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LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
ORALE OU ÉCRITE

1° Ésope - 2° Milton - 3° Vitu

Qu’elle soit orale ou écrite, la parole
apparaît tantôt bénéfique tantôt maléfique.
C’est ce qu’a malicieusement démontré Ésope
dans le premier des textes ci-dessous.

Se pose dès lors la question de savoir si,
en considération de la sécurité et de l’ordre publics,
un discours ou un écrit peuvent être prononcés librement
ou seulement après autorisation des autorités.

En 1644, faisant confiance au sens critique des lecteurs,
John Milton prit courageusement parti en faveur
de la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure,
comme nous pouvons le voir dans le second extrait.
Mais on ne saurait négliger le fait que certains abuseront
du droit de s’exprimer pour diffuser des mensonges,
voire pour tenir des propos susceptibles de troubler
la paix sociale et de provoquer des troubles.

Voici pourquoi il apparaît nécessaire d’édicter
une police des propos écrits ou oraux
qui sont diffusés ou prononcés en public.
C’est à cette fin que répond la loi française
du 29 juillet 1881, dite Loi sur la liberté de la presse.
Le professeur Vitu en a dégagé les principes généraux.

UNE PARABOLE D’ÉSOPE

(Préface des Fables de La Fontaine, par A. Gazier, éd. Armand Colin 1917)

Un certain jour de marché, Xantus, qui avait dessein de régaler quelques-uns de ses amis, commanda à Ésope, qui était son esclave, d’acheter ce qu’il y aurait de meilleur, et rien d’autre.

Je t’apprendrai, dit en soi-même le Phrygien, à spécifier ce que tu souhaites, sans t’en remettre à la discrétion d’un esclave.

Il n’acheta donc que des langues, lesquelles il fit accommoder à toutes les sauces : l’entrée, le premier et le second services, l’entremets, tout ne fut que de langues. Les conviés louèrent d’abord le choix de ce mets ; à la fin ils s’en dégoûtèrent.

– Ne t’ai-je pas commandé, dit Xantus, d’acheter ce qu’il y aurait de meilleur ?

– Eh ! qu’y a-t-il de meilleur que la langue, reprit Ésope. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l’organe de la vérité et de la raison : par elle on bâtit les villes et on les police, on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées, on s’acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les dieux.

– Eh bien ! dit Xantus qui prétendait l’attraper, achète-moi demain ce qui est de pire : ces mêmes personnes viendront chez moi ; et je veux diversifier

Le lendemain, Ésope ne fit encore que servir le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde :

– C’est la mère de tous débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Si on dit qu’elle est l’organe de la vérité, c’est aussi celui de l’erreur et, qui pis est, de la calomnie. Par elle on détruit les villes, on persuade de méchantes choses. Si d’un côté elle loue les dieux, de l’autre elle profère des blasphèmes contre leur puissance.

Quelqu’un de la compagnie dit à Xantus que ce valet lui était fort nécessaire ; car il savait le mieux du monde exercer la patience d’un philosophe.

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LE PLAIDOYER DE MILTON

Extrait de l’« AREOPAGITICA »,
« Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure »
( 1ère éd. 1644 - Traduction Lutaud, éd. Aubier 1956 )

Que penser, en général, de la lecture de Livres de toutes sortes, et quel effet l’emporte, profitable ou nocif.

Je ne m’étendrai pas sur les exemples de Moise, de Daniel et de Paul, experts en toutes sciences Égyptiennes, Chaldéennes et Grecques, ce qui impliquait probablement la lecture de tous leurs genres de Livres ; surtout chez Paul, qui ne croyait pas profaner l’Écriture sainte en y insérant les maximes de trois Poètes Grecs, dont l’un était même auteur Tragique ; et pourtant la question fut parfois débattue parmi les Docteurs de la Primitive église, non sans que la balance penchât nettement vers ceux qui déclaraient la chose à la fois légitime et utile : ce qui apparut avec évidence lorsque, par un décret, Julien l’Apostat, le plus astucieux ennemi de notre foi, interdit aux Chrétiens l’étude de la culture du paganisme : « Car ils nous blessent, disait-il, par nos propres armes; par nos arts, nos sciences, ils triomphent de nous ».

