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L’OPPOSITION À L’EXÉCUTION
DE TRAVAUX PUBLICS

Extrait du « TRAITÉ DE DROIT PÉNAL SPÉCIAL »
de André VITU
( Éd. Cujas, Paris 1982 )

L’article 438 du Code pénal de 1810 disposait :
Quiconque, par des voies de fait, se sera opposé
à la confection de travaux autorisés par le Gouvernement
sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans,
et d’une amende qui ne pourra excéder le quart
des dommages-intérêts ni être au-dessous.

L’article 433-11 du Code pénal de 1993, modifié
par une ordonnance du 19-09-2000, énonce :
Le fait de s'opposer, par voies de fait ou violences,
à l'exécution de travaux publics ou d'utilité publique
est puni d'un an d'emprisonnement
et de 15000 euros d'amende.

Ces deux textes ne diffèrent guère quant au fond ;
aussi l’analyse donnée par M le Professeur Vitu
mérite-t-elle toujours d’être consultée.

455 - Les dispositions du Code pénal. - Par ces dispositions, le législateur a voulu donner aux autorités pénales une arme efficace contre les personnes qui entendent faire obstacle à des travaux de toute sorte entrepris par l’administration dans l’intérêt public. Le bien juridique que la loi entend garantir, par l’article 438 [433-11], est donc la liberté d’action de l’autorité publique dans la conduite et la réalisation des travaux utiles à la collectivité. La pratique révèle effectivement que, dans un intérêt souvent mal compris et à des fins égoïstes, de simples citoyens se dressent parfois avec violence contre l’exécution de ces travaux : on cite souvent, à cet égard, les difficultés auxquelles ont donné lieu, à des époques récentes, les opérations de remembrement dans les communes agricoles.

Trois éléments constitutifs coexistent dans la structure de l’infraction réprimée par l’article 438 [433-11] : les travaux protégés, les agissements imputés au coupable et l’intention qui anime ce dernier.

456 - Les travaux protégés par la loi. – En utilisant l’expression « travaux autorisés par le gouvernement », la loi a entendu viser, en fait, ce que le droit administratif appelle plus couramment les « travaux publics », qui sont effectués sur des immeubles pour le compte de l’administration ou d’un service public et dans un intérêt général ; c’est pour des travaux de ce type que le droit administratif a posé des règles juridiques particulières qui permettent d’assurer la prééminence des intérêts de la collectivité sur ceux des simples citoyens. Bien qu’elle n’emploie pas elle-même l’expression « travaux publics » et qu’elle reste fidèle à la formule dont se sert la loi, la Cour de cassation retient en réalité toutes les conséquences qui découlent de la définition qui vient d’être donnée.

La Chambre criminelle considère en effet que la nature des travaux dont il s’agit doit être entendue largement. Peu importe, par exemple, que ceux-ci soient accomplis pour le compte de l’État ou d’une autre collectivité publique (département, commune...) dès lors qu’ils ont été autorisés par le gouvernement, en pratique par l’autorité de tutelle en la personne du préfet (Cass.crim. 30 avril 1974, Bull.crim. n°155 p.398). Peu importe encore qu’il s’agisse de travaux de démolition ou de construction, de travaux préparatoires à des travaux publics futurs (par exemple des levés de plan, ou des piquetages délimitant l’emprise des ouvrages qui seront exécutés ultérieurement), de l’exécution proprement dite ou simplement de la prise de matériaux sur un terrain privé en vue de ces travaux. Peu importe enfin la qualité de l’exécutant de ces ouvrages publics (l’État ou la collectivité agissant par ses propres agents, ou un entrepreneur privé), et leur nature exacte (construction d’une autoroute, d’une voie ferrée, d’un canal d’irrigation, d’un pylône destiné à une ligne électrique, d’un bâtiment pour loger des services administratif). Il doit donc s’agir de travaux au sens propre du terme, et pas seulement d’activités d’entretien de bâtiments ou d’installations existantes (Cass.crim. 23 juin 1955, Bull.crim. n° 316).

Mais, malgré son ampleur, la notion de travaux publics ne saurait couvrir des constructions entreprises par un particulier dans son intérêt personnel, même s’il bénéficie à cette fin d’une autorisation délivrée par l’administration.

457 - Le problème de l’irrégularité entachant les travaux publics. – Très délicate est la question souvent soulevée, pour leur défense, par les individus poursuivis en application de l’article 438 [433-11]et tirée de l’illégalité des travaux entrepris. Ils allèguent par exemple que l’autorisation préalable a été donnée par un fonctionnaire incompétent ou sans les formes imposées par la loi, ou encore que l’entrepreneur chargé des travaux a outrepassé les limites de l’emprise prévue. Les voies de fait qu’on leur impute ne seraient, soutiennent-ils, qu’une résistance naturelle à un abus caractérisé de l’administration : il serait donc légitime de se défendre contre les empiètements de certains fonctionnaires qui croient pouvoir faire plier à leur gré toutes les volontés privées, parce qu’eux-mêmes sont investis d’une portion, même infime, de l’autorité publique.

