet-apens, sur la personne de ses parents. Ces crimes surviennent le plus souvent dans les États mal gouvernés et où l’éducation est vicieuse, mais qui peuvent arriver même dans un pays où l’on ne s’y attendrait pas, il faut répéter ici le discours que nous avons tenu il y à quelques instants. Peut-être, en nous écoutant, sera-t-on plus disposé à s’abstenir de son plein gré de ces crimes abominables entre tous.

C’est une fable, ou un discours, ou de quelque autre nom qu’il faille l’appeler, que d’anciens prêtres ont conté avec clarté. Ils disent que la justice, qui observe les actions des hommes et qui venge l’effusion du sang des parents, applique la loi que nous venons de dire, et qu’elle a établi que l’homme qui a commis un forfait de ce genre souffrira nécessairement le même traitement qu’il a fait à autrui ; que, s’il a tué son père, il devra se résigner à périr de mort violente dans un temps postérieur de la main de ses enfants, et que, s’il a tué sa mère, il renaîtra nécessairement sous la forme d’une femme, et qu’il périra dans cette vie nouvelle sous les coups de ses enfants. Car il n’y a pas d’autre moyen de se purifier du sang d’un parent que l’on a répandu ; et la souillure refuse de s’effacer, jusqu’à ce que l’âme du coupable paye le meurtre en subissant un meurtre semblable qui apaise et endorme le ressentiment de toute sa parenté. La crainte d’être ainsi traité par les dieux doit engager les hommes à éviter de tels châtiments.

Mais si quelqu’un est assez malheureux pour oser arracher volontairement et de dessein prémédité l’âme du corps de son père et de sa mère, de ses frères ou de ses enfants, le législateur temporel portera sur ce point la loi que voici. On lui signifiera d’abord que toute relation sociale lui est interdite, et il fournira les mêmes cautions que les meurtriers mentionnés plus haut. Et s’il est convaincu d’avoir tué l’un de ses parents dont nous avons parlé, les fonctionnaires, serviteurs des juges, le mettront à mort et jetteront son cadavre, nu, hors de la ville, dans un carrefour spécialement désigné. Alors, tous les magistrats, au nom de tout l’État, portant chacun une pierre, la jetteront sur la tête du cadavre et purifieront ainsi toute la cité. Après quoi, on le portera aux frontières du pays et on le jettera dehors sans sépulture, conformément à la loi.

[le suicide] Mais quelle peine faut-il porter contre celui qui aura tué son parent le plus proche, celui qu’on dit le plus cher, je veux dire contre celui qui se sera tué lui-même et se sera privé violemment de la part de vie que le destin lui réservait, alors qu’il n’est pas puni par ordre de l’État, qu’il n’y est pas contraint par un malheur excessivement douloureux et inévitable qui l’a surpris, ni par aucun opprobre qui lui rende l’existence insupportable et impossible, mais qui, par manque d’énergie et de virilité, s’impose à lui-même une peine injuste ?

Pour celui-là, Dieu seul connaît les cérémonies nécessaires pour la purification et la sépulture. Aussi ses plus proches parents consulteront-ils à ce propos, à la fois, les interprètes, et les lois relatives à ce sujet ; ils feront alors ce qui leur sera prescrit. Ceux qui se seront ainsi détruits seront enterrés seuls, sans partager la sépulture de personne ; on les ensevelira sans honneurs dans des endroits incultes et sans nom, sur les confins des douze parties du territoire, sans signaler leur tombe par aucune stèle ni aucun nom.

[l’homicide causé par un animal]Si une bête de somme ou quelque autre animal tue un homme, les parents poursuivront pour meurtre la bête meurtrière ; sauf si elle a commis son acte en luttant dans les jeux publics. L’affaire sera tranchée par des membres de la police rurale, choisis à la volonté des parents et en tel nombre qu’il leur plaira. L’animal coupable sera tué et jeté hors des frontières du pays.

[l’homicide causé par une chose]Si une chose inanimée, à l’exception de la foudre ou d’un autre trait pareil lancé par un Dieu, ôte la vie à un homme, soit en le faisant tomber, soit par sa propre chute, le parent du mort prendra pour juge son plus proche voisin. Il se purifiera alors, en son propre nom et au nom de toute la parenté ; et la chose inanimée, reconnue responsable, sera jetée hors des frontières, comme il a été dit dans le cas des animaux.

[l’homicide commis par un inconnu]Si un homme est trouvé mort, victime d’un meurtre, qu’on ne connaisse pas le meurtrier et que celui-ci reste introuvable malgré de soigneuses perquisitions, on prononcera les mêmes interdictions que pour les autres homicides. On citera en justice « Qui a commis le meurtre » et, après la sentence, un héraut proclamera sur la place publique que « celui qui a tué » tel ou tel et qui sera plus tard condamné pour meurtre devra éviter de se rendre dans les temples, ni dans aucun autre endroit du pays de la victime, sous peine, s’il est découvert et reconnu, d’être mis à mort et jeté sans sépulture hors du pays du mort. Voilà la loi que nous mettrons en vigueur sur les meurtres. Nous n’en dirons pas davantage sur cette matière.

[l’homicide légitime] Tournons nous maintenant vers les personnes qu’il est permis de tuer ; et indiquons à quelles conditions le meurtre sera justifié. Si quelqu’un surprend la nuit un voleur qui pénètre dans sa maison pour lui voler son argent et s’il le tue, il sera tenu pour justifié. Il le sera aussi si, pour se défendre contre un détrousseur, il le tue. Si quelqu’un fait violence à une femme libre, ou à un enfant pour en abuser, il pourra être mis à mort impunément par celui à qui il aura fait violence, ou par son père, ou ses frères ou ses fils. Si un mari tombe sur un homme qui fait violence à sa femme légitime, et qu’il le tue à ce moment, il sera, selon la loi, pur du meurtre. Enfin, si quelqu’un pour sauver la vie à son père, à sa mère, à ses enfants, à ses frères, à sa femme qui n’ont commis aucun acte impie, tue un assassin, qu’il soit tenu pour entièrement justifié.

Voici donc les lois qui s’appliquent à la culture et à l’éducation de l’âme, éducation qui rend la vie, réussie à qui l’a suivie, et malheureuse dans le cas contraire ; voici également les lois qui fixent les châtiments dont il faut punir les auteurs de morts violentes.

[Le philosophe examine ensuite les des actes de violence, involontaires ou volontaires, que l’on peut commettre les uns contre les autres]

Signe de fin