De fait, les Chrétiens furent réduits à leurs dernières ressources par cette mesure ingénieuse, et risquèrent de tomber dans l’ignorance complète : à tel point que les deux Apollinaire furent trop heureux de forger, si l’on peut dire, les sept Arts libéraux à partir du métal de la Bible, la ramenant à divers aspects du Discours, de la Poésie, du Dialogue philosophique, jusqu’à en adapter une nouvelle Grammaire Chrétienne. Mais Socrate l’Historien ajoute : « Dieu en sa providence pourvut à leur besoin mieux que le zèle d’Apollinaire et de son fils : il supprima cette loi d’ignorance avec la vie de son inventeur ». Voilà jusqu’à quel point l’on estimait alors nuisible d’être privé de la culture Grecque ; on y voyait une persécution plus propre à saper, à sourdement ruiner l’Église que la franche cruauté de Dèce ou de Dioclétien. Peut-être le même rusé propos amena-t-il le Diable à fouetter Saint Jérôme en un rêve de carême, pour sa lecture de Cicéron ; ou n’était-ce qu’hallucination, née de la fièvre qui s’était alors emparée du Saint ?

C’est au point que Basile enseigne quel bon usage on peut extraire du Margites, Poème badin et Homérique, aujourd’hui disparu; en ce cas, pourquoi pas du Morgante, épopée Romanesque Italienne d’intention fort semblable ? Mais s’il est admis que par des visions nous serons éprouvés, il en est une que nous rapporte Eusèbe, fort antérieure à ce récit de Jérôme à la Religieuse Eustochium, et où la fièvre, en outre, ne joue aucun rôle. Aux environs de l’an 240, Denys d’Alexandrie, célèbre en l’Église par sa piété et son savoir, avait pris l’habitude de tirer grand profit contre les hérétiques de sa connaissance approfondie de leurs Ouvrages : jusqu’au jour où certain Presbytre lui fit un cas de conscience d’oser ainsi se risquer en ces volumes corrupteurs. Le digne homme, répugnant à être objet de scandale, fut en proie à de nouvelles perplexités, se demandant qu’en penser ; quand soudain une vision venue de Dieu (c’est lui qui l’affirme en sa Lettre) l’approuva en ces termes : « Lis tous livres qui te tomberont entre les mains : car tu es apte à la fois à bien juger et à examiner chaque sujet traité ». Il nous avoue qu’il admit cette révélation d’autant plus volontiers qu’elle corroborait celle de l’Apôtre aux Thessaloniciens : « Mettez tout à l’épreuve, retenez ce qui est bon ». Il aurait pu ajouter une autre parole frappante du même Auteur : « Aux purs tout est pur », non seulement la nourriture et la boisson, mais toute connaissance, du bien comme du mal : la connaissance ne saurait corrompre, ni par conséquent les livres, si la volonté et la conscience ne sont pas corrompues.

Car il en est des livres comme des aliments et de la nourriture ; certains sont de bonne, d’autres de mauvaise qualité. Des aliments sains pour un estomac vicié ne diffèrent pratiquement pas d’aliments malsains ; et d’excellents livres, pour un esprit sans valeur, ne sont pas sans offrir des occasions de mal faire. Mais tandis que de mauvais aliments ne fourniront guère de bonne nourriture, si saine qu’en soit la digestion, – de mauvais livres, et c’est là toute la différence, servent à bien des égards pour un lecteur avisé et judicieux à découvrir et à réfuter, à prévenir et à éclairer. De cela quel meilleur témoin pouvez-vous vous attendre à me voir produire que l’un des vôtres, siégeant en ce moment au Parlement, Mr. Selden : son renom le place à la tête des savants de notre pays ; en son ouvrage traitant du droit naturel et du droit des gens, il démontre, non seulement par la réunion de grandes autorités mais par des raisons soigneusement recherchées, par des propositions presque mathématiquement révélatrices, que toutes les opinions, voire toutes les erreurs, sont, – une fois connues, lues et comparées, – d’une utilité et d’un secours essentiels pour la prompte acquisition de la plus parfaite vérité.

N.B. Ce plaidoyer de nature polémique n’est pleinement convaincant qu’au regard des lecteurs majeurs, ayant reçu une bonne éducation et une instruction poussée, étant sains d’esprit et jouissant du sens critique.

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LE RÉGIME GÉNÉRAL DE LA PRESSE

par André VITU
( Traité de droit pénal spécial, T.I, p.1207 )
( Éd. Cujas, Paris 1982 )

1527 -  Le rôle et l’importance de la presse. – Une précision terminologique s’impose dès le départ. Par droit de la presse, on entend, largement, l’ensemble des dispositions juridiques qui intéressent l’impression et la diffusion des livres, des journaux et périodiques, ainsi que des affiches. Aussi est-ce dans toute son ampleur – et non pas dans le sens restreint que le langage courant donne au mot presse, entendu comme désignant seulement les publications périodiques et les journaux – qu’il faut envisager le rôle que la presse est appelée à jouer dans la vie des citoyens modernes.

