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DE LA NATURE, DES BUTS, DES EFFETS
ET DE LA MESURE DE LA PEINE

par ROSSI
Extrait de son « Traité de droit pénal »
(Édition Bruxelles 1835, p.413)

Chapitre I - Nature de la peine

La peine en soi est un mal qui retombe sur l’auteur d’un délit et en raison du délit.

La peine, proprement dite, est la souffrance que le pouvoir social inflige à l’auteur d’un délit légal.

La peine en soi est le genre ; la peine sociale est une espèce.

La première frappe l’auteur de toute infraction de la loi morale ; la seconde, ceux-là seulement qui violent la loi positive.

La première est nécessairement juste en soi, la seconde peut être injuste. Le pouvoir social peut se tromper.

Elle serait intrinsèquement injuste, si elle dépassait la mesure de la peine due par la justice morale ; mais elle peut, elle doit souvent lui être inférieure.

Elle serait injuste, si elle ne frappait pas l’auteur du délit.

Elle serait injuste, si, dans le but de contenir les malfaiteurs, on l’étendait directement aux innocents.

La peine doit être une souffrance, grave ou légère, peu importe.

En conséquence, elle doit enlever ou diminuer, temporairement ou à jamais, un bien auquel l’opinion commune attache quelque importance.

Les moyens de punition sont donc les biens dont l’homme jouit ou qu’il espère.

Tel est le principe général.

Mais tout moyen doit être légitime en soi, et utile pour le but qu’on se propose d’atteindre.

Devrait-on condamner une femme à se prostituer, quelque utile, quelque préventive que cette peine pût être en tel ou tel pays ?

En supposant que l’interdiction de certains droits civils soit une peine légitime en soi, est-il prouvé qu’elle est nécessaire, utile du moins ?

Il restera donc à examiner quelles sont les peines légitimes en soi, et utiles en même temps.

Chapitre II - But de la peine

La sanction pénale est le complément de la loi.

L’application effective de la peine aux coupables est l’accomplissement de la justice sociale.

Pourquoi la loi pénale ? Pourquoi vouloir que justice se fasse ? Pour conserver et protéger l’ordre social. Nous l’avons démontré dans le livre I. C’est là le but final et le principe de la légitimité de la justice humaine.

Qu’on nous permette de rappeler ici en peu de mots quelques-unes des notions fondamentales que nous avons exposées ailleurs.

Nous nous flattons d’avoir démontré qu’assigner à la peine, considérée isolement, comme un fait matériel, un but propre et final, c’est faire abstraction de la justice ; car la crainte, l’exemple, la contrainte, lorsqu’on se les propose pour but unique et final, ne repoussent point, de leur propre nature, l’emploi de moyens injustes ou excessifs.

«  Ne punissez pas le vol , vous multipliez les voleurs. ». Qui l’a jamais nié ?La peine est préventive. C’est dire que le fait de la sanction pénale et celui de la punition produisent des effets, et qu’un de ces effets, l’effet le plus important, est de prévenir un nombre plus ou moins grand de délits semblables.

«  Vous ne punissez par un délit, si vous n’avez pas l’espoir de prévenir par ce moyen le renouvellement trop fréquent du même fait. » Nous en convenons. C’est dire que la justice humaine est sans droit, lorsqu’elle ne trouve pas dans les effets de la peine les moyens d’atteindre son but, la protection de l’ordre social.

« Ce n’est donc qu’une question de mots. » Nous le voudrions, dût le blâme d’avoir élevé une question de mots retomber entièrement sur nous !

Ceux qui soutiennent que le but unique, final, absolu, de la peine, celui qui seul légitime la justice sociale et fixe l’étendue de ses pouvoirs, est de prévenir les délits par la crainte, par l’exemple, ajoutent en même temps ces paroles : «  Bien entendu cependant que, en aucun cas, sous aucun prétexte, quel que soit le besoin qu’on allègue, on ne dépassera les bornes de la justice morale ». Dans ce cas, il n’y a plus eu effet entre eux et nous qu’une diversité d’expressions.