À cette thèse qu’on trouve reprise, en ces termes ou en des termes différents, par la plupart des auteurs, la Cour de cassation, fidèle au point de vue qu’elle a défendu avec force à d’autres occasions, notamment en matière de rébellion (supra, n° 405), oppose qu’il n’appartient pas aux simples citoyens de s’ériger en juges de la légalité des décisions de l’autorité : il leur incombe seulement d’user des voies de droit instituées par la loi, soit pour obtenir l’arrêt ou la suppression des travaux qu’ils disent illégalement entrepris, soit pour réclamer l’indemnisation du préjudice qu’ils auraient subi du fait des travaux (Cass.crim. 30 avril 1974, ci-dessus).

Le prévenu ne saurait donc être justifié, dans cette conception, au prétexte qu’il serait le vrai propriétaire de la parcelle de terrain sur laquelle les travaux sont exécutés, ou qu’il a sur cette parcelle un droit de jouissance dont ces travaux le privent, ou qu’il n’a pas reçu l’indemnité d’expropriation qui lui a été accordée. Il ne saurait pas plus être déclaré non punissable au motif que la décision prescrivant les travaux n’a pas été régulièrement publiée ou notifiée, ou que quelque irrégularité s’est glissée dans la procédure qui a abouti à l’autorisation de ces ouvrages (Cass.crim. 30 avril 1974, ci-dessus).

Mais cette solution ne pourrait plus être admise s’il n’existe aucune autorisation officielle : l’ouvrage entrepris ne peut plus à aucun titre, être qualifié de travail public et l’opposition à ce travail ne saurait être regardée comme une rébellion justiciable de l’article 438 (Nancy 10 juin 1885, S. 1887-2-215). Il faudrait également retenir la même solution dans le cas où l’entrepreneur ou les ouvriers chargés de l’exécution méconnaîtraient volontairement et gravement les limites de l’autorisation accordée.

458 - Les voies de fait imputées au prévenu. Les agissements qu’on reproche au coupable ne consistent pas dans le fait d’avoir interrompu les travaux en cours d’exécution, mais seulement de s’y être opposé ; autrement dit, l’infraction est consommée et le prévenu punissable dès que se manifeste cette forme particulière de rébellion qu’est l’opposition à l’ouvrage public. Peu importe, dès lors, que l’article 438 [433-11] ait omis de prévoir la répression de la tentative ; une telle prévision n’aurait eu d’utilité que si le législateur avait subordonné l’accomplissement du délit à l’arrêt effectif des travaux en raison des violences exercées.

Le texte n’incrimine pas n’importe quelle sorte d’opposition. Il ne punit évidemment pas l’usage des voies légales pour obtenir la suspension des travaux en cours ; il ne retient pas non plus le simple refus de consentir aux travaux, émané du propriétaire sur le terrain de qui ces travaux doivent être effectués, ni même des attitudes plus agressives comme le seraient les menaces dirigées contre les ouvriers chargés de l’ouvrage (1). L’article 438 [433-11] ne s’applique que si le prévenu a exercé des voies de fait, expression qu’il faut comprendre comme englobant, à côté des coups et blessures infligés aux exécutants, les attitudes ou les gestes violents de nature à impressionner gravement ces derniers et à les contraindre à quitter les lieux ou à les empêcher de gagner les lieux de travail.

La doctrine la plus autorisée admet même que les voies de fait recouvrent aussi les violences exercées sur les choses (comblement de tranchées, arrachage de piquets, destruction de matériel) ; la solution serait donc, pour l’article 438 [433-11], différente de celle qui a prévalu pour l’interprétation de l’article 414 du Code pénal de 1810 qui réprime les entraves à la liberté du travail.

(1) Cass.crim. 8 octobre 1997 (D. 2000 somm. 113) : Ne met pas la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision, la Cour d’appel qui, dans des poursuites pour opposition par voies de fait ou violences à l’exécution de travaux d’utilité publique commises à plusieurs, ne recherche pas si le prévenu s’est, par son fait personnel, volontairement opposé à l’exécution des travaux.

459 - L’intention coupable. Avec Garçon, on doit analyser l’intention qui anime le prévenu comme la volonté de s’opposer à des travaux, les sachant autorisés par le gouvernement, et en vue d’en empêcher la continuation ; l’élément moral du délit comporte donc un dolus specialis.

De là, il résulte que l’intention fait défaut si les voies de fait sont commises involontairement (blessures par imprudence infligées à un ouvrier, dommage causé par maladresse à un engin travaillant sur le chantier...), – ou si, même en agissant volontairement, le coupable ignorait qu’il s’agissait de travaux autorisés par le gouvernement. En revanche, le délit de l’article 438 [433-11] sera consommé si l’interruption des travaux, non spécialement voulue par l’auteur des voies de fait, était cependant prévisible et aurait dû être évitée par celui-ci.

Selon le droit commun, les mobiles des agissements reprochés sont indifférents: le coupable qui a entendu protéger ses propres biens contre ce qu’il appelle une spoliation, ou qui a voulu « donner une leçon » à un fonctionnaire qu’il prétend poussé par l’autoritarisme, ou qui invoque une doctrine de protection de l’environnement contre les projets de l’administration, ressortira dans tous les cas à l’application de l’article 438 [433-11] du Code pénal.

Signe de fin