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DISCOURS DU PAPE PIE XII
SUR L’ASSISTANCE AUX PRISONNIERS

prononcé le 26 mai 1957 à Rome
(Documentation catholique 23 juin 1957, col. 773 et s.)

Comme représentants de l’« Union des juristes catholiques italiens » et du « Secours fraternel chrétien » ou « Amis des prisonniers de Sulmona », vous avez désiré, chers fils, cette réunion autour de Nous, comme pour Nous inviter à adresser une pensée paternelle à ce monde émouvant de la souffrance imposée, que la sévérité de la justice a créé, en dernière analyse, non pour déprimer, mais pour racheter. Là, dans les ombres des cellules muettes, ne l’oublions pas, se déroulent de douloureux drames intérieurs, que seule la lumière chrétienne de la résignation et de la confiance, unie au feu de la charité, peut transformer en oeuvre de sereine rédemption.

C’est donc de grand cœur que Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous accueillons avec gratitude le témoignage de votre dévouement, et, en particulier, les marques tangibles de votre zèle, que sont le rapport de vos travaux et le « parchemin souvenir » signé par environ 200 détenus du Pénitencier de l’abbaye des Célestins de Sulmona.

Vous Nous avez aussi demandé une parole d’enseignement sur l’idéal qui doit animer vos activités et les meilleurs moyens de le réaliser. De Notre côté, nous n’avons pas l’intention de traiter ici les questions spéciales sur lesquelles vous avez déjà des règles établies dans vos publications et plus exactement déterminées dans vos discussions, avec l’expérience acquise dans les contacts personnels avec les détenus.

Nous voulons plutôt vous entretenir de plusieurs points de portée plus générale et qui méritent l’attention, soit de ceux qui exercent une fonction active de direction dans l’assistance aux prisonniers, soit de ceux à qui cette assistance s’adresse, c’est-à-dire aux détenus eux-mêmes.

Nous avons déjà eu l’occasion de traiter, en diverses audiences, le problème de la faute et de la peine, qu’il Nous suffise aujourd’hui de rappeler l’exposition faite le 5 décembre 1954 et le 5 février 1955 au VI° Congrès national d’études de l’Union des juristes catholiques italiens. [publiée sur ce site]

Nous voudrions plutôt aujourd’hui toucher quelques questions qui regardent plus immédiatement votre condition personnelle et votre champ de travail.

I. — PRÉSUPPOSÉS DE L’ASSISTANCE AUX PRISONNIERS

De ceux qui occupent dans l’organisation du Secours aux prisonniers un poste de direction ou d’autorité, on doit d’abord exiger - semble-t-il - surtout un solide savoir, une volonté résolue, une manière de faire ou de s’abstenir pondérée, d’autant plus que les sujets auxquels ils consacrent leurs soins ne se trouvent pas dans les conditions normales de vie. Nous Nous arrêterons aujourd’hui à l’examen des dispositions d’ordre intellectuel nécessaires à votre service. Pour les subordonnés et les simples exécutants, on peut se contenter d’un savoir commun, d’un bon sens ordinaire, mais on a le droit de réclamer bien autre chose des dirigeants. En particulier, il importe que ceux-ci aient des idées justes sur les trois points suivants :

A. La dépendance nécessaire qui unit la peine à la faute.

B. La signification de la souffrance dans la peine.

C. Le sens et le but de la peine.

A) La dépendance qui unit la peine à la faute

Il s’agit par-dessus tout de comprendre clairement la relation qui fait dépendre la peine de la faute, puisque seule la conviction que le prisonnier est un coupable peut fournir une base indispensable et sûre pour toute autre considération subséquente. L’accomplissement de la peine ne peut être compris dans sa réalité objective ni être admis subjectivement si l’on ne tient pas compte de son rapport immanent avec la faute dont il procède. Il peut se produire que, de deux actes antérieurs spécifiquement identiques, l’un constitue une faute pleinement coupable, et l’autre n’implique aucune responsabilité en celui qui l’accomplit. Donc, le jugement et le traitement du fait et de son auteur devront être dans les deux cas essentiellement différents sous l’aspect psychologique, juridique, moral et religieux.

