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COMPÉTENCE, INDIVISIBILITÉ ET CONNEXITÉ

Extrait de Faustin Hélie,
« Traité de l’instruction criminelle »
(2e éd., T.V, p.529 n° 2353 et s)

Ceux qui ont étudié le droit naturel, mieux encore le droit rationnel,
se sont surtout attachés aux règles de fond
concernant l’infraction, l’imputation et la sanction.
Ils ont en revanche quelque peu négligé les règles de forme.

On peut le regretter car, en dehors du choix fondamental
entre la procédure inquisitoire et la procédure accusatoire,
nombre de règles techniques sont imposées par les besoins
de la recherche de la vérité quant aux faits objets de la poursuite.

Par exemple, si le domaine de compétence des tribunaux
doit a priori obéir au principe de la légalité de la répression,
il peut donner lieu à quelques aménagements jurisprudentiels
afin que les juges puissent saisir le cas examiné dans son intégralité :
il en est ainsi de l’indivisibilité de certains faits, ou de leur connexité.

Si le principe de légalité couvre le fond et la forme,
sur ces deux plans il connaît quelques aménagements
permettant aux juges d’adapter la loi abstraite et générale
aux particularités concrètes du cas d’espèce.

1657. La compétence du juge est la première condition de la validité de toute procédure criminelle ; car elle constitue son droit d’instruire dans telle affaire, de décréter contre telle personne, de procéder dans tel lieu. S’il est incompétent, c’est-à-dire s’il n’a pas le droit d’instruire, s’il y a en lui un défaut de pouvoir, il fait des actes qu’il n’a pas le droit de faire, et qui dès lors … sont frappés de nullité.

De là il suit que, lorsqu’une plainte est portée soit devant le procureur impérial, soit devant le juge d’instruction, leur premier devoir doit être de vérifier leur compétence, c’est-à-dire s’ils ont le pouvoir soit de poursuivre, soit d’instruire, à raison des faits énoncés dans la plainte.

Cette compétence est soumise à trois conditions distinctes. Elle doit être examinée relativement à la nature du fait, ratione materiae ; relativement à la personne, ratione personae ; relativement au territoire dans lequel la juridiction du magistrat est circonscrite, ratione loci. Il faut, pour que la compétence du juge existe, qu’il ait pouvoir de connaître du fait incriminé, pouvoir d’instruire contre l’inculpé, pouvoir de procéder sur le lieu où la poursuite est intentée ; en d’autres termes, il faut qu’il ait juridiction sur le fait, sur la personne et sur le lieu …

I -  De la prorogation de juridiction
à raison de l’indivisibilité des procédures

2353. Lorsque nous avons exposé les règles de la compétence pour la poursuite et l’instruction, nous avons vu que ces règles fléchissaient, 1° lorsque des poursuites sont exercées contre plusieurs agents à raison d’un même délit (n° 1686) ; 2 lorsque plusieurs poursuites sont exercées contre le même agent à raison de délits différents (n° 1687). Dans ces deux hypothèses, les diverses procédures, soit parce qu’elles se rattachent à un même fait, soit parce qu’elles concernent un même prévenu, doivent, en général, n’en former qu’une seule, et il en résulte, dans certains cas, pour les tribunaux qui en demeurent saisis, une prorogation de leur juridiction légale. Cette exception s’applique au jugement comme à l’instruction elle-même.

2354. La règle qui veut que tous les complices d’un même délit soient enveloppés dans une même procédure et soumis à un même jugement est plus qu’une règle de procédure, c’est une règle de justice. Une action, par cela qu’elle a été commise par plusieurs personnes à la fois, ne se divise pas en autant de parties qu'elle a d'auteurs, elle conserve son unité ; la part de chacun des adhérents peut être différente, mais le fait auquel ils ont participé ne peut avoir qu'un seul et même caractère. De là la nécessité de réunir tous ces agents dans un même débat ; car comment constater avec certitude la nature du délit si tous ses auteurs ne sont pas mis en présence les uns des autres pour en débattre les circonstances ? comment constater le degré de la participation de chacun d'eux sans connaître la défense de tous ?

Le débat commun, c'est la manifestation complète de la vérité, autant du moins qu'il est donné à la justice humaine de la produire ; le débat divisé, c'est l'appré-ciation du fait dans une seule de ses faces, c'est le jugement successif du même fait sous des aspects nécessairement divers. Chaque prévenu, en effet, quelle que soit sa défense dans une prévention, peut être considéré, vis-à-vis de ses coprévenus, soit en leur faveur, soit contre eux, comme un élément de preuve ; il apporte dans le débat ses appréciations, ses contradictions, ses réticences ; il peut dénier ce que ses complices affirment, il peut déclarer ce qu'ils dénient. Qu'est-ce donc que séparer les coauteurs d'un même fait, sinon diviser les preuves d'un même procès et le juger d'après une instruction incomplète ?

« Divisez la procédure, instruisez-la en divers tribunaux, isolez les accusés, le débat n'a plus d’intérêt, les incertitudes se multiplient, les lumières s'affaiblissent et la vérité reste obscurcie » (Réquisitoire, présenté le 19 vendémiaire an V, devant la haute cour nationale). Et combien cette indivisibilité ne doit-elle pas être considérée comme la loi impérieuse d'une procédure qui, devant les juges du fond, est essentiellement orale, et ne garde, par conséquent, devant le jury comme devant les juges correctionnels de première instance, aucune trace des témoignages, des confrontations et des défenses ?

Cette règle, née de la nature même des choses, a été appliquée à toutes les époques de la législation. On la trouve appliquée, à la vérité, aux matières civiles seulement dans la loi romaine … Mais il ne paraît pas qu'en matière criminelle, le privilège pût, plus qu'en matière civile, diviser la procédure.

