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L'APPLICATION DE LA LOI
DANS LE TEMPS
(suivant la science rationnelle)

par R. et P. Garraud « Précis de droit criminel »
(15e éd., 1934)

N.B. : Les règles d’application de la loi dans le temps sont
maintenant fixées par les articles 112-1 et s. du Code pénal

De l’application de la loi criminelle par rapport au temps qu’elle régit

52. - De la promulgation et de l’abrogation des lois criminelles
L’art. 4 du Code pénal. Caractère et portée de ce texte. Conflit des lois.

L’action des lois criminelles, comme celle des autres lois, embrasse une durée limitée par la date de leur promulgation et par celle de leur abrogation. Pour qu’un tribunal de répression puisse prononcer une condamnation, il faut donc que le fait incriminé ait été commis dans l’intervalle qui sépare deux dates : l° le temps où la loi qui le punit est devenue obligatoire par sa promulgation ; 2° le temps où elle a cessé de l’être par son abrogation.

a) Les lois pénales, comme toutes les autres lois, ne s’imposent que lorsque le chef de l’État les a promulguées, c’est-à-dire rendues exécutoires, et que, d’autre part, cette promulgation a été portée à la connaissance de tous par l’insertion au Journal  officiel.

b) Les lois pénales cessent d’être obligatoires, soit par leur abrogation, laquelle peut être explicite (loi nouvelle abrogeant formellement une disposition ,antérieure) ou implicite (loi nouvelle contenant des dispositions incompatibles avec la législation antérieure sur la même matière), soit, en cas de lois temporaires, par l’expiration du temps pour lequel elles sont établies, mais jamais par désuétude. L’abrogation par usage contraire ou par inexécution n’est pas plus admise, en France, que n’est admise la formation du droit pénal par l’usage ou la coutume.

C’est donc dans la loi positive, régulièrement promulguée, et non abrogée, que le juge doit rechercher le caractère délictueux du fait qui est imputé au prévenu : il faut que ce fait se trouve qualifié et puni par la loi avant qu’il n’ait été commis. Ce principe a été proclamé par l’Assemblée constituante, dans la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 (art, 8). Il est répété par l’article 4 C.pén. (1810).

Quelle est sa signification ? Deux manières de le comprendre ont été proposées. On y a vu, soit une simple conséquence du principe supérieur Nulle peine sans loi, soit une simple application, aux lois pénales, de la non-rétroactivité des lois, proclamée par l’article 2 C.civ. L’influence de l’un ou l’autre de ces deux points de vue ne se fait sentir qu’en ce qui concerne le caractère et la portée de la règle. Or, il est plus conforme au texte de l’article 4, comme à ses origines, de le rattacher à l’idée maîtresse de la légalité des délits et des peines. La non-rétroactivité des lois pénales n’est édictée par aucun texte du Code pénal, et l’article 4, dans lequel on prétend trouver son expression, a une toute autre portée. Si la non-rétroactivité en dérive, c’est comme une conséquence qui se justifie par l’idée même qui l’a fait admettre : il n’y aurait ni sécurité ni liberté dans une société qui atteindrait, pour les punir, des actes licites au moment où ils ont été accomplis.

Une double conséquence résulte de ce point de vue.

La non-rétroactivité des lois pénales n’a pas le même caractère que la non-rétroactivité des lois civiles. En matière civile; le principe de la non-rétroactivité des lois est plutôt un principe d’interprétation judiciaire qu’un principe constitutionnel. Il doit être considéré, non comme une limite aux pouvoirs du législateur qui, lui, peut faire des lois rétroactives, mais comme une règle tracée au juge dans l’application des lois, auxquelles le législateur n’a pas formellement attaché d’effet rétroactif.

En est-il de même en matière pénale ? Le principe de la non-rétroactivité n’est-il pas plutôt un principe constitutionnel, qui s’imposerait an pouvoir législatif ? Certaines constitutions lui ont donné ce caractère. Ainsi, la règle que « nul ne peut être puni, qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée », était écrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui servait de préambule à la Constitution du 3 septembre 1791. L’article 14 de la Déclaration des droits et devoirs, qui précédait la Constitution du 5 fructidor an III, allait même plus loin, en proclamant, comme un principe constitutionnel, qu’aucune loi, ni criminelle ni civile, ne pourrait avoir d’effet rétroactif.

