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NOTIONS GÉNÉRALES SUR LE FAUX
ET L’USAGE DE FAUX

Extrait du « Traité de droit pénal »
de René GARRAUD ( 3e éd., T. IV, Paris 1922 )

La règle morale condamne le mensonge,
aussi le législateur peut-il légitimement l’incriminer.
Toutefois le législateur pénal ne saurait réprimer
toutes les formes de mensonges sans distinction.

Les modes de mensonge qui peuvent être visés
à bon droit sont le faux par écrit, parole ou acte.
Mais alors le législateur doit l’incriminer en lui-même,
indépendamment des suites qu’il a pu entraîner.
Il s’agira par suite d’un délit formel
dont les éléments constitutifs sont les suivants :
1° un acte de falsification ou d’altération de la vérité,
2° de nature à porter atteinte à un intérêt protégé par la loi,
3° commis en toute connaissance de cause.

Puisque le délit de faux est caractérisé
du moment même où la falsification est perpétrée,
l’usage de ce faux constitue un acte distinct
qui peut être réprimé de manière autonome.

C’est pourquoi tous les législateurs incriminent,
d’une part le crime de faux (faux documentaire…),
d’autre part le crime d’usage de faux.
Si ces deux crimes sont commis par la même personne,
cette dernière devra néanmoins n’être condamnée
qu’à une seule peine principale : la plus lourde.

§ 1 - Notions générales sur le faux

1298 - On peut comprendre, sous la qualification générique de « faux », toute manœuvre, tout procédé, employé par un individu pour en tromper un autre. Sous sa forme primitive, le faux consiste donc essentiellement dans un mensonge ; c’est-à-dire dans l’affirmation d’un fait que l’on sait être contraire à la vérité, accompagnée ou non de manœuvres destinées à corroborer cette affirmation.

Pris en lui-même, le fait de mentir n’est pas punissable. La loi laisse à chacun de nous le soin de se prémunir contre l’erreur ; elle ne protège pas la vérité par une sanction répressive.

À ce point de vue, du reste, l’action de la loi pénale a subi, dans les conceptions modernes, une double évolution, en sens contraire, mais non contradictoire.

a) Produire l’erreur dans l’esprit a toujours été considéré, au point de vue philosophique, comme un fait nuisible, dommageable. Pendant des siècles, on a pensé que le préjudice intellectuel que cause l’erreur était de ceux que la loi peut prendre en considération pour intervenir. Le fait de professer de fausses doctrines, de les répandre par la voie de la parole ou de la presse, a été longtemps un délit. Mais d’autres idées tendent de plus en plus à prévaloir chez les peuples modernes.

En France, particulièrement, toutes les opinions peuvent être librement exprimées el propagées ; il est permis de recruter des adeptes pour n’importe quel système religieux, philosophiques ou même politique, par la voie de la parole ou de la presse sans tomber sous le coup de la loi. Les délits d’opinion, comme les délits de propagandepour des opinions prétendues fausses, ont été rayés de nos Codes, et il est vrai de dire que la loi pénale française reste, pour des motifs qui se comprennent d’eux-mêmes, indifférente à la lutte de la vérité contre l’erreur. Elle ne prend pas parti, car elle n’aurait aucune compétence pour le faire.

b) Mais le mensonge peut aussi causer un dommage à ces biens juridiques dont la loi sociale garantit et doit garantir la possession et l’exercice et autour desquels elle trace une zone de protection : la propriété, l’honneur, la condition, l’état des citoyens, leur santé, leur sécurité. La loi répressive doit-elle intervenir pour réprimer le mensonge qui porte atteinte à l’un de ces intérêts protégés ? Je trouverais, pour ma part, légitime, d’ériger en délit pénal, tout mensonge, direct ou indirect, susceptible de causer un préjudice pécuniaire ou moral, lorsqu’il sera démontré que son auteur a agi dans une intention malveillante.