Il y a actuellement deux tendances différentes dans la détermination de la culpabilité : l’une - qui n’est pas aujourd’hui prédominante - est portée à l’admettre trop facilement ; l’autre la nie sans raisons suffisantes, et celle-ci acquiert en certains milieux une vogue parfois inquiétante.

Dans l’application de la peine, il n’y a pas à reprendre, pour la discuter, la question de la culpabilité, car celle-ci appartient au tribunal chargé du procès. Cependant, les personnes qui se consacrent à l’assistance du détenu ne peuvent se dispenser d’y penser, parce que c’est d’elle que dépendent leur attitude et l’efficacité de leur intervention.

A l’égard des deux courants d’idées que nous venons de mentionner, elles se maintiendront dans une attitude impartiale et réservée.

Ceux qui croient trop facilement à la culpabilité oublient qu’il ne suffit plus maintenant de tenir compte des circonstances atténuantes traditionnelles, dictées par la jurisprudence et par la morale naturelle et chrétienne. Il faut prendre encore en considération les éléments mis en valeur récemment par la psychologie scientifique et qui permettent, en certains cas, de reconnaître une diminution notable de la responsabilité.

L’autre tendance se base précisément sur les éléments de cette même psychologie moderne, pour affirmer que les possibilités pratiques de libre détermination, et donc la vraie responsabilité d’un grand nombre d’hommes, se réduisent à un strict minimum.

Devant cette généralisation sans fondement, on peut affirmer, aussi bien du point de vue juridique que du point de vue moral, dans la vie pratique comme dans l’expérience scientifique, que la moyenne des hommes et même leur grande majorité ont non seulement la capacité naturelle, mais aussi, d’une façon concrète, la possibilité de prendre une résolution autonome et de régler leur conduite personnelle - sauf preuve contraire dans certains cas - et, dès lors, ils peuvent contracter des obligations et des responsabilités. C’est pourquoi la morale et le droit ne s’immobilisent pas dans une attitude surannée, lorsqu’ils affirment qu’il faut démontrer où cesse la liberté et non où elle commence. La saine raison et même le bon sens se dressent contre un pareil déterminisme de fait qui réduirait au minimum la liberté et la responsabilité ; la pratique du droit, la vie sociale et la révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament en apportent amplement la confirmation.

B) Signification de la souffrance dans la peine

En second lieu, vous devez bien comprendre le sens de la souffrance à laquelle est soumis le coupable, à cause de sa faute.

Même si les souffrances d’un malade ou d’un innocent, et celles d’un condamné, présentent extérieurement des caractères semblables, elles ont cependant un sens essentiellement diffé­rent. Le malade ne doit pas souffrir, et c’est pourquoi on cherche à adoucir ses souffrances dans la mesure du possible ; le condamné, au contraire - il est pénible de le dire -, doit souffrir, et la peine lui est imposée dans des buts déterminés.

Il est bien compréhensible que ceux qui visitent les détenus pour les aider et les encourager soient désireux de leur enlever les souffrances que comporte l’accomplissement de la peine, mais cette intention ne correspond pas à celle des autorités chargées de l’application de la peine ou des personnes responsables de l’assistance aux prisonniers. Sur ce point, une connaissance approfondie de la question peut apporter des indications utiles. Il ne s’agit pas du tout de prendre une attitude froide et insensibles mais plutôt de trouver le juste milieu et d’éviter tout écart dans l’un ou l’autre sens, D’ailleurs, la seule démonstration faite au condamné qu’on considère ses peines et que néanmoins la société n’est pas son ennemie irréductible, constitue un baume à sa souffrance.

C) Le sens et le but de la peine

Enfin, vous devez connaître le sens et le but de la peine. C’est un sujet que Nous avons traité amplement dans des allocutions précédentes. Sans répéter ce que Nous disions alors, Nous voudrions vous inviter à réfléchir sur le fait que « Dieu punit », comme il ressort clairement de la Révélation, de l’histoire et de la vie.

Quel est le sens de ce châtiment divin ? L’apôtre Paul le laisse entendre, lorsqu’il s’écrie : « Ce que chacun aura semé, il le. moissonnera. » (Galat., VI, 8.) L’homme qui sème la faute récolte le châtiment. Le châtiment de Dieu est la réponse aux péchés des hommes.