Ayrault (Part. 2, L. 3 n°17) pose en conséquence en principe que « qui est juge d'un accusé l'est par conséquent des complices, sinon qu'ils fussent de telle qualité que, naturellement, il n'en peut connaître ». Muyart de Vouglans indique également « que le juge par devant lequel est portée l'accusation d'un crime peut connaître de tous les complices de l'accusé, et cela sur le fondement de la maxime : Ne dividatur continentia causae » (Lois criminelles, p.186). Jousse dit encore : « Le juge qui connaît du crime d'un accusé connaît aussi de ses complices, participes, fauteurs et adhérents. Ainsi, le juge qui connaît d'un vol connaît de ceux qui ont conseillé de le faire, ou qui ont recélé les effets volés, quoique ce recel ait été commis hors son ressort, et que même le recéleur ne soit point domicilié dans le ressort de ce juge » (Traité de la justice criminelle, T.I p.518). Enfin, cette règle, formulée par la doctrine, se trouve après avoir été implicitement écrite dans les articles 5 du titre Ier et 23 du titre II de l'ordonnance de 1670, nettement confirmée par l’article 20 de la déclaration de 1731 : « Si, dans le même procès criminel, il y a plusieurs accusés dont les uns soient poursuivis pour un cas ordinaire, et dont les autres soient chargés d’un crime prévôtal, la connaissance des deux accusations appartiendra à nos baillis et sénéchaux ».

2355. Notre législation moderne a dû nécessairement recueillir cette doctrine. Les articles 5 et 6 du Code pénal militaire du 30 sept. - 19 oct. 1791 portent « Si parmi deux ou plusieurs prévenus du même délit il y a un ou plusieurs militaires, et un ou plusieurs individus non militaires, la connaissance en appartient aux juges ordinaires. Si dans le même fait il y a complication de délit commun et de délit militaire, c'est aux juges ordinaires d'en prendre connaissance ».

À la vérité, l'article 233 du Code du 3 brumaire an IV porte : « Lorsque plusieurs prévenus sont impliqués dans la même procédure, le directeur du jury peut dresser un ou plusieurs actes d'accusation, suivant ce qui résulte des pièces relatives aux différents prévenus ». Mais il est évident que ces derniers mots voulaient dire : suivant que les pièces de la procédure établissent ou non entre eux un lien de complicité, et le doute que ce texte pouvait faire naître sur l'application du principe de l’indivisibilité de la procédure fut d’ailleurs immédiatement levé par une loi du 18 germinal an IV, portant, articles 1 et 3 : « Lorsqu’il aura été formé, à raison du même délit, plusieurs actes d’accusation contre différents accusés, les accusateurs publics seront tenus d’en demander la jonction, et le tribunal criminel ordonnera que tous les accusés du même délit seront présentés à un seul et même débat ». Et la loi du 24 messidor an IV, après avoir établi comme motif « que l’intérêt public et l’intérêt particulier de chaque accusé ont également consacré cette maxime inviolable que tous les accusés d’un même délit doivent être jugés par le même tribunal » , déclare que : « tous prévenus mis en état d’arrestation pour complicité dans un crime à raison duquel un représentant du peuple est mis en accusation par le Corps législatif seront traduits à la haute cour de justice et jugés conjointement avec le représentant du peuple accusé du même délit ».

Notre Code d’instruction criminelle suppose ce principe plutôt qu’il ne l’exprime : ses textes l’admettent, mais sans le formuler avec netteté. L’article 226 dispose que la chambre d’accusation « statuera, par un seul et même arrêt, sur les délits connexes, dont les pièces se trouveraient en même temps produites devant elle » . D’où il suit qu’à plus forte raison elle doit juger par un même arrêt, c’est-à-dire renvoyer devant les mêmes juges les prévenus du même délit, dont les pièces auront été produites devant elle. Et l’article 307 ajoute que, «  lorsqu’il aura été formé à raison du même délit plusieurs actes d’accusation contre différents accusés, le procureur général pourra en requérir la jonction, et le président pourra l’ordonner, même d’office ». On retrouve une application de la même règle ; 1° dans l’article 501, relatif à l’instruction spéciale établie en faveur des membres de l’ordre judiciaire, et qui porte que « cette instruction sera commune aux complices du juge poursuivi, lors même qu’ils n’exerceraient point de fonctions judiciaires » ; 2° dans les articles 526 et 527, qui déclarent qu’il y a lieu à règlement de juges lorsque plusieurs cours ou tribunaux sont saisis de la connaissance du même délit ou de délits connexes.

On doit induire de ces textes que l’intention du législateur a été dans notre Code, comme dans les législations antérieures, de réunir dans un même jugement tous les auteurs et complices d’un même délit.

Cette règle est d’ailleurs tellement imposée par la nécessité des choses, elle constitue une loi tellement impérieuse de la justice, qu’il ne lui eût pas été possible de la méconnaître et de s’en écarter. Mais il est évident néanmoins que notre législateur, tout en la conservant, a voulu éviter de la formuler en termes précis et de lui donner une sanction formelle. Il a craint peut-être que la nécessité absolue d’envelopper dans la même procédure tous les agents qui auraient coopéré au même délit n’apportât des entraves à la poursuite et des retards au jugement. Il a craint que l’action de la justice répressive ne fût affaiblie si elle était tenue, avant de juger le procès, de réunir tous les éléments qui peuvent le faire considérer comme complet.

2356. Cette inquiétude était sans doute excessive ; car ce n’est que lorsque tous les prévenus d’un même délit sont à la fois sous la main de la justice qu’il y a lieu de les comprendre dans le même débat. S’il est nécessaire de ne pas scinder les éléments d’un même procès, il ne s’ensuit pas qu’il faille attendre, pour juger les prévenus présents, la représentation des prévenus absents et même que le jugement puisse être suspendu par la présomption qu’ils ont des complices qui ne sont pas compris dans l’instruction. L’instruction doit être réputée entière à l’égard des prévenus toutes les fois que la justice n’est actuellement saisie d’aucune poursuite séparée de la première, et qui ait pour objet le même fait.

Ce point est également reconnu par le réquisitoire que nous avons déjà cité : «Le principe de l’indivisibilité n’a lieu et sa nécessité ne se fait sentir que lorsque plusieurs accusés pour un même fait sont en même temps en jugement. Ainsi, lorsqu’une instruction est commencée dans un tribunal sur un délite si postérieurement un complice est découvert, plus d’utilité, plus de nécessité de porter la seconde instruction au tribunal qui a fait la première, à moins que le complice n’en soit justiciable. Lorsqu’un procès est terminé, l’accusé absous ou condamné ne peut plus reparaître en jugement, il ne peut plus être soumis à un nouveau débat. Un procès terminé n’est plus ; rien ne peut donc lui devenir connexe ; rien ne peut lui être réuni ; et quelque inconvénient qu’il y ait à ce que des individus accusés d’un même délit ne soient pas jugés ensemble, il faut bien se soumettre à la nécessité lorsque ce n’est qu’après le jugement définitif des premiers prévenus qu’on en découvre ou qu’on en saisit d’autres ».

