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DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE
EN GÉNÉRAL

Par Faustin Hélie
Chapitre préliminaire de son « Traité de l’instruction criminelle »
( 2e éd. Paris 1866, T. I, p.3 )

1. –La procédure criminelle est l’ensemble des formes qui constituent la justice criminelle et règlent son action. Le but de la loi pénale est de donner une sanction au droit; le but de la procédure est d’en assurer la complète manifestation.

La haute importance et les difficultés extrêmes de cette branche de la législation répressive ne sont pas, en général, exactement appréciés. Il est possible, en matière pénale, que le législateur, poussé par des intérêts ou des préjugés, range parmi les délits des actions qui n’en ont pas le caractère; il est possible qu’il exagère la valeur morale de certains faits et qu’il excède la juste mesure de leur répression. La première de ces erreurs serait déplorable, mais elle n’est que médiocrement à craindre; la législation en offre quelques exemples, mais ces cas ne sont pas fréquents ; elle ose rarement heurter la conscience publique en flétrissant des actes que celle-ci ne flétrit pas. L’autre se produit plus souvent; mais sa seule conséquence est d’infliger à une action qui, au fond, est punissable, une peine qui n’est pas en proportion avec sa gravité; cette aggravation est un mal très grave, mais ce n’est toutefois qu’une aggravation; la punition est juste, l’erreur n’est que dans sa mesure. En matière de procédure, les erreurs de la loi ont des conséquences bien plus redoutables.

Deux intérêts également puissants, également sacrés, veulent être à la fois protégés: l’intérêt général de la société, qui veut la juste et prompte répression des délits; l’intérêt des accusés, qui est bien aussi un intérêt social et qui exige une complète garantie des droits de la cité et des droits de la défense. De là l’un des problèmes les plus difficiles que la législation ait à résoudre.

Il s’agit de concilier les garanties nécessaires à la conservation de l’ordre dans la société et les garanties que réclame en même temps la liberté civile; il faut que l’accusation ait les moyens de rechercher et de convaincre; que la défense ait les moyens de se justifier; il faut que cette lutte solennelle, qui s’engage entre l’accusé et la puissance publique, ne subisse aucune autre influence que celle de la justice; il faut enfin que l’un et l’autre trouvent dans les institutions judiciaires une protection également efficace, des garanties également fortes.

2. -Si l’action de la justice était embarrassée par des précautions excessives, par des formes multipliées, elle n’aurait nulle puissance: tantôt l’accusé, enlacé dans ces formalités, ne pourrait en dégager sa défense; tantôt il s’en ferait un refuge et comme un rempart contre le châtiment. Si cette action, déliée, au contraire, de ces formes, était livrée à la volonté du juge, si. les règles qui doivent la diriger étaient ou incomplètes ou imprévoyantes, la justice, marchant au hasard et sans guide, cesserait d’être la justice. Alors l’erreur, à laquelle pousserait fatalement la loi, ne serait plus seulement quelque degré de plus ou de moins dans l’application de la peine, elle frapperait les citoyens dans leur liberté, dans leur fortune, dans leur vie; elle confondrait l’innocent et le coupable, elle soustrairait le crime aux décrets de la justice sociale.

C’est donc avec grande raison qu’un vieil auteur (Ayrault, « Ordre, formalité et instruction judiciaire ») a dit : « La formalité est si nécessaire qu’on ne saurait en dévier tant soit peu, omettre la moindre solennité requise, que tout l’acte ne vienne incontinent à perdre le nom de justice, prendre et emprunter celui de force, voire même de tyrannie ». Montesquieu n’a fait que reproduire cette pensée en d’autres termes lorsqu’il a dit : «  Si vous examinez les formalités de la justice par rapport à la peine qu’a un citoyen à se faire rendre son bien ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez beaucoup trop; si vous les regardez dans le rapport qu’elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu, et vous verrez que les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers mêmes de la justice sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté ».

