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LA PRESCRIPTION DE LA PEINE

H. Donnedieu de vabres  « Traité de droit criminel »
(Sirey, Paris 1947, 3e éd.)

Dépassé sur certains points quant au droit positif,
cet extrait conserve sa valeur au regard de la science criminelle.

949. Notion générale. – Quand un certain temps s’est écoulé depuis la condamnation, sans que le ministère public ait fait exécuter la peine, une dispense définitive de la subir se produit en faveur du condamné.

950. Distinction de la prescription de la peine et de la prescription de l’action publique. - Il faut se garder de confondre la prescription de la peine et la prescription de l’action publique. Cette dernière suppose qu’aucun jugement de condamnation n’est encore intervenu. Elle a pour objet d’éteindre la poursuite, et se rattache donc à la procédure. Bien que les auteurs du Code d’instruction criminelle aient fixé sous un même titre (art. 635 et s. C.inst.crim.), le régime des deux prescriptions, la prescription de la peine a sa place marquée dans un Code pénal.

951. Distinction de la prescription pénale et de la prescription civile. - Il faut avoir bien soin, d’autre part, de distinguer la prescription pénale de la prescription civile. La prescription en matière civile, la prescription des créances en particulier, repose sur une présomption de paiement ou sur une présomption de renonciation de la part du créancier. La prescription de la peine repose sur des considérations différentes. Elle peut se fonder que sur, des raisons d’intérêt social.

952. Du fondement juridique de la prescription pénale. - Voici les observations qu’on fait intervenir pour la justifier :

1° Lorsqu’un certain temps s’est écoulé depuis la condamnation, sans le que le ministère public ait fait exécuter la peine, le souvenir de l’infraction s’est éteint. L’opinion publique ne réclame plus satisfaction ;

2° Généralement, une sanction si éloignée de la faute serait peu conforme aux exigences de la justice. Le condamné, pour se soustraire au châtiment a dû mener une vie errante, de privations et d’angoisses, qui constitue, par elle-même, une expiation. Lui infliger, plus tard, une peine, ce serait le punir deux fois;

3°La société encourage la bonne conduite du condamné en lui offrant la perspective de l’impunité si, pendant un certain temps, il s’abstient d’attirer l’attention publique sur sa personne. La prescription de la peine un moyen précieux de politique criminelle.

A vrai dire, aucune de ces raisons ne paraît, à la réflexion, décisive. On a objecté, du point de vue des principes, que la prescription renferme une atteinte au respect de la chose jugée. Au point de vue pratique, la prescription donne une prime aux plus habiles, donc aux plus dangereux. Quant à l’argument qui attribue aux fugitifs des remords susceptibles de constituer une expiation, il méconnaît la mentalité véritable. des malfaiteurs de profession.

1° CONDITIONS DE LA PRESCRIPTION

953. Observation. - Les conditions les plus importantes concernent le délai de la prescription. Mais avant de commenter, à cet égard, les dispositions des articles 635 et suivants du Code d’instruction criminelle, il faut déterminer les peines à l’égard desquelles la prescription peut produire ses effets.

954. Des peines susceptibles de s’éteindre par la prescription. - Les peines susceptibles d’être prescrites sont toutes celles qui donnent lieu à  des actes d’exécution forcée. Il ne s’agit pas seulement des peines privatives de liberté, mais encore des peines pécuniaires, comme l’amende (sans excepter, malgré leur caractère mixte,. les amendes fiscales), et la confiscation. Ces peines sont sanctionnées par la contrainte. La prescription est acquise lorsque, au bout d’un certain temps, la contrainte n’est pas exerce.

En revanche, l’interdiction de séjour, mesure négative, ne comportant pas d’actes matériels d’exécution sur la personne, ne se prescrit pas. Ne peuvent se prescrire davantage les peines privatives de droits. C’est qu’elles s’exécutent automatiquement, le jour même où elles sont prononcées.

Il faut excepter l’interdiction légale, peine privative de droits, mais dont le sort est inséparable de celui de la peine principale à laquelle elle s’attache. On la prescrit, en même temps que cette dernière.

Cette réserve faite, les peines privatives de droits ne peuvent se prescrire, parce qu’elles s’exécutent toujours. Leur exécution consiste dans la diminution qu’elles infligent à la capacité du condamné.

955. Du délai de la prescription. - Comment se détermine et se calcule le délai de la prescription ? (Art. 635 et suiv. du C.instr.crim.). D’après ces articles, la prescription de la peine s’opère par 20 ans en matière criminelle, 5 ans en matière correctionnelle, 2 ans en matière de simple police.

Que signifient ces expressions : En matière criminelle, correctionnelle et  simple police ?