Bien qu’évoluant toutes dans cette direction, on peut dire qu’aucune des législations contemporaines n’est encore arrivée à une conception aussi large et aussi compréhensive. Le faux préjudiciable en constitue pas, en effet, en France, aussi bien qu’à l’étranger, un délit général  : la loi choisit, parmi les actes destinés à tromper les tiers, certains procédés qu’elle incrimine à raison de leur gravité ; mais elle laisse les autres dans la catégorie des faits de dol civil et ne leur reconnaît d’autre conséquence que l’obligation, pour l’auteur de manœuvres dolosives, de réparer civilement le préjudice matériel ou moral qu’il a pu causer par sa faute (Code civil, art. 1382). En somme, c’est le procédé employé pour tromper et non le but poursuivi qui caractérise le mensonge punissable.

1299 - Dans toute législation répressive, les procédés de faux peuvent être groupés en trois catégories distinctes, suivant que le mensonge est commis par paroles, par actions ou par écrits.

Dans la première catégorie, on fera rentrer le faux témoignage et le faux serment (Code pénal, art. 361 et 366). Dans la seconde : la fausse monnaie (Code pénal, art. 132 à 138) ; la contrefaçon des sceaux, etc. (art. 139 à 144) ; l’altération et la falsification de denrées alimentaires (Code pénal, art. 423 ; Loi du 1er août 1906) ; l’escroquerie (Code pénal, art. 405), qui suppose toujours des manœuvres dolosives extérieures, une mise en scène, ayant pour but d’inspirer une confiance, en réalité mal fondée ; certaines hypothèses de contrefaçons artistiques, commerciales ou industrielles ; l’usurpation de fonctions, de distinctions et de qualités. La troisième catégorie comprendrait le faux en écritures sous ses diverses formes et avec ses diverses variétés (Code pénal, art. 145 à 165).

1300 - En effet, le droit romain parait avoir compris, sous la qualification générique de faux (falsum), la plupart de ces falsifications. Le titre du Digeste, De falsis (Liv. 48, Tit. 10) et celui du Code, qui a le même intitulé (Liv. 9, Tit. 20), englobent sous la même rubrique, le faux témoignage, le faux monnayage, le faux dans les poids et mesures, le faux en écritures etc.

La même généralisation avait été acceptée dans notre ancien droit, et la définition du faux comprenait, d’après les auteurs : « toute action faite pour détruire, altérer, ou obscurcir la vérité, au préjudice de quelqu’un et dans le dessein de le tromper ». Déjà cependant l’expression tendait à être précisée et limitée, et la notion du faux en écritures et sceaux (chartae, notitiae, lettres), spécialisée dans le droit allemand, devenait dans le droit français du XVIIIe siècle, une infraction indépendante.

La qualification de « faux » a fini par prendre dans le droit moderne un sens de plus en plus restreint.

C’est ainsi que, dans la section première du chapitre troisième de notre titre, sous la rubrique « Du faux », le Code pénal français traite, eu quatre paragraphes, suivis de dispositions communes : 1° de la fausse monnaie ; 2° de la contrefaçon des sceaux de l’État, des billets de banque, des effets publics et des poinçons, timbres et marques ; 3° du faux en écriture publique ou authentique, et de commerce ou de banque ; 4°du faux en écriture privée. Ce qui concerne les antres altérations frauduleuses est prévu et puni en dehors de la section consacrée au faux.

Le faux témoignage lui-même, le faux serment occupent, dans notre Code, une place bien éloignée de celle du faux en écritures. Le législateur a donc restreint cette qualification de faux à l’altération ou à là falsification de certains signes, de certains instruments de preuve, dans lesquels la confiance publique (fides publica) est une nécessité sociale. Le délit, ainsi caractérisé, peut être qualifié de délit contre la foi publique.