Vous direz peut-être que vous connaissez bien et acceptez les enseignements de la religion et de la morale en cette matière, mais que vous êtes forcés de voir la peine sous un autre jour, et que vous devez la discuter sur un autre plan, c’est-à-dire comme une mesure prise par l’autorité publique à l’égard du coupable qui a violé le droit positif, droit par lequel l’État entend défendre l’ordre de la vie sociale. Et c’est juste : l’aspect juridique et positif conserve son caractère propre et distinct du caractère moral et religieux. Sans doute, la peine peut être considérée comme une application du droit humain, aussi bien que du droit divin. Mais il est également vrai et même plus vrai, que l’aspect juridique n’est plus désormais un concept purement abstrait complètement détaché de toute relation avec l’aspect moral.

Tout droit humain, en effet, digne de ce nom, trouve finalement son vrai fondement dans le droit divin ; ce qui ne comporte ni diminution ni limitation, mais plutôt une augmentation de sa force et de sa stabilité.

Quels sont donc le sens et le but de la peine portée par Dieu ? En premier lieu, et essentiellement, elle est la réparation de la faute et le rétablissement de l’ordre violé. En commettant le péché, l’homme se soustrait aux préceptes divins et oppose sa volonté à celle de Dieu. Dans cet affrontement personnel, l’homme se préfère lui-même et repousse Dieu. Dans le châtiment persiste l’affrontement entre les deux mêmes personnes, Dieu et l’homme, entre les mêmes volontés ; mais maintenant, en imposant à la volonté du rebelle la souffrance, Dieu le contraint à se soumettre à sa volonté, à la loi et au droit du Créateur, et à restaurer ainsi l’ordre violé. Ceci ne rend cependant pas complètement compte du sens du châtiment divin, du moins dans ce monde et pour la durée de la vie terrestre. Il a encore d’autres buts, qui sont même, en partie, prépondérants.

Souvent, en effet, les peines voulues par Dieu sont plutôt un remède qu’un moyen d’expiation, plutôt des peines médicinales que des peines vindicatives. Elles apprennent au coupable à réfléchir sur sa faute et sur le désordre de ses actions et l’amènent à s’en détacher et à se convertir.

De cette façon, en subissant la peine infligée par Dieu, l’homme se purifie intimement, raffermit les dispositions de sa volonté renouvelée de tendre vers le bien et la justice. Dans le champ social, l’acceptation de la peine contribue à la rééducation du coupable, le rend plus apte à s’insérer de nouveau comme membre utile dans la communauté des hommes, contre laquelle son délit l’avait mis en révolte.

Il resterait encore à considérer le rôle équivalent de la peine dans le droit humain, par analogie avec ce que Nous avons exposé au sujet du châtiment divin. Mais cette transposition, vous pouvez l’accomplir facilement, puisque vous êtes juristes et que ces pensées vous sont familières. D’autre part, Nous avons déjà suffisamment attiré votre attention sur les rapports qui s’établissent nécessairement entre les deux ordres.

II. — L’AIDE A CEUX QUI SUBISSENT LEUR PEINE

Votre Association porte les titres d’« Aide chrétienne fraternelle » et d’« Amis des prisonniers » qui expriment bien ses intentions. Mais les condamnés qui ont besoin d’aide ne sont pas seulement les prisonniers. La justice pénale du passé, celle du présent et, en une certaine mesure même, celle de demain - s’il est vrai que l’histoire enseigne en beaucoup de choses à prévoir ce que sera l’avenir, - connaissent des peines de souffrances physiques, de mutilations, de mort et d’exécutions capitales de formes diverses. C’est pourquoi, ce que Nous Nous proposons de vous dire maintenant à propos de l’aide aux prisonniers, Nous voudrions l’étendre, dans ses idées fondamentales, à tous ceux qui se sont vu infliger une peine, en les considérant sous un double aspect, comme individus et comme membres de la communauté.

A) Comme individus

En tant qu’individus, vous devez connaître les prisonniers et les aimer.

a) Les connaître.

Surtout les connaître. Pour aider les prisonniers, il est en effet indispensable d’avoir avec eux un contact d’âme à âme, ce qui suppose la compréhension d’autrui en tant que personne individualisée par son origine, par sa formation, par le déroulement de sa vie, jusqu’au moment où vous la rencontrez dans sa cellule.