Au droit pénal de la presse, un très important texte, la loi du 29 juillet 1881, complété par quelques autres de moindre envergure, consacre 69 articles souvent remaniés par des lois postérieures. Ses dispositions ont fait fleurir une foule de décisions jurisprudentielles, de commentaires doctrinaux, de polémiques politiques. Le présent ouvrage entend seulement présenter les grandes lignes d’une législation complexe, changeante et discutée.

Dans la société contemporaine, l’écrit est devenu un moyen privilégié de communication, que n’a pas détrôné le développement du film, de la radio ou de la télévision. Chaque jour, le livre et surtout l’affiche ou le journal, assaillent le public de nouvelles multiples, d’informations touchant à tous les domaines, de publicités aussi variées qu’agressives. Le lecteur a rarement la possibilité de juger de l’exactitude et de la valeur de ce qui lui tombe sous les yeux : il finit par absorber passivement tout ce qu’il lit, faute de pouvoir y réfléchir assez et d’avoir le temps d’user de son esprit critique. Pour bon nombre de nos contemporains, les journaux deviennent une nécessité, une drogue dont ils se passeraient difficilement.

On comprend combien il est aisé, dans ces conditions, d’enrégimenter ces êtres sans personnalité que sont les lecteurs passifs, qui suivent aveuglément ceux qui s’arrogent le droit de penser à leur place. Les régimes autoritaires ont bien saisi quel levier formidable représente pour eux la presse, à côté des autres moyens de diffusion de l’information : assurés de ne rencontrer aucune contradiction, ils peuvent répandre leurs mots d’ordre, façonner à leur gré l’opinion publique, modeler l’homme docile dont ils ont besoin. La presse devient un moyen d’action politique au service d’une dictature : la liberté d’opinion n’est plus alors qu’un mot vide de sens.

Y a-t-il plus de liberté pour la presse dans un régime dit démocratique ou libéral ? On le croit aisément, mais la chose est douteuse, en dépit de certaines apparences. Permettre à chacun d’exprimer ses opinions mais, dans le même temps, vouloir empêcher les abus toujours possibles constitue une vraie quadrature du cercle. Pour enrayer les excès, le régime politique, après avoir affirmé la liberté de la presse, doit en enserrer l’exercice dans des limites si étroites, par le jeu d’autorisations ou de censures, qu’il étouffe presque complètement le droit qu’il a solennellement accordé. Ou bien, à l’inverse, il lève toute barrière préventive pour se contenter de réprimer les abus les plus éclatants ; mais cette victoire de la presse n’est qu’un leurre : car pour faire vivre un journal, il faut actuellement des moyens financiers considérables et, par cette nécessité, la presse tombe sous le joug d’une servitude moins apparente que la première, mais aussi rigoureuse ; ou bien le journal n’est que l’instrument docile d’un parti puissant, ou bien il n’est que l’expression d’un groupe économique occulte qui lui dicte sa ligne de conduite. Dans les deux cas, le « quatrième pouvoir » n’a que l’apparence de l’indépendance.

L’histoire de la législation montre combien, en France, la liberté de la presse a rencontré de difficultés pour s’imposer et se maintenir.

1528 -  L’évolution législative du droit de la presse. – L’ancien Régime avait imposé à la presse, périodique ou non, l’exigence d’une autorisation préalable à toute publication, et prévoyait des peines sévères contre les imprimeurs ou distributeurs d’ouvrages non autorisés ; mais cette rigueur n’avait pu empêcher la diffusion clandestine de nombreux écrits imprimés à l’étranger. La Révolution, pour la première fois, allait proclamer la liberté de la presse dans un texte demeuré célèbre, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; mais sa réaffirmation dans des textes de 1793 et de l’an III n’empêcha pas l’existence d’un système draconien qui se perpétua jusqu’à la fin du Premier Empire : ce dernier devait même nationaliser les journaux en 1811 !