C’est sous cette rubrique que beaucoup d’auteurs étudient le faux et que quelques législations s’en occupent. Cette qualification convient, du reste, même au faux en écriture privée ; car l’essence de toute falsification d’écriture est d’ébranler la foi, attribuée, dans un intérêt public, aux écrits destinés à servir de preuve. Quoi qu’il en soit, il est facile de voir, par ces explications préliminaires, que les diverses dispositions que nous allons étudier se classent en deux catégories. La première traite du faux commis dans certaines choses, monnaies, sceaux, etc. La seconde, du faux commis dans les documents, ou instruments de preuve. Mais, avant d’examiner ces deux classes d’infractions, il y a lieu d’insister sur la distinction faite par la loi entre le faux et l’usage du faux.

§ 2 - De la distinction, en matière de faux,
entre la falsification et l’usage

1301 - Les différentes espèces de faux ne sont, à vrai dire, que les actes préparatoires d’un autre délit, ordinairement du vol ou de l’escroquerie. Ceci compris, une question générale se pose. Si l’altération de la vérité n’est qu’un moyen, doit-on, pour la punir, attendre que l’agent ait fait ou tenté de faire usage du moyen qu’il s’est procuré par la fabrication ou l’altération d’une monnaie, par exemple, ou bien par l’altération ou la fabrication d’un écrit ? Au contraire, doit-on frapper ce fait, en lui-même, sans attendre son résultat et sans se préoccuper de ses conséquences ?

Le faux est-il commis par l’écriture, la parole, le fait (scriptura, dictu, facto) ? N’est-il commis, au contraire, que par l’usage (usu) ? On comprend que la solution de cette question ait donné lieu, dans les législations positives, aux systèmes les plus divers. Pour la loi française, l’altération de la vérité, dans les conditions prévues elle, est une infraction sui generis ; l’usage de l’objet fabriqué ou falsifié, de l’écrit ou de la monnaie fausse, est une infraction toute autre. C’est là une distinction fondamentale et traditionnelle, dont nous retrouverons l’application successive dans presque toutes les incriminations qui peuvent se ranger sous la qualification générique de la falsification ou du faux. Est elle rationnelle ? Je n’hésite pas à l’affirmer.

Au point de vue objectif, le faux présente trop de dangers, par son exécution même, pour que le législateur puisse, sans compromettre les intérêts publics et privés dont il a la garde, en différer la répression jusqu’au moment où l’auteur se sert ou tente de se servir du moyen qu’il a préparé dans le but de réaliser l’escroquerie ou le vol. La facilité même d’user d’une pièce ou d’une monnaie fabriquée, le préjudice qui peut en résulter, doivent déterminer le législateur à déroger, en cette matière, au concept ordinaire qui fait entrer la réalisation du but immédiat de l’agent dans la constitution des éléments du délit et à punir, comme un délit complet et consommé, le seul fait d’altération, quand même l’auteur n’aurait pas encore employé l’instrument préparé par lui pour attenter à l’honneur, à la fortune, à la santé d’autrui. D’autant mieux qu’il est plus facile d’user d’une pièce fausse que de la falsifier, et que la fabrication, est plus dangereuse que l’usage. La pièce fausse, en effet, peut être mise en circulation, indépendamment même de la volonté de celui qui l’a fabriquée, par exemple, par son héritier, si le faussaire vient à mourir, ou même par toute personne qui la trouve on s’en empare ; et, par conséquent, la possibilité d’un préjudice existe dès que la fabrication a eu lieu. Aussi le caractère compromettant de la falsification est suffisant pour motiver l’intervention de la loi pénale.

Au point de vue subjectif, du reste, celui qui fabrique une pièce fausse manifeste, par cet acte, qu’il est un malfaiteur aussi dangereux qu’habile, capable de ne reculer devant aucun moyen. Car fabriquer un testament en vue de l’utiliser, implique, de la part du faussaire, une audace criminelle égale sinon supérieure à celle de l’agent qui profite de ce faux testament pour s’emparer du legs qu’il contient.

