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QUELQUES MODES DE COMPLICITÉ

Extrait des « ÉTUDES PRATIQUES SUR LE CODE PÉNAL »
de Antoine BLANCHE
( T. II, Paris 1864 )

Sans doute ce document peut-il paraître
quelque peu dépassé de nos jours.
Il n’en retient pas moins l’attention à trois points de vue.

Tout d’abord la manière d’aborder la théorie de la complicité
varie en fonction de la sensibilité de chaque auteur ;
et il est intéressant de voir comment l’a envisagée un éminent magistrat.

Par ailleurs, il nous a semblé instructif de fournir
un exemple des ouvrages écrits lors de l’élaboration
du droit contemporain de la complicité ;
à une époque où la loi était encore interprétée
à la lettre plutôt que dans son esprit.

Enfin, s’agissant d’une matière qui relève
plus du droit naturel que du droit positif,
l’essentiel des développements demeurent d’actualité
ne serait-ce que dans la manière d’aborder chaque difficulté.

86 - L’article 60 du Code pénal [de 1810] ne répute complices et ne punit comme tels que ceux qui ont provoqué à l’action, donné des instructions pour la commettre, procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen y ayant servi, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action, dans les faits qui l’ont préparée, facilitée, ou consommée ; ce n’est donc qu’à raison de l’un de ces modes de coopération au crime ou au délit qu’il pourra y avoir lieu à complicité légale.

Il faut même remarquer que, dans ces cas, la complicité ne sera punissable qu’autant que le fait qui l’engendrera, aura les caractères élémentaires indiqués par la loi ; c’est la seconde conséquence à déduire de la nature limitative de l’article 60.

Appliquons cette règle à chacun des modes de complicité par aide et assistance.

87 - Le premier qui s’offre à notre étude, dans l’article 60, c’est la provocation au crime. [endroit contemporain on parle plus exactement d’instigation au crime]

Est-ce que toute espèce de provocation constituera la complicité légale ? Non, assurément ; l’article 60 est limitatif, nous l’avons déjà dit. Il faut en conclure que, cette disposition, ne déclarant punissable que la provocation par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations, ou artifices coupables, la provocation ne pourra devenir la base d’une condamnation que dans le cas où i1 sera déclaré qu’elle a eu lieu par, l’un de ces moyens, et qu’il ne pourra être dérogé à cette règle qu’en, vertu d’une exception bien formelle.

Louis-Paul Billet avait été condamné, comme coupable de complicité de faux, pour avoir provoqué les parties et les témoins à apposer leur signature sur un acte de célébration de mariage, argué de faux. Cependant la déclaration du jury ne constatait pas que la provocation eût été accompagnée d’aucune des circonstances exigées par la loi, pour caractériser la complicité des crimes ou des délits, et pour autoriser l’application de la peine portée contre l’auteur principal. Billet se pourvut contre cette décision qui fut annulée :

« Attendu qu’il résulte de la déclaration du jury que Louis-Paul Billet n’a participé aux faux qu’en provoquant les témoins et les parties à apposer leurs signatures au bas de l’acte de célébration de mariage dont il s’agit, en l’absence de l’adjoint du maire qui était chargé de remplir les formalités dudit acte et en leur faisant attester, ainsi, que les faits énoncés étaient vrais, quoiqu’il sût qu’ils étaient faux ; qu’il n’y est point dit que cette provocation ait été faite par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables ; qu’une simple provocation, sans aucune des circonstances déterminées par la loi pour caractériser la complicité, ne suffit pas pour autoriser l’application des peines portées contre l’auteur du crime ou du délit, et qu’une pareille provocation n’est qualifiée crime ni délit par aucune loi ; d’où il suit que la Cour d’assises, par son arrêt du 5 juin, a fait, à l’égard de Billet, une fausse application de l’article 147 du Code pénal, et a violé l’article 60 dudit Code ; attendu que la nullité de cet arrêt, procédant de ce que le fait qui a donné lieu à la condamnation n’est pas un délit qualifié par la loi, il n’y a plus lieu à aucun renvoi, d’après l’art. 429 du Code d’instruction criminelle. » Cass.crim. 3 septembre 1812, Bull.crim. n° 200). — Confer : Cass.crim. 16 messidor an XII (Bull.crim. n° 170), 14 octobre 1825 (Bull.crim. n° 205), 16 mars 1826 (Bull.crim. n° 50).