À partir de 1814, l’évolution du régime juridique de la presse est chaotique, malgré l’affirmation de la liberté qui ne devait plus cesser. Il serait trop long d’en détailler les vicissitudes. De la sévérité voulue en 1814 (établissement d’une censure), on passe à une orientation libérale avec les lois de 1819 (suppression de la censure, compétence du jury d’assises pour juger les délits de presse), presque aussitôt démentie par une législation de rigueur due à des textes de 1820, 1821 et 1822 (autorisation préalable, censure, compétence correctionnelle, création d’un « délit de tendance »…), mais rétablie par une loi de 1828 (suppression de l’autorisation préalable et du délit de tendance) ; parmi les fameuses ordonnances impopulaires qui provoquèrent, en juillet 1830, la chute de Charles X, il en était une qui, précisément, supprimait la liberté de la presse et rétablissait la censure.

Libérale d’abord, oppressive ensuite avec une loi du 9 septembre 1835 (rétablissement de la censure et du délit d’opinion), la monarchie de Juillet devait léguer son esprit de sévérité à la Seconde République (décrets de 1848, lois de 1849 et 1850), qui en fit don au Second Empire : le décret-loi du 17 février 1852 soumettait la presse à un régime qu’on put qualifier de despotique (autorisation préalable à toute création de journal, cautionnement et droit de timbre, compétence correctionnelle, possibilité pour le ministre ou le préfet d’adresser des avertissements aux journaux, et de décider leur suspension et leur suppression).

À nouveau, une tendance au libéralisme se fait jour en 1868, s’affirme sous la main du gouvernement qui succède en septembre 1870 à Napoléon III (suppression du cautionnement, compétence rendue au jury), mais s’estompe dans les années qui suivent (rétablissement du cautionnement en 1871, réduction de la compétence des cours d’assises en 1875). De plus en plus, cette évolution irritante, oscillant sans ligne directrice entre le libéralisme et la sévérité, inclinait les esprits à fixer enfin d’une manière stable le statut de la presse : la loi du 29 juillet 1881 allait combler l’attente des partis et de tous les hommes épris de liberté.

Manifestant d’emblée l’orientation qui était la sienne, la loi de 1881» sur la liberté de la presse » supprime l’autorisation préalable, le cautionnement, la censure ; elle ignore les délits d’opinion et ne réprime que des infractions ordinaires qui peuvent se commettre par voie de presse : diffamation, injure, provocation à des faits criminels ; elle organise un droit de réponse au profit de toute personne mise en cause dans un écrit périodique : enfin elle défère à la cour d’assises la connaissance de la quasi-totalité des délits de presse.

Modifiée à de très nombreuses reprises, cette loi presque centenaire est tenue pour le symbole d’une des libertés modernes les plus fondamentales, la liberté d’opinion, qui constitue le bien juridique spécialement protégé par la législation pénale de la presse. C’est pourquoi il paraît si difficile de substituer à ce monument vénérable un nouveau texte d’ensemble, qui répondrait aux besoins du monde moderne. Les années troublées de la Seconde Guerre mondiale, qui ont pourtant vu de spectaculaires mutations s’opérer dans tous les domaines, ont seulement été marquées ici par une tentative d’organisation de la presse française par l’Ordonnance 24 août 1944 ; mais les principes consacrés par la loi de 1881 sont demeurés intacts.

1529 -  La portée de la loi de 1881. – La loi du 29 juillet 1881 soumet les infractions qu’elle réprime à un statut particulier, notamment dans l’ordre procédural, de sorte que l’on peut parler des délits de presse comme d’une catégorie juridique autonome. Mais deux précisions en sens inverse permettent de mieux délimiter ce groupe d’infractions.

1°/ Toute infraction commise par la voie de la parole, de l’écrit ou de l’image ne constitue pas nécessairement un délit de presse soumis à la loi de 1881. Échappent à son emprise pour demeurer sous l’empire du droit commun des faits tels que la provocation à l’attroupement … les outrages … les outrages aux bonnes mœurs … les faits tendant à permettre une spéculation illicite … les fausses nouvelles diffusées à l’occasion d’opérations de vote ou les outrages envers les membres d’un bureau de vote … la provocation par un moyen quelconque à l’insoumission...

2°/ En revanche doivent être tenus pour délits de presse, non seulement les infractions spécialement réprimées par la loi de 1881, mais aussi celles prévues par certaines dispositions particulières qui renvoient expressément à cette loi, pour les modalités de la répression. Ainsi en va-t-il pour les injures et diffamation commises dans des correspondances postales circulant à découvert … ou pour les actes de propagande anarchiste…

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1531 -  Le principe de la liberté de la presse. – La loi du 29 juillet 1881 a voulu affirmer solennellement la liberté conférée à la presse, en exécution de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Elle y consacre deux dispositions. L’article 1er affirme, lapidairement, que « l’imprimerie et la librairie sont libres », ce qui entraîne la suppression des exigences antérieures et, notamment, de l’autorisation préalable. De son côté l’article 5 reprend le même principe pour la presse périodique : « tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement ».

