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LA RÉDACTION DES LOIS D’INCRIMINATION

Extrait du « Traité de droit pénal »
de Pellegrino ROSSI
( Bruxelles 1835 )

Ce texte, qui sert de conclusion à l’ouvrage de Rossi,
retient particulièrement l’attention en un temps
où la légistique fait l’objet de quelques études.

En premier lieu on peut noter que l’auteur
insiste sur la nécessité pour le législateur,
en droit pénal plus qu’en d’autres matières,
de s’attacher aux faits matériels plutôt que de se livrer
à de dangereuses spéculations échappant aux justiciables.

En deuxième lieu, on retiendra que le droit pénal spécial
doit être construit selon un mode ascendant.
Pour chaque intérêt à protéger le législateur commence
par poser le délit simple, ou délit de base,
ne comportant que les éléments essentiels.
Puis il élève progressivement le niveau de la sanction
par le jeu des circonstances aggravantes
dictées par les particularités du moment.
Ce n’est qu’à titre exceptionnel
qu’il peut retenir des causes d’atténuation,
tenant par exemple au peu de gravité de l’atteinte.

En troisième lieu, et c’est le plus important, Rossi,
de manière parfois un peu brouillonne, distingue entre
les délits rationnels qui ont été entérinés
par le sentiment général de la Nation
et les délits techniques destinés à assurer
le bon fonctionnement des diverses institutions.
Les premiers comportent une structure logique
qui s’impose au législateur et à laquelle
il ne doit pas toucher sans risque d’engendrer
des controverses et de favoriser ainsi le recours
à ces moyens dilatoires qu’affectionnent les avocats
mais qui affaiblissent la protection de la société.
Telle était la conception de l’Ancien droit,
où le législateur n’intervenait qu’exceptionnellement
dans la définition des délits, qui prenaient naissance,
par préférence, dans la conscience populaire.

CHAPITRE V
DE LA RÉDACTION DE LA LOI PÉNALE

Un assez grand nombre d’observations, concernant la rédaction de la loi pénale, ont trouvé naturellement leur place dans les divers chapitres de cet ouvrage, et surtout dans le chapitre précédent. Cependant ces observations étaient relatives au fond plus encore qu’à la forme purement extérieure des dispositions de la loi.

Nous avons aussi appelé l’attention du lecteur plus particulièrement sur la forme extérieure de la loi en traitant du mode à suivre dans l’œuvre de la législation pénale et en jetant à cette occasion un coup d’œil sur la belle et vaste question de la codification.

Les observations par lesquelles nous terminerons notre travail concernent plus spécialement encore la rédaction proprement dite, le mode à suivre pour que les paroles de la loi expriment exactement ce que le législateur a eu l’intention de dire, ni plus ni moins.

Personne ne conteste que c’est là le caractère d’une loi bien rédigée. Simplicité, précision, clarté ; telles sont les conditions essentielles d’une bonne rédaction. Cela a été dit mille fois ; mais le précepte a été moins souvent mis en pratique par ceux-là mêmes qui l’enseignaient.

Il serait facile d’en donner une foule d’exemples, même récents ; de montrer combien d’articles de loi ou de projets de loi ne sont ni plus précis, ni plus clairs que l’art. 136 du Code adopté per le royaume de Hanovre, où le crime de haute trahison est défini comme une attaque tendant à l’anéantissement de l’État, ou de ses éléments essentiels.

Au surplus, nous avons signalé dans l’Introduction plusieurs lois effrayantes par le vague, on voudrait dire par l’élasticité de leurs dispositions

Ce vice de rédaction (nous sommes loin de croire qu’il y a eu intention de tyrannie) est peut-être celui qui est le plus à craindre dans les lois modernes. Il est peut-être une conséquence assez naturelle des progrès de l’esprit humain.

On connaît des lois dont la rédaction offre la véritable image du désordre. On en connait dont les dispositions sur certaines matières sont révoltantes par l’indécence (le mot n’est pas trop fort) de leurs expressions. Il n’est que trop vrai que des lois ou des projets rédigés de la sorte ont paru même de nos jours. Cependant ce ne sont pas là les vices de rédaction qui sont le plus à craindre aujourd’hui.