2357. Mais, même ainsi entendu, et quoiqu’il ne puisse apporter aucune entrave à l’action judiciaire, le principe de l’indivisibilité des procédures ne trouve dans la loi aucun texte formel qui l’appuie. Il puise sa force en lui-même et non dans le Code, dans les intérêts qui le fondent et non dans l’autorité des textes. Le législateur semble l’avoir considéré plutôt comme un principe de bonne administration de la justice que comme une forme essentielle de la procédure. Il veut que les chambres d’accusation renvoient devant une même juridiction les auteurs d’un même délit, mais seulement lorsque les pièces se trouvent en même temps produites devant elle, et il semble même abandonner à ces cours l’appréciation de la nécessité de cette jonction. Il veut encore que, lorsqu’il a été formé à raison du même délit plusieurs actes d’accusation contre différents accusés, le procureur général puisse en requérir la jonction et le président l’ordonner d’office ; mais ce n’est encore là qu’une mesure facultative que ces magistrats peuvent appliquer ou ne pas appliquer et qu’aucune sanction n’accompagne. De là l’esprit général de la jurisprudence qui, sans dénier au principe de l’indivisibilité son autorité, ne semble point faire résulter de son inapplication un vice qui puisse entraîner l’annulation des procédures : le pouvoir de joindre ou de ne pas joindre les procédures est en quelque sorte abandonné à la prudence des magistrats, comme une mesure qui toucherait à l’administration de la justice plutôt qu’au droit de la défense et dont l’application, quelle qu’elle fût, ne saurait influer sur la validité du jugement.

Il nous paraît difficile d’aller aussi loin : que si, d’une part, ni la chambre d’accusation, ni le ministère public, ni le président des assises n’ont jugé qu’il y eût lieu de joindre les procédures, et si, d’une autre part, les prévenus ou accusés n’ont pas réclamé cette jonction, soit par une requête, soit par des conclusions, le moyen pris ultérieurement de l’indivisibilité de ces procédures ne pourrait, sans doute, être accueilli ; car le défaut de pourvoi contre l’arrêt de renvoi couvre les vices de la procédure antérieure, et l’inapplication du pouvoir facultatif établi par l’article 307 ne pourrait fonder un grief sérieux ; mais en serait-il encore ainsi si l’indivisibilité avait été invoquée, si la jonction des procédures avait été réclamée par la défense, soit devant la chambre d’accusation, soit devant le président ? Le rejet de cette demande ne pourrait-il pas fonder un moyen de nullité soit contre l’arrêt de renvoi, soit contre l’ordonnance du président ? Si la réunion des procédures disjointes peut être un besoin absolu de la défense, une condition de son existence, un élément essentiel de la preuve qu’elle veut produire, comment lui refuser le droit de la demander ? Comment lui refuser ce droit lorsque la loi elle-même déclare que cette réunion doit avoir lieu ? Et si les prévenus ne font, en invoquant ce principe, qu’user d’un droit légal, qui appartient essentiellement à leur défense, ne s’ensuit-il pas que les ordonnances ou les arrêts qui prononcent sur leurs réclamations peuvent, dès qu’ils leur font grief, être attaqués par un recours en cassation ?

Au surplus, le seul point que nous voulons établir ici, c’est que l’application du principe de l’indivisibilité des procédures conduit à la déviation des règles de la compétence, puisqu’il a pour conséquence de conduire tous les prévenus du même délit devant la même juridiction. Il s’ensuit que ceux de ces prévenus qui, soit à raison de la qualité, soit à raison du territoire, soit à raison de la matière, étaient justiciables d’un autre tribunal sont amenés devant un autre juge que celui que leur avait désigné la loi. La juridiction de ce juge, que l’indivisibilité de la procédure saisit du procès entier, est donc légalement provoquée, en ce qui concerne les prévenus qui n’appartiennent pas à son ressort ou les faits qui n’entraient pas dans le cercle ordinaire de ses pouvoirs ; il se trouve donc accidentellement investi d’une compétence qui appartenait à d’autres tribunaux. C’est cette prorogation de compétence que nous avons voulu constater.

Nous examinerons dans notre n° 2372 les conséquences de cette prorogation dans le cas où plusieurs juridictions sont saisies, et quelle est celle de ces juridictions dont la compétence doit être prorogée à l’exclusion des autres.

2358. La deuxième hypothèse que nous avons posée est celle où plusieurs poursuites sont exercées contre le même agent à raison de délits différents : faut-il comprendre toutes les procédures dans une seule ? Faut-il réunir tous les délits dans un même débat et les soumettre au même juge ?

Notre ancienne législation avait résolu cette question affirmativement. L'article 23 du titre II de l'ordonnance de 1670 portait : « Si, après le procès commencé pour un crime prévôtal, il survient de nouvelles accusations, dont il n’y ait point eu de plainte en justice, pour crimes non prévôtaux, elles seront instruites conjointement et jugées prévôtalement ». Et l’article 17 de la déclaration du 5 février 1731 ajoutait, d'une autre part, que, « si les accusés se trouvent poursuivis pour des cas ordinaires et pour des cas prévôtaux, la connaissance des deux accusations appartiendra aux baillis et sénéchaux, à l’exclusion des prévôts, s’ils avaient informé avant ces derniers juges ». M. Pussort disait, en expliquant la première de ces dispositions : « Ce n'est pas qu'il n’en puisse arriver quelques inconvénients ; mais il s'en trouvera de plus grands dans la séparation des accusations. Les choses unies sont plus fortes que celles qui sont divisées. Chaque crime en particulier ne saurait être puni avec la même sévérité que si toutes les accusations étaient jointes. L'on connaît mieux. L’état de la vie d’un accusé et quelles peines il mérite en examinant d'une même vue tous ses crimes » (Procès-verbal de l'ordonnance, p. 17). Jousse pose en conséquence. en principe que « le juge qui connaît du crime d’un accusé peut aussi connaître incidemment des autres crimes de cet accusé, quoique commis hors son ressort et quoique cet accusé ait son domicile dans une autre juridictio. En effet, il est convenable que les crimes ne soient point divisés : le juge connaît mieux par ce moyen les mœurs de l'accusé et quelles peines il mérite, au lieu que, si les accusations étaient divisées, chaque crime en particulier ne pourrait être puni avec la même sévérité, ni avec la juste proportion que mérite la mauvaise conduite de l'accusé » (Traité T. I, p. .506).