Mais ce principe n’est actuellement inscrit que dans le Code civil, c’est-à-dire dans une loi, obligatoire pour les tribunaux tant qu’elle n’est pas abrogée, mais qui cesse de l’être quand le législateur estime qu’il y a lieu d’y déroger. On en conclut, à bon droit, que l’article 2 C.civ. est écrit pour le juge et non pour le législateur; il signifie que des tribunaux ne doivent pas appliquer les lois civiles de manière à leur faire produire un effet rétroactif, à moins que le législateur n’ait manifesté une volonté contraire. Mais lorsque l’intérêt social réclame cette rétroactivité, le législateur est autorisé à la prononcer, précisément parce qu’il se conforme alors à la fois aux intérêts de la société et aux exigences de la justice. On a prétendu que ce système s’appliquait aux lois pénales comme aux lois civiles.

Mais, pour les lois pénales, il y a un texte spécial, l’article 4 C.pén., qui est l’expression d’un principe supérieur, celui de la légalité des peines. Ce principe s’impose au respect du législateur qui, en le violant, dépasserait certainement la limite de ses droits.

Ce n’est donc pas en se référant .aux solutions données par les civilistes qu’on réglera l’application des lois pénales quant au temps qu’elles régissent. Le juge ne peut appliquer, à des faits qui ont eu lieu sous l’empire d’une loi qui ne les déclarait pas punissables, une loi nouvelle qui les punit : c’est la conséquence même de l’article 4, c’est-à-dire du concept de la légalité des délits et des peines.

Mais, comme il n’est pas question, dans le Code pénal, de la non-rétroactivité des lois de répression, mais seulement de ce que « nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis », le juge devra appliquer immédiatement une loi nouvelle, même aux faits antérieurs à sa promulgation, si elle est plus douce, c’est-à-dire si elle efface des délits ou modère des peines. Cette solution, que tout le monde admet, n’est pas précisément, comme on le dit d’ordinaire, une exception au prétendu principe de la non-rétroactivité des lois pénales, Mais une conséquence du silence même de l’article 4 sur cette situation, cet article ne réglant que les conséquences de la légalité des délits et des peines, c’est-à-dire la non-rétroactivité des lois plus sévères.

53. - Du conflit des lois anciennes et des lois nouvelles
en ce qui concerne l’incrimination et la pénalité.

La question de l’application, quant au temps qu’elles régissent, des lois pénales proprement dites doit donc être décidée à l’aide d’une distinction. La loi nouvelle ne dispose que pour l’avenir, lorsqu’elle déclare punissable un fait qui n’était pas puni jusque-là, ou qu’elle aggrave la peine portée par la loi antérieure. La loi nouvelle est d’application immédiate, même aux faits antérieurs à sa promulgation et non encore jugés, si elle enlève à un fait le caractère délictueux que lui donnait la loi précédente, ou si elle réduit la peine établie par celle-ci.

I. Si la loi nouvelle imprime un caractère délictueux à des faits jusque-là impunis, ou frappe de peines plus graves des faits déjà punissables, le loi nouvelle n’est pas applicable aux faits accomplis avant l’époque où elle est devenue exécutoire. C’est l’application même du principe posé par l’article 4 C.pén.

II. Une loi, récemment promulguée, peut être moins sévère que la loi qu’elle remplace : elle peut supprimer une incrimination, adoucir une peine, admettre une excuse péremptoire, déclarer l’action publique irrecevable. Si le législateur a supprimé ou adouci la peine attachée à telle action ou telle inaction, c’est qu’il jugeait cette peine injuste ou inutile ; or, le droit de punir est un acte de défense sociale adapté aux principes de justice : une peine injuste ou inutile ne saurait être prononcée. Il suit de là que les lois criminelles doivent s’appliquer immédiate-ment aux faits antérieurs à leur promulgation non encore jugés, toutes les fois que cette application est favorable aux inculpés. Cette solution, qui est la conséquence nécessaire du fondement du droit de punir, doit être admise non pietatis sed justitiae causa. Elle ne constitue pas, en effet, une exception à la règle de l’article 4 C.pén. dont l’objet unique est d’exprimer le principe de la légalité des délits et des peines. Reconnue à diverses reprises et dans diverses circonstances par le législateur, elle est acceptée par la jurisprudence, dont la formule constante est que, de deux lois, l’une antérieure, l’autre postérieure à l’infraction, c’est la plus douce « celle qui établit le principe le moins rigoureux » qui doit être appliquée.