Mais plus l’esprit se développe, plus il acquiert de force et de vigueur, et plus est grande sa tendance à généraliser, à ramener une foule de faits particuliers sous la même toi générale, à exprimer la généralisation par quelques mots qui lui paraissent propres à tout embrasser. De là le danger de tomber dans l’obscurité et dans le vague ; de là ces expressions métaphysiques qu’on a placées dans les lois ; sans songer qu’en supposant même que ces expressions fussent justes et précises en elles-mêmes, elles ne sauraient l’être aux yeux du public qui n’a pas suivi pas à pas, le procédé intellectuel de l’homme qui les emploie.

Ces formules, qui ne sont que des résultats, placées dans une loi où rien ne précède ce qui les amène et les explique, sont pour le public des formules d’algèbre pour un homme dépourvu de connaissances mathématiques. Comprendra-t-il la formule, parce qu’il connaît les lettres de l’alphabet, qu’il sait lire, qu’il a du bon sens, et même, si l’on veut, beaucoup d’esprit ?

Peut-on s’étonner qu’en suivant on pareil procédé on obtienne des lois d’une rédaction dangereuse, surtout lorsqu’on sait combien le langage des sciences morales et politiques est encore imparfait et peu familier aux masses ? Combien il abonde en termes vagues, équivoques, susceptibles de plusieurs significations ?

Aussi sommes-nous loin de partager l’opinion de ceux qui estiment pouvoir facilement atteindre la perfection dans la rédaction de la loi pénale, au moyen des définitions. Tout consiste, à leur avis, à définir le droit auquel le délit a porté atteinte et le mode employé pour commettre cette atteinte. Composée de ces deux parties, la définition du délit ne peut, à les entendre, présenter ni obscurité ni incertitude.

La méthode est séduisante au premier abord ; elle paraît ramener la rédaction des lois à une sorte de mécanisme, aisé pour quiconque sait manier une langue quelque facilité. Examinons cependant.

Qu’entend faire celui qui définit un délit, le vol par exemple ? Que veut-il dire, soit en disant que le vol une soustraction frauduleuse d’une chose appartenait à autrui, soit en et employant telle autre phrase qu’on voudra ? Il veut dire par deux expressions diverses : Le vol est un vol.-Si les deux expressions ne formaient pas une véritable équation, la définition serait un mensonge.

Mais où prendra-t-il le second terme, celui qu’on appelle définition ? Il importe de le savoir ; car il y a au fond de tout cela autre chose, peut-être, qu’une pure question de rédaction.

Le botaniste définit une plante, ou, pour mieux dire, il la décrit. Où prend-il les éléments de sa description ? Hors de lui-même, dans l’observation des faits. Il est une plante qu’on a appelée rose. Le botaniste en a vu une, deux, vingt, cent. Il en a remarqué les caractères essentiels, communs, qui distinguent la rose de toutes les autres plantes. Alors il nous dit : la rose est une plante faite de telle et telle manière. C’est très bien.

Mais n’oublions pas, d’un côté, que le botaniste a puisé les éléments de sa description dans l’observation des faits ; de l’autre, qu’il travaille à la science. Il a besoin pour cela d’ordre, de classification, de rapprochements, enfin de tous les matériaux scientifiques d’un système.

Le jurisconsulte est dans le même cas, lorsqu’il étudie ou qu’il fait un livre. Il a besoin d’analyser les caractères de chaque délit, d’en étudier les ressemblances ou les différences, relativement à tous les autres, de s’en rendre compte à l’aide de la méthode ; il décompose et il recompose ; il emploie, selon les cas, l’analyse et la synthèse. C’est encore très bien.

Mais, si le directeur d’un jardin des plantes, au lieu de travailler pour la science, voulait seulement défendre qu’on touchât à certains objets, s’adresser pour cela au public, comment s’y prendrait-il ? En voulant défendre qu’on touche aux roses, imaginerait-il de dire : On ne touchera pas aux plantes ayant tels ou tels caractères botaniques ? De deux choses l’une :

Ou il passe sous silence le mot de rose, et on ne le comprend pas ;

Ou il l’énonce d’abord, et sa description est inutile.

Elle pourrait être dangereuse, si les infractions aux règlements devaient être jugées par un conseil de botanistes. Il se pourrait que plusieurs d’entre eux ne reconnussent pas dans la description tous les caractères de la plante qu’on aurait arrachée.