Cette indivisibilité des délits commis par un même agent se retrouve dans notre législation nouvelle. Les art. 7 et 8 du titre 1er du Code militaire du 30 septembre-19 octobre 1791 sont ainsi conçus : « Si pour raison de deux faits, la même personne est dans le même temps prévenue d’un délit commun et d’un délit militaire, la poursuite est portée devant les juges ordinaires. Lorsque les juges ordinaires connaissent en même temps, par la préférence qui leur est accordée, d’un délit commun et d’un délit militaire, ils appliqueront les peines de l’un et de l’autre si elles sont compatibles, et la plus grave si elles sont incompatibles. » L'article 98 de la loi du 28 germinal an VIII portait également : « Si l'officier, sous-officier ou gendarme est accusé tout à la fois d’un délit militaire et d’un délit relatif au service de la police générale ou judiciaire, la connaissance appartiendra au tribunal criminel ». Le Code du 3 brumaire an IV portait, dans son art. 233, que, « lorsque plusieurs délits sont imputés au même prévenu, le directeur du jury peut dresser un ou plusieurs actes d'accusation, suivant ce qui résulte des pièces relatives aux différentes espèces de délits ». Mais l'art. 234 ajoutait « Néanmoins le directeur du jury ne peut, à peine de nullité, diviser en plusieurs actes d'accusation, à l'égard d’un seul et même individu, soit les différentes branches et circonstances d'un même délit, soit les délits connexes dont les pièces se trouvent en même temps produites devant lui ».

Notre Code d’instruction criminelle n'a point reproduit ces dispositions. Il se borne à distinguer si les délits sont ou ne sont pas connexes. S'ils sont connexes, le procureur général ne peut, s'ils sont réunis dans le même acte d'accusation, en demander la séparation. S'ils ne sont pas connexes, il peut, au contraire, en provoquer la division. « Lorsque l'acte d'accusation, porte l'article 308, contiendra plusieurs délits non connexes, le procureur général pourra requérir que les accusés ne soient mis en jugement quant à présent que sur l’un ou quelques-uns de ces délits, et le président pourra l’ordonner d’office ».

Nous pensons qu'en général il convient de grouper dans une même accusation les différents faits qui sont imputés à un même prévenu : le juge appréciera plus exactement la moralité de cet agent et les dangers qu’il peut occasionner à l'ordre public quand il connaîtra tous les actes de sa vie, les circonstances qui l'ont entraîné d'une faute à une autre faute, le lien moral qui peut enchaîner ces différents délits et le caractère particulier de chacun d'eux ; il établira plus facilement le rapport de tous ces faits avec la peine qui doit être appliquée au coupable lorsque tous les éléments de sa criminalité seront devant ses yeux. Telle a été aussi la pensée de la loi : l'article 308, en autorisant le procureur général à requérir, quand il le juge utile, la disjonction des délits non connexes contenus dans le même acte d’accusation, suppose par là même que ces délits, quoique non connexes, ont pu être joints ; et l’article 365 suppose également cette jonction quand il dispose, en termes généraux, que, « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée ». Ainsi la Cour de cassation a dû rejeter un pourvoi fondé sur la jonction de plusieurs procédures non connexes dirigées pour crimes distincts contre le même accusé, « attendu que la cour, en joignant les causes dans l’intérêt de la prompte et bonne administration de la justice, a usé d’un droit qui lui appartenait et n’a point nui au droit de défense ».

Ce n’est pas qu’il y ait lieu d’assimiler le cas où plusieurs délits sont commis par un même agent au cas où plusieurs agents ont participé an même délit. Dans cette dernière hypothèse, la procédure est indivisible, parce qu’elle a pour objet un seul fait ; dans l’autre, au contraire, elle peut être divisée, puisqu’elle a pour objet des faits distincts et non connexes. Dans un cas, tous les auteurs du même délit ont droit à un jugement commun ; dans l’autre, l’agent n’a aucun droit à être jugé à la fois sur tous ses méfaits, s’ils sont justiciables de juges différents ; car le concours de ces délits ne peut lui créer une position qu’il n’aurait pas s’il les avait commis successivement L’intérêt de la bonne administration de la justice demande la jonction des délits, mais c’est là le seul motif qui puisse être invoqué, et tel est le motif qui a sans doute porté la loi, dans cette hypothèse, à ouvrir une simple faculté au juge soit pour la jonction, soit pour la disjonction des préventions.

Mais il suffit que le concours des délits, même non connexes, puisse motiver leur réunion dans une même procédure ; il suffit que la loi, loin de proscrire cette réunion, l’ait implicitement autorisée dans tous les cas où le ministère public et le président de la juridiction saisie ne s’y opposent pas pour qu’il en résulte une exception facultative aux lois générales de la compétence : la juridiction saisie de l’un des délits peut envelopper les autres délits commis par le même prévenu, lors même qu’ils ont été commis dans un autre territoire ; et dès lors le précepte de la compétence ratione loci peut se trouver modifié : la jonction des délits concomitants dessaisit les juges des lieux où ils ont été commis. Nous examinerons tout à l’heure quel est celui de ces différents juges qui doit demeurer saisi : nous ne constatons encore que la prorogation de compétence.

II -  De la prorogation de juridiction
à raison de la connexité des délits

2359. La connexité n’est qu’une application du principe de l’indivisibilité des procédures, mais elle en diffère essentiellement. L’indivisibilité réunit tous les éléments d’un même fait : la connexité rapproche des faits différents qui ont entre eux un lien commun. L’indivisibilité suppose un seul délit commis par plusieurs personnes ; la connexité suppose plusieurs délits qui ont entre eux des rapports plus ou moins prochains, plus ou moins intimes. La raison des deux règles est la même : c’est la crainte d’affaiblir les preuves en divisant la cause, ou de nuire à la défense en séparant les prévenus ; c’est l’intérêt de donner au jugement une base plus solide, en groupant dans le même débat tous les faits accessoires qui se rattachent au fait principal.