III. Cette règle ne soulève que des difficultés d’application.

A. De deux lois, successivement promulguées dans l’intervalle qui s’est écoulé entre l’infraction et le jugement, laquelle considérer comme étant la plus douce ? La question peut se poser dans un certain nombre d’hypothèses.

a) Toutes les fois que les deux lois diffèrent seulement quant à la pénalité principale applicable à une incrimination définie de la même manière dans le loi ancienne et dans la loi nouvelle, un critérium tiré des articles 6 et suivants C.pén. permet de résoudre facilement presque toutes les difficultés. Ces textes, nous le verrons, rangent, par une présomption légale qui s’impose aux juges et les dispense de tout autre examen, les peines par ordre de gravité décroissante en une échelle générale. Celle donc des deux lois en conflit qui comporte la pénalité la moins élevée dans cette échelle, devra être considérée comme la plus douce.

Ainsi doivent être considérées comme lois moins sévères et d’application immédiate même aux faits antérieurs à leur promulgation non encore jugés, les dispositions qui substituent une pénalité correctionnelle à une pénalité criminelle, une peine de réclusion à une peine de travaux forcés. Et dans l’application du critérium, il ne faut s’arrêter ni à l’apparente gravité de la peine : ainsi constitue une loi plus douce celle qui substitue une peine de dix années de réclusion à une peine de cinq années de travaux forcés ; ni à un changement de qualification, qui traiterait en infraction de droit commun, une infraction antérieurement considérée comme politique ; ainsi constitue une loi nouvelle moins sévère celle qui, en transformant ainsi l’infraction en une infraction de droit commun, punit de la réclusion, peine criminelle de droit commun, un fait jusque-là frappé de la déportation, peine criminelle politique : c’est que, dans l’article 6 C.pén., qui établit l’échelle générale des peines criminelles, la réclusion est placée à un degré inférieur à celui de la déportation.

b) Mais supposons que les deux lois infligent des peines de même nature, les travaux forcés, par exemple, qui ne diffèrent l’une de l’autre que par le minimum et le maximum ; ainsi, un crime était punissable, au moment où il a été commis, des travaux forcés à temps, dont le minimum est de cinq ans et le maximum de vingt ; une loi, promulguée avant qu’il y ait eu jugement, fixe le maximum à vingt-quatre ans et le minimum à quatre ans. Il n’est pas possible de combiner les deux lois, car le juge ferait une loi mixte il faut nécessairement choisir entre l’application de l’une ou l’application de l’autre. A notre avis, la loi ancienne étant plus douce (puisque la peine prononcée d’après ses dispositions ne pouvait, en aucun cas, dépasser vingt ans) sera seule applicable. Pour déterminer quelle est la loi la plus douce, on doit donc s’attacher au maximum qui est prononcé par les deux lois, sans s’occuper du minimum.

c) Des difficultés plus sérieuses se produisent quand, en dehors des cas où elle supprime entièrement, ou au contraire crée de toutes pièces, une infraction, la loi nouvelle, ou bien modifie les éléments et conditions d’une infraction préexistante, ou bien modifie certaines institutions du droit pénal, notamment celles relatives au calcul ou à l’application des peines ; ou bien enfin, innove à propos d’une infraction dont la peine principale n’est pas modifiée, quant aux peines accessoires et complémentaires qui doivent être la conséquence des condamnations encourues à raison de cette infraction. Les solutions à donner dépendent essentiellement de l’analyse, qui, pour autant qu’il s’agit de questions du droit pénal général, sera faite ultérieurement, des diverses règles écrites dans les lois en conflit et qu’il faut comparer du point de vue de leur gravité réciproque.