Il se peut que le directeur du jardin doive donner des ordres pour des plantes exotiques, dont le nom n’est pas familier dans le pays. Dans ce cas, une description peut être utile si, au lieu d’être tirée des caractères scientifiques, elle rappelle les caractères grossiers, patents, qui frappent les sens les moins exercés.

Représentons-nous maintenant un mathématicien faisant des définitions. Il ne s’agit pas pour lui de décrire ce que l’on fait ou ce qui existe, de prendre l’homme ou la nature sur le fait. Quand il définit le cercle ou le triangle, peu lui importe de savoir s’il y a dans le monde telle chose qu’un cercle ou un triangle ; il lui suffit d’exprimer une idée que l’esprit humain puisse concevoir ; il lui suffit qu’il n’y ait pas de contradiction dans les termes, comme s’il disait  : une figure renfermée par une seule ligne droite, etc.

Quelquefois, sous la forme d’une définition, il énonce une proposition, une vérité, si l’on veut, évidente en soi, un axiome ; alors c’est plus que l’explication d’un mot, que la simple représentation d’une idée, il y a affirmation, appel à la croyance d’intuition ; mais l’appel n’est adressé qu’à l’intelligence pure, à la conscience intellective ; la conscience morale n’y prend aucune part.

Enfin, une définition peut aussi renfermer un théorème. Elle énonce alors un résultat, auquel on est arrivé par les combinaisons successives de plusieurs idées élémentaires, une vérité, mais toujours une vérité de pur raisonnement.

Qu’y a-t-il de commun entre le procédé du mathématicien et celui du législateur qui veut donner dans un Code les définitions des délits ?

Il n’y a qu’un seul rapport, extérieur, matériel : le besoin ou le désir d’expliquer certains mots.

Car, si le législateur se jetait dans des pures abstractions ; si, au lieu de suivre pas à pas l’observation des faits moraux la nature humaine, d’interroger la conscience morale, la conscience proprement dite, il avait la prétention d’élever un système de droit sur la base d’un certain nombre de mots définis à sa guise, sans doute il imiterait le mathématicien, mais extérieurement et avec la différence que, tandis que celui-ci est dans le vrai, le législateur serait -dans le faux.

Le mathématicien élève une science hypothétique, mais à laquelle l’intelligence humaine donne son plein assentiment ; rien ne lui fera croire que, telles choses étant données, telle autre ne s’ensuive pas.

Le législateur élèverait un système pénal hypothétique, mais auquel la conscience humaine refuserait son assentiment. Aucune définition ne lui fera croire que la soustraction, par erreur, d’une chose d’autrui soit un vol. Cependant il n’y a aucune contradiction dans cette phrase, soustraction, par erreur, du bien d’autrui ; pas plus que dans les mots qui définissent le cercle.

Le géomètre peut dire que le cercle est une figure renfermée par trois lignes droites ; qu’importe ? Sa géométrie serait embarrassante à lire par la singularité de l’expression ; elle ne serait pas moins bonne et moins vraie.

Mais le législateur qui veut définir le mot de vol dans le but de caractériser un délit, et d’en soumettre les auteurs à une sanction pénale, ne peut pas changer le sens que la conscience humaine et la langue commune attachent au mot. Il se rendrait coupable, comme l’officier qui, chargé de défendre une place, ferait pointer à faux son artillerie, en disant que l’angle aigu est celui qui est plus grand qu’un angle droit.

Or, convenons-en, le danger le plus grave des Codes faits spéculativement, riches en principes généraux et en définitions, c’est de tomber dans l’hypothèse ; c’est de faire, si 1’on peut s’exprimer de la sorte, de la jurisprudence mathématique ; c’est de faire une législation dont les parties seront parfaitement coordonnées, où toutes les proportions seront gardées, où la logique la plus rigoureuse dominera tout le sujet, du premier jusqu’au dernier article, mais où tout cependant peut être faux, exagéré dans un sens ou dans l’autre, sans liaison intime avec les sentiments et le langage de l’humanité parce que les points de départ n’auront pas été pris dans les principes immuables du juste et de l’injuste, dans les révélations de la conscience, dans l’exacte observations des faits moraux. La manie des définitions, en particulier, aura jeté, dès l’abord, le législateur dans des généralités et des abstractions dont, chemin faisant il abusera lui-même, ou dont abuseront ceux qui seront chargés d’appliquer la loi.