3. -Les formes de la procédure sont destinées, comme des phares, à éclairer la marche de l’action judiciaire; leur but est d’arrêter les entraînements de la justice, d’attacher une sorte de ;solennité à chacun de ses pas, de préparer ses actes. Elles doivent être assez puissantes pour faire sortir la vérité du sein des faits, assez simples pour servir d’appuis sans devenir des entraves, assez flexibles pour se plier aux besoins de toutes les causes, assez fermes pour résister aux violences, soit des juges, soit des parties. Lorsqu’elles réunissent ces caractères, elles assurent la liberté des citoyens, parce qu’elles garantissent leur défense; elles donnent aux jugements leur force, parce qu’elles sont le gage de leur impartialité; elles revêtent la justice de sa majesté, parce qu’elles témoignent du calme et de la sagesse de ses actes : elles sont, en un mot, la justice elle-même, puisque, suivant l’expression d’Ayrault : « Justice n’est proprement autre chose que formalité ». Ainsi, le législateur a pu, à quelques époques, laisser les peines à l’arbitraire des juges; jamais il n’a complétement abandonné à leur caprice les formes de leurs jugements.

Et comment concevoir, en effet, que la loi puisse laisser à la discrétion du, juge, sans les régler et sans les définir, le droit de recherche et le droit d’arrestation, les pouvoirs des magistrats chargés d’informer, le choix et l’ordre des preuves, les privilèges des accusés, les limites de la compétence, les formes et les effets des jugements ? Pourrait-il dépendre d’un tribunal, quelque élevé qu’il fût, d’accorder ou de dénier à l’accusé le droit d’être entendu et d’être confronté avec les témoins, celui de récuser ses juges, celui de décliner leur compétence ? A chacune de ces formes les droits les plus sacrés des citoyens ne sont-ils pas attachés ? Chacune d’elles ne porte-t-elle pas, pour ainsi dire, dans ses flancs, leurs biens, leur liberté, leur vie ? Ne gardent-elles pas, comme de vigilantes sentinelles, la société fout entière ? L’exécution de toutes les lois ne repose-t-elle pas sur leur prévoyance et leur énergie ? C’est donc une règle fondamentale et qui dérive de la nature même des choses, que la procédure doit tracer à l’avance avec fermeté la voie que la justice doit parcourir et que celle-ci, enchaînée et captive dans ses formes, ne peut jamais s’en écarter.

4. -Toutefois, les graves intérêts qui sont confiés a ces institutions reflètent parfois sur elles leur propre caractère. Gardiennes de la liberté, de la sûreté, des droits politiques des citoyens, elles participent de la nature des institutions politiques du pays, elles forment une portion importante de ces institutions. Elles sont donc sujettes à subir l’influence des révolutions législatives; et tandis qu’elles tiennent les tribunaux dans une sorte d’immobilité, elles ne sont point elles-mêmes immobiles. Elles reproduisent les différents principes de la Constitution, elles en prennent l’esprit et les tendances, elles en sont les corollaires, elles se modifient incessamment pour la suivre dans ses changements. C’est ainsi qu’en général les garanties des accusés s’accroissent et s’affaiblissent dans les différents pays, suivant le principe de leur Gouvernement, larges et tutélaires dans les États libres, incertaines et restreintes dans ceux où règne le despotisme. Dans les premiers, les pouvoirs des juges sont mieux définis, leurs attributions plus nettement dessinées; on y trouve la liberté de la défense, la publicité des débats, la procédure orale et le jugement par jurés, garantie souveraine qui seule remplacerait toutes les autres. Dans les derniers, les limites du droit d’arrestation et des pouvoirs des tribunaux seront généralement indécises et vagues, la procédure sera écrite au lieu d’être orale, secrète au lieu d’être publique; et les juges, même permanents, seront liés par quelque dépendance à la puissance souveraine. Nous retrouverons plus loin l’application de cette loi politique, en suivant les différentes phases de notre législation.