Bornons-nous à signaler les hypothèses les plus intéressantes : doivent être considérées comme plus douces, et donc d’application immédiate aux faits antérieurs non encore jugés, les lois ajoutant de nouveaux éléments et conditions à une infraction préexistante, introduisant une nouvelle cause de justification, une nouvelle excuse légale absolutoire ou atténuante, ou étendant le domaine d’une cause de justification ou d’une excuse, admettant l’application des circonstances atténuantes ou du sursis, supprimant une peine accessoire ou complémentaire, transformant une peine accessoire en peine complémentaire facultative. A l’inverse devrait être considérée comme plus rigoureuse et inapplicable aux faits antérieurs à sa promulgation, une loi qui crée de nouvelles circonstances aggravantes.

B. Une autre difficulté peut se présenter, dans l’hypothèse où les deux lois, successivement promulguées, ont des dispositions diverses et distinctes, les unes favorables, les autres défavorables au prévenu. Ainsi, la loi applicable au jour de l’infraction prononçait une simple amende contre le délit : mais elle autorisait le cumul de cette peine pour chaque infraction, et ne permettait pas au juge de faire bénéficier le prévenu d’une déclaration de circonstances atténuantes.

Une loi nouvelle est promulguée : elle punit le délit d’un emprisonnement, mais lui applique la règle du non-cumul ; de plus, elle autorise, au profit du prévenu, une déclaration de circonstances atténuantes. Que décider dans ce cas ? Le juge devra appliquer la pénalité ancienne, puisqu’elle est plus douce que la pénalité nouvelle ; mais il devra, en même temps, faire bénéficier le prévenu des dispositions relatives aux circonstances atténuantes et au non-cumul des peines. Il ne s’agit pas, en effet, pour le juge, de combiner deux lois pour former une pénalité qui ne serait ni celle de la loi ancienne, ni celle de la loi nouvelle, mais d’appliquer les deux lois dans chacune de leurs dispositions distinctes plus favorables à l’accusé.

III. Il est certain que la loi, qui réduit ou supprime une peine existante, exerce son influence sur les faits non jugés, et même sur les condamnations prononcées sous l’empire de la loi antérieure, mais encore susceptibles d’être réformées. Si donc la condamnation est frappée d’appel, le tribunal d’appel doit renvoyer le prévenu de la poursuite, quand la peine est supprimée par la loi nouvelle, ou adoucir la condamnation, quand la peine est simplement réduite. Lorsque la loi nouvelle, qui modifie la peine dans un sens favorable au condamné, intervient après un pourvoi en cassation, la Cour de cassation doit annuler l’arrêt sans prononcer le renvoi, si le fait a cessé d’être punissable, ou bien, en rejetant le pourvoi, renvoyer devant le tribunal répressif pour appliquer au condamné la peine édictée par la loi nouvelle, si la peine est simplement réduite.

Mais la loi nouvelle, qui supprime ou réduit une peine, profite-t-elle à ceux qui ont été définitivement condamnés sous l’empire de la loi ancienne ? Si le ministère public doit faire exécuter les jugements passés en force de chose jugée, si aucun texte ne lui permet de paralyser l’effet des condamnations pénales, il faut reconnaître que, lorsqu’une loi nouvelle supprime ou réduit une peine, il est juste et équitable de faire profiter de cet adoucissement les individus qui ont été irrévocablement condamnés sous l’empire de la loi ancienne : une peine que le pouvoir social juge inutile ou excessive ne doit plus recevoir d’application. Si donc la loi nouvelle ne profite pas, de plein droit, aux condamnés, il est du devoir du législateur de leur appliquer, par une disposition transitoire, le bénéfice de ses prescriptions. Nous trouvons, dans l’histoire de nos Codes, plusieurs exemples de dispositions législatives prises dans ce but.

Si le législateur a oublié de prendre une de ces mesures transitoires, il est, semble-t-il, du devoir du chef de l’État, par l’exercice du droit de grâce, de faire profiter des suppressions ou des réductions de peines, prononcées par la loi nouvelle, les individus condamnés avant sa promulgation. De sorte que le principe de justice, qui proscrit une peine excessive, peut recevoir application, soit en vertu d’une disposition transitoire de la loi nouvelle, soit en vertu d’un décret de grâce du chef de l’État. Mais, bien entendu, si l’intervention du pouvoir législatif ou celle du pouvoir exécutif ne s’est pas produite, les magistrats du ministère public devront, malgré la promulgation de la loi nouvelle, assurer l’exécution de la condamnation devenue irrévocable.