88 - La jurisprudence a poussé le respect de la règle jusqu’à exiger que, dans le cas où la provocation a eu lieu par artifices, il fût déclaré, comme le prescrit l’article 60, que ces artifices étaient coupables.

Heiligenstein avait été condamné, comme coupable de complicité dans la destruction et le pillage de l’habitation de Jean Goerth, pour avoir provoqué à ce crime par machinations ou artifices, ou donné des instructions pour le commettre. Sur son pourvoi, cette décision fut cassée :

« Attendu que l’article 60 du Code pénal considère et punit comme complices des crimes ou délits, ceux qui y auront provoqué par des machinations ou artifices coupables, ou qui auront donné des instructions pour les commettre ; qu’à cette question : « L’accusé est-il coupable de s’être rendu complice dudit crime pour y avoir provoqué par machinations ou artifices, ou donné des instructions pour le commettre ? » le jury s’étant borné à répondre : « Oui, l’accusé est coupable », il est impossible de savoir s’il a entendu déclarer l’accusé complice pour avoir donné des instructions pour commettre le crime, ou pour y avoir provoqué par des artifices ; qu’au premier cas, sa culpabilité serait certaine ; qu’il n’en serait pas de même, au second : que la jonction du mot coupables au mot artifices, dans l’article 60, démontre que l’artifice n’est pas, essentiellement et par lui-même, un moyen coupable de provocation, et qu’il n’a ce caractère qu’autant que le jury le lui a expressément et formellement reconnu ; que si, par cette déclaration, « Oui, l’accusé est coupable », le jury a voulu déclarer l’accusé complice pour avoir provoqué par artifices, il ne l’a pas déclaré complice pour avoir provoqué par artifices coupables, la réponse se rapportant nécessairement à la question, dans laquelle la qualification de coupables n’est pas donnée aux artifices employés pour provoquer ‘aux crimes ou aux délits qui ont été commis ; que de là il résulte que la complicité, dont l’accusé serait convaincu, ne serait pas celle qui assimile le complice à l’auteur du crime et le soumet aux mêmes peines. » Cass.crim. 27 octobre 1815 (Bull.crim. n° 60).

89 - Mais s’il est légitime de vouloir que la provocation ne devienne punissable que sous les conditions déterminées par le Code, il serait irrationnel et dangereux d’exagérer les exigences de la loi et de restreindre, plus qu’elle ne le fait, les circonstances dans lesquelles la provocation constitue un fait de complicité légale.

90 - Ainsi, l’article 60 ne prescrivant pas d’indiquer à qui la provocation s’est adressée, la provocation ne cessera pas d’être punissable par la raison que le tribunal correctionnel ou le jury aura omis cette indication.

Doineau, condamné à mort par la Cour d’assises d’Oran, s’était fait un moyen de cassation de ce que la déclaration, qui le concernait, ne mentionnait pas que la provocation avait été exercée envers celui ou ceux par qui le fait principal avait été commis. La Cour rejeta ce moyen : « Attendu, que les questions de complicité, résolues affirmativement à la charge de l’accusé, Doineau, avaient été posées littéralement dans les termes du paragraphe 1° de l’article 60 du Code pénal. » Cass.crim. 3 octobre 1857 (Bull.crim. n° 359).

91 - De même cet article n’ordonnant pas que les machinations, qui ont servi à la provocation, soient qualifiées, le provocateur reste punissable quoiqu’elles qu’elles n’aient pas été déclarées coupables.

Par arrêt de la chambre des mises en accusation, les mariés Aouat avaient été renvoyés devant les assises, comme accusés de complicité d’un homicide volontaire pour y avoir provoqué par machinations. Ils se pourvurent contre cet arrêt, sur le motif que le fait, pour lequel ils étaient renvoyés devant les assises, n’était pas qualifié crime par la loi, et qu’il aurait fallu, pour qu’il eût ce caractère, que les machinations qu’on leur imputait eussent été déclarées coupables. La Cour rejeta leur pourvoi : « Attendu que les faits, qui ont déterminé la mise en accusation et le renvoi aux assises des mariés Aouat, rentrent dans les cas prévus par les articles 60 al. 1er et 205 du Code pénal ; que, dans le sens dudit article 60, le mot machination présente par lui-même une prévention de culpabilité, sans qu’il soit besoin d’y ajouter le mot coupable, qui se réfère seulement au mot artifice, pour caractériser la moralité de ce mode de provocation à un crime. » (Cass.crim. 15 mars 1816).