Dans ce but, vous inviterez les prisonniers à scruter leurs souvenirs pour vous donner toutes les informations utiles, à la façon du médecin qui, désireux de connaître la personne du malade et son état physique, le prie de rappeler à sa mémoire tout ce qui dans le passé offre quelque élément intéressant. C’est ce qui s’appelle l’anamnèse. Il arrive fréquemment que les malades - comme les condamnés et les prisonniers - rappellent des choses en soi dépourvues d’importance, tout en taisant ou en faisant connaître seulement rapidement et incidemment d’autres, qui fourniraient au contraire des indications essentielles pour l’étiologie, la diagnose et la prognose du mal. Dans ce cas, le médecin ne commence pas avec le patient une discussion théorique ou technique, mais corrige les appréciations fausses ou inexactes dans la mesure où cela est utile pour le soin du malade et pour améliorer sa conduite future.

Il ne suffit donc pas de comprendre le prisonnier et son état, mais il faut aussi l’amener à connaître et à comprendre lui-même les principes qui devront présider à son redressement. L’idée fondamentale qui doit guider le détenu dans son effort de relèvement est la persuasion qu’il peut effacer les erreurs du passé et se mettre à réformer et à refaire sa vie ; que le châtiment présent peut l’aider à réaliser ces deux buts, et qu’il lui sera un réel soutien s’il se résout à avoir à l’égard de la souffrance une attitude juste, c’est-à-dire à lui donner le sens de l’expiation et du retour à l’ordre.

Cependant, quelle que soit la valeur des services que la psychologie moderne peut rendre en cette matière, sa contribution demeure toujours insuffisante, car les idées de devoir, de responsabilité, d’expiation sont des réalités enracinées dans le champ de la conscience et elles doivent être en conséquence traitées du point de vue religieux. Aussi, pour délivrer intérieurement l’homme du sentiment de la culpabilité et l’aider à se racheter, en acceptant le châtiment imposé, il est essentiel de le mettre en contact immédiat avec Dieu. C’est pourquoi Nous Nous sommes particulièrement appliqué à démontrer que la faute et la peine n’acquièrent tout leur sens que dans les relations personnelles entre l’homme et Dieu.

b) Les aimer.

Il faut ensuite les aimer. Pour aider réellement le prisonnier, il faut aller vers lui non seulement avec des idées justes, mais encore, et peut-être davantage, avec le cœur, particulièrement s’il s’agit de créatures malheureuses, qui peut-être jamais, même au sein de leur famille, n’ont goûté les douceurs d’une sincère amitié. Vous suivrez ainsi l’exemple du modèle même de l’amour compréhensif et dévoué sans limites, celui de la mère. Ce qui donne à la mère une telle influence sur ses enfants, même adultes, même s’ils sont égarés et coupables, ce ne sont pas tant les idées, si justes qu’elles soient, qu’elle leur propose, mais la chaleur de son affection et le don constant d’elle-même, qui ne se fatigue jamais, même si elle rencontre un refus ; elle sait, au contraire, patienter et attendre, en se tournant vers Celui à qui rien n’est impossible. C’est le langage de « l’amour », qui est compris dans toutes les langues du monde, et qui ne soulève ni discussion ni contradiction ; l’amour dont l’apôtre Paul a chanté les louanges dans son Hymne à la charité, de la première Lettre aux Corinthiens (I Cor., XIII, 1-13). Mais, si profond et si pur qu’il soit, cet amour n’admet aucune approbation du mal commis dans le passé, pas plus qu’il n’encourage les mauvaises dispositions volontaires qui pourraient encore durer et n’admet dans l’être aimé de compromis entre le bien et le mal. Même l’amour maternel idéal ne connaît d’autre règle que celle-là.

Combien est vaste en sentiments et en actes la gamme de l’amour. Nous en rappelons les différentes formes selon la sagesse antique. Il peut être un amour de complaisance, de bienveillance, de bienfaisance, d’union et d’amitié. Toutes ces formes, vous pouvez les appliquer aux prisonniers, selon les conditions concrètes et dans la mesure de la générosité de votre cœur.