1302 - Dans ce système, le faux et l’usage du faux sont deux délits distincts, en ce sens, que celui qui fait sciemment usage de la chose falsifiée est punissable, quoiqu’il ne soit pas l’auteur de la falsification, et que, à l’inverse, le falsificateur est puni, quoiqu’il n’ait pas fait usage de la chose falsifiée.

Si cette double proposition est certaine, il ne faut pas en exagérer les conséquences. De ce que le faux et l’usage du faux peuvent constituer, en principe, les deux éléments divisibles d’une incrimination indépendante, s’ensuit-il que le falsificateur, en faisant usage de la chose falsifiée, se rende coupable de deux infractions distinctes et cumulées ? La question a surtout une importance pratique dans les législations qui admettent le cumul réel ou juridique de peine, en cas de concours d’infractions. Deux systèmes différents sont suivis.

On peut admettre, en effet, que l’usage par le faussaire de la pièce qu’il a lui-même falsifiée se confond avec la falsification et disparaît en tant que crime distinct. Le faux est puni par lui-même, parce que l’agent l’a commis avec l’intention d’en tirer profit : or, l’usage qu’il en fait n’est, en ce qui le concerne, que la consommation du délit, parce que cet usage est la réalisation du but qu’il voulait atteindre. Le faux et l’usage du faux sont, dans ce cas, l’exécution successive d’une même résolution criminelle, préparée d’abord par la fabrication ou la falsification, tentée ou consommée ensuite par l’usage. En conséquence, le faussaire n’encourra qu’une seule et même peine, comme s’il n’avait commis qu’un seul et même fait punissable L’usage ne constituera donc un délit absolument distinct du faux qu’autant qu’il sera imputé à tout autre qu’a l’auteur de la falsification.

Mais cette première manière de voir fait abstraction des deux catégories d’actes qu’impliquent la falsification et l’usage. Sans doute, par suite de la confusion des peines, la répression ne sera pas modifiée si celui qui falsifie un titre en usage ensuite, mais il n’y en aura pas moins, dans les faits qui lui seront reprochés, deux actes, qui, isolés, constituent chacun un délit complet, et que l’on rapprochera et réunira parce qu’ils seront l’œuvre du même agent et l’exécution d’un même projet criminel. En droit français, le faux et l’usage de faux forment bien deux crimes distincts : ils ont des éléments constitutifs différents et sont d’ailleurs incriminés par des dispositions spéciales : le faux, par les articles 145, 146, 147 et 150, et l’usage de faux, par les articles 148 et 151.

1303 - De ce concept législatif que le faux et l’usage de faux sont deux crimes distincts, résultent un certain nombre de conséquences.

Toute ordonnance ou tout arrêt de renvoi en police correctionnelle ou en cour d’assises, toute citation donnée an prévenu doit relever, contre lui, les deux qualifications de fabrication ou falsification et d’usage de la chose falsifiée, lorsque le prévenu s’est rendu coupable de faux et d’usage de faux.

Le jury doit être interrogé, séparément et distinctement, sur le fait de fabrication et sur les différents modes d’usage. L’accusé, déclaré non coupable sur la fabrication, peut être, sans contradiction, déclaré coupable sur l’usage. Par conséquent, de ce que le jury a résolu négativement- la question de fabrication, il ne s’ensuit pas qu’il ne doive pas statuer ensuite sur la question d’usage et qu’il ne puisse pas la résoudre affirmativement.

Le faux et l’usage du faux par le falsificateur lui-même peuvent être séparés par un intervalle de temps : chacun de ces actes, constituant un délit complet, si on le considère isolément, est nécessairement soumis à une prescription distincte. Le faussaire pourra donc être poursuivi pour le fait d’usage, après qu’il ne pourra plus l’être, par suite de la prescription acquise à son profit, pour le fait de fabrication.