IV. Une question voisine de celle que je viens d’examiner est celle de savoir si une loi nouvelle, changeant le mode d’exécution d’une peine sans changer sa nature juridique, s’applique aux infractions commises avant sa promulgation. En principe, il faut répondre que de pareilles lois sont d’application immédiate, soit vis-à-vis des prévenus pour des faits antérieurs à leur promulgation, soit vis-à-vis des individus déjà condamnés et en cours de peine. La raison de cette solution est que toute modification dans le mode d’exécution de la peine est normalement inspirée par le souci d’un meilleur aménagement de la répression en vue de l’amendement et, éventuellement, du reclassement social du condamné.

Cependant, il existe une hypothèse assez spéciale qui s’est plusieurs fois présentée dans notre droit : c’est la substitution, comme mode d’exécution d’une peine, de la transportation aux colonies, à un emprisonnement métropolitain : en pareil cas, le législateur a pris soin d’édicter des dispositions spéciales, parmi lesquelles les plus rationnelles sont celles de la loi du 8 juin 1850 sur la déportation : l’article 8 n’applique la loi nouvelle qu’aux faits postérieurs à sa promulgation, parce qu’elle change radicalement le mode d’exécution qui consistait jusque-là par une détention métropolitaine, et non par une déportation coloniale ; l’article 7 décide, au contraire, que « dans les cas où les lieux établis pour la déportation viendraient à être changés par la loi, les déportés seraient transférés des anciens lieux de déportation dans les nouveaux » parce que cette mesure apparaît comme une simple mesure d’ordre, sans transformation du mode même d’exécution. Quant à la loi du 30 mai 1854 qui, pour l’exécution de la peine des travaux forcés, a substitué la transportation aux colonies à l’exécution dans les bagnes des ports de guerre, elle a décidé, article 15, que la transportation s’appliquait, sans aucune, distinction, aux condamnés aux travaux forcés en cours de peine.

54. Du conflit des lois anciennes et des lois nouvelles
en ce qui concerne l’organisation judiciaire, la compétence et la procédure.

Une infraction a été commise : avant qu’elle ne soit définitivement jugée, une loi modifie l’organisation ou la compétence des juridictions qui devaient en connaître, ou la procédure à suivre dans l’instruction, la poursuite ou le jugement : appliquera-t-on au règlement de la poursuite la loi nouvelle ou la loi ancienne ? Le but de la procédure pénale est d’assurer la complète manifestation de la vérité judiciaire en protégeant, par les formalités dont elle entoure la poursuite, l’instruction et le jugement, l’intérêt de l’accusation et l’intérêt de la défense ; il ne faut pas qu’un coupable évite le châtiment, mais il ne faut pas non plus qu’un innocent soit condamné : tel est l’objet des lois de forme, en matière pénale. Donc, si un changement se produit dans l’organisation des juridictions pénales, leur compétence et leur procédure, ce changement est présumé devoir amener une application plus exacte et plus équitable des lois pénales. Les lois de procédure doivent donc, d’après leur nature, s’appliquer, du jour de leur promulgation, à toutes les infractions.

On ne peut pas soutenir que l’accusé ait un droit acquis à invoquer les garanties qui résultent pour lui des formes établies dans son intérêt, par la législation contemporaine du temps de l’infraction : l’accusé a seulement le droit de manifester son innocence, et c’est à la loi qu’il appartient de déterminer les juridictions devant lesquelles il fera valoir ses moyens de défense et la marche à suivre dans ce but. En contestant au pouvoir social la faculté de modifier l’organisation des juridictions et les formes de procédure, par des lois, obligatoires du jour de leur promulgation, on entraverait, « dans sa sphère, l’exercice de la souveraineté ».

L’application immédiate aux faits non encore jugés des lois de forme paraît donc incontestable, et, avec les arrêts, il faut l’étendre, soit aux lois qui modifient la procédure, soit à celles qui changent l’organisation judiciaire ou la compétence des autorités qui concourent à la répression.