L’amour de complaisanceadmire et trouve sa joie en tout ce que son objet possède de bon et de beau. Et combien de motifs peuvent justifier une telle affection en celui qui considère dans le prisonnier les qualités naturelles et les dons de la grâce, soit dans leur forme commune et générale, soit dans leur caractère individuel.

L’amour de bienveillanceveut consciemment et souhaite à la personne aimée tout ce qui lui est nécessaire et profitable dans l’ordre naturel et surnaturel, et sa manifestation sincère fait tant de bien à celui qui se voit privé de tant de choses, s’estime pour ainsi dire mutilé dans son être, comme un homme fini, à qui ne sourit aucune espérance.

L’amour de bienfaisancedonne volontiers non seulement les biens matériels, même s’il n’en dispose que d’une manière restreinte, mais surtout les biens de l’esprit. Vous les prodiguerez si vous possédez une vie intérieure riche et profonde, imprégnée des plus hautes valeurs de la culture et de la religion.

Enfin, l’amour d’union et d’amitié. Les personnes qui s’aiment de cette sorte veulent être ensemble, se communiquer mutuellement pensées et sentiments, se mettre en quelque sorte l’une à la place de l’autre. Le Seigneur ne s’écriera-t-il pas un jour comme Juge suprême au dernier jugement : « J’étais en prison et vous êtes venus à moi... Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ? (Matth., XXV, 36-40.) Comme s’il avait voulu dire : « Le prisonnier, c’est moi. » Soyez persuadés que, si vous réussissiez à mettre en pratique cette façon de penser et de sentir, vous exerceriez la plus grande influence spirituelle sur les prisonniers que vous assistez ; vous leur enseigneriez efficacement à trouver, dans la peine qui les frappe, la purification, la libération et le raffermissement intime.

B) Comme membres de la communauté

Le prisonnier n’est pas seulement un individu, mais encore un membre de la société. Il appartient à une famille, à la communauté sociale, professionnelle, civile, à un État, à un peuple, a une nation et, finalement, à l’Église.

Et alors, la question se pose de savoir si les dirigeants de l’assistance aux prisonniers peuvent et doivent essayer d’exercer une influence sur les rapports mutuels entre les détenus et ces diverses communautés.

En principe, la réponse doit être affirmative dans la mesure où elle affecte la communauté et le prisonnier. Même si celui-ci, pour le moment, n’a aucun contact actif avec aucun de ces groupes, il conserve cependant avec eux au moins un lien juridique ou purement social. Il importe que ces rapports se développent d’une manière constructive et n’entravent pas un plus grand bien. Votre intervention peut donc devenir nécessaire, souvent même avant que la peine soit entièrement subie, elle s’exercera sur les rapports du détenu avec sa famille, avec les groupements professionnels et sociaux, au milieu desquels il vivra après sa libération et avec les autorités auxquelles il sera soumis.

Quant aux attitudes concrètes à prendre, la réflexion basée sur les principes de la raison naturelle, et encore plus sur les maximes et les sentiments inspirés par la foi et la charité chrétiennes, vous donneront les règles à suivre et vous permettront d’attendre des résultats positifs dans l’intérêt de la communauté et du prisonnier.

Ces règles, dictées par la raison humaine, mais beaucoup plus par la foi chrétienne, exigent :

a) un pardon sincère ;

b) croire au bien qui pose  trouve chez les autres ;

c) aimer comme a aimé le Seigneur.

a) Pardon sincère.

Par-dessus tout, il faut un pardon sincère que les individus s’accorderont mutuellement, mais que la société elle-même ne refusera pas à l’individu. Ne bénéficions-nous pas tous du pardon de Dieu, qui a enseigné à tous de prier ainsi : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » ? (Matth, VI, 12.) Averti par l’enseignement divin, l’apôtre Paul, qui s’était montré inflexible en exigeant une condamnation sévère pour l’égaré de Corinthe, se montra prêt à solliciter pour lui, après sa conversion un généreux pardon : « C’est assez pour cet homme du châtiment qui lui a été infligé par la plupart d’entre vous, écrivait-il aux chrétiens de Corinthe, aussi vaut-il mieux maintenant lui pardonner et le consoler pour qu’il ne succombe pas à une tristesse excessive » (II Cor., II, 6-7).