Il ne paraît point que la loi romaine autorisât la prorogation d’une juridiction criminelle, ratione connexitatis : aucun texte, du moins, ne s’explique sur ce point, et Quintilien, en reconnaissant que dans les jugements privés un même juge peut prononcer sur des chefs distincts, ajoute qu’il n’en est point ainsi en matière criminelle, parce que le prévenu agit d’après la formule spéciale pour chaque accusation : Quod nunc in publicis judiciis non accidit, quoniam praetor certa lege sortitur.

Notre ancien droit rencontrait dans les privilèges personnels trop d’entraves pour provoquer facilement la compétence d’un juge : en général, cette prorogation n’avait lieu, sous le prétexte de la connexité, que pour amener devant le juge, déjà saisi d’une accusation, les autres accusations portées contre le même accusé ou les complices de la même accusation. La connexité servait encore à étendre la compétence du juge aux incidents qui s’élevaient accessoirement à l’accusation ; mais on ne voit point qu’elle fût invoquée comme une cause de jonction de délits distincts qu’un certain rapport pouvait lier entre eux.

2360. Aucune disposition de notre législation criminelle, avant notre Code d’instruction criminelle, n’avait défini ce qu’il faut entendre par délits connexes. On trouve cette expression dans quelques textes, mais sans qu’elle y soit expliquée. Le Code du 3 brumaire an IV s’était borné à déclarer dans son article 234 que « le directeur du jury ne peut, à peine de nullité, diviser en plusieurs actes d’accusation à l’égard d’un seul et même individu soit les différentes branches et circonstances d’un même délit, soit les délits connexes dont les pièces se trouvent en même temps produites devant lui ».

Les articles 226 et 227 du Code d’instruction criminelle, s’ils n’ont point apporté une règle nouvelle, ont donc, du moins, donné des bases tout à fait nouvelles à la règle ancienne qu’ils ont étendue en la consacrant.

Voici le texte de ces deux articles : « Art. 226 - La cour statuera, par un seul et même arrêt, sur les délits connexes dont les pièces se trouveront en même temps produites devant elles. Art. 227 - Les délits sont connexes soit lorsqu’ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité.

Ce dernier article n’avait point été tout à fait rédigé dans ces termes actuels dans le projet du Code : ce fut la commission du Corps législatif qui en proposa la rédaction définitive. On lit dans les observations de cette commission : « La loi de brumaire an IV, article 234, parlait de la connexité des délits sans les définir. La commission pense qu’il est à propos de définir cette connexité, quoique ordinairement toute définition soit difficile et embarrassante. Cette définition sera utile parce que la connexité peut influer sur la détermination de la complicité et sur la détermination de l’application à plusieurs coupables de la peine la plus forte attachée à un délit commis particulièrement par l’un d’eux Cette définition est encore utile, parce qu’elle servira de régulateur à l’article 308, qui prévoit le cas où l’acte d’accusation contiendra plusieurs délits non connexes.

Mais la définition contenue dans l’article 227 a paru à la commission ne pas se présenter avec toute l’exactitude désirable. Elle propose de substituer à la rédaction de l’article celle qui suit (Cette rédaction est le texte de l’article 227). Voici les motifs du changement proposé. Il n’est pas inutile de rapporter des exemples pour l’éclaircissement d’une matière naturellement compliquée. Une diligence est attaquée par plusieurs particuliers. Les uns, en embuscade, tuent le conducteur, les autres tuent les voyageurs, les autres volent les effets qui sont dans la diligence. Il se commet des délits de diverses natures de la part de chacun de ces particuliers. Mais il est évident que ces délits sont connexes et se fondent même, pour ainsi dire, en un seul. Or, ce cas et les autres semblables ne paraissent pas rendus par ces expressions de l’article du projet, soit lorsqu’ils ont été commis en même temps par les mêmes personnes : d’après l’énergie que doivent avoir ces mots mêmes personnes, l’esprit se reporte principalement à deux délits qui auraient été commis par les mêmes individus à des époques différentes, sans qu’il en résultât nécessairement une connexité entre ces délits. Dès qu’il est question, dans le projet, de délits commis en même temps, il semble qu’il est plus à propos de dire, comme on le propose, par plusieurs personnes réunies. C’est là le premier cas prévu par l’article.

Des délits seraient connexes lorsqu’ils auraient été commis par différentes personnes qui seraient associées de crimes, ou, ce qui est de même, par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, et c’est le second cas prévu par l’article du projet. Mais dans ce cas il est aisé de sentir que, pour qu’il y ait connexité, il n’est pas nécessaire que les délits aient été commis en même temps et dans le même lieu. Cela se sent aisément sana en venir à des exemples. Il paraît donc indispensable de faire supposer, dans la définition, la différence de temps et de lieux, et cet effet paraît être le résultat des termes de la rédaction proposée : soit lorsqu’ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite, etc. — Sans cette addition de différence de temps et de lieux, les termes du projet, relativement au deuxième cas, sembleraient régis par, ces mots en mime temps.

Vient le troisième cas, qui est celui où différents délits ont été commis, où les uns l’ont été pour se procurer les moyens de commettre les autres. Or, ce cas de connexité peut arriver pour des délits commis par un seul, comme pour des délits commis par plusieurs. Cela se sent aussi sans en venir à des exemples. Ainsi, pour rendre cette idée, il est à propos d’ajouter, dans le troisième membre de l’article 227, comme on le propose, soit lorsque le coupable ou les coupables, au lieu de soit lorsque les coupables. Le conseil d’État approuva les deux premières modifications : la troisième lui parut sans doute inutile parce qu’elle ne changeait rien au sens véritable du projet.

2361. Il résulte de l’article 227 que les délits sont réputés connexes dans les trois hypothèses suivantes :

Lorsqu’ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies ;

Lorsqu’ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles  ;

Lorsque les coupables ont commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité.