Le faux et l’usage du faux admettent, chacun, une participation distincte ; en d’autres termes, le faussaire, qui fait usage de le chose qu’il a falsifiée, peut avoir, pour l’un ou l’autre de ces faits, des coauteurs et des complices distincts : les uns out participé à la fabrication ; les autres, à l’usage. Tous seront punissables, si les conditions générales de la complicité se rencontrent (Code pénal, art. 59 et 60). Ainsi, le témoin instrumentaire d’un testament authentique falsifié est complice de l’altération d’écriture, et l’avoué qui, sciemment, produit en justice, sur l’ordre de son client, ce même testament falsifié, est coauteur ou complice du fait d’usage.

   Le faux et l’usage du faux constituant des infractions tout à la fois distinctes et complètes, il peut y avoir, soit tentative, soit consommation de l’un et de l’autre de ces crimes. Le faux est consommé par cela seul que la pièce a été contrefaite, falsifiée, altérée ; la tentative est constituée par tout acte qui est commencement d’exécution de la contrefaçon, de la falsification, de l’altération.

Le commencement d’exécution existera lorsque l’agent aura, par exemple, apposé une fausse signature ou aura fait une fausse déclaration relativement aux faits que l’acte avait pour but de constater, si l’officier publie a commencé la rédaction de l’acte et a découvert la fraude avant sa clôture, Si l’acte est entièrement rédigé et signé, le crime est consommé. Si, au contraire, la rédaction, n’est pas encore commencée, s’il n’y a eu que de faux renseignements fournis par l’intéressé, il n’y a qu’un simple acte préparatoire, et l’exécution ne peut être considérée comme commencée. De même, l’usage du faux est consommé lorsque la mise en circulation de la pièce contrefaite ou falsifiée a eu lieu.

Tout acte qui peut être considéré comme le commencement d’exécution de cette mise en circulation, constitue la tentative d’usage de faux. Ainsi, l’envoi d’une quittance fabriquée par un plaideur à son avoué n’est qu’un acte préparatoire de l’usage ; le fait par ce dernier, de la produire en justice au nom de son client, sera tantôt le commencement d’exécution, tantôt la consommation du crime d’usage, suivant que la falsification aura été ou non découverte avant le jugement.

Le faux est essentiellement un délit instantané. Mais l’usage du faux peut être, suivant le mode de perpétration, un délit continu ou un délit instantané.

La fabrication de la pièce fausse constituant, indépendamment de l’usage qui peut en être fait, un crime ou délit complet et consommé, il faut, théoriquement, en conclure que la lacération de la pièce par le faussaire ou la destruction volontaire qui en serait faite, ne mettrait pas celui-ci à l’abri de la répression, car le désistement volontaire ne peut amnistier le coupable que s’il intervient avant la consommation même du crime.

Pour déterminer les conditions et les limites de l’application de la loi française en matière de faux, cette distinction est également nécessaire à considérer. Si l’étranger, qui fabrique, à l’étranger, une pièce fausse, n’est pas punissable en France (Code d’instruction criminelle, art. 5), il peut certainement être qualifié d’auteur ou complice d’un fait d’usage, lorsqu’il s’en sert ou aide quelqu’un à s’en servir en France

1304 - L’usage de la même chose falsifiée ou contrefaite peut être renouvelé, en quelque sorte indéfiniment. Dans ce cas, si tout autre que le faussaire a répété plusieurs fois l’usage de la chose falsifiée, il y a pluralité d’infractions, chaque fait d’usage constituant un délit distinct. C’est la réitération de délits, le concours d’infractions proprement dit. Toutefois, la réunion de tous ces faits ne constitue qu’une infraction unique, quand ils sont l’exécution successive d’un même projet criminel. Le même délit est alors continué. C’est ainsi que l’usage, d’un même acte authentique falsifié, dans le même procès ; l’usage du même passeport, dans le même voyage, ne forment évidemment qu’un seul et même délit. Il y a, dans ce cas, délit continu par son mode d’exécution.