Dans une autre affaire, dont je transcrirai également l’arrêt, qui, comme le précédent, ne se trouve pas au Bulletin officiel, le jury avait déclaré Benoît Epinat, coupable de complicité par machinations, et la Cour l’avait condamné. Il se pourvut contre cette décision et prétendit, entre autres moyens de cassation, que la réponse du jury ne renfermait pas les caractères élémentaires de la complicité légale. La Cour rejeta son pourvoi : « Sur le second moyen fondé sur ce que la réponse du jury n’établissait pas les faits constitutifs de la complicité, et ne pouvait, en conséquence, donner lieu à aucune condamnation, parce que la complicité y énoncée n’était pas celle déterminée par la loi : d’où violation de l’article 60 du Code pénal ; attendu, en effet, que la question suivante a été soumise au jury : « Si Benoît Epinat n’est pas coupable comme auteur des vols commis au préjudice du sieur Level, s’en est-il rendu complice : 1°/ en provoquant ces vols par des promesses, machinations ou artifices coupables ; 2°/ ou en donnant, des instructions pour les commettre ; 3°/ enfin, ou en aidant et assistant l’auteur ou les auteurs des vols dans les faits qui les ont préparés ou facilités, ou dans ceux qui les ont consommés ? » À quoi le jury avait répondu, en marge du paragraphe 1er, « Oui, à la majorité de plus de sept voix, il s’est rendu complice par des machinations » ; attendu que, d’après les termes dans lesquels était posée la question, le sens et la place de la réponse mise en marge du paragraphe 1°, les mots, en provoquant, étaient nécessairement sous-entendus dans la déclaration, puisque les machinations sont un des quatre moyens retracés dans la question ; que cette déclaration équivalait donc à celle-ci : « Oui, il s’est rendu complice, en provoquant au vol par des machinations ; » attendu que Benoît, Epinat ne peut se prévaloir utilement, de ce que le jury, dans sa réponse, n’aurait pas ajouté le mot coupable à celui de machination ; qu’en effet, dans le sens de l’article 60 du Code pénal, le mot machination, qui ne se prend jamais qu’en mauvaise part, présente seul et par lui-même une prévention de culpabilité, sans qu’il soit besoin, d’y ajouter le mot coupable, qui, dans ce même article, se réfère seulement au mot artifice, pour caractériser la moralité de ce mode de provocation à un crime ; qu’ainsi la réponse du jury était suffisante pour établir les caractères de complicité déterminés par le paragraphe1er de l’article 60 du Code pénal, et que la Cour d’assises, en prononçant, d’après cette réponse, contre Benoît Epiliat, la peine portée par cet article, loin d’avoir violé en aucune sorte les dispositions de ces articles, en a fait au contraire une juste application. » Cass.crim. 19 octobre 1832.

92 - La loi n’a pas indiqué en quoi consisteront la provocation et les faits accessoires qui la rendent punissable, c’est-à-dire, les dons, les promesses, les menaces, les abus d’autorité ou de pouvoir, les machinations ou artifices coupables. Elle ne le pouvait pas, et elle ne le devait pas : car les faits physiques, qui constitueront ces éléments de la complicité, sont essentiellement variables ; certains faits, qui, dans un cas, auront ce caractère, le perdront dans un autre.

93 - De ce que la loi ne définit pas la provocation et les actes qui en doivent être l’expression, faut-il conclure que les décisions rendues, à cet égard, par le juge du fait, sont souveraines et échappent au contrôle de la Cour de cassation ?

Comme je l’ai fait remarquer, dans ma première Étude, n° 12, sur une difficulté analogue à celle que j’examine, la question ne peut pas naître à l’occasion des décisions du jury. En effet, le jury est appréciateur souverain des faits qui lui sont donnés à juger. Lorsqu.il répond qu’il y a ou qu’il n’y a pas provocation, dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, sa décision est définitive et irrévocable ; elle n’est susceptible d’aucun recours, comme le porte l’article 350 du Code d’instruction criminelle.