La proclamation de la liberté de la presse dans un texte de loi a pour conséquence que l’autorité administrative est sans droit pour apporter des restrictions générales au droit de publier et de diffuser des écrits : le préfet ou le maire pourraient seulement, sous le contrôle des juridictions administratives, intervenir lorsque la vente d’une publication est de nature à provoquer des troubles pour la tranquillité, la sécurité ou la moralité publiques.

Certaines circonstances graves autorisent cependant le législateur ou le gouvernement à restreindre la liberté de la presse, par l’exercice d’un droit de censure, ou par la possibilité de contrôler, de suspendre ou d’interdire les publications : ainsi par exemple dans l’intérêt de la défense nationale, ou encore en cas d’état de guerre, d’état de siège, d’état d’urgence ou lorsque le président de la République fait usage de l’article 16 de la Constitution.

Articulée sur le principe de liberté ainsi affirmé, la législation de la presse se développe dans deux domaines distincts, dans lesquels le droit pénal trouve l’occasion de se manifester : celui des opérations de publication et de diffusion, celui du statut des entreprises chargées de la publication et de la diffusion. [nous nous en tiendrons ici au premier point]

1532 -  Les conditions préalables à la publication et à la diffusion. – De toutes les formalités que les lois anciennes imposaient à l’imprimerie, à la librairie et à la presse, la législation actuelle n’en a conservé que trois, qui sont destinées à permettre, a posteriori, la répression des délits qui pourraient se commettre par la voie de l’écrit.

1°/ L’article 3 impose à l’imprimeur d’indiquer son nom et son adresse sur tout imprimé confectionné par lui et rendu public, à peine d’une amende de 300 à 8.000 F [30750 €] frappant l’imprimeur et le distributeur et, en cas de récidive dans l’année, d’un emprisonnement de six mois. L’exigence légale s’applique à tout imprimé, même de peu d’importance, et notamment à ces circulaires et écrits électoraux, des documents commerciaux de toute nature, des affiches annonçant des représentations théâtrales ; en sont seuls dispensés les « ouvrages de ville ou bilboquets » (cartes de visites, lettres de faire-part, étiquettes et menus imprimés de bureau...), parce qu’ils ne sont pas destinés à être rendus publics.

2/° L’exigence du dépôt légal, autrefois écrite dans la loi de 1881 (art. 3 et 4, maintenant abrogés), est réglementée maintenant par le [Code du patrimoine, art. L.131-1 et s., R.131-1 et s.]. Le dépôt est destiné aux collections nationales...

3°/ Il ne faut pas confondre, avec le dépôt légal, le dépôt judiciaire et administratif imposé par l’article 10 de la loi de 1881 pour journaux et les écrits périodiques [article modifié par une loi du 22 mars 2012]…

1533 -  Les interdictions de publication et de diffusion. – De très nombreuses prohibitions viennent limiter la liberté de l’information ; elles se justifient par la protection nécessaire des intérêts de la justice, de l’intimité des familles et de la personnalité des êtres humains. Un classement de ces interdictions est difficile à opérer, en raison de leur caractère hétérogène. On peut cependant opposer les interdictions contenues dans la loi de 1881 et dont la méconnaissance constitue des délits de presse, soumis aux règles de procédure prévues par cette loi, et les interdictions édictées par d’autres dispositions et qui donnent lieu, en cas d’infraction, à des poursuites régies par la procédure ordinaire.

1°/ Au premier rang des interdictions résultant de la loi de 1881, citons celles que contient l’article 38 : à peine d’une amende de 180 à 8.000 F [3.750 €], est prohibée la publication - de tous actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture à l’audience, – de toutes illustrations reproduisant les circonstances d’un des crimes ou délits prévus par les articles 295 à 340 du Code pénal de 1810 (meurtres, assassinats, violences volontaires ou involontaires, attentats aux mœurs, – et de toute information relative aux délibérations du Conseil supérieur de la magistrature, sauf si elle est communiquée par son président ou son vice-président.

