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LE FONDEMENT DE LA PRESCRIPTION

J. Ortolan, "Éléments de droit pénal",
( 4° éd. Paris 1875, T. II p. 331 n° 1853 )

Comment justifier, en raison, qu’au bout d’un certain temps écoulé depuis le moment où un crime, un délit ou bien une contravention ont été commis, l’action publique pour faire punir la personne coupable de ces actes se trouve éteinte ?

Nous repousserons la raison puérile et routinière, donnée en phrase de rhétorique, sur les remords, les inquiétudes, les tourments éprouvés jusque-là par le coupable, qui formeraient pour ce coupable une suffisante expiation. Je demande quels remords cuisants, quelles inquiétudes amères, a éprouvés celui qui, en arrosant des fleurs posées sur sa fenêtre en contravention aux règlements de police, a fait tomber de l’eau sur le trottoir, ou celui qui a eu le tort de faire une partie de chasse sans permis de chasse ou en temps prohibé ? Il faut cependant, pour arriver à un résultat aussi grave que ce de l’extinction du droit de punir qu’à la société, des motifs non hypothétiques et qui soient concluants.

On en a donné un plus sérieux : la perte des éléments de preuve de la culpabilité ou surtout de la non-culpabilité. Il y a du vrai, pour l’ordinaire, dans cette considération ; mais le motif est insuffisant ; car, les preuves eussent-elles été parfaitement conservées, s’agit-il, par exemple, de délits ou de contraventions constatés par des procès-verbaux que la loi elle-même investit d’une force probante, la prescription n’en serait pas moins acquise.

Le seul véritable motif tient au bases mêmes du droit de punir : le temps, ce grand changeur, ne transforme-t-il pas, ne détruit-il pas toute chose ? Après un certain temps écoulé, le souvenir du fait coupable s’en est allé, le besoin de l’exemple a disparu, une des bases essentielles du droit de punir, l’utilité sociale, manque : le droit de punir n’existe donc plus. Effet inévitable de la marche successive des heures, qu’il n’est donné à aucun législateur de méconnaître, qui modifie ou fait disparaître les nécessités ou utilités publiques, les souvenirs humains, les éléments de preuve, et qui fait tomber des mains de la société le droit de punir, parce qu’elle fait évanouir l’intérêt social à la punition.

Signe de fin