Un philosophe moderne a dit : « Dans les branches de mes études, qui ont pour objet la morale ou la politique, le système de connaissances qui se rapproche le plus, selon moi, d’une science hypothétique comme les mathématiques, c’est un Code de jurisprudence ; ou peut-on concevoir qu’un tel Code offrît une telle ressemblance, si la rédaction en était systématique et conforme en toutes ses parties à certains principes généraux ou fondamentaux. Que ces principes fussent ou non justes et utiles, du moins il est possible, en raisonnant conséquemment d’après ces données, de créer un corps de science artificiel ou conventionnel, plus systématique, et en même temps plus complet que ne pourrait l’être, dans l’état présent des connaissances, aucune science qui reposent en dernière analyse, sur les règles éternelles et immuables de la vérité et de l’erreur, du bien et du mal ».

Sans doute il est possible, trop possible même, de faire un Code systématique, que ses principes soient ou non justes et utiles. L’observation du philosophe écossais est irrécusable, et en la donnant, ainsi qu’il le fait, uniquement comme exemple d’une chose possible, il ne dit rien qui ne soit à l’abri de tout reproche.

Mais, comme il est important que la loi soit utile et juste, la question pour nous est de savoir quel est le procédé intellectuel qui peut entraîner plus facilement le législateur à sacrifier la vérité des principes à l’arrangement logique de la matière, à mettre des hypothèses et des conséquences de ces hypothèses, artistement coordonnées, à la place des dispositions que la justice légitime et que l’utilité publique exige.

Or, sans vouloir rentrer ici dans la question de la codification, nous sommes convaincu que, si l’on adopte volume règle absolue la méthode, soit de substituer une définition à l’expression propre, naturelle, généralement reçue du délit, soit de joindre la définition au mot, on s’expose, entre autres inconvénients, au danger de s’écarter involontairement de la vérité. Il est trop difficile de trouver des phrases générales et précises en même temps, des expressions qui ne disent absolument rien de plus ni de moins que ce qui est renfermé dans le mot indicatif du délit. N’oublions pas que ces définitions placées dans la loi se trouvent isolées, seules pour se défendre et s’expliquer. Elles n’auront pas, comme dans un livre, le secours des développements précédents et subséquents dont l’auteur les aura entourées.

Il y aura, dit-t-on, des jurisconsultes et des juges. Sans doute, et il se formera une jurisprudence ; et nous ne sommes pas de ceux qui s’imaginent pouvoir s’en passer, qui se plaisent à la décrier.

Mais la bonne jurisprudence est celle qui prend sa source dans la nature même des choses, qui, en matière de délits, retrouve et fixe le sens des réponses de la conscience humaine. Si la définition du législateur est exacte, la jurisprudence n’en souffrira point ; si la définition est inexacte, la jurisprudence sera d’abord incertaine, vacillante : elle ne retrouvera la bonne route qu’après avoir, à grand-peine, écarté les obstacles que les prétentions ambitieuses du législateur avaient jetées à la traverse.

Mais la question remonte, peut-être, plus haut. Les défenseurs les plus zélés du système absolu des définitions ne sont-ils pas les mêmes hommes qui s’imaginent que le législateur crée les droits et les obligations, et en conséquence les délits ? On comprend alors comment ils sont moins effrayés que nous du danger des définitions ; car il suffit pour eux que la définition exprime nettement leurs propres idées.

Ceux, au contraire, qui ne reconnaissent le délit que dans un acte immoral en soi ; ceux qui, pour distinguer l’acte moral de l’acte immoral, le délit grave en soi du délit moins grave, en un mot le bien du mal, consultent avant tout la conscience humaine ; ceux-là demandent à la définition d’être l’image fidèle des révélations de la conscience, d’appliquer à chaque délit, non leurs idées systématiques mais les notions du sens commun.

Or, le sens commun a parlé avant le législateur. Il a vu des hommes s’emparer malicieusement du bien d’autrui, et il les a appelés voleurs. Il a vu des hommes ôter la vie à leur semblable, il les a appelés meurtriers ; et il n’a jamais confondu avec eux, ni celui qui tue son agresseur pour défendre sa vie, ni celui qui tue un animal. Qu’est-ce un vol ? Qu’est-ce un meurtre ? Tout le monde le sait. Mettez à la place une définition ; la plus grande partie du public ne saura plus de quoi l’on parle.