La procédure criminelle est donc intimement liée avec le droit public, et, sous ce rapport encore, elle présente quelque différence avec la loi pénale. Les systèmes et les progrès de celle-ci intéressent sans doute au plus haut degré la société; mais si les questions qu’elle soulève touchent un intérêt social, et quelquefois un intérêt politique, leur importance est humanitaire et regarde l’homme plutôt que le citoyen; elle intéresse l’avenir de la société plutôt que l’état actuel de ses membres. La conscience et l’intérêt de la moralité publique s’enquièrent de la nature et du degré des peines; mais cette matière, quelque grave qu’elle soit, n’importe essentiellement ni aux pouvoirs du pays, ni à ses libertés. La loi de procédure, au contraire, est le complément nécessaire des libertés publiques; ses formalités sont destinées à protéger les droits des citoyens, à les préserver de tout acte arbitraire, de tout excès de pouvoir; elle acquiert donc la même importance que la loi politique, et cette importance est immédiate ; car elle protège ou menace incessamment les biens les plus précieux, l’honneur, la vie, la sûreté des hommes ; elle peut les froisser à chaque moment; elle est donc l’objet d’une continuelle sollicitude de la part des pouvoirs de l’État et des membres de la société. Enfin, si elle emprunte à la philosophie la théorie de ses preuves et ses lois de la certitude morale, toutes ses institutions, toutes ses formes, toutes les attributions dont elle investit les magistrats appartiennent surtout au droit public; c’est là la véritable source dont elle émane, la loi qui domine son cours et le dirige.

5. - On entrevoit déjà le but et le principe de la procédure criminelle : ce but est la complète manifestation de la vérité judiciaire ; ce principe est la protection efficace de tous les droits, tous les intérêts, des intérêts de la société et des intérêts de l’accusé, à l’aide des formes dont elle s’entoure et des garanties qu’elle présente.

Cette idée élémentaire, que nous reprendrons plus loin pour la développer, se retrouve nécessairement, sous des formes diverses, avec des conditions différentes d’application, au fond de toutes les lois de procédure. Nous avons dû l’indiquer au seuil de notre livre, parce qu’elle résume en quelque sorte son esprit et ses tendances, et parce qu’elle est en réalité la source dont toutes les règles de cette matière doivent jaillir.

6. - La procédure criminelle a, comme toutes les branches du droit, ses lois générales et ses lois écrites : les premières, qui forment la théorie de cette matière, conséquences logiques de son principe, rapports nécessaires de ce principe avec le but qu’elle se propose d’atteindre ; les autres, qui formulent les règles pratiques par lesquelles chaque législateur a prétendu résoudre les difficultés et les problèmes qu’elle soulève. Dans la législation française, les lois de la procédure criminelle ont été, pour la plupart, renfermées dans le Code d’instruction criminelle.

L’objet de ce livre est d’expliquer ces lois générales et ces lois pratiques: il renfermera donc à la fois une théorie de la procédure criminelle et un commentaire du Code. Nous ne séparerons point l’étude des règles générales de la matière et l’étude des textes de la loi, car nous ne concevons pas qu’elles puissent être séparées. La théorie et la pratique se fécondent et se vivifient l’une et l’autre: l’une a besoin d’éprouver ses règles par les faits, l’autre d’assouplir les faits sous le despotisme salutaire des règles.

Ce plan, qui étend nécessairement les limites de notre travail, nous impose une première obligation: c’est de rechercher, dans les institutions judiciaires qui ont précédé les nôtres, les principes et les variations de la procédure criminelle, c’est de constater ensuite l’origine historique de notre législation et d’en découvrir les sources. D’une part, en effet, il est impossible de déduire les lois d’une matière quelconque sans remonter à travers les siècles jusqu’à son berceau et sans suivre la lutte de ses progrès et de son développement; d’un autre côté, il est également impossible de saisir l’esprit et le sens d’une loi sans en rechercher les motifs dans les lois antérieures et sans établir sa filiation plus ou moins étroite avec ces lois, et, si l’on peut parler ainsi, sa généalogie. Cette méthode, que nous avons appliquée, quoique d’une manière restreinte, dans un autre livre, la Théorie du Code pénal, nous sommes loin de vouloir la répudier dans celui-ci.

