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VOIES POUR JUGER DE LA GRANDEUR
DES CRIMES ET DES DÉLITS

Extrait de l’ouvrage de MM. de CURBAN et de RÉAL
« La science du gouvernement » (Paris 1765)

Si l’Ancien droit connaissait le principe de la légalité criminelle,
il n’y attachait pas comme nous un caractère sacré
mais prenait en compte l’extrême diversité des cas pratiques.

C’est pourquoi les pénalistes d’antan s’efforçaient d’établir
un catalogue des circonstances influant sur la gravité des actes
que les ordonnances, les lois, ou les coutumes prohibaient.

Certaines de leurs observations apparaissent dépassées ;
d’autres en revanches méritent de retenir notre attention,
car elles ont été oubliées par la doctrine contemporaine
par trop attachée aux circonstances retenues par le législateur.

On juge de la grandeur des crimes et des délits par leur objet, par le préjudice qui en résulte pour l’État, par la qualité, l’intention, et la malice des coupables, et par les circonstances de l’action. Entrons dans quelque détail sur ce point.

1° Relativement aux personnes lésées

Selon que les personnes offensées font plus ou moins considérables, l’action est aussi plus ou moins criminelle. Les crimes qui tendent directement à outrager la Majesté divine, sont sans doute les plus énormes. Après ces crimes, viennent ceux qui intéressent la société civile ; et enfin ceux qui regardent les particuliers. Les maux faits à autrui rendent l’auteur du crime qui les cause plus ou moins coupable, selon l’état de celui qui les souffre, l’âge, la nécessité, et les circonstances où il se trouve.

2° Relativement au dommage causé

Les crimes qui regardent les particuliers sont plus ou moins atroces, selon que le bien dont ils les dépouillent est plus ou moins considérable. Dans les Tribunaux civils on met au premier rang la vie qui est le fondement de tous les biens temporels, ensuite les membres dont la perte est plus ou moins sensible, selon l’usage auquel ils servent ; puis la tranquillité des familles dont le fondement est la chasteté du mariage ; après cela, les choses qui servent aux nécessités et aux commodités de la vie et qui peuvent être détruites, endommagées, ou dérobées, d’une manière ou directe ou indirecte ; enfin l’honneur et la réputation.

3° Relativement à l’action finie ou simplement commencée

Les crimes qui ont été consommés font punis plus sévèrement que ceux qui n’ont été exécutés qu’en partie. Plus l’exécution a été poussée loin, plus le crime est grave.

4° Relativement aux suites de l’action

On a encore égard non seulement aux maux qui résultent directement et immédiatement d’une action criminelle, mais encore aux suites fâcheuses qui ont pu être prévues ; ainsi, lorsqu’il s’agit d’un criminel accusé d’avoir mis le feu quelque part, ou d’avoir lâché une digue, on considère les grandes pertes et la mort même des personnes qui se trouvent enveloppées dans l’incendie ou dans l’inondation. De là vient qu’en Chine on fait mourir ceux même qui, sans y penser, ont causé l’incendie.

5° Relativement aux circonstances qui environnent l’action

Enfin le degré de malice se déduit des divers motifs qui portent les hommes aux crimes. Toutes les circonstances qui peuvent accompagner une action ont été comprises dans un seul vers latin, et se réduisent à savoir qui a commis le crime, quel il est, où il a été commis, par quels moyens, pourquoi, de quelle manière et quand : Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.

6° Différences tirées du degré de malice

Peut-être n’y a-t-il aucun homme assez méchant, pour se porter au crime par le seul plaisir de le commettre ; les plus scélérats ou nient le crime, ou saisissent quelque prétexte pour l’excuser. Mais si quelqu’un est convaincu d’avoir fait du mal, uniquement pour en faire il doit être puni comme coupable de la méchanceté la plus caractérisée.

7° Différences tirées des objets du crime

Entre les crimes qui doivent leur naissance à quelque passion, ceux auxquels on se porte pour éviter quelque mal sont moins odieux que ceux dans lesquels on est entraîné par l’attrait du plaisir, parce que l’idée du plaisir ne fait pas une impression si forte que celle de la douleur.

Plus le mal dont on a voulu se délivrer était présent, moins l’action est criminelle. Plus le plaisir qu’on a voulu se procurer était superflu, plus le crime est punissable. La crainte de la mort, de la prison, d’une extrême disette, ou de quelque grande douleur, font des sujets d’excuse plus considérables.

Un homme qui commet un adultère est plus coupable qu’un autre que la nécessité porte à voler. Par la même raison un larcin de cette nature est moins criminel que celui d’une personne qui dérobe pour avoir de quoi satisfaire une avidité insatiable de choses superflues. Un homme qui se parjure pour éviter la mort , ne fait pas tant de mal que s’il niait un dépôt pour s’enrichir. Les désordres où l’on tombe dans un mouvement de colère, font plus dignes d’indulgence que ceux où l’amour engage.