Et si, sur plusieurs délits, i1 existe de la confusion dans les notions et le langage du public, nous n’hésitons pas à en accuser les faiseurs de lois, qui ont embrouillé les idées par leurs distinctions et leurs classifications arbitraires, qui ont voulu créer des définitions au lieu de les recevoir, inventer au lieu d’observer, faire des systèmes au lieu régler les faits existants.

N’est-il pas singulier de voir des législateurs donner gravement la définition de l’adultère et de quelque chose de pire encore ? Dans quel but ? Dans le but d’expliquer leur pensée ? Mais pourquoi, en parlant du vol de chevaux, ne pas donner la définition du cheval ? Pourquoi, en parlant des meurtres commis avec préméditation, de sang-froid, de guet-apens, ne point définir ces expressions ? Enfin pourquoi ne pas définir chacun des mots dont se compose la définition, et ainsi de suite ?

Il y a donc un point où il faut s’arrêter, où cette explication, sous forme de définition, ne serait plus qu’un moyen de rendre obscur et incertain ce qui est clair et certain de soi-même.

Dès lors, pourquoi ne pas appliquer cette observation même à la définition du délit ? Pourquoi établir la nécessité des définitions dans les lois, comme une règle générale et absolue ?

Que conclure de ces observations ? Qu’il n’y a point de règle immuable à établir ; qu’il faut examiner attentivement l’état des choses et suivre, selon les circonstances la méthode qui, dans les cas divers, est la plus propre à donner à la loi toute la clarté et la précision nécessaires.

*

Nous terminerons par quelques observations plus spéciales et positives, qui pourront, peut-être, fournir quelques directions pratiques pour la rédaction des lois.

1°/ Lorsque, après avoir reconnu qu’un acte réunit les caractères moraux et politiques du délit, on veut le placer dans la loi pénale, il faut rechercher ayant tout si cet acte a reçu dans la langue commune un nom propre, fixe et déterminé, qui le distingue de tout autre acte immoral.

Si ce nom existe, le législateur doit l’employer sans définition.

2°/ Si le crime dont il s’agit est susceptible de diverses peines, selon qu’il est ou non accompagné de certaines circonstances, loi doit d’abord exprimer la peine dont elle menace les auteurs du délit simple.

Ensuite, par autant d’articles distincts, elle ajoute au nom du délit les diverses circonstances aggravantes que le législateur juge à propos de prévoir.

De même, si le délit ne doit pas être puni lorsqu’il est accompagné de certaines circonstances, ou commis par certaines personnes, la loi pose l’exception en ajoutant au nom du délit la circonstance qui l’excuse.

Par exemple, le vol sera puni, etc.
Le vol avec effraction sera puni, etc.
Le vol avec effraction, de nuit, sera puni, etc.
Le vol commis avec effraction, de nuit, par plusieurs personne, avec armes, sera puni, etc.
Le vol commis sur les grandes routes, etc.

Il est inutile de faire remarquer que nous donnons ces expressions uniquement par forme d’exemple, sans considérer si c’est l’ordre que nous suivrions, les termes que nous emploierions, en rédigeant une loi. Continuons.

Le vol commis par la femme au préjudice de son mari, ou par le fils au préjudice de son père, ne donne point ouverture à une action pénale.
De même, l’adultère sera puni, etc.
L’adultère commis avec violence sera puni, etc.

3°/ Si le délit est un fait que la langue commune n’a pas encore nettement saisi, en lui donnant un nom fixe qui en présente l’idée précise à l’esprit, le législateur, après s’être bien assuré qu’il s’agit en effet d’un acte immoral et nuisible, doit remplir auprès du public l’office de nomenclateur.

Dans ce cas, le nom seul ne suffit pas : il faut désigner le fait qu’on a en vue et auquel on veut appliquer le nom.

Mais, au lieu de donner une définition sous des formes abstraites, il faut donner la description du fait, en la tirant, autant qu’il est possible, des actes physiques qui le constituent, ou des effets qu’il produit. L’essentiel est de saisir les actes et les effets communs à tous les délits de l’espèce dont il s’agit, d’éviter les actes et les effets insignifiants ou trop spécieux. « Celui qui aura déterré un cadavre pour le vendre, celui qui arraché un nègre à son père ou à sa mère » ne sont pas des expressions propres à bien définir le crime de la traite des nègres et le délit de violation des tombeaux.