7. - D’ailleurs, le Code d’instruction criminelle n’est point né d’un seul jet; ce n’est point un monument subitement élevé sur un sol nu; il n’est pas la création exclusive de notre siècle, la propriété du législateur qui l’a rédigé. Le plus grand nombre de ses règles avaient subi déjà l’épreuve de l’expérience; on n’a fait que les reprendre aux législations antérieures. Le sol était couvert de matériaux; le législateur a choisi ceux qu’il voulait replacer et s’est borné à leur donner une forme nouvelle, à travers laquelle il est facile d’apercevoir encore leur première empreinte.

C’est là ce qui fait la force des législations. Elles résistent mieux aux efforts des temps quand leurs racines les rattachent profondément au passé. L’humanité marche en avant chargée de l’expérience des siècles; pourquoi répudierait-elle ce riche héritage de leurs travaux et de leurs conquêtes ? Chaque génération apporte sa pierre, et l’édifice de la science grandit peu à peu; chaque siècle laisse échapper quelque rayon de lumière, qui se projette sur les siècles suivants; les lois les plus barbares ont recelé le germe de principes qui sont devenus féconds. C’est cette succession de lents essais, de difficiles épreuves, de patientes applications, qui constitue le progrès de la législation, comme les grains de sable successivement apportés par les flots forment l’alluvion. La -législation modifie plus qu’elle ne crée ; elle perfectionne plus qu’elle n’invente, elle développe plus qu’elle ne détruit. Si elle se hasarde quelquefois dans de téméraires innovations, ses écarts ne durent pas, et bientôt elle revient par quelques points aux principes que le temps a éprouvés et qui sont les vrais fondements de sa puissance; car, suivant l’expression d’un vieil auteur que nous avons déjà cité, « il en est des lois comme des fleuves : pour connaître quels ils sont, on ne regarde pas les contours par où ils passent, mais leur source et origine ».

Or, toutes les sources du Code d’instruction criminelle ne sont pas modernes : il suffit, en effet, de parcourir ses dispositions pour constater que toutes celles qui sont relatives à l’exercice de l’action publique et de l’action civile, aux droits et aux obligations du ministère public et de la partie civile, appartiennent à la législation fondée par les ordonnances de 1539 et de 1670; que les principales formes de la procédure écrite remontent, à travers ces mêmes ordonnances, à une source plus ancienne encore, aux règles du droit ecclésiastique; que les principes de l’instruction orale et publique, empruntés directement à la législation de 1791, ne sont qu’un retour aux principes qui ont régi la France pendant dix siècles, qu’une reproduction des formes de notre procédure antérieure au seizième siècle, qu’une imitation des règles plus anciennes encore de la procédure grecque et de la procédure romaine; enfin que les dispositions qui ont pour objet l’appel et les voies de recours retrouvent leur origine dans les dispositions du droit féodal.

Sans doute les rédacteurs de notre Code ont, en général, profondément modifié les institutions qu’ils empruntaient à des législations éteintes; ils les ont appropriées à nos institutions modernes; ils les ont mises en harmonie avec nos lois, avec nos mœurs, avec notre constitution politique. Mais, sous les formes nouvelles qu’elles ont revêtues, elles ont conservé leur esprit, leurs tendances, leur autorité; les principes sont demeurés les mêmes. Il faut donc, pour les étudier, pour les connaître, les prendre à leur source et suivre les phases diverses de leur règne à travers les flots mouvants de la législation.

8. - Nous allons donc commencer ce traité de la procédure criminelle en retraçant, mais en traits rapides, l’histoire et la théorie de cette procédure; c’est la base nécessaire et fondamentale de l’édifice que nous nous proposons d’élever. Ce coup d’œil général, en jetant sur cette matière les clartés de l’histoire, en la fécondant par l’examen des différents systèmes, permettra de mieux saisir, dans la partie pratique de ce livre, l’origine et la raison de chacune des règles du Code, enfle remonter avec facilité aux germes d’où elles ont jailli, aux transformations successives qu’elles ont subies.

Signe de fin