De son côté, pour protéger la sérénité et la bonne tenue des débats devant les diverses juridictions, la loi du 2 février 1981 a inséré dans la loi de 1881 un nouvel article 38ter, inspiré d’interdictions antérieures, qui prohibe, aux audiences des juridictions judiciaires ou administratives, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image, à peine d’une amende de 300 à 30.000 F [4.500 €] et de la confiscation du matériel ayant servi à commettre l’infraction et du support de la parole ou de l’image utilisé ; les mêmes peines sont étendues à la cession ou à la publication des enregistrements ou documents obtenus en violation de l’interdiction. Toutefois, sur une demande formulée avant l’audience et à la condition que soit obtenu le consentement des parties ou de leurs représentants et du ministère public, le président peut autoriser des prises de vues « quand les débats ne sont pas commencés ».

Toujours dans l’intérêt de la justice, et aussi pour protéger l’intimité des personnes privées, l’article 39 interdit, sous une amende de 300 à 120.000 F [18.000 €], de rendre compte des procès en diffamation lorsque la preuve du fait diffamatoire est prohibée, – des procès de filiation, des actions à fins de subsides, des procès en divorce, séparation de corps ou nullité de mariage et des procès d’avortement, – des procès civils quand le tribunal en a interdit le compte rendu, – enfin des délibérations intérieures des jurys, cours et tribunaux.

Eu égard, cette fois, à la personnalité des intéressés, les articles 39 bis et 39 ter, dus à la loi du 28 novembre 1955 [modifiée loi du 15 juin 2.000], prévoient une amende de 300 à 40.000 F [15.000 €] et, en cas de récidive, un emprisonnement de deux mois à deux ans, en cas de publication par tout moyen (livre, presse, radio, cinéma...) de tout texte ou illustration concernant l’identité ou la personnalité de mineurs fugueurs ou qui se sont suicidés. La loi du 11 juillet 1966 a étendu la même interdiction et les mêmes sanctions en cas de diffusion, moins de trente ans après sa mort, d’informations relatives à la filiation d’origine d’une personne bénéficiaire d’une adoption plénière.

Enfin, sous des peines beaucoup plus lourdes (amende de 300 à 300.000 F [450.000 €] et / ou emprisonnement de huit jours à six mois), l’article 40 interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions en vue du paiement de condamnations à des amendes, frais ou dommages-intérêts en matière criminelle ou correctionnelle (article 40 de la loi de 1881).

2°/ Les interdictions extérieures à la loi de 1881 sont très disparates. Beaucoup ont trait au fonctionnement des rouages judiciaires, spécialement dans l’ordre pénal…

1534 -  Les informations publiées et le droit de rectification. – Si l’auteur d’un écrit a le droit d’exprimer librement son opinion c’est à la condition de ne pas trahir la vérité et de rapporter exactement les faits qu’il commente ou étudie. Pour assurer le respect de cette exigence élémentaire, la loi de 1881 prévoit un moyen technique particulier, d’ailleurs limité dans sa portée : le droit de rectification offert aux dépositaires de l’autorité publique (art. 12).

Le droit de rectification s’analyse dans le droit, pour un représentant de l’autorité publique, de faire insérer dans un écrit périodique toute précision qui lui apparaîtrait utile au sujet des actes de sa fonction inexactement rapportés dans cet écrit : on a pu analyser cette mesure en une sorte de réquisition des pages du périodique, dans l’intérêt de la fonction publique. Pour éviter certains abus qu’avait rendu possible le décret du 17 février 1852, l’article 12 de la loi de 1881 a enserré dans d’étroites conditions l’exercice du droit de rectification.

Ce droit n’est ouvert qu’aux détenteurs de l’autorité publique, tels que les ministres, les préfets, les maires, les magistrats, les commissaires de police, quand a été inexactement rapporté, même sans intention malveillante, un acte relatif à leur fonctions dans un journal ou un écrit périodique publié en France. La demande de rectification est adressée au directeur de la publication et, sous la réserve que le communiqué rectificatif ne soit pas contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l’intérêt des tiers ou du journaliste, ni ne dépasse par sa longueur le double du texte initial, le directeur est tenu de l’insérer gratuitement en tête du plus prochain numéro du journal ou du périodique. L’article 12 n’a pas prévu de délais pour demander la rectification ; par analogie avec l’article 13 (numéro suivant), on peut appliquer ici le délai d’un an [trois mois].

Le refus d’insérer la rectification demandée est sanctionné d’une amende de 360 à 8.000 F [3.750 €].

1535 -  Les informations publiées et le droit de réponse. – Le droit de réponse consiste en la possibilité, pour la personne mise en cause dans un journal ou un écrit périodique, de faire insérer dans cet écrit son propre point de vue sur le sujet en question. À côté de la forme « ordinaire » du droit de réponse, réglementée par l’article 13 de la loi de 1881, existent des formes spéciales quand le droit de réponse est exercé en période électorale, quand la personne visée est décédée, ou lorsque la réponse doit s’exercer par la voie des ondes (numéro suivant).