D’après l’interprétation qui se présente le plus naturellement à l’esprit, la durée de la prescription se détermine d’après la nature de la peine prononcée par le juge. La prescription est de 20 ans, lorsque la peine prononcée est criminelle, 5 ans quand c’est. une peine correctionnelle, 2 ans pour une peine de simple police. C’est l’interprétation que semblent imposer les termes de la loi, et qui a d’ailleurs été consacrée par la jurisprudence. A cette solution, on en a cependant opposé une autre, qui consiste à tenir compte, non de la peine, mais de la nature de l’infraction. Quand l’infraction commise est un crime, la durée de la prescription serait de 20 ans, alors même que, par l’effet d’une excuse on des circonstances atténuantes, une peine correctionnelle serait prononcée.

La jurisprudence s’est inspirée de cette idée dans une seule hypothèse, celle de l’excuse atténuante de minorité. Elle a considéré que l’excuse atténuante, ayant un caractère personnel, subjectif, laisse subsister la gravité intrinsèque, et en particulier la nature criminelle du fait. C’est une opinion que nous avons précédemment combattue. Nous ne pouvons donc nous associer à la conclusion que la Cour de cassation en dégage, quant à la durée de la prescription (Cass.crim., 9 juillet 1891, .S. 91, 1, 432).

[Au point de vue qui nous occupe, doit-on considérer la relégation comme une peine criminelle ou correctionnelle ? La difficulté vient de ce que cette peine peut être le complément, soit d’une peine criminelle, soit d’une peine correctionnelle. D’après la jurisprudence, il faut considérer la nature de la dernière peine principale à laquelle vient se joindre la relégation. Si c’est une peine criminelle, il faut faire jouer la prescription de 20 ans. Dans le cas contraire, la relégation se prescrit en 5 ans.]

956. Du point de départ de la prescription. - Les difficultés relatives au calcul du délai de la prescription concernent la détermination de son point de départ. (les art. 133-2 et s. du Code pénal ont simplifié ce point)

[Il s’établit de façon différente, suivant que l’on se trouve en matière criminelle, correctionnelle ou de simple police.

En matière criminelle, la prescription commence à courir le jour ou intervient l’arrêt de la Cour d’assises. Il en est ainsi quand cet arrêt est contradictoire ; il en est de même lorsqu’il a été prononcé par contumace. On objectera que l’arrêt prononcé par contumace n’a pas un caractère définitif. Voici par quelle analyse juridique se justifie la solution précédente. L’arrêt par contumace est un arrêt rendu sous la condition résolutoire que le condamné se représentera avant l’expiration d’un délai de 20 ans. Or, c’est un principe bien connu des civilistes qu’un droit sous condition résolutoire doit être traité, tant que la condition ne s’est pas réalisée, comme un droit pur et simple. Il doit, par conséquent, pouvoir se prescrire.

En matière correctionnelle, l’article 636 C.instr.crim. distingue suivant que la sentence de condamnation est intervenue en premier ou en dernier ressort. Lorsqu’elle est prononcée en dernier ressort, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel, la prescription court à compter du jour de l’arrêt. Il n’y a lieu de déduire ni le délai accordé par la loi pour former un pourvoi en cassation, ni la durée du pourvoi, s’il a été formé. Si la condamnation est prononcée en premier ressort et susceptible d’une voie de recours ordinaire, la prescription a son point de départ à l’expiration du délai d’appel.

La distinction précédente s’applique en matière de simple police (art. 639 C.inst.crim.). Cass.crim., 16 mars 1912, S. Somm, 1912, 1, 79).

Que faut il décider, quand le jugement intervenu en matière correctionnelle ou de simple police a été prononcé par défaut ?

Les jugements prononcés par défaut sont susceptibles d’une voie de recours, l’opposition. Le jugement est signifié à l’intéressé. Cette signification est le point de départ d’un délai de 5 jours, pendant lequel le condamné peut former opposition. La jurisprudence, étendant par analogie la solution admise pour les jugements contradictoires susceptibles d’appel, décide que le terme de ce délai servira de point de départ au délai de la prescription.

Que décider à l’égard d’un condamné qui, ayant subi une partie de sa peine, s’est évadé ? On est d’accord pour admettre qu’il peut prescrire la partie de la peine qu’il lui restait à subir. On décide également que la prescription commence à courir le jour de l’évasion. il en résulte cette situation singulière que le condamné ayant subi partiellement sa. peine est moins bien traité qu’un autre qui s’est complètement soustrait au châtiment. La prescription opère plus lentement à son profit.