Mais la question peut se présenter à l’occasion des arrêts rendus par les chambres des mises en accusation et par les chambres des appels de police correctionnelle, dont les appréciations juridiques ressortissent à la Cour de cassation.

Il faut, je crois, pour résoudre convenablement cette question, faire une distinction entre la matérialité de l’acte, son caractère intentionnel, et ses conséquences légales.

Les chambres des mises en accusation, et les chambres des appels correctionnels, en admettant ou en niant l’existence des actes matériels, constitutifs de la provocation et de ses circonstances accessoires, en reconnaissant ou en refusant de reconnaître l’intention criminelle dans l’agent qui a exécuté ces actes, se bornent évidemment à une appréciation de fait ou d’intention, et, par conséquent, elles la font souverainement. À cet égard, la Cour de cassation ne peut pas réviser leurs décisions ; elle n’a pas compétence pour faire un nouvel examen de l’information et redresser l’erreur que le juge du fait a pu commettre, dans le jugement qu’il a porté soit sur l’existence de l’acte, soit sur l’intention de l’agent qui l’a exécuté. C’est ainsi qu’elle a jugé, dans l’arrêt du 17 juillet 1835 (Bull.crim. n° 297) : « que la criminalité des artifices ou machinations, qui constituent le second mode de complicité résultant de la provocation au crime, rentre dans une appréciation souveraine des faits, qui échappe à son examen. »

Mais, lorsque les chambres des mises en accusation ou les chambres des appels correctionnels, après la reconnaissance des faits constitutifs de la provocation légale et de l’intention criminelle de l’agent discutent les conséquences légales de ces éléments, elles entrent, selon moi, dans le domaine du droit, et ne rendent plus, à ce point de vue, que des décisions soumises au contrôle de la Cour de cassation.

Cette question a la plus grande analogie avec celle que j’ai examinée dans ma première Étude n° 12, lorsque j’ai recherché si les chambres d’accusation statuent souverainement sur les déductions qu’elles tirent des faits établis par l’information, pour décider, soit qu’il y a ou qu’il n’y a pas commencement d’exécution, soit qu’il y a ou qu’il n’y a pas des circonstances suspensives ou interruptives de la tentative.

Les mêmes principes sont applicables à ces deux questions. La Cour de cassation a dans l’une les mêmes pouvoirs de révision que dans l’autre.

Je rappelle qu’après avoir hésité sur le point de savoir si les Chambres des mises en accusation apprécient souverainement les faits constitutifs du commencement d’exécution de la tentative et le caractère des circonstances qui la suspendent ou l’interrompent, elle s’est arrêtée, en dernier lieu, à l’opinion que j’adopte. J’ajoute que, dans un arrêt que je vais citer, elle n’a pas décliné le droit de réviser la décision d’une chambre des appels de police correctionnelle, qui avait refusé de reconnaître aux faits, qu’elle avait déclarés constants, le caractère légal de la provocation par promesse.

Le nommé Théodore avait parié 80 centimes, avec le nommé Cornudet, que celui-ci ne se baignerait pas nu, dans un baquet sur la voie publique. Cornudet tint le pari et exécuta l’acte qui en était l’objet. Il fut poursuivi comme coupable d’outrage public à la pudeur et Théodore comme complice de ce délit, pour l’avoir provoqué par promesse. Cornudet fut condamné. Quant à Théodore, la Cour impériale de la Guyane française reconnut que les faits qui lui étaient imputés étaient prouvés, mais elle jugea, en droit, que ces faits ne constituaient pas la provocation par promesse. Sur le pourvoi du ministère public, cet arrêt fut annulé : « Attendu que l’article 60 du Code pénal répute complices d’une action qualifiée crime ou délit, ceux qui, par dons ou promesses, provoquent à cette action ; attendu que celui qui, sous forme de pari, s’engage à donner à un autre une somme d’argent, pour le cas où celui-ci commettrait une action qualifiée délit, fait, par cela même, une promesse et provoque ainsi à l’action délictueuse ; attendu que l’arrêt attaqué reconnaît que le nommé Théodore a parié avec le nommé Cornudetque celui-ci ne se baignerait pas tout nu dans un baquet placé sur la voie publique, et s’est engagé à lui donner une somme d’argent dans le cas où ledit Cornudet accomplirait cette action qui a été commise et qui constitue le délit prévu par l’article 330 du Code pénal ; que, dès lors, et en renvoyant Théodore des fins de la plainte, l’arrêt attaqué a violé les dispositions de l’article 60 du Code pénal.» Cass.crim. 28 novembre 1856 (Bull.crim. n° 377).