4°/ Si le délit spécial qu’on veut punir est désigné par un nom qui s’applique même à des actes dont la loi pénale ne s’occupe point, le législateur doit ajouter au nom les circonstances qui rendent le fait général punissable dans tel, ou tel cas.

Le mot de stellionat a été appliqué à un grand nombre d’actes analogues. Supposons qu’on voulût accorder l’action pénale proprement dite, dans un seul cas, il faudrait dire : « Quiconque se rendra coupable de stellionat, en vendant à une personne une chose qu’il avait déjà vendue, etc.

5°/ Quelquefois le sens net et précis que la langue commune avait attribué à un mot été défiguré, altéré par la loi ou par la jurisprudence. Dans ce cas, il importe d’éviter ce mot, ou de lui rendre sa véritable signification ; il y aurait danger à l’employer sans aucune explication

Le Code pénal français avait employé le mot de calomnie dans an sens assez éloigné de la notion de ce délit.

6°/ Lorsqu’il s’agit de faits analogues, mais tels cependant qu’ils exigent une sanction pénale différente, et que la langue, à cause de leur analogie, leur applique indistinctement plusieurs noms, le législateur peut profiter de ces diverses énonciations, mais de manière à attribuer à chacune un sens exacte et particulier.

Tels sont les actes désignés sous les noms de calomnie, diffamation, outrage, injure etc.

La loi en déterminera le sens, en attachant à chacun de ces mots la circonstance essentielle qui distingue l’un de ces faits des faits analogues ; ces diverses dispositions rapprochées les unes des autres, s’éclaireront mutuellement, par le contraste des diverses qualifications que le législateur aura exprimées.

Si la loi ne désignait que l’outrage seul, il serait facile de le confondre avec la calomnie et l’injure. Mais, la calomnie et l’injure se trouvant à leur tour qualifiées d’une manière spéciale, on ne saurait dépasser les limites assignées au délit d’outrage, sans comprendre à l’instant qu’on le confond avec l’un ou l’antre des délits analogues. Peu à peu, à l’aide de la jurisprudence et de la publicité, le sens précis de chacun de ces mots passera dans la langue commune.

7°/ Lorsqu’il s’agit de circonstances aggravantes ou atténuantes, il est d’autant plus essentiel de réfléchir mûrement à la rédaction de la loi, qu’elle peut changer essentiellement la distribution des pouvoirs entre les juges et le jury.

Si un crime qui peut être accompagné de ces circonstances n’est désigné que par un seul article et un seul mot, le législateur est obligé de laisser une grande latitude dans la sanction pénale, et un immense pouvoir au juge.

Si, au contraire, chaque circonstance importante forme un chef distinct avec une sanction pénale particulière, la question spéciale est posée au jury. Il prononce alors sur la circonstance importante comme sur un délit sui generis.

*

Nous ne fatiguerons pas davantage nos lecteurs en multipliant ces observations minutieuses et de détail.

Tout se réduit, nous y insistons, à cette règle fondamentale : Le législateur doit étudier les faits de son pays, du peuple qu’il est chargé de gouverner, s’en emparer, les régler dans le but et dans les limites de sa mission. Ce principe s’applique également aux actes et au langage. La loi peut écarter quelques erreurs, dissiper des nuages, aider avec mesure et prudence au développement national du droit. Mais si le législateur, en oubliant son rôle, s’aventure dans le champ de la spéculation ; si par l’ambition de créer il néglige les actes, les opinions et le langage de son peuple ; s’il veut savamment expliquer ce qui est clair, substituer des abstractions à des faits, un langage particulier à la langue commune, il méconnaît les fonctions augustes dont il est revêtu.

Au surplus, ces égarements sont peu redoutables là où la nation ne demeure pas étrangère à ses propres affaires, là où les élus du peuple coopèrent à l’œuvre de la législation nationale. Les assemblées ne font pas de systèmes ; elles ne se plaisent guère dans les généralités superflues et dans les abstractions savantes ; elles ne négligent pas les faits et la langue de leur pays, car elles les portent en elles-mêmes ; elles sont le pays.

Signe de fin