Le projet de Code pénal (art. 64) consacre, néanmoins, cette solution. Il est vrai qu’une solution contraire, donnant pour point de départ à la prescription le jour où la condamnation est devenue définitive, aurait, elle aussi, un résultat fâcheux. La justice serait impuissante à l’égard du condamné aux travaux forcés à perpétuité qui s’évaderait, ayant subi vingt ans, ou plus de vingt ans, de sa peine.

Le Code pénal belge (art: 95) a pris une position moyenne. Il ordonne imputer dans une certaine mesure, sur la durée de la prescription, le temps d’exécution de la peine. De même, le, Code pénal luxembourgeois.]

957. Des causes de suspension et d’interruption de la prescription -. Il faut envisager, enfin, les modifications qu’apportent au délai de la prescription les causes de suspension ou d’interruption. On sait que la suspension retarde le cours du délai, tandis que l’interruption fait perdre le bénéfice de la prescription acquise.

Il suffit, dans le silence du Code d’instruction criminelle, d’étendre les solutions qu’impose le droit civil. La prescription est suspendue quand l’application de la peine a été retardée par un obstacle de fait, une guerre une inondation par exemple. Mais le cours de la prescription peut être retardé encore par un obstacle de droit, tel que l’obligation de faire exécuter préalablement une autre peine. Cette situation peut se présenter cas d’évasion (art. 245 C. pénal), au cas de sursis suivi de déchéances.

L’interruption de la prescription rend inutile la partie de la prescription déjà acquise. Elle ne peut résulter que d’un acte d’exécution de la peine. S’il s’agit d’une peine pécuniaire, la prescription sera interrompue par le paiement la saisie, la contrainte par corps, et non par le simple commandement de payer l’amende, ou de remettre l’objet confisqué. S’il s’agit d’une peine privative de liberté, par l’arrestation et non, par la simple signification, visite domiciliaire, perquisition, etc., à l’opposé de ce que décident certaines législations étrangères. [Mais à l’égard de la peine capitale la simple arrestation ne suffit pas; la prescription ne sera interrompue que par l’intervention du bourreau.]

2° LES EFFETS DE LA PRESCRIPTION

958. Leur caractère obligatoire. - Les effets de la prescription de la peine sont déterminés impérativement par la loi. Ils sont dictés par des raisons d’intérêt social. Même s’il le voulait, le condamné ne pourrait s’y soustraire.

959. La prescription de la peine n’affecte pas la condamnation. - La prescription crée une dispense définitive d’exécution de la peine, mais elle laisse subsister la condamnation.

D’où les conséquences suivantes :

1° Si le bénéficiaire commet plus tard une infraction à la loi pénale, il est considéré comme un récidiviste; la condamnation précédente compte pour la relégation. Elle reste donc inscrite au casier judiciaire ;

2° La prescription n’atteint pas les déchéances et privations de droits prononcées comme peine principales. Elle ne les atteint pas davantage lorsqu’elles interviennent à titre accessoire ou complémentaire ;

3° La prescription est sans effet sur les condamnations civiles (art. 642 C.instr.crim.). Elle ne doit pas entraîner de préjudice pour la victime. Celle-ci conserve son droit d’agir pendant le délai qui résulte du droit commun et qui est de 30 ans. Subsiste, de même, la condamnation aux frais envers l’État (Cass.req., 28 février 1905: D. P., 1905, 1, 176)  ;

4° La prescription de la peine laisse subsister l’interdiction de séjour (art. 48, al. 3 ancien C. pénal) qui est une mesure de préservation sociale;

5° Le condamné qui a prescrit sa peine peut bénéficier de la réhabilitation judiciaire depuis la loi du 10 mars 1898, et de la réhabilitation de droit depuis la loi du 11 juillet 1900.

960. Elle n’affecte pas les mesures de sûreté qui accompagnent la peine. - On a vu que la prescription n’atteint pas l’interdiction de séjour, peine principale, accessoire ou complémentaire. Bien plus ! Il résulte de l’article 635 du Code d’instruction criminelle, contre le condamné bénéficiaire de la prescription, une interdiction particulière de résidence, sorte de bannissement local qui constitue une mesure de sûreté, indéfinie, et, par conséquent, perpétuelle. Le condamné à une peine perpétuelle, qui l’a prescrite, est frappé d’interdiction de séjour pendant 20 ans à compter du jour où la prescription est accomplie (art. 48, al. 4 et 5 ancien C.pén.). Ces exemples font ressortir l’indépendance qui existe, au regard de la prescription,.entre la mesure de sûreté et la peine. Le condamné qui a prescrit demeure un danger social contre lequel les mesures de sûreté sont un mode de préservation.

Signe de fin