Cependant, je ne dois pas laisser ignorer que précédemment la Cour de cassation avait jugé que les appréciations des Cours impériales étaient souveraines en cette matière et qu’il ne lui appartenait pas de les réviser : « Attendu que la Cour royale de Paris a déclaré, par l’arrêt attaqué, que des pièces de l’instruction et des débats résultait la preuve qu’Auguste Mévil rendu complice de Baril dans l’abus de confiance dont ce dernier s’était rendu coupable envers Kresler, en aidant et assistant, avec connaissance, ledit Baril dans les faits qui ont préparé, facilité et consommé ledit abus de confiance ; qu’elle a ainsi; attaché aux faits, d’où résultait la complicité, les caractères de la criminalité légale, tels qu’ils sont définis par le 3e paragraphe de l’article 60 du Code pénal ; Attendu qu’aucune loi n’ayant précisé quels seraient les faits constitutifs de l’aide et de l’assistance, il est laissé aux lumières et à la conscience des juges d’apprécier ceux qui résultent des pièces de l’instruction et des débats ; que, dès lors, et dans cet état, la Cour royale de Paris, en réformant par l’arrêt attaqué, et sur l’appel de la partie civile, le jugement correctionnel du tribunal de première instance de la Seine par lequel Auguste Mévil avait été renvoyé de l’action de Kreisler, et en statuant par suite, et quant aux intérêts civils seulement, a suffisamment motivé son arrêt, et fait aux faits par elle reconnus une juste application des articles 59, 60 et 406 du Code pénal, la Cour rejette le pourvoi. » Cass.crim. 8 octobre 1824.

Cet arrêt, conforme à ceux que la Cour de cassation rendait, à la même époque, sur la question de savoir si les chambres des mises en accusation apprécient souverainement les faits constitutifs du commencement d’exécution et de la suspension de la tentative, est en opposition évidente avec le dernier arrêt rendu sur cette question, le 14 octobre 1854, n° 304 (V. 1e Étude, n° 12), et avec celui du 28 novembre 1856 que je viens de citer. Je persiste à penser que cette dernière jurisprudence est préférable à celle qui l’a précédée.

94 - Le second mode de complicité prévu par l’article 60 consiste, dans les instructions données pour l’exécution du crime ou du délit.

Les instructions constituent par elles-mêmes un fait de complicité punissable. Il n’est pas nécessaire, pour qu’elles prennent ce caractère, qu’elles soient accompagnées, comme la provocation, de quelques circonstances accessoires, qui les aggravent. Il suffit qu’il soit déclaré qu’elles ont été données pour commettre l’action, sans même qu’il soit ajouté que l’accusé ou le prévenu de ce genre de complicité a agi avec connaissance, ou sciemment, ou sachant que les instructions devaient servir à commettre un crime ou un délit.

C’est ce que la jurisprudence a reconnu. Ainsi, l’arrêt du 21 août 1845 (Bull.crim. n° 264) a jugé : « qu’il suffit, pour être condamné comme complice d’un crime (ou d’un délit), d’avoir donné des instructions pour le commettre, sans qu’il soit nécessaire d’exprimer que ces instructions ont été données frauduleusement ». Ainsi, l’arrêt du 23 mai 1844 (Bull.crim. n° 179) a jugé : « que le § 1° de l’article 60, qui définit le genre de complicité consistant à avoir donné des instructions pour commettre un crime (ou un délit), n’exige pas, comme les dispositions subséquentes, qu’il soit dit que l’accusé (ou le prévenu) de ce genre de complicité a agi avec connaissance, ou sciemment, ou sachant que ces instructions devaient servir à commettre un crime (ou un délit). » - Confer : Cass.crim. 27 octobre 1815 (Bull.crim. n° 60).