Première hypothèse Les délits sont connexes lorsqu’ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies. Est-il nécessaire qu’ils aient été commis dans un but commun ? M. Mangin répond affirmativement. « Ce n’est point une réunion accidentelle, une rencontre fortuite, dit cet auteur, que la loi a eue en vue. Deux délits commis en même temps, au même lieu, par plusieurs personnes différentes, ne seraient pas connexes si ces personnes ne s’étaient pas concertées pour s’y rendre et y agir en commun ». Cette opinion ne nous paraît point exacte. Les délits sont connexes par cela seul qu’ils sont commis au même moment, par plusieurs personnes réunies, et, par conséquent, au même lieu : tels sont les délits concomitants qui peuvent être commis dans un rassemblement de personnes par différents membres de l’attroupement. Il est possible que l’un de ces délits ait été commis dans un but que n’avait pas l’auteur de la seconde infraction, que l’un ait eu pour but d’obtenir le redressement de quelque grief populaire, comme la réduction de la taxe du pain, et que l’autre ait eu en vue un acte de rébellion ; il est possible que les deux agents ne se fussent point concertés avant de commettre les deux faits ; mais comme les actes émanent de la même réunion, comme ils sont unis par les rapports de temps et de lieu, ils sont réputés connexes. Tel est le sens littéral de la loi et telle est aussi l’interprétation que la jurisprudence lui a donnée.

Une rixe violente s’était élevée dans une auberge. Le maire et l’adjoint, accompagnés de la garde nationale, arrivèrent pour rétablir la tranquillité. Il y eut résistance, et dans cette résistance non concertée des coups furent donnés à la garde et aux deux officiers municipaux. L’instruction avait séparé le fait de rébellion envers la force armée et le fait de violences envers les fonctionnaires. La Cour de cassation (le 21 janvier 1808), en statuant, même avant la promulgation du Code, a annulé cette division : «  Attendu que les différents délits avaient entre eux une connexité nécessaire ; qu’ils ne formaient même qu’un seul délit de nature parfaitement identique, puisque, dans l’objet de leur intervention, le maire et l’adjoint requéraient l’obéissance à la force armée, dont ils dirigeaient l’action ; que tous les faits particuliers qui composent, dans l’espèce, le délit de rébellion et d’offense à la loi, devaient être soumis à la même instruction ; que, s’il eût été possible de distinguer deux différents délits dans la prévention, leur connexité les aurait encore soumis à la même instruction et à la même juridiction ».

Plusieurs individus étaientprévenus d’opposition à l’exercice des préposés des douanes, et de résistance avec violences et voies de fait envers les préposés. La Cour de cassation a jugé que c’est avec raison que l’une et l’autre infraction avaient été comprises dans la même procédure et portées devant la juridiction correc­tionnelle : « Attendu que, lorsque l’opposition est accompagnée de violences et de voies de fait de nature à constituer le délit de rébellion, et être poursuivie à la requête du procureur du roi devant le tribunal correctionnel, elle. rentre, en raison de la con­nexité , dans la compétence de cette juridiction ‘. » Il en est encore ainsi du délit d’outrage envers un fonctionnaire public et de la contravention de tapage nocturne, lorsque l’outrage a été commis au milieu de ce tapage et du crime d’attentat à la pudeur avec violences et du délit de voies de fait et de violences envers la même personne.

2362. Deuxième hypothèse  : Les rapports du temps, du lieu etdes personnes ne lient plus les délits entre eux, mais ces délits sont unis par un but commun, ils ont été commis par suite d’un concert formé à l’avance entre les auteurs ; c’est ce concert préalable, ce but commun qui les rend connexes. Tel serait le cas où différents individus appartenant à la même association de malfaiteurs commet-traient dans un but commun des crimes distincts dans diverses localités. C’est ainsi que, les auteurs de divers vols commis dans les départements du Doubs, du Tarn et de la Haute- Saône ayant été arrêtés, il fut reconnu qu’ils faisaient partie de la même bande de malfaiteurs. Le ministère public se pourvut en règlement de juges et exposa qu’il importait essentiellement à la manifestation de la vérité, et, par conséquent, à l’ordre public, que tous les prévenus fussent soumis à la même juridiction. Et, en effet, disait-il, «  s’il y a autant d’instructions que de tribunaux différents dans le ressort desquels les crimes ont été commis, il résultera de cette division que les individus condamnés ou absous sur les crimes dont ils sont accusés ne figuraient point dans les circonstances relatives à des crimes commis dans le ressort d’un tribunal différent, ces instructions particulières n’atteindront peut-être pas le degré de lumière qu’une instruction commune à tous pourrait seule obtenir ». La Cour de cassation ordonna la jonction : « Attendu que l’intérêt public, lié à la manifestation de la vérité et surtout à la dissolution des associations criminelles qui infestent la société, appelle plus que jamais l’application du principe qui veut que l’instruction sur les crimes, quoique commis en lieux divers, soit commune et cumulée, quand ces crimes ont entre eux de la connexité et paraissent dériver de ces associations qu’il parait si urgent de briser » (Cass. 11 nivôse an IX). C’est cet arrêt qui a été la source du deuxième paragraphe de l’article 227.

Il a été reconnu, par application de cette disposition, 1° qu’il y a connexité entre le délit d’un imprimeur prévenu d’avoir imprimé un écrit sans désigner son nom ni sa demeure et la contravention, à laquelle cet imprimeur a participé, de publication et distribution de cet écrit ; 2° qu’il y a également connexité entre les faits, commis en différents lieux par des marins, d’avoir soustrait les marchandises chargées sur un navire, d’avoir fait périr ce navire et de faux témoignage dans une instance relative à cette perte. L’arrêt porte : « Que, d’après les termes de l’article 227, les crimes imputés aux prévenus sont connexes, quoiqu’ils aient été commis en différents temps et en divers lieux; mais par suite d’un concert formé à l’avance entre les accusés, non seulement pour parvenir à frauder les assureurs du navire, mais encore pour empêcher la découverte et le châtiment du vol de vin et eau-de-vie, et que c’est dans ce but aussi que le navira a été détruit, et que le faux témoignage a été porté ».

2363. Troisième hypothèse. Le rapport qui, dans ce troisième cas, lie les délits entre eux, n’est plus ni l’unité de temps, ni l’unité de lieu, ni même l’unité de volonté attestée par un con­cert préalable; c’est une relation de cause à effet, c’est l’enchai­nement d’une série de faits distincts nés les uns des autres, et qui dès lors peuvent être considérés comme le développement d’une même action.