Mais il y aurait, dans le langage opposé au nôtre, une sorte de contradiction dans les termes. Qu’est-ce qu’un but unique, final, absolu, et en même temps subordonné à un principe supérieur et inviolable.

Quoi qu’il en soit, si au lieu de dire, comme nous avons dit, que c’est la justice sociale qui a un but propre et final, et que 1e fait de la peine produit des effets, aux moyens desquels la justice atteint le but que le devoir lui impose, on préfère dire : Le but final de la justice humaine est le maintien de l’ordre, la protection du droit ; le but de la peine, en tant que moyen de justice, est la contrainte morale, l’exemple, etc.; on peut souscrire à cette forme d’expression. Elle est, ce nous semble, à l’abri de tort reproche.

Mais, encore une fois, la justice est une. On peut la concevoir se développant dans toute son étendue, ou n’agissant que partiellement ; on ne peut pas la concevoir aban­donnant ses principes immuables pour se soumettre complètement à l’empire des faits.

Qu’on assigne à la sanction pénale, au jugement, à la punition, à chacun de ces faits considérés séparément, tel but qu’on voudra, la discussion sera d’une importance secondaire, pourvu qu’on ne cesse pas un instant de les envisager comme trois éléments de la justice, ne pouvant, quel que soit le but qu’on leur assigne, se mouvoir que dans son orbite, sous le frein de ses lois, lois contenues dans ce principe éternel et immuable : le mal rétribué pour le mal, à l’auteur et en proportion de ce mal.

Chapitre III - Effets de la peine

Les effets de la peine sont divers.

I. - En tant que menace, ses effets principaux sont l’instruction et la crainte.

1°. La sanction pénale est instructive comme manifestation immédiate et impérative des lois de l’ordre moral, dans leurs rapports avec l’ordre politique.

C’est l’enseignement que le législateur adresse au peuple.

L’instruction donnée par le législateur opère de deux manières : comme enseigne­ment moral et comme avertissement.

L’enseignement moral est souvent inutile. La loi qui défend le meurtre dit ce que tout le monde sait. Il n’en est pas de même de celle qui punit les infractions des lois sanitaires, l’exercice illégal de la médecine. La loi pénale révèle à beaucoup de personnes, qui ne s’en doutaient guère, l’immoralité et 1e danger de ces actes.

L’avertissement consiste à prévenir tout homme qu’en effet tel on tel acte immoral est, en outre, défendu par la loi positive; qu’il faut s’en abstenir, ne fût-ce que pour se conformer à la loi écrite.

L’enseignement s’adresse à tout le monde, même à ceux qui n’ont aucune intention de commettre des actes immoraux.

L’avertissement s’adresse plus particulièrement à ceux qui, sans être précisément des hommes moraux, veulent cependant se conformer toujours à la loi, non seulement par crainte du châtiment, mais par moralité politique.

2°. La crainte agit sur ceux qui, dépourvus même de moralité politique, conservent cependant assez de calme et de raison pour mettre en balance les plaisirs du délit et le mal de la peine.

La sanction pénale intimide par le mal direct et par le mal indirect, dont sont menacés les infracteurs de la loi.

Le mal direct est celui qui frappe l’auteur du délit.

Le mal indirect retombe sur les personnes qui lui sont chères. Le législateur ne doit jamais se le proposer comme moyen d’action. II doit éviter toute peine dont le mal principal et saillant serait le mal indirect. Mais il ne peut pas, d’ailleurs, empêcher que les faits ne produisent leurs conséquences naturelles.

L’instruction et la crainte sont, l’une et l’autre, des effets préventifs.

L’effet préventif de la crainte mérite d’être analysé plus exactement encore.

Il résulte d’abord du mal direct.

Mais le mal direct ne consiste pas seulement dans le degré de souffrance matérielle dont la loi menace le coupable. Il se compose de tous les effets que le jugement criminel peut avoir pour lui. Ainsi, outre la peine proprement dite, il peut avoir à souffrir un ou plusieurs des maux suivants :

Désapprobation publique ;

Infamie ;

Interruption ou dérangement de ses affaires, de sa carrière, de ses projets;

Interruption de ses habitudes;

Violence à ses goûts, à ses affections;

Affaiblissement de sa santé, etc..