95 - Je ferai remarquer que le mode de complicité dont je m’occupe existe, soit qu’on ait donné soi-même, soit qu’on ait fait donner par un tiers, les instructions pour commettre le crime ou le délit. En effet, il est clair que la matérialité et la moralité du fait est la même dans les deux cas, comme l’a jugé l’arrêt suivant.

Pierre-Louis Labbé avait été condamné comme coupable d’avoir donné ou fait donner à la fille Marchand des instructions pour se procurer l’avortement dont elle était accusée. Labbé soutint, entre autres moyens de cassation, que cette réponse alternative était irrégulière et contraire à la loi. La Cour rejeta son pourvoi : « Attendu que la question alternative d’avoir donné ou fait donner des instructions pour commettre un crime, n’a rien d’irrégulier et de contraire à la loi : 1°/ parce que celui qui, affectant de ne pas se mettre en rapport direct avec l’auteur principal du crime, donne à un tiers les instructions nécessaires pour commettre le crime, afin qu`il transmette à celui qui doit le commettre, est aussi coupable que s’il les donnait lui-même directement et qu’en réalité il les a toujours données ; 2°/ parce que là où chacun des caractères alternatifs de la complicité constitue, à un degré égal, la criminalité du fait et détermine la même peine, la question qui les réunit, ne présente aucun vice de complexité. » Cass.crim. 23 mai 1844 (Bull.crim. n° 179).

96 - La Cour de cassation a, contre les décisions rendues par les chambres des mises en accusation et les chambres des appels de police correctionnelle sur le mode de complicité par instructions, le même pouvoir de révision que contre les décisions rendues par les mêmes chambres sur le mode de complicité par provocation. J’ai déterminé un peu plus haut l’étendue de ce pouvoir; je n’ai rien à ajouter là ce que j’en ai dit précédemment.

97 - Le troisième mode de complicité prévu par l’article 60 consiste dans le fait d’avoir procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à l’action, sachant qu’ils devaient y servir.

Ce mode de complicité n’a lieu, comme les précédents, que dans le cas où il se produit avec les conditions déterminées par la loi. Mais, comme les précédents aussi, il constitue un fait de complicité punissable dès qu’il remplit ces conditions.

98 - Ainsi, pour que le complice soit condamnable, il faut que les armes, les instruments ou les autres moyens qu’il a fournis, aient servi à l’action : il faut, de plus, que le complice ait su qu’ils devaient y servir ; il ne suffirait pas qu’il eût su qu’ils pouvaient y servir. C’est ce que la Cour de cassation jugé dans une espèce remarquable.

Des pharmaciens de Paris avaient vendu à des pharmaciens de Rouen des remèdes secrets, que ceux-ci avaient ensuite débités. Ils avaient été poursuivis, les uns et les autres, devant le tribunal correctionnel de Rouen, les premiers comme complices d’un débit de remèdes secrets, les seconds comme auteurs de ce débit. Les pharmaciens de Paris soutinrent que le tribunal de Rouen était incompétent à leur égard ; ils prétendirent qu’en vendant aux pharmaciens de Rouen des remèdes secrets, ils avaient fait ces ventes pour leur compte, à leurs risques et périls, sans s’embarrasser ni se préoccuper de ce que les acheteurs pourraient commettre un fait pareil ; ils ajoutèrent que, si ces faits étaient vrais, la loi ne permettait pas de les considérer comme complices des pharmaciens de Rouen, et que, dès lors, ils n’étaient justiciables que du tribunal de la Seine à raison de la contravention qu’ils avaient pu commettre directement. Le tribunal et la Cour de Rouen ayant accueilli ce système de défense, le ministre public se pourvut en cassation. Mais la Cour rejeta son pourvoi :