Quelle qu’en soit la forme, le droit de réponse ne constitue pas une sorte de légitime défense contre une attaque dont on serait l’objet, car ce droit peut être utilisé même si l’écrit ne renferme aucune formule agressive, injurieuse ou diffamatoire, – ni comme l’expression d’une action en responsabilité qui tendrait à une réparation en nature, puisque la réponse peut être présentée même après la publication d’une information exacte et légitime. Le droit de réponse peut être analysé comme la traduction d’un droit de la personnalité : dès qu’elle est mise en cause dans un journal ou un périodique, toute personne a le droit absolu de voir publier, à la suite de l’exposé que le rédacteur a fait d’événements la concernant, son propre point de vue et, éventuellement, ses rectifications et ses critiques ; sinon le journaliste jouirait d’une prérogative unilatérale et absolument exorbitante.

Une abondante jurisprudence a permis de bien cerner les contours du droit de réponse ordinaire, qu’on peut envisager à travers l’attitude du titulaire de droit, et à travers celle du directeur de la publication, prié d’insérer la réponse de l’intéressé.

1°/ Toute personne, physique ou morale, simple particulier ou fonctionnaire, peut exercer son droit, pourvu qu’elle ait été désignée avec assez de précision dans l’écrit auquel elle entend répondre : son droit d’agir est « général et absolu », dit la jurisprudence et ne suppose donc pas nécessairement une erreur, une omission, une critique ou une expression malveillante chez le journaliste. Mais l’article 13 n’ouvre la possibilité de répondre qu’à l’égard des journaux ou écrits périodiques, sans distinguer cependant selon la nature de l’article, qui peut être scientifique ou littéraire ou même religieux.

De strictes conditions entourent l’exercice du droit. Condition de délai d’abord : la demande d’insertion doit être formulée dans l’année de la publication. Condition de teneur de la réponse, qui doit n’être contraire, dit la Cour de cassation, ni aux lois ou aux bonnes mœurs, ni contraire à l’intérêt légitime des tiers qui seraient blessés par des affirmations diffamatoires ou malveillantes, ni contraire à l’honneur du journaliste mis en cause à son tour d’une façon injurieuse. Il s’y ajoute enfin une condition de longueur de la réponse, laquelle, non compris l’adresse, les salutations, réquisitions d’usage et signature, ne doit pas dépasser la longueur de l’article incriminé ou deux cents lignes si cet article est plus long, mais qui peut cependant atteindre cinquante lignes même si l’article est plus court (art. 13, al. 4) ; par ces limitations chiffrées (qu’on ne saurait dépasser, même en proposant de payer), la loi du 29 septembre 1919 modifiant l’article 13 a permis de tenir dans des dimensions raisonnables la tendance de certaines personnes à une trop grande prolixité.

2°/ A quoi le directeur de la publication est-il tenu ? L’insertion demandée est gratuite et il ne peut donc subordonner sa parution au versement d’une somme d’argent. Il peut, en revanche, en refuser la publication si le contenu lui apparaît heurter les lois, les mœurs, l’intérêt des tiers ou l’honneur du journaliste, ou si la longueur dépasse les dimensions déterminées par la loi : on admet cependant qu’il peut, de lui-même, expurger le texte des éléments inadmissibles qu’il contient ou des passages sans lien avec le sujet, et même l’amputer des lignes excédentaires pour le ramener à la dimension convenable, et ne publier que la partie restante de la réponse.

La réponse doit être à la même place et dans les mêmes caractères que l’article qui l’a provoquée. Elle doit paraître, s’il s’agit d’un quotidien, dans les trois jours de la réception de la réponse (art. 13, al. 1er) et, s’il s’agit d’un périodique non quotidien, dans le numéro qui suit le surlendemain de la réception de la réponse (al.2). La réponse doit être insérée dans la ou les éditions où a paru l’article, et comme il arrive parfois que la publication de la réponse soit suivie de commentaires, ceux-ci permettent un nouveau droit de réponse.

S’il refuse sans motif légitime d’insérer la réponse reçue, le directeur de la publication encourt une amende de 1.000 à 2.000 F [3.750 €]. Il s’agit là d’une contravention de presse, soumise à la prescription abrégée de trois mois, commune à toutes les infractions de presse, et le tribunal, sur la demande de la partie lésée, peut ordonner sous astreinte l’insertion de la réponse, en décidant au besoin l’exécution provisoire de son jugement.