Les effets accessoires ne se vérifient pas tous dans tous les cas, ni avec la même intensité pour tous les hommes.

Les peines, proprement dites, elles-mêmes ne sont pas également préventives pour tous. Un filou anglais brave les coups de fouet. Un homme riche peut acheter le plaisir de faire une injure, si elle ne lui coûte que 1e paiement d’une amende.

L’effet préventif du mal indirect n’est pas moins variable, selon les circonstances où se trouve placé celui qui médite un crime. Plus d’un conspirateur a reculé devant la perspective d’une famille plongée dans la misère; plus d’un projet criminel a été dissipé par les mains d’un enfant caressant le front d’un père qu’une passion malfaisante avait presque subjugué.

II.- En tant que mal effectivement infligé.

La peine peut également produire :

L’instruction ;

La crainte; plus,

L’amendement du coupable.

1°. L’exemple rend l’instruction plus frappante, plus sensible. La publication d’une loi est un fait qui ne forme guère le sujet des entretiens domestiques de la plupart des familles. II n’en est pas de même d’une condamnation. La1oi est générale; le jugement et l’exécution sont des faits individuels. La loi est une abstraction; l’exécution est un fait. La loi est un principe; le jugement, une application. En d’autres termes, la loi manque des conditions essentielles pour attirer l’attention de la multitude : ces conditions sont réunies dans le jugement et dans l’exécution.

2°. Ces considérations s’appliquent également à l’effet préventif de 1a crainte. L’exemple en augmente l’intensité.

En considérant le public en masse, on peut affirmer que l’instruction et la crainte sont des effets, en quelque sorte nécessaires. S’ils ne sont pas produits, ou si le résultat est inférieur à celui qu’on devrait naturellement obtenir, le législateur doit se l’imputer. Il a sans doute, soit par le choix ou par la mesure des peines, soit par les formes de la justice, travaillé contre son propre ouvrage. II a excité quelque sentiment contraire à. ceux que devait naturellement réveiller la punition. Le mépris, l’irritation ou l’horreur sont les trois sentiments qui paralysent souvent l’effet préventif de la peine.

3°. L’amendement du coupable n’est pas un effet qu’on puisse appeler nécessaire, lors même qu’en faisant abstraction des individualités on ne considère que les masses.

L’enseignement moral, l’avertissement, même l’impression de la crainte, s’adressent à des hommes qui sont censés dans les dispositions propres à leur faire subir l’influence salutaire de la loi.

Par l’enseignement, on dit aux hommes probes: « Tel acte est immoral ». Ils s’en abstiendront, lors même qu’il n’y aurait point de sanction pénale.

Par l’avertissement, on dit à ceux qui ne connaissent que la moralité politique: «Le législateur a cru convenable de défendre tel acte.» Ils s’en abstiendront, parce que la loi commande de s’en abstenir.

En les intimidant, on dit aux hommes qui méprisent la morale et ne tiennent aucun compte de l’ordre public, mais qui craignent la souffrance, la perte de leurs droits : « Si vous commettez cette action, vous serez renfermés pendant dix ans dans une maison de pénitence et de travail ». Ils ne se lanceront pas dans le crime, car la menace leur servira d’entraves.

Ces effets, envisagés d’une manière générale, sont en quelque sorte nécessaires, parce que effectivement il y a dans ce monde des hommes moraux, des hommes sages, des hommes prudents.

Ces effets manquent quelquefois, parce qu’il y a quelques hommes dont la moralité est mal affermie, dont la sagesse politique ne résiste pas aux tentations, dont la prudence est maîtrisée par la fougue des passions et la perversité de leurs désirs.

Toutefois, en prenant dans chacune des trois catégories cent individus, on peut raisonnablement espérer que, si les lois sont bonnes et la justice bien administrée, plus de quatre-vingt-dix subiront l’influence salutaire de l’instruction, de l’avertissement ou de la crainte.