« Attendu que Duvigneau et consorts sont pharmaciens résidant à Paris ; que le, fait à eux imputé, et qui consiste à avoir vendu à des pharmaciens de Rouen des remèdes secrets, que ceux-ci auraient ensuite débités, a eu lieu à Paris ; que, dès lors, c’est à Paris qu’ils devaient naturellement être poursuivis ; attendu que, à la vérité, s’ils ont été poursuivis à Rouen, c’est parce qu’ils ont été considérés comme complices pour avoir fourni aux pharmaciens de Rouen les moyens de commettre le délit de vente de remèdes secrets, dont ceux-ci étaient prévenus, aux termes de l’article 60 du Code pénal, 2e al. ; mais que cette disposition exige que les moyens soient fournis, en sachant qu’ils doivent servir à l’action qualifiée délit ; qu’il ne suffirait pas de savoir qu’ils peuvent servir à une action ainsi qualifiée ; attendu que des motifs du jugement de première instance, adoptés par l’arrêt attaqué, il résulte que Duvigneau et consorts auraient vendu pour leur compte, à leurs risques et périls, sans s’embarrasser ni se préoccuper de ce que les acheteurs pourraient eux-mêmes commettre un fait pareil ; qu’en cet état des faits, il n’existe pas, entre la vente faite par les pharmaciens de Paris et la revente faite par les pharmaciens de Rouen, la relation qui serait nécessaire pour que les premiers pussent être considérés comme complices des seconds ; attendu, en conséquence, qu’en se déclarant incompétente pour connaître de l’action intentée contre Duvigneau et consorts, la Cour royale de Rouen n’a violé aucune loi. » Cass.crim. 18 mai 1844 (Bull.crim. n° 175).

99 - Dès qu’il est certain, au contraire, que les armes, les instruments ou les autres moyens ont servi à l’action, et que ceux qui les ont procurés savaient qu’ils devaient y servir, il y a complicité punissable. Il n’importerait pas que ces constatations n’eussent pas été faites dans les termes mêmes, employés par le Code.

Joseph Ituria, déclaré coupable d’avoir fourni des instruments pour commettre le crime, avait été condamné, à raison de ce fait de complicité ainsi formulé. Il se pourvut contre cette décision, et prétendit qu’il ne résultait pas de la déclaration du jury qu’il fût coupable du fait de complicité prévu par l’article 60 du Code pénal. La Cour rejeta son pourvoi : « Attendu que, dans sa réponse à la sixième question, le jury a déclaré le demandeur coupable d’avoir fourni des instruments pour commettre le crime ; ce qui implique la connaissance exigée par l’article 60 du Code pénal, et justifie, dès lors, la condamnation attaquée. » Cass.crim. 2 juin 1832 (Bull.crim. n° 200).

Chevalier avait remis certains imprimés à Hotelin et à Devillers pour les colporter ; ceux-ci les avaient distribués dans les communes de l’arrondissement de Péronne. Hotelin et Devillers furent condamnés, à raison de cette distribution, et Chevalier, comme coupable de complicité, pour avoir fourni les moyens de la commettre. Cependant, l’arrêt s’était borné à déclarer que Chevalier avait remis les imprimés à Hotelin et Devillers, pour les colporter. Chevalier se pourvut contre décision et prétendit que les faits, mis à sa charge, ne constituaient pas une complicité punissable. Son pourvoi fut rejeté : « Attendu que l’arrêt attaqué déclare que Hotelin et Devillers ont fait dans les communes de l’arrondissement de Péronne la distribution des imprimés, que Chevalier leur avait remis pour les colporter, et cela sans avoir fait connaître leur nom, prénoms, profession et domicile aux maires des communes dans lesquelles cette distribution a eu lieu, et sans dépôt préalable des imprimés au parquet du procureur de la République à Péronne ; que l’arrêt déclare, en outre, que Chevalier leur avait remis les imprimés pour les colporter, en leur disant qu’ils n’avaient rien à craindre, et qu’ils n’avaient aucune formalité à remplir, que Chevalier savait qu’il s’agissait d’une distribution contraire à la loi ; qu’il fournissait cependant les moyens de la commettre, et se plaçait ainsi dans le cas de complicité déterminé par l’article 60 du Code pénal ; qu’il n’y a eu, dès lors; aucune violation des article 59 et 60 du Code pénal. » Cass.crim. 18 août 1849 (Bull.crim. n° 215).

Les deux arrêts, que je viens de rapporter, sont assurément juridiques. Cependant je crois qu’il est convenable, dans la matière qui m’occupe, comme d’ailleurs en toute matière criminelle, d’éviter les équipollents, et qu’il est préférable, ainsi que je l’indiquerai dans tout le cours de ces Études, d’employer, dans les qualifications, les termes mêmes de la loi.