1536 -  Les formes particulières du droit de réponse.

1°/ Lorsque la personne mise en cause est décédée, son conjoint, ses héritiers ou ses légataires universels tiennent de l’article 34 de la loi de 1881 un droit de réponse spécial, qui suppose que la mémoire du défunt a été blessée par des imputations diffamatoires ou injurieuses ; mais cette exigence est propre au mort et il n’est pas nécessaire que les vivants qui agissent justifient d’une atteinte personnelle à leur honneur ou à leur considération. Les peines frappant le refus d’insérer la réponse sont celles de l’injure à la mémoire des morts.

2°/ En période électorale, où les passions se font plus vives et les susceptibilités plus aiguës, l’article 13 (al. 9) a prévu des dispositions procédurales dérogatoires. Le délai de trois jours prévu pour l’insertion dans un quotidien est réduit à 24 heures, la réponse devant être remise au journal au plus tard six heures avant le tirage. Le délai de citation pour faire statuer sur le refus d’insertion est lui- même ramené à 24 heures et le plaignant peut même obtenir du président du tribunal une ordonnance permettant une citation d’heure à heure. Le jugement ordonnant l’insertion est exécutoire sur minute, nonobstant opposition ou appel.

Le refus d’obéir à un jugement ordonnant l’insertion d’une réponse en période électorale constitue un délit correctionnel, puni d’un emprisonnement de trois mois et d’une amende de 300 à 8.000 F [3.750 €].

3°/ La loi du 3 juillet 1972 (art. 8) a posé le principe d’un droit de réponse à la radio et à la télévision. [Ses dispositions ont été remplacées par l’article 6 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1882 qui dispose] :

I - Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle.

Le demandeur doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire.

La réponse doit être diffusée dans des conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant l’imputation invoquée.

Elle doit également être diffusée de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle du message précité.

La demande d’exercice du droit de réponse doit être présentée dans le délai de trois mois suivant celui de la diffusion du message contenant l’imputation qui la fonde. Toutefois, lorsque, à l’occasion de l’exercice de poursuites pénales, ont été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle des imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne physique ou morale, ce délai est rouvert à son profit pour la même durée à compter du jour où la décision de non-lieu dont elle fait l’objet est intervenue ou celle de relaxe ou d’acquittement la mettant expressément ou non hors de cause est devenue définitive.

En cas de refus ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit jours suivant celui de sa réception, le demandeur peut saisir le président du tribunal de grande instance, statuant en matière de référés, par la mise en cause de la personne visée au neuvième alinéa du présent article.

Le président du tribunal peut ordonner sous astreinte la diffusion de la réponse ; il peut déclarer son ordonnance exécutoire sur minute nonobstant appel.

Pendant toute campagne électorale, lorsqu’un candidat est mis en cause, le délai de huit jours prévu au sixième alinéa est réduit à vingt-quatre heures.

Pour l’application des dispositions du présent article, dans toute personne morale qui assure, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, un service de communication audiovisuelle, il doit être désigné un responsable chargé d’assurer l’exécution des obligations se rattachant à l’exercice du droit de réponse.

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.

Il précise notamment les modalités et le délai de conservation des documents audiovisuels nécessaires à l’administration de la preuve des imputations visées au premier alinéa du présent article, sans préjudice de l’application des dispositions de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives.

Les dispositions du présent article sont applicables à tout service de communication mis à la disposition du public sous forme de phonogrammes ou de vidéogrammes paraissant à intervalles réguliers.

II - Les associations remplissant les conditions fixées par l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse peuvent également exercer le droit de réponse prévu par le présent article dans le cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle.

Toutefois, quand les imputations concerneront des personnes considérées individuellement, l’association ne pourra exercer le droit de réponse que si elle justifie avoir reçu leur accord.

Aucune association ne pourra requérir la diffusion d’une réponse en application du présent article dès lors qu’aura été diffusée une réponse à la demande d’une des associations remplissant les conditions prévues par l’article 48-1 précité.

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N.B.

1°/ Nous n’avons mis à jour le texte ci-dessus que sur certains points concernant la pratique quotidienne (entre crochets).

2°/ C’est pour des raisons purement techniques que nous n’avons pas reproduit les nombreuses notes qui étayent cet exposé. Les personnes qui désirent consulter la bibliographie et approfondir la question se tourneront vers l’ouvrage original.

Signe de fin