C’est d’après cette disposition qu’il y a lieu de reconnaître qu’il y a connexité :

- entre les altérations commises par un percepteur sur ses rôles et les concussions commises à l’aide de ces écritures falsifiées ;

- entre les crimes d’incendie et de vol, lorsque le premier a été employé pour commettre le second ;

- entre le crime qui fait l’objet de l’accusation principale et le délit d’évasion qui a pour objet de procurer à l’accusé l’impunité ;

- entre le délit de violation des règlements concernant les épizootirs et l’altération commise sur un certificat du maire, pour dissimuler la contravention ;

- entre le délit de banqueroute simple et le crime de banqueroute frauduleuse imputé au même prévenu, puisqu’il y a lieu de présumer que les infractions qui constituent le délit n’ont été commises que pour consommer la fraude qui constitue le délit ;

- entre le délit d’outrages envers un fonctionnaire public et le détit d’entrave à l’exercice des droits civiques d’un citoyen, lorsque le premier a été le moyen employé pour commettre le second.

Il y a lieu de remarquer que, dans cette troisième hypothèse, la connexité n’exige plus le concours de plusieurs personnes : les délits peuvent être successivement commis par un ou plusieurs agents. Ainsi, le détournement commis par un préposé des ponts et chaussées, au préjudice des fournisseurs de l’administration, let le faux commis dans les pièces employées pour obtenir la remise des fonds, commis l’un et l’autre par le même accusé, sont deux faits connexes. Ainsi, l’attentat à la pudeur et les voies de fait commis par le même individu sur la même personne sont également deux faits connexes.

2364. En dehors de ces trois hypothèses, c’est-à-dire en dehors des termes de l’article 227, il n’y a plus de connexité strictement légale. Cet article, en effet, par sa définition, semble exclure tous les faits qui n’y sont pas compris ; et si, comme nous le verrons tout à l’heure, ses dispositions ne sont pas rigoureusement restrictives, on doit du moins en inférer qu’il ne faut pas confondre une relation accidentelle des faits avec leur connexité, et que, pour appliquer la règle de compétence qui dérive de celle-ci, il est nécessaire d’établir entre les faits un rapport aussi étroit que celui que la loi a prévu.

Ainsi, des préposés des douanes arrêtent deux individus faisant partie d’un attroupement armé de contrebandiers. Un de ces individus prend la fuite et est tué par le préposé qui le poursuit. Le crime de meurtre imputé à ce préposé n’est nullement connexe avec le crime de contrebande avec attroupement et port d’armes, car ils n’ont été commis ni par les mêmes personnes réunies, ni par suite d’un concert préalable, ni pour faciliter l’exécution l’un de l’autre.

Ainsi, le fait de tentative de corruption pratiquée vis-à-vis d’un juge de paix et les excès et mauvais traitements imputés à ce juge de paix par le prévenu ne sont point des faits connexes, quoique l’un ait été l’occasion de l’autre, parce qu’ils n’ont entre eux qu’un rapport accidentel.

Ainsi, les délits de violation de domicile, d’arrestation arbitraire et de résistance avec violence contre la force armée, dans le but de faire mettre en liberté la personne arbitrairement arrêtée, sont corrélatifs, en ce sens que le troisième n’aurait pas été commis si les deux premiers n’avaient pas eu lieu ; mais ils ne présentent entre eux aucune connexité, puisque ces délits avaient des auteurs différents agissant sous l’empire d’une volonté diverse et dans un but distinct.

Il suit de là qu’il ne suffit pas pour que les délits soient connexes, suivant la définition légale, qu’ils aient été commis dans les mêmes lieux, dans le même temps, et qu’ils se soient même produits dans les mêmes circonstances, il faut qu’ils soient liés entre eux par un rapport qui provient soit de ce qu’ils sont l’œuvre de plusieurs personnes réunies, soit de ce qu’ils ont été préparés par un concert antérieur, soit de ce que les uns ne sont que la conséquence ou l’exécution des autres; il faut qu’il existe entre les faits une relation, non point fortuite, mais dérivant du mode ou de l’enchaînement de leur manifestation. Cette relation n’est quelquefois qu’indirecte et éloignée; mais elle dérive d’un fait qui fait présumer que les différents actes doivent être considérés comme les parties divisées d’un même tout.

2365. Mais si la loi n’a posé que trois cas de connexité, s’ensuit-il que l’application de cette règle doive être limitée dans le cercle tracé par l’article 227 ? En d’autres termes, cette disposition doit-elle être considérée comme restrictive ou bien est-elle, au contraire, seulement démonstrative ?

La connexité est un rapport plus ou moins étroit qui existe entre plusieurs délits ; La loi ne la crée point, elle ne fait que la constater pour en faire, dans certains cas, la base d’une modification aux règles de la compétence. Or, de ce qu’elle ne l’a constatée que dans trois cas s’ensuit-il qu’elle ne puisse exister en dehors de ces hypothèses ? Lorsqu’il s’agit de l’appréciation d’un fait, tel que le rapport qui unit deux délits, faut-il rigoureusement se renfermer dans les exemples donnés par la loi ? Ne peut-il pas arriver qu’en dehors de ces exemples deux faits se trouvent, par les circonstances qui les enchaînent, plus intimement unis que dans les termes mêmes de la loi ? Et ne serait-ce pas méconnaître l’esprit du Code et le principe qui a dicté l’article 227 que de disjoindre des faits qui, sans rentrer toutefois expressément dans le texte de cet article, sont liés par une identité de caractère ou une simultanéité d’action qui les confond l’un dans l’autre ?

La Cour de cassation a jugé, conformément à cette doctrine « que les dispo-sitions des articles 307, 226 et 227 ne sont point limitatives, et qu’il est permis aux tribunaux d’ordonner la jonction des causes dont ils sont simultanément saisis, même hors des cas prévus par cet article, lorsqu’ils la croient nécessaire pour la manifestation de la vérité et pour la bonne administration de la justice ». Elle a jugé encore : « que l’article 307 n’exclut pas la faculté d’ordonner la jonction de plu-sieurs actes d’accusation dirigés contre le même individu, à raison de plusieurs délits différents, lorsque cette jonction peut paraître utile à la bonne et prompte administration de la justice ; qu’aucune loi ne limite le droit de jonction au cas où les crimes et délits sont connexes, aux termes de l’article 227, et que l’article 365, prescrivant l’application d’une peine unique à des faits qui n’ont entre eux aucun rapport de connexité, donne au droit de jonction plus de latitude que l’article 227 ».