Cependant des crimes sont commis; les auteurs sont condamnés; ils subissent la peine due à leurs délits.

La justice est satisfaite; l’ordre social est protégé; les effets de la punition sur les masses, nous venons de les examiner.

Quels seront les effets de la peine sur les coupables eux-mêmes ?

Prenons comme exemple la punition la plus usitée chez les peuples modernes, la privation de la liberté; l’effet le plus immédiat et le plus sûr est l’impuissance presque absolue, où sont placés les coupables, de se livrer à de nouveaux crimes pendant la durée de la peine.

Un second effet probable est la crainte. Si la détention, sans être cruelle, a cependant conservé le véritable caractère pénal, on peut espérer que le condamné quittera le lieu de la peine, en disant du moins ce que disait un condamné qui sortait de la prison pénitentiaire de Genève: « On ne me reverra plus ici; on s’y ennuie trop ».

Cependant ce n’est pas là un signe de régénération morale. La crainte agit, en quelque sorte, comme contrepoids mécanique aux impulsions criminelles. Mais son effet peut s’affaiblir de jour en jour; la séduction du crime croît en proportion: le gourmand, qui a une fois souffert de ses excès, oublie ses souffrances dès que sa santé est rétablie, et ne résiste point aux plaisirs d’une table richement servie.

Il faudrait que la peine produisît l’amendement moral du coupable; il faudrait que dorénavant il vît dans la loi pénale, non-seulement un sujet de crainte, non-seulement un avertissement, mais un précepte obligatoire indépendamment de toute peine immédiate.

Cet effet est-il dans la nature des choses ?

Qu’on ne s’empresse pas de nous supposer des opinions que nous sommes loin de professer.

L’amendement du coupable est possible. Il est désirable. Ne pas l’essayer, c’est une négligence répréhensible. Autoriser des peines qui, au lieu de corriger le condamné, deviennent pour lui une source de corruption et une école d’iniquité, c’est plus qu’une négligence.

Mais est-ce là la question ? Il importe de la poser nettement.

Le législateur publie une loi pénale. II sait d’avance que sa loi est parfaitement inutile pour un certain nombre de citoyens dont- l’instruction et la moralité ne laissent aucune crainte raisonnable pour le maintien de l’ordre social. Quant aux autres, le législateur a la certitude que la loi, si elle n’est pas trop absurde, agira ou comme enseignement moral, ou comme avertissement, ou comme menace, et retiendra quatre-vingt-dix personnes sur cent dans la ligne du devoir.

Les dix autres violeront la loi : trois échapperont à l’action de la justice sociale; sept seront condamnés.

Or, le législateur peut-il raisonnablement espérer que la peine agira sur quatre au moins de ces condamnés, de manière à les régénérer moralement ?

Malheureusement cette question ne peut être résolue jusqu’ici qu’a priori. Les faits manquent. Les galères, les bagnes, les pontons, et tant d’autres lieux où les gouvernements paraissent jouer au plus méchant et au plus fort avec les condamnés, où chaque nouveau venu est une proie livrée à des harpies impatientes de lui arracher tout ce qui lui reste de vie morale; tous ces repaires de malfaiteurs, se débattant entre le crime et la force, n’offrent aucune donnée propre à résoudre le problème.

Les essais du système pénal régénérateur faits en Amérique, en Angleterre, à Lausanne, à Genève, sont trop peu nombreux et trop récents, d’un succès trop varié et trop incertain, pour que la froide raison puisse en tirer des conclusions positives et rassurantes.

Ils prouvent seulement, ce dont personne ne saurait douter, que la régénération morale de quelques individus est possible; ils ne prouvent point qu’elle est facile; ils prouvent encore moins que les moyens à portée du législateur puissent lui donner la garantie d’une régénération morale opérant régulièrement sur des masses, sur les trois quarts, les deux tiers, sur la moitié au moins des condamnés.