Il y a des crimes qui paraissent petits en eux- mêmes et qui le sont en effet en tant qu’ils roulent sur une chose de peu de valeur, lesquels néanmoins sont plus atroces à les considérer par rapport à la condition de celui qui les commet, que s’il s’agissait de quelque chose de grand prix. Ainsi un ancien orateur, accusant un homme, insista fort sur ce qu’ayant eu à payer de pauvres ouvriers employés à la construction d’une Chapelle, il n’avoir pû s’empêcher de leur retenir trois oboles. Le Philosophe (Aristote) qui rapporte ce fait remarque qu’il en est tout au contraire des bonnes actions c’est-à-dire qu’un homme, par exemple, qui rend une grosse somme d’argent qu’on lui avoir confiée en dépôt, est plus louable que si le dépôt eût été moins considérable, parce que cela marque un plus grand fond de probité, comme la vue d’un petit profit qui est capable de porter une personne au crime découvre en elle un plus grand fonds de malice, que si elle s’était laissé séduire à l’attrait d’un grand gain.

8° Différences tirées de la connaissance ou de l’erreur

Les crimes commis par l’effet de quelque erreur sont beaucoup moins énormes que ceux auxquelles on s’abandonne avec une pleine connaissance. L’action contraire aux lois est plus criminelle lorsqu’on l’a fait avec audace, par confiance en son crédit, que lorsqu’on s’y porte dans l’espérance de n’être pas découvert ou de se dérober par la suite aux peines que les lois décernent. Dans le premier cas on témoigne un mépris insolent des lois qui ne paraît pas dans l’autre.

Les fautes où l’on tombe par fragilité ou par pure négligence sont moins criminelles que celles où l’on se porte par malice et de propos délibéré.

9° Différences tirées de la qualité des coupables

Plus un homme est élevé en dignité, et plus le crime qu’il commet paraît énorme. Les mauvaises actions des Grands sont contagieuses, et elles sont d’autant plus criminelles qu’elles sont plus généralement imitées.

Le délit commis par un Ecclésiastique doit être puni plus sévèrement qu’il ne le serait en la personne d’un Laïque, parce que la sainteté de son état l’oblige à une vie plus régulière. Un Magistrat est plus criminel qu’un simple particulier coupable du même crime, parce qu’il est d’autant plus obligé de ne pas violer lui-même la justice, qu’il doit la rendre aux autres...

Une injure est plus sensible de la part d’un ami, que lorsqu’elle vient d’un ennemi ; comme un service rendu par un ennemi paraît plus grand que si on le recevait d’un ami. Un homme est plus à plaindre d’être exposé aux insultes du bas peuple, qu’à celles de ses égaux ou de ses supérieurs et l’on doit venger plus rigoureusement les outrages qui lui font faits par ses propres enfants ou par ses domestiques, que par ceux d’autrui. Les lois doivent s’armer de sévérité contre les mauvais traitements faits à un proche parent ou à un bienfaiteur, parce que les crimes qui outre leur injustice propre, renferment la violation de quelque engagement particulier, sont plus énormes que ceux qui offensent les personnes avec qui les coupables n’avoient aucune liaison.

10° Différences tirées du temps et du lieu

Il importe aussi beaucoup de considérer en quel temps et en quel lieu un crime a été fait.

Le délit commis dans un lieu public est plus grand que s’il avait été fait clandestinement, parce que les crimes secrets sont moins nuisibles au public, en ce qu’ils ne donnent pas un exemple qui invite au crime, et parce que le coupable qui ose manifester son crime semble vouloir s’en faire un triomphe. Il est plus odieux de s’abandonner à l’impureté dans un Temple que dans un cabaret. C’est un plus grand affront pour un homme d’être battu dans l’assemblée des juges , que dans sa maison.

Celui qui s’enivre un jour ouvrier commet, toutes choses égales d’ail-leurs, un moindre péché, que s’il s’enivrait un jour consacré à des exercices de piété.

La manière dont on a commis le crime et les instruments dont on s’est servi marquent souvent une intention plus ou moins déterminée à le com–mettre,et servent par conséquent à augmenter ou à diminuer l’atrocité du fait : ainsi, un vol fait avec effraction passe pour plus criminel que celui où le larron n’a pas employé la violence.

11° Différences tirées de la situation

Pour juger du degré de malice qu’il y a dans un crime, il faut examiner avec soin si celui qui l’a commis y a été entraîné, ou s’il s’y est porté avec connaissance.

Les hommes d’un esprit pénétrant font plus propres à comprendre les rairons de s’abstenir du mal. Les femmes, les enfants, les gens grossiers sont moins capables que les autres de discerner ce qui est juste d’avec ce qui ne l’est pas.