1305 - Entre le crime de falsification et le crime d’usage de la chose falsifiée, il existe une différence essentielle. L’un et l’autre, sans doute, ne sont constitués que par l’intention frauduleuse du délinquant. Mais cette intention est nécessairement présumée chez le falsificateur, l’acte qui lui est reproché ne pouvant s’expliquer que par le dessein prémédité de se procurer à lui-même ou de procurer à autrui un bénéfice illégitime, en faisant usage de l’objet falsifié.

Celui qui se sert de la chose falsifiée, sans être l’auteur de la falsification, peut, au contraire, être de bonne foi et ignorer le vice de la monnaie qu’il a mise en circulation, de la pièce qu’il a produite. D’où il suit que l’accusation a, vis-à-vis de lui, la charge de démontrer la mauvaise foi, et le jugement, de la constater. Ainsi. s’explique la disposition générale et commune de l’article 163 du Code pénal, ainsi conçu : « L’application des peines portées contre ceux qui ont fait usage de monnaies, billets, sceaux, timbres, marteaux, poinçons, marques et écrits faux, contrefaits, fabriqués ou falsifiés, cessera toutes les fois que le faux n’aura pas été connu de la personne qui aura fait usage de la chose fausse. ». La bonne foi de l’accusé ou du prévenu n’est pas une excuse, comme on le dit parfois ; elle implique simplement l’absence d’un des éléments constitutifs du faux punissable. Son appréciation, appartient aux juridictions d’instruction comme aux juridictions de jugement. En cour d’assises, l’accusé ne pourrait exiger la position d’une question spéciale sur ce point, et, si elle avait été facultativement posée, la réponse du jury, affirmant la bonne foi, devrait amener son acquittement et non pas seulement son absolution.

1306 - La loi punit, en général, l’usage du faux de la même peine que le faux. Cette assimilation a été souvent critiquée, mais à tort, selon nous. Si la falsification révèle, de la part de son auteur, plus d’habileté, l’usage manifeste plus d’audace. La culpabilité des deux agents du faux se balance et leur sort doit être le même.

1307 - Tandis que la loi française précise ce qui constitue la falsification, en énumérant, d’une manière limitative, les procédés dont le faussaire doit se servir pour exécuter le crime, aucun des articles du Code pénal ne spécifie ce qui constitue l’usage, qui comprend, dès lors, tous les modes d’emploi dont les actes, timbres, sceaux, marques, monnaies, sont susceptibles Sur ce point, la loi s’en rapporte aux appréciations des juges du fait. Les moyens par lesquels l’usage s’obtient sont indifférents. Ce qui est nécessaire, c’est un fait d’usage. On doit en conclure, dès lors, que toute production de la pièce, pour arriver au but qu’elle est destinés à atteindre, constitue le crime d’usage de faux.

Mais il faut tenir compte de deux observations.

Les appréciations des juges du fait ne sont souveraines, et la Cour de cassation peut toujours contrôler la qualification d’usage donnée par les juges au mode d’emploi qu’ils ont relevé dans leur arrêt, car si la loi ne dit pas en quoi consiste l’usage, elle exige un fait d’usage, et c’est la méconnaître ou la violer que de donner ce caractère à un fait quine l’a pas.

Pour que le contrôle de la Cour de cassation puisse s’exercer, il faut énoncer, dans la qualification, les procédés, les moyens à l’aide desquels l’accusé a fait usage de l’objet falsifié. L’art. 232 du Code d’instruction criminelle impose à la chambre des mises en accusation, dans ses arrêts, « l’exposé sommaire » du fait incriminé. Quant aux questions posées au jury, elles doivent être la reproduction, sinon littérale, du moins exacte, des conclusions de l’arrêt du renvoi.

Signe de fin