Nous ne dissimulons point que nous ne mettons pas en ligne de compte les essais faits par des moyens extraordinaires. Que madame Fry, en répétant solennellement la parole de vérité sous les sombres voûtes de Newgate, touche par l’éloquence de son accent, émeuve, si l’on peut parler de la sorte, par la poésie religieuse de son apparition au sein du désordre, les cœurs les plus endurcis, nous le comprenons sans peine, et nous sommes pénétré pour ses oeuvres d’un sentiment que le mot d’admiration n’exprimerait que d’une manière trop imparfaite.

Malheureusement ce ne sont pas là les effets ordinaires de la peine de la réclusion. Certes, nous n’imaginons pas qu’elle doive consister uniquement à renfermer les condamnés dans un lieu sûr; nous supposons que la détention sera accompagnée des secours moraux et religieux qu’exige la situation des détenus. Mais lorsqu’on songe, non à une prison, mais à mille, non à un jour, mais à une longue suite d’années, c’est aux moyens ordinaires et certains qu’il faut borner ses espérances. Quelque décriée que soit cette expression, il faut pourtant l’employer : c’est sur le résultat de la routine qu’on doit pouvoir compter. Il faut faire en sorte qu’elle soit la meilleure possible; mais les prodiges d’un dévouement illimité, les efforts d’un zèle ardent, les effets d’un ascendant irrésistible ne sont pas des données sur lesquelles on puisse compter habituellement.

Le législateur ne peut agir qu’en grand, sur des masses, par des moyens faciles à employer, et jusqu’à un certain point uniformes. Or, la régénération morale n’est qu’une éducation, une éducation qui a produit son effet; et l’éducation est chose essentiellement individuelle. L’instruction proprement dite, qu’on confond trop souvent avec l’éduca­tion, peut être donnée, sans trop d’inconvénients, par des moyens uniformes, opérant à la fois sur des masses. L’éducation a besoin, pour devenir efficace, de se plier davantage aux exigences de chaque individualité.

Si cela est vrai des enfants, comment ne serait-il pas plus vrai encore pour des hommes; pour des hommes courbés déjà sous le joug des habitudes immorales, d’habitudes diverses, dérivées de causes différentes; pour des hommes dont ni l’âge, ni les inclinations, ni les croyances, ni les rapports sociaux, ni la perspective de l’avenir, ni la conduite précédente ne sont les mêmes?

Les tentatives de réforme échouent trop souvent contre les antécédents du prisonnier. Car, si l’éducation négative est assez facile, l’éducation positive est presque au-dessus des forces humaines. Il n’est pas fort difficile d’empêcher que le principe du mal se développe; mais, une fois qu’il s’est emparé des replis du cœur humain, il peut s’y cacher sous mille formes diverses; il abandonne difficilement sa proie.

La condamnation plonge les uns dans l’abattement, dans une apathie morale invin­cible; les autres, elle les aigrit, elle les irrite.

Refuse-t-on aux condamnés tout espoir de diminution ou d’adoucissement de la peine? Ils repoussent avec dédain toute tentative de réforme, surtout s’ils sont condamnés pour un grand nombre d’années.

Leur offre-t-on la perspective de voir leur peine abrégée ? On en fait des hypocrites; on leur donne un vice de plus.

Il nous répugne d’écrire ces lignes: nous les traçons avec le désir bien sincère de nous tromper. Nous serions trop heureux si l’on nous prouvait par des faits bien avérés que sons avons, involontairement sans doute, calomnié la nature humaine.

Mais, en attendant, faut-il s’abandonner tête baissée aux rêves bienveillants d’une philanthropie impatiente de voir s’accomplir ses honorables désirs ? Faut-il beaucoup compter sur un effet de la peine dont rien ne constate ni la généralité ni la certitude?