Mais peut-être les motifs sur lesquels reposent ces arrêts, que nous approuvons au fond, sont-ils trop peu explicites. Il ne suffit pas, pour joindre deux procédures séparément instruites, que les :tribunaux jugent cette jonction nécessaire à la bonne administration de la justice : ce serait laisser aux tribunaux, en matière de jonction, un pouvoir qui n’aurait point de limite et qui, dans certains cas, pourrait gravement préjudicier à la défense des prévenus. Il faut que les délits puissent être réputés connexes, car c’est la connexité qui autorise la jonction ; or, pour qu’ils puissent être réputés connexes, il faut qu’ils se trouvent, sinon dans un des cas prévus par l’article 227, du moins dans un cas analogue ; car, si cet article n’est que démonstratif, il indique du moins les caractères généraux de la connexité. Il .nous parait donc nécessaire que les tribunaux, en ordonnant la jonction; déclarent non seulement que cette mesure leur parait utile, mais encore que les faits qu’ils joignent sont connexes et qu’ils constatent par quel rapport ils sont connexes.

La Cour de cassation a successivement déclaré, en appliquant la règle que l’article 227 est purement démonstratif : 1° que le crime d’avoir procuré un avortement et le crime de violences ayant occasionné la mort, sans intention de la donner, sont connexes, lorsqu’ils résultaient d’un même fait matériel ; 2° qu’il y a lieu de renvoyer devant les mêmes juges le gérant d’un journal qui a publié un article incriminé et le gérant d’un autre journal qui a reproduit cet article, « attendu que, loin que la prévention fût distincte pour chacun d’eux et dût déterminer une décision séparée pouf chaque prévenu, elle était identique pour l’un et pour l’autre » ; 3°que le tribunal saisi du délit d’usure peut se saisir du délit d’escroquerie que les débats révèlent comme se rattachant aux faits d’usure ; 4° que le délit de vagabondage et le délit d’insoumission à la loi du recrutement sont réputés connexes, « attendu que le délit de vagabondage a été la suite de l’infraction commise à la loi du recrutement ».

Cependant, il ne suffit pas que les délits soient identiques, il ne suffit pas qu’ils soient commis par la même personne pour qu’ils doivent être déclarés connexes, s’ils ont été commis à une époque éloignée les uns des autres, et s’ils ne sont liés entre eux par aucun rapport. La Cour de cassation a jugé dans ce sens : « Que la prévention contre Jeannin portait à la fois sur des faits qui auraient eu lieu pendant qu’il remplissait les fonctions de garde forestier et sur des faits postérieurs à la cessation de ces fonctions ; qu’il est déclaré par l’arrêt attaqué que les fausses empreintes des marteaux de l’État apposées par le prévenu dans des coupes exploitées après sa révocation constitueraient un crime distinct, sans connexité avec celui qui résulterait de l’apposition de fausses empreintes dans des coupes différentes exploitées séparément pendant son exercice comme garde forestier ; que, dans cet état des faits ainsi constaté, la procédure spéciale des articles 483 et 484, applicable à Jeannin, ayant agi en une qualité qui l’assimilait à un officier de police judiciaire, ne pouvait être étendue à une époque où il avait perdu cette qualité et à des faits non connexes avec ceux incriminés dans l’époque antérieure, et qu’en statuant ainsi sur cette partie de la prévention, l’arrêt attaqué n’a violé aucune loi et a fait au contraire une juste application des articles 226 et 227 » …

2368. La connexité, quand elle est constatée, a pour résultat, aux termes des articles 226 et 307, la jonction des procédures instruites à raison des délits connexes, et, par conséquent, la réunion des prévenus dans un seul et même débat.

Il en résulte donc que le juge compétent pour connaître l’un des délits puise dans la connexité une prorogation de compétence relativement au délit connexe, quoique ce délit ne rentre pas dans le cercle de ses pouvoirs. Ainsi, par exemple, le tribunal correctionnel, légalement saisi d’un délit, attire à lui les délits connexes, quoique ceux-ci aient été commis hors de son territoire. Il a été jugé en ce sens « que de la combinaison des articles 226 et 307 il résulte que, lorsque plusieurs délits sont connexes, ils peuvent être jugés simultanément par le tribunal qui est compétent pour connaître de l’un d’entre eux ; que si, à l’égard du délit d’escroquerie pour lequel ont été condamnés les demandeurs, la compétence du tribunal correctionnel de Châtellerault ne pouvait s’appuyer sur aucune des circonstances que détermine l’article 63, ce tribunal s’est fondé, pour s’en attribuer la connaissance, sur la connexité de ce délit avec une autre escroquerie pour laquelle sa compétence n’a jamais été contestée ; que, d’après les circonstances relevées dans l’arrêt attaqué, cette déclaration de connexité n’est qu’une juste application de l’article 227. Là même règle s’applique à toutes les juridictions ».

Mais cette règle n’est point strictement obligatoire pour les tribunaux elle ne constitue, en général, qu’une faculté dont ils sont armés dans l’intérêt de l’admi-nistration de la justice, et qu’ils peuvent employer ou rejeter, suivant qu’ils le jugent utile. Telle est, au moins, la doctrine constamment, appliquée par la jurisprudence : il a paru, qu’en faisant dériver de la connexité une jonction nécessaire des,procédures, on apporterait aux poursuites des entraves souvent inutiles ; que tel n’avait pas été l’esprit de la loi, puisque l’article 226 ne prescrit la jonction des procédures que lorsque les pièces se trouvent en même temps produites devant la chambre d’accusation, et que l’article 307 ne donne au procureur général et au président de la cour d’assises qu’une simple faculté de requérir ou d’ordonner la jonction ; que le législateur n’avait donc voulu fonder sur la connexité qu’une jonction facultative dont les juges doivent apprécier l’utilité, et qu’ils ne doivent ordonner que lorsqu’ils la jugent nécessaire à la manifestation de la vérité. C’est ainsi que la Cour de cassation a déclaré a que la connexité des délits est sans doute un motif légitime de la réunion des procédures, mais qu’elle ne doit pas la faire opérer, lorsque de cette réunion pourraient résulter des retards qui amèneraient le dépérissement des preuves et nuiraient à l’action de la justice ».

Signe de fin