Cependant, si le changement porte sur la compétence, l’ancienne juridiction étant d’ailleurs conservée, des difficultés spéciales se produisent. Parmi les nombreuses opinions, auxquelles a donné lieu la solution de la question de savoir quel tribunal il faudrait saisir dans ce cas, il suffit de retenir celle depuis longtemps fermement consacrée par les arrêts : si les lois de compétence régissent, dès leur promulgation, les procès nés comme les procès à naître et doivent être appliqués aux délits antérieurement poursuivis quel que soit l’état de la procédure, cette règle subit une restriction au cas où, avant la promulgation de la loi nouvelle, le procès déjà commencé avait subi sur le fond, l’épreuve d’un jugement en premier ressort. Ce tempérament est nécessaire si on ne veut pas que l’application immédiate des lois de compétence entraîne dans certaines hypothèses des inconvénients certains et des injustices incontestables. Imposer au prévenu acquitté par un jugement frappé d’appel l’obligation de subir un nouveau jugement devant une juridiction toute différente qui pourra rendre une décision contraire, ou bien priver le prévenu condamné en première instance et qui a interjeté appel du droit de se justifier devant la juridiction compétente au moment de l’appel, ce serait revenir-sur le passé pour le changer au préjudice des parties. La rétroactivité des lois de compétence doit nécessairement fléchir quand elle rencontre un jugement rendu sur le fond même de la pour suite.

Mais, en dehors de cette situation spéciale, il faut considérer une juridiction qui a perdu sa compétence comme n’existant plus quant aux délits dont on lui a enlevé la connaissance. Les tribunaux n’exercent, en effet, le droit de juger qu’en vertu d’une délégation du pouvoir social. Dès que cette délégation cesse, ils sont sans droit pour le faire.

55. Du conflit des lois anciennes et des lois nouvelles
en ce qui concerne la prescription pénale.

Une loi nouvelle change la durée ou les conditions de la prescription de l’action ou de la peine : l’appliquera-t-on aux infractions antérieurement commises, ou aux condamnations déjà prononcées ? Il est certain d’abord que la loi ne pourrait s’appliquer aux prescriptions acquises. Mais, pour les prescriptions en cours, on peut hésiter sur le caractère des lois qui modifient la durée ou les conditions de la prescription.

On peut d’abord soutenir que les lois de prescription règlent un point de procédure, en statuant sur une des conditions de la poursuite d’une infraction ou de l’exécution d’une condamnation. N’est-ce pas, du reste, dans le Code d’instruction criminelle (art. 635 à 643) que le législateur s’occupe de la prescription ? Si bien que, comme il en est des lois de procédure, et sans qu’il y ait à distinguer suivant que la loi nouvelle augmente ou abrège les délais de prescription, on devrait admettre l’application immédiate des dispositions nouvelles sur la prescription, notamment en ce qui concerne les prescriptions en cours. Mais à l’inverse, il peut sembler peu juridique de considérer comme des lois de pure forme celles qui déterminent l’une des conditions essentielles de l’utilité et, par conséquent, de la légitimité de la répression. Par ses résultats, la prescription équivaut, soit à une amnistie, soit à une grâce. Elle procure l’impunité au coupable, parce que le temps qui s’est écoulé depuis le délit ou la condamnation rend inutile la poursuite ou l’exécution. Par ce côté, les lois sur la prescription appartiennent aux lois de fond .et doivent s’appliquer, dès leur promulgation, aux infractions non jugées comme aux condamnations non exécutées, mais seulement dans la mesure où elles sont plus favorables.

La jurisprudence elle-même semble actuellement hésiter entre ces deux points de vue. Jusqu’à une date peu éloignée, les arrêts assimilaient les lois nouvelles relatives aux prescriptions aux lois touchant l’incrimination et la pénalité, .par suite ils appliquent aux prescriptions en cours les lois nouvelles abrégeant les délais de prescription, tandis que les prescriptions commencées avant la promulgation d’une loi augmentant les délais s’achevaient suivant le délai plus court prévu par la législation antérieure. Mais quelques décisions récentes admettent, au contraire, sans aucune distinction, le principe que toute loi nouvelle relative aux délais de prescription s’applique immédiatement aux prescriptions en cours et cela alors même qu’il s’agirait d’une prolongation des délais.

Signe de fin