Encore une fois, le ciel nous préserve d’en conclure qu’il faut en conséquence renoncer à toute tentative de réforme! Plus l’œuvre est difficile, plus il importe de multiplier et de perfectionner les moyens de la faire, puisque cette oeuvre est un bien moral et politique à la fois. C’est un spectacle affligeant que de voir des gouvernements dépenser des millions en sinécures; en embellissements, en frais de police, et laisser, en attendant, leur système pénal dans un état déplorable. Ce n’est pas seulement une mauvaise action; c’est un faux calcul. Lors même qu’on n’obtiendrait que l’amendement moral de dix condamnés sur cent, le résultat social serait grand. Car il faut aussi tenir compte des impressions salutaires qu’un système réformateur produit sur le public. Il présente la loi et la justice sous un point de vue moral; il leur captive l’affection et le respect; il ne décourage ni n’effraie les poursuivants et les parties lésées; enfin nous sommes convaincu qu’il augmente, pour les hommes d’habitudes vagabondes et vicieuses, l’effet préventif de la peine, la crainte de la subir.

Mais n’anticipons point. Pour le moment nous voulions seulement établir que, de tous les effets de la peine, l’amendement du coupable est peut-être l’effet le moins certain et le moins général.

La conséquence n’est point que le législateur doive le négliger, mais qu’il doit lui laisser le rang qu’il occupe par la nature des choses.

En d’autres termes, sacrifier dans le système de la justice sociale le principe de la pénalité, l’action de la crainte, à des espérances exagérées de réforme des condamnés, ce serait oublier les devoirs les plus essentiels du législateur. Que des personnes zélées pénètrent dans les prisons; que, sans affaiblir nullement l’action pénale, elles essaient de ramener au bien le condamné; que le législateur prête à leur influence salutaire tous les secours compatibles avec l’exécution de la loi; que, toutes choses égales d’ailleurs, le législateur préfère le genre de peine qui se concilie le mieux avec les essais de réforme, qui est lui-même un moyen probable d’amendement moral, rien de mieux. Mais ce serait une erreur funeste que de croire, du moins dans l’état actuel de nos connaissances et de nos moyens que l’effet réformateur de la peine soit comparable par sa certitude et sa généralité aux autres effets que nous avons décrits.

A ces effets il en faut ajouter deux autres: la satisfaction morale de la conscience publique, et le sentiment de sécurité qui dérive de la sanction pénale et de son application.

Ce second effet, personne ne l’ignore, nul ne le méconnaît.

Le premier, quoique moins apparent, et moins facile à observer, est un fait également certain.

La satisfaction de la conscience publique est autre que le sentiment de sécurité. Elle n’est pas un sentiment personnel, un retour sur soi-même. C’est un sentiment désintéressé; c’est l’amour du bien, l’idée de l’ordre qui se révèle par l’approbation qu’on donne à la peine retombant avec mesure sur le coupable. C’est le sentiment qu’éprouvent même ceux qui n’ont rien à craindre de l’espèce de crime dont il s’agit.

Ce sentiment moral a aussi sa valeur politique. Il est conservateur de l’ordre social: Il augmente la force morale de la loi; il la sanctionne et la nationalise.

Le législateur qui ne tiendrait aucun compte de cet effet de la peine, qui négligerait de choisir, le pouvant, les peines les plus propres à l’inspirer, n’aurait pas reconnu et apprécié tous les éléments conservateurs de la société.

Chapitre IV - Mesure de la peine

La peine est la souffrance infligée au coupables en raison de son délit.

Il y a donc un rapport intime de quantité entre le mal du délit et le mal de la peine.

En d’autres termes, la mesure de la peine ne doit pas excéder la mesure du délit.

Personne ne conteste le principe ; mais chacun se réserve le droit de l’appliquer à sa manière.

Les uns concentrent leur attention sur le mal moral du délit, et la perversité de l’agent. Aussi demandent-ils des peines sociales très sévères pour l’adultère, pour l’inceste.

Les autres ne considèrent que le mal matériel, le dommage fait par le délit. Aussi n’hésitent-ils pas à réclamer la peine de mort contre le crime de fausse monnaie.