b) Croire au bien dans les autres

Et en second lieu, il faut croire au bien qui se trouve dans les autres et avoir confiance en eux. La défiance dessèche tout germe de bonté, et en élevant comme un mur de noire séparation entre votre cœur et le leur, empêche la formation de rapports amicaux. Que votre oeuvre d’assistance soit semblable à celle de Dieu qui connaît les dons de nature et de grâce qu’il a accordés à chaque homme et fonde sur eux son action. Lorsque l’enfant prodigue revint vers lui, son père ne voulut pas le recevoir comme un serviteur, mais comme un enfant de la maison, malgré l’indignation et les récriminations du frère aîné (Luc, XV, 22 s.). Le reniement de saint Pierre n’obscurcit point son réel amour aux yeux du Seigneur qui lui confia tout son troupeau (cf. Jean, XXI, 15-17).

c) Aimer comme le Seigneur a aimé.

En troisième lieu, il faut aimer comme le Seigneur a aimé. « Si le Seigneur a donné sa vie pour nous, écrit l’apôtre Jean, nous aussi nous devons la donner pour nos frères » (1 Jean, III, 16.). L’amour du prochain se manifeste non seulement d’homme à homme, mais encore entre la communauté et chacun de ses membres. Cet amour protégera celui qui revient contre les périls qui l’attendent ; s’il risque de céder à sa faiblesse, il le fortifiera, lui procurera aussi les moyens dont il a besoin pour pouvoir se mettre au travail dans la communauté comme un de ses membres actifs.

III. — LE SOIN DES PRISONNIERS AUX YEUX DE DIEU

Après avoir donné ainsi un regard à votre champ d’action, Nous pouvons conclure en Nous représentant la manière dont on peut croire que Dieu lui-même le considère.

En premier lieu, il le voit en tout ce que sa réalité peut avoir d’austère. Il contemple la faute du prisonnier pour laquelle une pleine satisfaction est requise. Sous cet aspect, la peine correspond à la faute, la souffrance frappe l’homme comme un châtiment.

Mais, entre l’inexorable exigence de la satisfaction et l’inévitable châtiment, Dieu lui-même a interposé sa miséricorde dans l’œuvre rédemptrice de son divin Fils: De cette façon, la justice reçoit une très large satisfaction et la miséricorde rend possible un pardon surabondant. Tel est le sens des paroles de saint Jean « Mes petits enfants, je vous écris ces choses, afin que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un a péché, nous avons un intercesseur auprès du Père, Jésus-Christ, le Juste. Il est, lui, expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (I Jean, II, 1-2).

C’est ce que le Seigneur enseigne; quand il descend au milieu des hommes pour prendre sur lui-même leur faute et leur châtiment. Voyez-le s’asseoir à la table des pécheurs : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc, XIX, 10.) Écoutez ses paroles au paralytique : « Tes péchés te sont remis » (Luc, V, 20), ou celles qu’il adresse à Simon, parlant de la pécheresse qui baisait et oignait ses pieds : « Ses nombreux péchés ont été pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc, VII, 47). Lorsque le Seigneur mourant s’adresse au larron qui, repentant, expie ses fautes, il ne le fait pas descendre de la croix et n’empêche pas qu’on lui brise les membres, mais il lui dit une parole de lumière, de réconfort et d’encouragement : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Luc, XXIII, 43).

Voilà comment le Seigneur entend que vous aidiez les prisonniers. En faisant revivre dans leurs cœurs la certitude de ces hautes vérités, vous leur direz les mêmes paroles qui éclairent, consolent et encouragent : « Ta souffrance te donne la purification, le courage et la plus grande espérance d’arriver heureusement au but, aux portes du ciel, où ne mène point la voie large du péché. Tu seras avec Dieu au paradis ; il suffit que tu te confies à lui et à ton Sauveur ».

CONCLUSION

Puisse Notre Exhortation vous faire mieux comprendre la beauté de votre travail et vous exciter à l’aimer plus profondément, afin que vous puissiez l’accomplir avec une ardeur incessante et infatigable.

Comme gage des grâces divines que Nous invoquons sur vous et sur vos protégés, Nous vous accordons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.

Signe de fin