100 - Ce que j’ai dit du pouvoir de révision de la Cour de cassation sur les précédents modes de complicité s’applique également à celui-ci.

101 - Le dernier mode de complicité, prévu par l’article 60, consiste dans le fait d’avoir, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur on les auteurs de l’action, dans les faits qui l’auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l’auront consommée.

Ce mode de complicité ne sera, comme le précédent, punissable que dans le cas où il se présentera accompagné des circonstances indiquées par la loi ; mais, comme les autres, il est condamnable, dès qu’il satisfait à ces conditions.

102 - Ainsi il faut qu’il soit reconnu et déclaré que l’aide et l’assistance ont été données avec connaissance ; autrement le fait de complicité manquerait de l’un de caractères qui le rendent punissable.

Le jury avait déclaré les nommés Têtard et Sergeant coupables, le premier d’avoir rempli le blanc d’une procuration signée par le nommé Petit, que celui-ci ne lui avait pas confiée, et d’en avoir fait usage pour compromettre les intérêts dudit Petit ; le second d’avoir aidé Tétard à faire usage de ladite procuration pour compromettre les intérêts de Petit. En vertu de cette déclaration, Sergeant avait été condamné comme complice. Sur son pourvoi, l’arrêt fut annulé : « Attendu que Sergeant a été déclaré coupable comme complice, pour avoir aidé Tétard à faire usage de ladite procuration pour compromettre les intérêts de Petit ; qu’il n’a pas été déclaré que Sergeant eût aidé Têtard avec connaissance, et qu’aux termes de l’article 60 du Code pénal, Sergeant n’est pas coupable, s’il n’a pas su que Tétard faisait usage de cette pièce pour compromettre les intérêts de Petit ; d’où il suit que la Cour d’assises, en condamnant Sergeant sur cette déclaration insignifiante, a violé ledit article 60. » Cass.crim. 4 février 1854 (Bull.crim. n°13).

De même, Jacques Lebrat avait été condamné comme complice pour avoir aidé ou assisté l’auteur d’une tentative de meurtre. Sur son pourvoi, la Cour de cassation annula l’arrêt de condamnation : « Attendu qu’aux termes de l’article 60, n° 3, du Code pénal, il n’y a de complicité par aide ou par assistance, donnée à l’auteur du crime, que lorsque cette assistance ou aide a eu lieu avec connaissance ; que la question, posée par le président, ne contenant pas ces mots avec connaissance, qui sont ceux de la loi, ni aucun mot présentant la même idée ; et la réponse, qui ne consiste que dans le mot oui, ne pouvant pas être étendue au-delà de la demande, il en résulte nécessairement que Lebrat n’est pas déclaré complice pour avoir, avec connaissance ou sciemment, aidé ou assisté l’auteur du crime ; que dès que Lebrat n’est pas déclaré coupable d’avoir aidé ou assisté, avec connaissance, l’auteur du crime, l’aide ou l’assistance qu’il pourrait avoir donnée, ne constitue pas la complicité criminelle, prévue par l’article 60, § 3, du Code pénal, et qui soumet le complice du crime à la même peine que son auteur. » Cass.crim. 10 octobre 1816 (Bull.crim. n° 72). Confer. 26 septembre 1822, n° 132 ; 27 septembre 1822, n° 136 ; 4 mai 1827, n° 111 ; 16 juin 1827, n° 149 ; 2 juin 1832 n° 200 ; 4 janvier 1839, n° 5 ; 4 janvier 1839, n° 8 ; 13 juillet 1843, n° 175 ; 24 juillet 1847, n° 160 ; 14 octobre 1847, n° 255.

103 - Sans doute, comme l’ont reconnu plusieurs des arrêts que je viens de citer, les mots avec connaissance ne sont pas sacramentels et peuvent être suppléés par d’autres mots présentant la même idée. Néanmoins je donne le conseil d’employer les expressions de la loi. C’est assurément, et comme je l’ai déjà dit, le procédé le plus sûr ; il n’ouvre pas la porte aux équivoques, comme celui des équipollents.

104 - La Cour de cassation a, sur ce dernier mode de complicité, les mêmes pouvoirs de révision que sur les autres. Je me borne donc à renvoyer aux explications que j’ai données précédemment sur ce point.

Signe de fin