Quelques-uns font entraînés avec plus de force que les autres, vers certaines sortes de vues, par une effet du tempérament, de l’âge, du sexe, de l’éducation. Il y a des vices nationaux , pour ainsi dire.

Les gens bilieux sont enclins à la colère. Les personnes d’un tempérament sanguin ont du penchant à l’amour. Les vieillards ont des inclinations différentes de celles des jeunes gens ; et l’on pardonne bien des choses à l’imprudence et au feu de la jeunesse, qu’on ne pardonnerait pas à l’expérience et à la caducité des personnes avancées en âge.

Plus le mal paraît prochain, plus le trouble où il jette est grand, et plus la frayeur qu’il inspire est difficile à surmonter.

La colère est plus violente dans son commencement qu’après quelque intervalle. De là vient que le ressentiment d’une injure, lorsqu’elle est encore toute récente ne permet pas de suivre les conseils de la raison et que ce ressentiment devient moins vif avec le temps. La sévérité avec laquelle la République de Hollande traite quiconque en a tué un autre même à son corps défendant, est un sujet d’étonnement pour les autres nations. Dieu l’absout, et la République le condamne à mort en le plaignant. Elle sacrifie à l’intérêt public un homme qui est malheureux sans être coupable.

En général, les crimes commis de sang-froid passent pour plus énormes, que ceux où l’on est poussé par quelque passion ou par l’effet de quelque accident imprévu qui trouble l’esprit. Un ancien législateur (Pittacus) avoir établi une double peine pour ceux qui avoient battus quelqu’un ou commis quelque autre crime dans le vin ; mais c’était parce qu’y ayant plus de gens qui insultent les autres dans la chaleur du vin, qu’il n’y en a qui le font sans avoir bu, il avait cru devoir considérer l’utilité publique et non pas l’action en elle-même, laquelle, détachée de cette vue, est plus pardonnable dans un homme ivre que dans un homme qui l’a commise de sang-froid.

Celui qui le premier commet quelque crime, et qui l’enseigne, pour ainsi dire, aux autres, par l’exemple qu’il en donne, commet une faute plus grande, que celui qui se laisse entraîner par le torrent.

L’habitude au crime est encore digne de considération. On ne passe pas d’une longue habitude d’innocence aux grands crimes, et une mauvaise action doit être punie avec plus de sévérité , lorsqu’on la commet souvent, que quand on ne l’a commise qu’une fois. On ne fait grâce d’une première faute qu’à condition que le coupable se corrigera. S’il retombe dans le même crime, on le punit alors et pour le présent et pour le passé. C’est avec cette restriction qu’on peut admettre la maxime commune : qu’un fait postérieur n’aggrave pas un crime passé.

12° Différences tirées de la rigueur des lois

Une personne qui s’abandonne à un crime qu’on punit d’ordinaire sans miséricorde, passe pour plus coupable que s’il y avait plusieurs exemples d’impunité. Le mépris des lois, dans le premier cas, est plus marqué que dans le second.

Un crime commis dans les fonctions d’un emploi qui suppose la confiance du Prince ou du public, doit être puni plus sévèrement que celui qui est commis par un homme en qui ni le Prince ni le public n’avaient placé leur confiance.

Et plus le crime est aisé à commettre, plus les lois déploient leur sévérité. L’interception des lettres, par exemple, doit être punie plus sévèrement dans un Commis des Bureaux des Postes, que dans un homme qui n’y est pas employé.

Un crime commis par une personne âgée de quatorze ans seulement, n’est pas si grave, toutes choses égales d’ailleurs, que celui où elle s’abandonne à quarante ans. Demeurer dans l’habitude du crime et ne pas profiter des lumières que fournit la maturité de l’âge, ce font des circonstances qui aggravent le crime.

Les lois civiles distinguent trois fortes d’âges. 1° L’enfance. 2° La puberté. 3° La majorité. L’âge tendre peut adoucir ou même faire disparaître entièrement le châtiment des délits commis ; mais le degré de malice peut suppléer au défaut de l’âge, et peut engager les juges à punir un enfant de dix ou onze ans, comme s’il eût atteint l’âge de puberté lorsqu’il a commis le crime.

L’égalité dans les châtiments ne doit être observée que par rapport aux crimes de même espèce. Selon que le législateur le juge à propos on punit certains crimes plus rigoureusement que d’autres qui, par eux-mêmes, sont plus énormes, et moins sévèrement au contraire certains crimes. Le vol, par exemple, est de lui-même moins criminel que l’homicide, cependant les voleurs peuvent, sans injustice, être punis de mort aussi bien que les meurtriers, lorsque la loi les y condamne.

Signe de fin