Il faut que le mal de la peine surpasse le profit que le coupable retire du délit. Tel est le seul principe dirigeant d’une autre école, et en général de tous ceux qui assignent à la peine, considérée isolément, en soi, un but unique et final, de tous ceux qui ne la considèrent que comme moyen. On va même plus loin; et, il faut l’avouer, le principe exclusif étant admis, la conséquence est logique. Pour évaluer le profit du délit et le taux de la peine nécessaire, on se livre aux conjectures. Quand l’acte imputé paraît de nature à fournir la preuve d’une habitude, on tient compte, à la charge de l’accusé, non-seulement du profit tiré du délit individuel, mais du profit présumé de tous les délits semblables qu’on peut supposer avoir été commis impunément par le même délinquant. On applique ce calcul à la fausse monnaie, sans arriver à un résultat trop choquant, la fausse monnaie étant en effet un crime grave. Mais peut-être reculerait-on devant les conséquences du principe, si on essayait de l’appliquer aux filous, aux adultères, aux infracteurs des lois sur la chasse, etc. Il ne faut pas confondre ce principe avec la doctrine de la récidive. En cas de récidive, le délit semblable n’est pas supposé; il est constaté par un jugement.

On va plus loin encore. On affirme que, lorsqu’on délit est fort nuisible, on peut hasarder une grande peine pour la chance de le prévenir. C’est là le système du balancier pénal, présenté dans toute sa nudité.

Nous ne nous arrêterons pas à réfuter ces diverses opinions; ce serait revenir sur nos pas et fatiguer inutilement le lecteur.

La peine en soi est le mal mérité par l’auteur d’un délit. La mesure de la peine se trouve donc et ne peut se trouver que dans la nature et la gravité de l’acte imputable. Ce sont les deux termes d’une équation; il n’y a vérité que lorsque l’un est l’équivalent exact de l’autre. Œil pour œil, dent pour dent, ne sont que des expressions matérielles et grossières de cette vérité. Mais, comme tant d’autres adages anciens et populaires, ils révèlent un fait de conscience, une vérité sentie et reconnue en tout temps et en tout lieu.

L’homme peut se tromper dans l’appréciation des faits, dans l’application du principe; mais le principe lui-même, il ne le perd jamais de vue. Il n’en connaît pas d’autres.

Le mal matériel aggrave le délit moral, en tant qu’il en est une conséquence que le délinquant avait prévue ou qu’il devait prévoir.

La satisfaction illégitime du coupable, le plaisir qu’il en ressent, le profit qu’il en tire, aggravent aussi le délit; ils révèlent la perversité de l’agent. Il est juste que ce plaisir illégitime soit contre-balancé par les souffrances de la punition. Le mal ne doit pas tourner au profit de son auteur.

Mais toujours est-il que la peine, vis-à-vis de la justice morale, se proportionne à la nature du devoir violé et à 1a moralité de l’agent.

Celui qui pourrait apprécier avec exactitude ces deux éléments dans chaque cas particulier, et qui aurait en même temps saisi un principe propre à déterminer le genre et le degré de souffrance, correspondant, comme moyen expiatoire, à chaque délit, celui-là pourrait résoudre, d’un manière positive, le problème de la mesure de la peine morale.

Aussi reconnaissons-nous que jusqu’ici nous n’avons fait que le poser. II est loin d’être résolu.

Car ce n’est pas le résoudre que de dire que la peine doit s’élever ou s’abaisser selon la gravité du délit; que deux crimes divers ne méritent pas la même peine; que la tentative suspendue par circonstance fortuite et celle qu’on a interrompue volontai­rement, que la co-délinquance et la complicité, ne sont pas des actes également immoraux et auxquels on puisse appliquer, en bonne justice, la même punition, etc. Il n’est question dans cela que de plus et de moins, d’une idée de relation. Le meurtre doit être puni plus que le vol. Mais quelle est la peine due au vol ? Quelle est la souffrance qui fera expier complètement au voleur son délit ? Si je la connaissais, alors peut-être, pourrais-je, non exactement, mais par une sorte d’approximation, déterminer la peine du meurtre.

Ainsi, faute de .quantités certaines, de données fixes, le problème n’est pas résolu.

Signe de fin